12/06/2013
Temps de parole
La nuit est tombée sur la terre des dieux.
La nuit illuminée de lampions festifs, étoiles artificielles sur l’écrin des villes modernes.
Les rumeurs sillonnent les avenues, bourdonnent sur les terrasses des bars, où s’attardent encore la foule en quête de fraîcheur nocturne.
Dans les appartements surchauffés, les familles s’alanguissent devant un dernier café serré et la télé allumée : il faut bien se changer les idées avant d’aborder le repos précaire des esprits inquiets.
L’avenir est incertain dit-on, mais jusqu’ici nous sommes toujours une Nation…
Et soudain, c’est le noir.
Un noir vibrant d’étonnement envahit l’écran plat, au centre des salons.
Au pays d’Homère, on a éteint le film qui nourrissait les Rêves
Au pays de Socrate, on a interrompu le Débat au milieu des phrases
Au pays de Platon, on a fait taire la raison.
Sur l’Olympe, règne désormais le silence.
Le temps de Parole est échu.
Au pays d’Eschyle, commence une nouvelle tragédie. Le théâtre d’Euripide verra éclore la dernière Comédie d’un pouvoir réduit aux coups de force, aux baillons serrés sur la bouche des poètes, des journalistes et des amuseurs publics.
Mais un peuple condamné à ne plus voir, à ne plus entendre peut-il accepter sans broncher la contrainte du silence ?
Sur cette terre bruissante de mythes, illustre berceau d’Humanité, le mutisme des ondes imposera-t-il la loi des somnifères pour taire les rebellions?
Là où, jadis, a germé une idée et son nom, Démocratie, l’histoire efface les victoires dérisoires. L’abus de pouvoir déchoit celui qui l’exerce.
La parole brisée se renforce et gronde au fond des gorges.
Gare alors aux rebonds que la révolte forge.
La parole n’a pas besoin de temps, elle sera polymorphe.
Au pays de Xénakis, l’Art ne se taira pas, sa musique comblera le silence.
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24/05/2013
Tout un monde!
Je viens de trouver le raccourci ci-dessous dans un mailing pêle-mêle.
D'habitude, on regarde, on sourit, on oublie…
Cette fois, je vous convie à jeter un oeil, car le Marc qui signe cette vidéo a concocté un raccourci de l'histoire de notre planète qui me paraît remarquable.
Faites-vous plaisir, ça ne prend que quelques minutes , mais quelle synthèse!
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11/11/2010
Villa de rêve ( 2)
Villa Kerylos
Certains destins semblent couler de source.
Les talents, les dons révélés à la source jaillissent et coulent d’une étape à la suivante sans heurt, dispensant la fraîcheur et le pétillement d’une intelligence vive et profonde.
Quelquefois, c’en est presque agaçant…
Nul doute que les frères Reinach ont produit cet effet, quand ils rayonnaient tous trois sur les Lettres Françaises et la vie intellectuelle de notre IIIème République, par ailleurs tellement conformiste.
Mais tant de talents se paient parfois au prix fort, et je vous conterai tout à l’heure les détours qu’une dynastie endosse parfois… Laissez-moi vous conduire d’abord vers cette seconde villa de rêve, pour tenir mes engagements du précédent bulletin…
***
Souvenez-vous, nous sommes encore à Saint Jean Cap Ferrat, dans les somptueux jardins de la Villa Éphrussi…
De ce belvédère, la vue s’étend sur la côte, avec pour seule limite la montagne qui prend pied dans la Grande Bleue. L’agglomération voisine est Beaulieu, la bien nommée… Elle abrite sur sa côte sinueuse, la Pointe des fourmis.
Par-delà les arbustes qui bordent l’ Eden, au bout de cette avancée, il est aisé de repérer une villa toute blanche …
À vol d’oiseau, quelques centaines de mètres nous séparent de Kerylos, l’ hirondelle de mer, née de l’imagination érudite de Théodore Reinach, au début du XXème siècle. Mais avant de vous inviter à pénétrer cette maison extraordinaire, revenons sur la personnalité de ce grand humaniste bâtisseur …
Vue depuis la mer
***
Théodore Reinach naquit en 1860, troisième fils d’une famille originaire d’Allemagne, appartenant à la Grande Finance internationale. Comme ses frères Joseph et Salomon, Théodore reçut une éducation soignée et rigoureuse. L’intelligence érudite des membres de la fratrie devînt vite légendaire, de sorte qu’ils furent surnommés les JST, « Je Sais Tout », en référence aux initiales de leurs prénoms.
Joseph, l’aîné, s’illustra rapidement dans les milieux politiques et , député, devint même un collaborateur éclairé de Gambetta.
Salomon, le cadet ,préférait l’Étude à l’action politique : l’Institut de France lui offrit le cadre rêvé pour ses chères recherches et très naturellement, il fut nommé Conservateur du musée national des Antiquités.
