Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

12/04/2009

Pâques… Printemps en vue?

 

Après ma longue fiche sur le dernier roman de Yasmina Khadra, Ce que le jour doit à la nuit,  qui m' a enthousiasmée, j'ai envie de partager avec vous les promesses que prépare Dame Nature…

PICT0010.JPG
PICT0009.JPG
PICT0014.JPG

Puisque Pâques doit rester d'abord la fête symbolique de la Renaissance et du Pardon qui nous est offert, la Rédemption fondatrice du Christianisme, petit rappel innocent qui n'est pas sans mérite.

En accompagnement de vos réjouissances, je vous dédie juste une promesses de feuillage, sur fond d'ondées, pour illustrer un printemps comme je n'en avais pas encore vu en Provence…

L 'eau, la pluie, la vie et les fleurs.…

PICT0015.JPG
PICT0017.JPG

 

10/04/2009

Erreur de la banque en votre faveur…

Chronique cinéma vu depuis  le Rébubéou.


Hier soir, nous nous sommes extirpés de notre colline et ses senteurs de romarin en fleurs, nous avons faussé compagnie à notre Petit Peuple  pourtant bien énamouré,    et nous avons mis le cap sur une petite  comédie, histoire de lâcher nos zygomatiques et de lutter contre les montagnes de nouvelles négatives qui pleuvent  dans nos oreilles, pèsent  sur nos consciences, engourdissent les volontés, même les plus résistantes et déterminées …

Peu friands à priori des pitreries  kitsch de  Gad Elmaleh et son Coco, méfiants  à l’égard des vantardises chasseresses de Safari, nous avons tout simplement choisi une petite comédie dans l’air du temps, servie par Gérard Lanvin et  Jean Pierre Darroussin : Erreur de la banque en votre faveur, de Michel Munz et Gérard Bitton.
Bien nous en a pris.
Nous avons bien ri, peut-être pas de ce rire innocent et revigorant de la comédie culte type Bienvenue chez les Ch’tis… Mais d’une manière réjouissante et perfide, les deux compères, qui ont réalisé autrefois La Vérité si je mens (1 et 2), décortiquent pour un public justement interpellé,   les arcanes des délits d’initiés. Oh pas façon vengeresse comme l’a fait Chabrol dans l’ivresse du pouvoir, non plutôt farce et attrape du genre "tel est pris qui croyait prendre."

Julien  Foucault ( Gérard Lanvin), maître d’hôtel au service d’une grande et vénérable institution bancaire privée deux fois centenaire, a reçu son préavis de mise à l’écart, sèche, malgré ses dix-sept ans de loyaux services…La  banque d’affaires se modernise et envisage d’externaliser les somptueux repas au cours desquels se trame le sort des grandes entreprises qui  gèrent la marche du monde. La course contre un malheureux cafard  met tout à coup Julien,  en position d’entendre les secrets de ceux qui tirent les ficelles. Aussi, quand il constate, malgré son zèle, l’incommensurable dédain  dans lequel le tient son  futur ex-employeur  Espinasse (Philippe Magnan), arrogant à souhait, il cède à la tentation bien naturelle d’utiliser les informations qu’il a été amenées à entendre. Julien a l’heurt d’être  l’ami du délicieux Étienne (Jean Pierre Darroussin), adolescent de 45 ans, qui perd son talent de grand chef dans la cuisine d’un gargotier populaire.   Le hasard, il en faut dans les scénarii, leur permet de rencontrer l’homme de la situation, ce qui les amène à mettre à profit les secrets boursiers qu’ils détiennent. Mais quand on est issu de la classe laborieuse, comment rester insensible aux difficultés des voisins et connaissances ?…  Peu à peu le cercle des bénéficiaires s’agrandit…Et donne l’occasion de scènes savoureuses, où la morale et les faiblesses humaines sont justement croquées,   sans jugement de valeur,   mais avec une finesse réjouissante. Chacun en prend pour son grade, sans charge excessive, par un jeu de  petites touches faussement innocentes.
Ajoutez à ces portraits deux intrigues amoureuses pour assaisonner la vie perturbée de nos deux acolytes, et vous obtenez un délicieux moment de cinéma. À recommander en cas de crise de morosité ou si votre banquier vous chatouille trop méchamment pour quelques euros manquant à votre crédit. Au fait, le banquier…n’a-t-il pas commis une erreur en votre faveur ? Voilà une petite phrase qu’on aimerait bien entendre plus souvent.