Le benjamin, Théodore, s’affranchit de ses deux frères en empruntant à l’un et à l’autre, et conjuguant à loisirs tous les talents, docteur en droit et en Lettres, il fut successivement juriste, enseignant spécialiste de l’Histoire Grecque Ancienne… S’affirmant en tant qu’ archéologue, spécialiste du déchiffrage des papyrus, numismate, musicologue, il fut reçu à l’Académie des Inscriptions et Belles Lettres, et obtient même, quatre ans avant son décès, la Chaire de Numismatique au Collège de France … Cependant sa belle énergie l’inclinait également vers la Chose Publique et à l’instar de Joseph, la députation lui tendait les bras. Il établit d’abord son fief en Savoie, de 1906 à 1914. Veuf de sa première femme, dont il eut deux filles, il épousa en secondes noces la nièce d’un certain …Maurice Éphrussi, tiens tiens, voilà qui nous ramène à la Riviera. Quatre fils naquirent de cette union, dont Léon, époux de Béatrice de Camondo, fille du célèbre collectionneur Moise Camondo, déportés tous deux en 1943 avec leurs deux enfants.
Avant d’entreprendre le projet Kérylos, Théodore avait acquis dès 1901 à La Motte-Servolex en Savoie un château du XVIIIème siècle qu’il avait entrepris de rénover entièrement dans l’Esprit du style Louis XIII. L’expérience lui plut, de sorte que l’achat du domaine de Beaulieu lui semblât l’opportunité de renouveler le défi . Cette fois, il imagina et fit réaliser une Villa sur le modèle de la Grèce Hellénistique, sujet qu’il connaissait parfaitement.
Dans cette optique, il requît les talents d’un architecte dont la renommée reste attachée à la villa, bien qu’en son temps, il fut déjà reconnu et honoré de ses pairs : Emmanuel Pontremoli, grand prix de Rome en 1890, à qui on doit notamment l’Institut de Paléontologie humaine à Paris ou encore la grande synagogue de Boulogne Billancourt. Sa réputation lui valut la nomination à la direction de la section architecture aux Beaux Arts.
***
Revenons maintenant aux magnifiques années de la Belle Époque : la révolution des technologies, l’amélioration des communications, les voyages et la mode des séjours balnéaires ont lancé la Riviera. Essayons d’imaginer le panorama de la côte d’Azur vierge de toutes les constructions actuelles, serrées sur les flancs de la montagne : Ne conservez au fond des yeux que l’azur du ciel, le bleu profond de la mer, le vert sombre des pins, la pierre blanche des parois rocheuses :
À deux pas de Monte Carlo, les entrepreneurs se régalent… Sans les actuelles grues qui tournoient sans relâche dans nos cieux tropéziens, les belles et majestueuses demeurent s’élaborent pour loger la bonne société aux finances florissantes. Les grands hôtels n’y suffisent plus, il faut construire. Théodore Reinach a encore les pieds dans sa circonscription savoyarde, mais il est avisé et sait qu’il réalise une belle affaire en se portant acquéreur d’un terrain de 2000 mètres carrés au bout de la Pointe des Fourmis, sur la commune de Beaulieu. Nous sommes au tout début du XXème siècle, ce qui n’empêche pas notre Humaniste de projeter ses désirs vers le passé, au cœur de l’Histoire qu’il admire. Il choisit de faire ériger sur ce bout de terre méditerranéenne une demeure intemporelle, telle que les Anciens l’auraient bâtie.
Il ne s’agit pas de construire une bâtisse à la manière de…, en ajoutant une colonnade en guise de Péristyle pour porche d’entrée. Le cahier des charges précise qu’il faut réinventer les techniques, les arts, le mode de vie d’une famille comme si elle coulait ses jours heureux à Délos, au II ème siècle avant Jésus Christ.
Il faut six ans à Emmanuel Pontremoli pour mener à bien son chantier, de 1902 à 1908, mais l’ingéniosité, la rigueur et …Les moyens mis à sa disposition lui permettent de livrer enfin la Villa Kérylos à son propriétaire, qui baptise chaque pièce du nom de sa fonction : Andron pour le grand salon où se réunissent ces messieurs, ou balaneions pour les thermes, le triklinos désigne la salle à manger …
Marbre de carrare, bois exotique rare, citronnier blond composent les matériaux utilisés. Outre l’organisation de l’espace déterminé selon le mode de vie, la décoration reçoit un soin particulier : fresques peintes et mosaïques imposent aux visiteurs un respect qui laisse coi.
Dès l’entrée, le visiteur est accueilli par ces mosaïques saisissantes de vie et de relief :
Tout de suite à gauche, le balanéions offre aux hôtes la piscine de marbre et mosaïque aux fins de relaxation :
Cœur de l’édifice , le pérystyle central gouverne l’accès à toutes les pièces privées, nous en admirons les fresques murales :
En relation avec la fonction des salles, sols et murs constituent les supports aux illustrations de scènes mythologiques :
Ces derniers bas-reliefs identifient les salles de bain privées de Madame et Monsieur Reinach.