07/04/2009

Rencontre



Dans notre vaste monde, il est des rencontres qui ressemblent à des petits clins d'yeux lancés de là-haut. Il  ne faut  pas omettre de  les considérer comme autant de cadeaux éphémères et hasardeux... En voici un petit exemple, bijou enchâssé sur la monture d'une agréable journée ensoleillée.

Samedi dernier, nous sommes allés accompagner Simone à la découverte du lieu de vacances obligées pour sa chatte vieillissante,   Chimène.
La compagne de mon amie subit les vilenies de sa maladie et devient aveugle.
Évidemment, il existe un traitement pour aider Chimène, sinon à recouvrer la vue, du moins à atténuer cette évolution angoissante.  En constatant le handicap  nouveau dont souffre  sa chatte, Simone était prête à renoncer à notre escapade berlinoise prévue début Mai,    jusqu'à ce que des amis communs lui confient l'adresse d'une chatterie exemplaire. Restait à tenter l'exploration des lieux, pour déterminer si Chimène y trouverait bon accueil et Simone paix de l'âme en la confiant à la propriétaire. L'événement crée aussi l'occasion d'une nouvelle tribulation dans l'arrière pays varois.

Varages est accroché en haut d'un piton, au bord de larges falaises percées de sources qui cascadent joyeusement vers le vallon étroit, en contrebas. Au fond, quelques maisons ouvrières cernées de jardinets ombragés, une bicoque de garde-barrière délabrée, la route traversière croise la voie ferrée abandonnée qui  fuit vers un tunnel sombre, puis  le col rebondit aussitôt en massif montagneux. La route  depuis Saint Maximin monte lentement, mais au débouché  en bas de la bourgade, elle adopte un tracé  abrupt et ce sont deux ou trois lacets fermés qui permettent de monter à l'assaut de la petite cité.

Nous voici parvenus à la périphérie de l'agglomération. Négligeant l'accès au centre, nous bifurquons alors en direction de Rians, avant d'emprunter une petite route secondaire enjambant un pont de pierre étroit. Nous poursuivons sur trois kilomètres, selon les indications que Simone a retenues;  la voie se rétrécit encore, le bitume disparaît,   la terre ravinée par les  récentes pluies a redessiné le relief, creusé de profondes ornières, ménagé des nids d'autruches qui pourraient y vivre en colonies. Force est de reconnaître l'utilité qu'aurait ici un véhicule tout terrain. Un dernier virage démasque le bout du chemin, marqué en son centre par une barrière ajourée, manifestement symbolique puisqu'elle n'est entourée d'aucune clôture. Nous sommes arrivés au bout du monde.

Le bout du monde est habité.
Une femme nous attend devant sa porte virtuelle ouverte sur la nature.
Le visage avenant aux traits fermes, le sourire ouvert et le regard droit, elle se présente avec une simplicité naturelle dès que Simone se fait reconnaître.
Cette femme est habitée d'une passion : elle voue son énergie au bien-être des chats, et entreprend la visite de son royaume, tout en contant  sobrement son parcours. Après une vie professionnelle animée dans le secteur des voyages, elle confie avoir choisi de renoncer  aux bruits et à l'agitation vaine de la société. Elle a  cherché longuement avant de dénicher son terrain étagé qui plonge vers un val perdu, camouflé derrière les chêneraies truffières, où les habitations voisines dressent encore quelques pans de mur pierreux enserrant des ronces impénétrables. À moins d'investir un îlot perdu en plein Pacifique, et encore... Je me demande s'il peut exister en Provence un autre lieu plus secret, plus en marge de la société...
Serait-elle misanthrope, notre interlocutrice ?

Je ne peux m'empêcher de détailler son visage fort et harmonieux, dénué de tous fards... En quoi d'ailleurs sa beauté intérieure en aurait-elle besoin ?
Au cours de la conversation, qu'elle anime sans effort,   peu curieuse manifestement de nous cerner, notre hôtesse dévoile ses motivations et ses ambitions : offrir à ses pensionnaires un lieu d'accueil provisoire chaleureux, sécurisant, bénéfique. Que ses hôtes  félidés récupèrent en ses terres le bienfait que nous autres, les pédibus migrants, recherchons dans les centres thalassos et autres clubs dévolus à notre vacance.

L'aménagement des lieux est explicite sur le site référencé :http://www.chatterie-du-louquier.fr , je me garderais donc de redondance, mais vous engage fortement à le visiter si par hasard votre Félix adoré vous plonge dans des affres similaires à ceux auxquels  Simone vient d'échapper. En effet, les lots réservés aux chats sont tellement sécurisés, soignés, pensés en termes d'accueil... La chatterie a un an et demi d'existence, et son premier été a été bien rempli. Je souhaite à notre pasionaria es chats le succès de son entreprise, car ce n'est manifestement pas l'appât du gain qui sous-tend son entreprise, mais plutôt une philosophie de vie qui me touche.

Après la visite guidée des « chambres d'hôtes », 40m2 par lot,   dont un chalet de 6 m2, aménagé et chauffé en hiver,   arboré et grillagé même en plafond  par sécurité, Gabriella poursuit son exposé en nous invitant à prendre place sur sa terrasse dominant le fond du vallon et son poulailler. Elle  nous explique comment elle a rénové la ruine qui résistait encore sur son terrain  et est devenue une fermette accotée au versant, prolongée par une immense véranda en demi-cercle, véritable QG de l'exploitation, car confie-t-elle avec gourmandise, « dès que je peux m'arrêter pour reprendre ma lecture, tous les animaux de la maison peuvent me voir et savoir que je suis prête à intervenir s'il en est besoin. » 
Gabriella, se reconnaît la maîtresse d'une bonne douzaine de chats,   qui vaquent à leurs occupations librement  et  nous reconnaissent manifestement comme amies, porteuses indiscrètes des odeurs et phéromones de notre petit peuple évidemment. Mais le pendant de sa passion féline est la lecture assidue, jouissance volée au temps, intériorité creusée en son intimité, compensation assumée à l'isolement. À l'écoute de la confidence, je tressaille et mon amie éclate de son joyeux rire en m'adressant un clin d'œil lumineux. Et nous nous découvrons encore un autre point commun : Si les besoins d'un vétérinaire deviennent évidents, Gabriella quitte son domaine perdu et descend jusqu'à Saint Max pour confier son protégé aux soins attentifs de Lydie Pinori, notre vétérinaire, dont je n'ai pas encore eu l'occasion de vous conter les mérites! À mi-chemin, la clinique vétérinaire de Barjols, ou les praticiens de Rians, pourraient faire l'affaire en lui épargnant un kilométrage considérable. Gabriella se reconnaît plus d'affinité et de confiance dans le charisme animalier de Lydie, dont la réputation a dépassé les limites du canton depuis lurette.

GéO a profité de tout ce temps pour lier amitié avec les  deux chiennes du logis, outre les douze chats déjà cités, dont Colette, aux yeux verts jade et robe lustrée de jais. J'ai droit aux courtoisies de Tibby, aux charmes siamois, regard lavande et truffe rose, silhouette élancée, membres déliés, articulations fines ...

Au delà du périmètre immédiat, les canards s'ébattent dans le pré où réside sans nul doute le Bonheur, et les oies montent la garde. Combien d'autres représentants de l'Arche de Noé sont-ils encore éparpillés dans cet Eden?

L'après-midi s'avance, Gabriella demeure intarissable, même en nous raccompagnant à la voiture. Simone est totalement rassurée, Chimène coulera sûrement une semaine de rêve, bichonnée par une bonne fée.

05/04/2009

cache-cache (2)

Lobu

 


Floriane relève la tête.
Seule dans cette chambre blanche et austère, presque monacale, ses yeux cherchent encore à l’horizon la crête ocre et dorée des Monts de l’Atakara qui ferment au loin la plaine de Lobu. De la fenêtre étroite, le paysage offert confirme son recadrage réussi dans ce monde toujours nouveau, où elle s’est enracinée depuis dix ans.  Petit à petit, la lumière extérieure perd sa dorure et enveloppe de nuances roses et mauves les replis du terrain, tandis que les arbres noircis accueillent les points plus clairs du troupeau des chèvres que Joshua et Yahomé ont appelées et rassemblées comme tous les soirs. Dans quelques minutes à peine, l’obscurité sera complète, les feux s’allumeront, les derniers appels des bergers fermeront cette très longue journée.

Comme d’habitude, il faudra sortir, rejoindre l’équipe du dispensaire pour le dîner pris en commun, rite des petites communautés, tissu social indispensable et parfois pesant, mais si souvent salvateur face à la détresse et l’inépuisable dénuement des moyens. On y rit très souvent, on s’engueule de temps à autre, mais c’est là surtout que, la journée finie, se développent l’attention et le respect inouï que chaque membre de l’équipe ressent pour ses compagnons. Dans la journée, l’urgence et les difficultés multiples  ne leur accordent que peu de pauses et surtout aucun recul sur les décisions à prendre. Aussi chaque soir, en s’obligeant à partager le repas et une partie de la soirée, tous les acteurs du centre de soins  se retrouvent et mesurent  la chaleur de la solidarité qui leur permet de tenir. Quand  le regard de Floriane s’accroche à la crête noire tout au fond, là-haut, ce sentiment plein et rassurant la regonfle et lui insuffle assez de patience et de volonté pour recommencer sa tâche.


Oh oui, Floriane aime cette chambre presque vide...


Et pourtant, malgré la pénombre qui a envahi la pièce, elle devine encore devant elle, sur le bureau, la feuille de papier qu’elle s’est tellement appliquée à couvrir de mots... Mots justes ou mots éteints, immense lassitude d’un discours renouvelé et perdu,  missive à la dérive du temps et de l’éloignement.
La nuque raidie par l’effort d’écriture, Floriane a lâché le stylo. Elle se redresse et s’étire, cherchant à repousser hors d’elle la mélancolie où cette page arrachée à elle-même l’a encore rejetée.
Une fois de plus, une fois de trop, elle a tenté de retendre un pont entre Rachel et elle, de répondre à l’appel lancé de France vers son exil volontaire.

Rachel... Ces deux syllabes montent en elle comme une prière ou comme une arme, selon les moments, toujours douloureusement comme la trace de l’injustice ineffaçable.
Il y a dix, douze ans, elles ont aimé le même homme et Rachel a gagné.

**

Jamais encore Floriane ne s’était sentie aussi forte, belle, si accomplie déjà, ce merveilleux soir de mai où elle s’est engagée à lier sa vie à celle d’Alexis, à la terrasse du restaurant, le visage caressé par les yeux amoureux d’Alexis, plus exaltée d’amour qu’enivrée par le vin délicat qu’ils avaient commandé. Aucun doute, aucun soupçon incongru, aucun nuage n’aurait pu voiler l’élan ressenti, la certitude accrochée au langage de leurs corps. Un état céleste, suspendu, un désir divin et durable ou le Tout, passé-présent-avenir, gravitait autour d’eux, pour eux.


Souvenir du regard maternel reconnaissant enfin le Bonheur de cette fille si difficile à cerner...


Et puis un jour, en traversant la rue Royale, le regard de Floriane s’est porté par hasard sur un couple tendrement enlacé sur le trottoir opposé. Est-ce parce que ces visages lui étaient familiers qu’ils ont ainsi attiré son attention parmi les dizaines de passants ? Son corps s’est plombé là, colmaté au macadam de la chaussée,  sourd au crissement strident des freins. La première voiture ne l’a pas heurtée mais la suivante n’a pu éviter la première... Et dans les fracas successifs des tôles froissées et du verre brisé, Rachel et Alexis ont à leur tour découvert Floriane, soudée au sol,  inconsciente du tumulte autour d’elle.


Elle se souvient beaucoup plus vaguement d’explications sans fin, de larmes, du visage boursouflé et vieilli de sa mère, du poids maladroit de la main paternelle sur ses épaules. Et puis enfin l’aéroport,   comme une antichambre mortuaire où le temps pesait sur chacun d’eux, ces acteurs d’un drame intime et clos. L’avion libérateur, univers ouaté où sa Solitude a enfin pu se découvrir et prendre possession d’elle, l’auréolant d’un écran protecteur et durable.


A son arrivée, la chaleur blanche des jours et la moiteur de certaines nuits l’ont encore mieux isolée de sa douleur. Elle s’est laissé rapidement dissoudre dans le mouvement incessant des sœurs aux voiles blancs. Ces religieuses d’origine belge n’ont jamais quitté le Bénin malgré les cahots et les incertitudes qui ont suivi la reconstruction du pays. Avec elles, Floriane s’est lovée corps et cœur dans le poste de gestionnaire du dispensaire installé dans ce village isolé au nord-est d’un état immense, incapable de tout gérer. Le travail lui a immédiatement convenu: il y avait tout à inventer et à refaire chaque jour, chaque minute, rien n’étant permanent, durable ou acquis, si ce n’est la misère, le dénuement, les épidémies récurrentes, les maladies endémiques, et les gens. Les gens d’ici, surtout, ceux qui y sont nés comme ceux qui arrivent, parfois fragiles comme elle l’a été, blessés sans devenir blessant, presque tous très rapidement ligués contre les difficultés. Des difficultés invraisemblables, quand on arrive d’Europe, et auxquelles on finit par accorder une considération familière: approvisionnement, acheminement, remplacement, manque aigu de communication, on pare à tout avec le fabuleux système D et la foi absolue d’appartenir à une équipe, patients et soignants, ou même simple maillon de  la chaîne comme Floriane.
Dans ce fourmillement incertain et mouvant, assise devant cette fenêtre qui n’ouvre plus que sur la nuit, Floriane n’a qu’une certitude : elle a trouvé sa place, c’est ici à Lobu que sa vie a pris un sens, c’est ici qu’elle se sent confiante, enfin.


De l’autre univers, elle a reçu de loin en loin des nouvelles. À ses parents, elle a toujours répondu que tout allait bien et que sa vie répondait  pleinement à ce qu’elle en attendait. À Rachel, elle n’a d’abord pas répondu, même lorsqu’une longue et déchirante lettre lui a appris son divorce. Que dire et que faire ? Le malheur de sa sœur n’allait certes pas apaiser sa déchirure ancienne.


Et puis, malgré tout, les lettres de Rachel se sont succédé au rythme de ses déceptions.
Heureuse, elle n’écrit pas.
Inévitablement déçue, elle ne peut résister au besoin de confier, fort bien d’ailleurs, ses chagrins, ses peines, ses désespoirs à cette partie d’elle-même qui s’est envolée. Un soir enfin, Floriane a admis que Rachel n’avait pas délibérément détruit le bonheur de sa sœur, mais que son tempérament entier l’avait poussée à vivre ce que vivait Floriane. À partir de cette intuition, le fil s’est peu à peu retissé entre les deux sœurs. Cette fois encore, Rachel appelle Floriane pour raccommoder l’ourlet décousu de son cœur insatisfait.
Seulement, aujourd’hui, Floriane est à bout de mots...
Cette page de papier noirci est vide de sens, démunie d’affection, sèche de compassion. Elle le sent si bien que d’un geste définitif, la lettre est froissée et jetée au panier.
Floriane réalise alors qu’elle n’a même pas eu le réflexe d’allumer...

02/04/2009

Cache-cache (1)

Page d'enfance

De minuscules cailloux pénètrent dans ses joues. La poussière rêche irrite ses narines fines, mais Floriane retient de toutes ses forces l’explosion d’un éternuement qui révèlerait sa cachette. Elle a réussi à recroqueviller sous la vieille brouette du jardinier toute la longueur de ses jambes, même ses pieds qu’elle trouve déjà trop grands; ses bras entourent son corps pour le maintenir en forme d’œuf sous cet abri rond.


- Floriane, je t’ai vue, sors de là !  Crie Rachel en s’éloignant déjà. Les jambes potelées de la fillette accélèrent  leur course en passant devant la brouette, abandonnée là à l’heure du déjeuner. Au  passage, les sandales blanches soulèvent encore un peu plus de poussière et Floriane sent sa poitrine brûler, ses yeux piquer…  Sa gorge va lâcher le spasme retenu... Non, ouf, elle a gagné. La voix de Rachel triche encore, dans l’allée d’herbes folles, entre le poirier et le seringa…


- Allez, t’es pas drôle, tu sais bien que je t’ai vue.


Rachel est toujours comme ça: ronde, vive,   gourmande, impatiente, drôle. Des deux sœurs, elle est la plus jeune, mais c’est elle qui retient toujours toutes les attentions. À table, en famille, en classe, partout, Rachel ponctue d’un mot ou d’une mimique toutes les discussions, même celles des adultes; le charme joue toujours: tous s’esclaffent et Rachel jubile, les yeux étoilés de malice, sa bouche ronde déversant sa joie alentour. À côté d’elle, Floriane rit aussi, retenue sans le savoir ni le vouloir, sa tête blonde inclinée vers la brunette, les yeux rivés à ce visage heureux.


Pour le moment, Floriane continue à étouffer sous sa brouette; des fourmillements ont déjà gagné ses mollets après avoir engourdi ses pieds; ses cheveux longs, pourtant retenus par une barrette dans la nuque, lui semblent peser comme un couvercle sur sa peau moite. Maman ne veut pas couper ses longs cheveux d’or qui font, paraît-il, tout son charme. Quand sa mère se prononce ainsi, Floriane n’en revient pas d’apprendre qu’elle a aussi " du charme ", bien qu’elle ne saisisse pas tout le sens de l’expression.  Donc, sous sa brouette, Floriane voudrait  bien ne plus sentir ce charme-là lui chatouiller le cou et les bras, mais elle ne sait pas comment sortir de là-dessous et parvenir à surprendre sa sœur sans que celle-ci s’attribue la victoire. C’est qu’elle est rusée, Rachel, et mauvaise perdante, pour ça oui! Mais là encore, chaque fois qu’elle perd, Rachel se débrouille si bien que les adultes, attendris et hilares, lui accordent les points contestés.


Aujourd’hui, elles sont seules toutes les deux, et Floriane a décidé qu’elle ne céderait pas, "  même si je meurs sous ma brouette " ... Maintenant elle va gagner, et d’ailleurs, elle a déjà gagné: Rachel revient vers l’endroit où elle se tient toujours, tapie sous l’étuve de l'outil. Ses pieds traînent plus lentement sur la terre sèche, bousculent sans volonté les gravillons. Cela suffit pour deviner la moue qui resserre un peu la bouche cerise de Rachel, ses yeux noirs dépités. Soudain, l’enfant s’arrête, tout près du but insoupçonné et la seconde d’après, repart à toute allure dans la direction opposée; dans le champ de vision de Floriane la silhouette de la fillette apparaît en entier, à trente pas, au milieu du jardin de curé. Les mains de Rachel prennent appui sur la margelle du puits, ses pieds quittent le sol et le petit corps, un instant suspendu, bascule derrière les pierres du muret...


Pendant toute cette scène, Floriane  s’est figée, muette d’un hurlement intérieur qui l’étire et la déchire. Sans s’en rendre compte, elle est debout, flageolante, et entreprend à son tour la même course, trente pas  infinis qui se dérobent sous ses genoux liquéfiés.
Enfin la margelle est là, à portée de ses mains moites. À l’instant où elles s’accrochent aux pierres dures et chaudes, cinq  doigts ronds et poussiéreux se posent sur les siens. Ce contact de chair brise brutalement la tension de Floriane. Sans un mot, elle attrape l’autre poignet et aide sa sœur à escalader le rempart pierreux. Puis toutes les deux, tremblantes et molles comme des tomates trop mûres se laissent glisser au sol, le dos calé contre le puits fatal.


- Hé ben, dis donc, … heureusement qu’elle est là, la grille !
- Tu t’es fait mal ? Montre un peu.
L’évaluation est vite faite : une belle éraflure au coude gauche, une autre sur la joue, entre l’œil et l’oreille, les mains striées comme le dessus d’un toast et, le plus grave, un énorme accroc sur la jupe rouge à volants, celle qui seyait si peu à Floriane et que Rachel porte comme une grâce.                                                                             - Mais aussi, c’est de ta faute, t’avais qu’à répondre !
-  … Et voilà, c’est encore moi!
Cette fois la remarque reste à l’intérieur parce qu’en même temps, Floriane se sent vraiment coupable, sans savoir au juste de quoi. Est-ce d’avoir voulu gagner au moins une fois, ou de n’avoir pas deviné que sa petite sœur irait au puits qui leur est pourtant bien défendu, malgré la grille salvatrice qui obture le vide, moins d’un mètre au-dessous du rebord...
De gros sanglots gonflent enfin les deux poitrines, les gorges nouées font très mal jusqu’à ce que, d’un bloc, leurs souffles se mêlent  enfin au milieu de grosses larmes qui lavent les joues rondes et veloutées de la poussière blanche qui les recouvre.

29/03/2009

Slumdog millionaire


(Suite de la chronique cinéma de notre  colline…)

Notre second choix s’étant porté sur Slumdog millionaire, du britannique Danny Boyle, nous avons enfin pu accéder à la séance promise vendredi dernier…
Le film est sorti depuis janvier dernier en France, où il connaît le même succès que partout ailleurs dans le monde. Mardi dernier, il s’est avéré impossible d’assister à la séance requise, tant les fameux 8 oscars décrochés en février à Hollywood ont conforté son audience. Inutile de préciser à quel point je tenais à profiter à mon tour de la projection promise.

Eh bien ce vendredi, la salle  du Pathé plan de campagne dévolue à ce programme est loin d’être pleine. Après la foule agglutinée pendant les 3 jours de Printemps du cinéma, nous sommes tout au plus une cinquantaine de spectateurs à s’égailler dans les rangées de sièges déjà bien fatigués du complexe cinématographique. Les habituelles odeurs de pop corn ranci empoisonnent l’atmosphère, mais je suis tellement ravie  de tenir enfin le plaisir attendu que je décide de ne pas y prêter plus d’attention. Le son beaucoup trop puissant nous gênera en revanche de manière continue et je profite  de ce billet pour signaler aux  projectionnistes que cet abus sonore dessert le film par le désagrément  occasionné. … 

Danny Boyle, l’auteur du film, s’est déjà imposé depuis lurette parmi les réalisateurs intéressants. Dès 1994  où il a produit le premier volet de sa trilogie consacrée au thème de l’avidité financière et les dérives de la recherche d’argent facile, avec Petits meurtres entre amis, puis le dérangeant Transpotting, deux ans plus tard, que j’avais trouvé si glauque que je me suis abstenue de visionner le dernier volet Une vie moins ordinaire.
Néanmoins, Danny Boyle demeure un cinéaste attendu, d’autant que ce dernier opus a mérité la consécration rappelée au début de l’article.

Le récit commence au moment où un jeune homme, Jamal, candidat très heureux du jeu Qui veut gagner des millions, version Bombay, est sur le point d’emporter le Jackpot le plus fabuleux de l’histoire … Sans que nous en saisissions la raison, le voici emprisonné dans de sordides conditions au commissariat local où les méthodes d’interrogatoire qui lui sont appliquées sont franchement barbares. Le jeune homme résiste d’abord à cette torture et  puis, vaincu,  entreprend de dévoiler à son tortionnaire les conditions particulières qui l’ont conduit à fournir miraculeusement les bonnes réponses.… Le film se déroule alors selon le procédé de flashes-back successifs pour reprendre le déroulement du destin de ce gamin trop tôt orphelin, livré à lui-même dans les  ruelles inextricables  de son bidonville,  exposé aux rencontres sordides qui guettent les innombrables victimes de Mumbai.

Haut en couleurs et en sonorités, le monde du bidonville est dépeint comme une grande fresque, un déferlement d’agitation humaine, un imbroglio de courses poursuites entre enfants bataillant pour leur survie et adultes animés d’intentions douteuses. Malgré l’humour et la malice des deux protagonistes, Jamal et Salim, merveilleux de naturel dans toutes ces scènes d’enfance, la rencontre romanesque avec Latika, l’univers décrit est dur, brutal, d’un réalisme qui anéantit tout optimisme angélique. Ce sont des conditions de vie  qui ne peuvent laisser indifférent et la force du réalisateur consiste justement à nous faire passer du sadisme des exploiteurs à la fraîcheur de la tendresse qui lie Jamal à Latika. Sans omettre de développer la palette des sentiments humains, la jalousie de Salim, aîné de Jamal, incapable d’imposer son autorité légitime face à la détermination innée de son cadet, l’âpreté du gain, justifiée par le contexte, la corruption, le banditisme, les rivalités de bandes… Une société dépeinte par ses rouages cruels, où les rencontres idylliques apparaissent comme des oasis bienfaisantes et inattendues. 

Comment Jamal se tirera-t-il de ce guêpier  abject ?
Le film prend à ce moment un tour de fable, et la magie opère toujours. La simplicité naïve de Jamal l ‘emportera-t-elle sur la jalousie cupide de l’animateur, au demeurant aussi antipathique et boursouflé d’orgueil que ses homologues occidentaux…
Nos pudiques amoureux seront-ils à jamais séparés par le cruel chef de gang?

Salim, traître fraternel, saura-t-il racheter ses erreurs ?


Courez donc à votre tour et plongez-vous dans les ruelles malodorantes, grouillantes et chamarrées de ce conte de fée sauce Bollywood, car Danny Boyle vous réserve un bouquet final  en forme de clin d’œil local, histoire d’effacer, à l’instant de les quitter, les cruautés évoquées.

27/03/2009

mots pour mots

Prolongement du sujet  abordé hier, j'ai trouvé ce matin dans le blablablog de Katherine Pancol deux très jolies phrases, qu'elle attribue d'ailleurs à des correspondantes inspirées.

Je ne crois pas malhonnête de les relever pour les transmettre à mon tour, tant ces phrases sonnent juste et  généreuses.

Dans ce monde âpre et desséché par l'égocentrisme et l'égoïsme, il est bon de se fourbir des armes contre l' amertume et les frustrations, j'espère que ces citations trouveront en vous le même écho qui m'a touchée,  des mots qui abolissent les distances et tissent tant de liens. 

"Les mots sont comme les gens. Leur manière de venir à nous en dit long sur leurs intentions." 

Et encore:

"Une bibliothèque est une chambre d'amis." 

Et comme mon auteure de référence  transmet également de bons conseils à ses correspondants avides d'échanges et d'encouragements, elle enrichit le message de cette autre citation:

« Essayez. Ratez. Peu importe. Essayez encore. Ratez encore. Ratez mieux." Conseil de Samuel Beckett à un écrivain débutant. 

Ratez mieux… 
Mais essayez toujours… 
Car le bonheur de faire est au bout. 

Propos tirés du billet du 26/03/09  dans  http://www.katherine-pancol.com/

Bonne journée à vous,  lecteurs et lectrices  inconnus et discrets.

26/03/2009

La vie des mots

Tandis que coulent nos jours, nos humeurs s’embrasent ou se tassent au fil de nos ressentis.
- « Quelle phrase bien emphatique pour débuter la journée », me direz-vous!
Attendez de découvrir les surprises du jour, petits faits en apparence bien anodins, mais qui suscitent la réflexion citée plus haut.

Hier matin, GéO découvre dans le nouvel Obs. un article concernant les jeunes créatifs qui bravent le pessimisme ambiant en créant leur petite société … L’article est illustré de l’exemple d’une microsociété,   lancée par une  jeune femme volontaire. À la lecture de l’article et au nom cité, GéO reconnaît la fille de son ancienne compagne, et son cœur s’émeut, car il aimait bien la petite Lisa d’alors, chamailleuse et bagarreuse certes, mais aussi battante et gaie, malgré son peu d’intérêt pour la fréquentation assidue du collège. Pendant quelques années, la coexistence avec l’adolescente n’a pas été souple et linéaire tous les jours.  Cependant au fil du temps et des événements,     GéO s’était comporté comme il l’estimait nécessaire, hospitalier et vigilant, tantôt complice et généreux, tantôt réactif et redresseur de torts, s’il jugeait que la rebelle passait certaines bornes à l’égard de sa mère… Il n’est pas difficile d’imaginer les hauts et bas d’une relation avec une gamine qui rêve toujours de réconcilier ses parents, quitte à gâcher le quotidien que l’un et l’autre essaient de reconstruire !

Après avoir pesé  la mesure d’une possible intrusion dans l’existence d’une personne perdue de vue depuis près d’une décennie, Géo se décide à laisser un message à la jeune femme. Sans tarder, la réponse arrive ce matin sur sa boîte mail, et le voilà tout ému et ravi!  Lisa lui confie qu’elle est heureuse qu’il ait lu l’article, qu’elle l’espérait, le sachant lecteur assidu de nombreux hebdomadaires, et cerise sur le gâteau… » Que le parcours personnel de son ex- beau-père lui sert d’exemple et  de motivation » ! Quel cadeau pour GéO !
Le message distille d’ailleurs la maturité de son interlocutrice : elle reconnaît en quelques mots n’avoir pas été très facile à vivre et s’être montrée « invivable ». En fait, GéO n’est pas si facilement démontable et le récit de ses échanges n’a jamais fait état de divergences insurmontables, même quand la chipie d’alors manigançait l’intervention de son père… Rétrospectivement, GéO a conservé un souvenir plus attendri que rancunier pour les frasques de la gamine  récalcitrante qui a partagé quelques saisons de sa vie.… C’est dire que les mots utilisés par Lisa le touchent et confortent évidemment l’estime de soi dont GéO n’a par ailleurs jamais manqué !

De mon côté, je reçois également ce matin une  goulée de miel qui ensoleille ma journée !
Depuis la fiche de lecture que j’ai établie sur la valse lente des tortues, j’ai eu l’audace de contacter Katherine Pancol sur son site. Sa réponse arrive justement ce matin, ce qui  m'impressionne car je lui octroyais d’office un délai bien supérieur, compte tenu de ses activités créatrices et de ses obligations professionnelles ! Le message est adorable, simple et touchant, et l’on y découvre l’attrait d’une personnalité réellement attentive à autrui et à la portée des mots utilisés.
Je ne peux évidemment résister  au plaisir de citer deux des petites phrases qui constituent mon cadeau du jour…
« Votre message m’a profondément émue...
Il y a des mots comme ça qu’on envoie et qui sont comme des amis, des ambassadeurs de coeur.
.. »
Ma modestie naturelle (hum !hum !) m’incite à garder pour moi la suite du message, mais je voudrais juste souligner l’art de l’auteure pour traduire la teneur de ce billet. Les mots sont des ambassadeurs du cœur, vous imaginez d’autres raisons pour passer tout ce temps derrière une page blanche ou un clavier, consacrer son énergie à transmettre nos idées, nos attentes, nos espoirs et nos désirs, nos enthousiasmes et nos joies ? Nos colères et nos désarrois aussi, puisqu’il faut bien balayer les poussières de nos rancoeurs.

Et puisque je vous confie mon admiration pour Katherine Pancol, son talent d’écrivaine et son dons pour créer des personnages humains, attachants et stimulants, ne vous privez pas d’aller découvrir sur son site la vidéo de présentation de la valse lente des tortues, où l’on peut découvrir la richesse et la spontanéité de la femme, et dans l’onglet blablablog, ses réflexions attachées au travail de création. Cette lecture me paraît motivante, fondatrice et indispensable…
rappel des coordonnées du site : http://www.katherine-pancol.com/