La personnalité des habitants des lieux est traduite par la décoration :
La tonalité bleue des fresques murales et la rigueur sobre du mobilier caractérise l'univers de la maîtresse de maison:
Le domaine privé de Théodore Reinach apparaît bien différent: Une chambre très claire, éclairée sur trois côtés , réchauffée par le rouge dominant des murs.
À ces choix décoratifs personnalisés s'ajoute un raffinement de détails permettant de juxtaposer discrètement les pratiques modernes du confort au style de référence:
des éclairages subtilement évocateurs
aux robinets des installations sanitaires.
Passant par L' Andron, salon réservé aux réunions entre hommes, et la bibliothèque, vous relèverez certainement une ambiance propice à la méditation et la réflexion.
L'andron donne à droite sur le péristyle
Au fond, derrière les deux colonnes, la bibliothèque, ce qui suggère, n'est-ce pas mes soeurs, que l'accès est plutôt réservé …
Au delà de la conception de cette Villa peu ordinaire, et pour tout dire, le visiteur lambda peine sans doute un peu à se projeter dans son schéma habituel, l'intérêt des objets collectionnés et présentés en situation est saisissant. Je ne peux abonder en clichés, mais je vous livre quelques exemples d'objets ou de la statuaire :
bronze Faune
Léda , terre cuite
Une visite d'une telle richesse ne saurait s'achever sans mentionner les jardins.
Au mileu des plates-bandes d'arbustes typiquement méditérranéens, nous contournons la bâtisse pour découvrir la galerie des statues, situés en contre-bas , au niveau de la mer.
Au raz des flots, les reproductions les plus élégantes et les plus représentatives de l'Art Sculptural nous attendent. Au long de cette galerie circulaire, de nombreux panneaux exposent l'expansion du monde grec par la mer, l'importance et la stratégie portuaire sur le pourtour méditérranéen, la compréhension d'une circum navigation au fil des mythes et de la réalité économique d'une civilisation qui ne pourra jamais mourir tout à fait…
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13/10/2008
L'empire des Larmes
Je reviens un instant sur une des lectures de l’été, une parenthèse Saga, plaisir lyrique qu’il faut savoir savourer à son heure…
Il s'agit d'un ouvrage en deux volumes, regroupés sous le titre commun de L’Empire des Larmes.
Cet empire, au sens propre c’est celui du Milieu, la Chine du XIXe siècle, où l’auteur José Frèches nous emmène à la découverte de la colonisation économique du pays par un autre empire, celui de la Couronne Britannique. En considérant la seconde partie du titre, le lecteur prendra la mesure des ravages engendrés par l’asservissement des chinois à une oppression d'un genre très particulier...
l’impérialisme britannique passe par l’introduction massive de l’opium sur le territoire chinois, en provenance des Indes le plus souvent, et revendu massivement à un peuple misérable, dans une Chine ravagée par la corruption et la déliquescence du régime impérial. L’action se déroule sur presque trente ans, c’est le principe d’une Saga, et nous permet de suivre les destinés de personnages très divers.
Le premier tome de l'ouvrage, la guerre de l'opium, commence en 1847 et dresse le tableau de cette page d'Histoire. La première intrigue se noue autour d'une famille anglaise expatriée en Chine pour faire fortune dans le commerce de pianos, et se venger d’un sort difficile. Mais l’Eldorado s’avère pourri et les chinois définitivement imperméables à la musique occidentale. Premier fil à dévider, nous suivons la descente aux enfers de cette famille, la mort du père, la contrition de la mère et son ultime sacrifice, le courage et la vertu de la fille Laura, qui prend en charge son frère trisomique en dépit des difficultés où la fratrie se trouve engluée. C’est le destin de Laura qui dévide la pelote, en rencontrant La Pierre de Lune, fils caché de l’Empereur Mandchou Daoguang. Le jeune homme est menacé de mort par de cupides conseillers mais ignore le péril qui le guette. La Pierre de Lune et Laura s’aiment et leur lien dessine la trajectoire de l’intrigue : bien sûr leur amour est contrarié, les amants se perdent et se cherchent jusqu’au dénouement du second volet. En parallèle se noue une autre idylle hors norme, celle du Prince Tang avec une jeune paysanne contorsionniste qu’il sauve du Gynécée impérial. D’abord rallié au pouvoir par confort, ce personnage change son système de valeurs en rencontrant l’Amour en la personne de Jasmin Éthéré, se déclare félon au pouvoir et entre en résistance. Mais pas plus que la jeune Anglaise et le Bâtard Impérial, le prince ne pourra conserver près de lui sa paysanne. Car ces amours-là reposent sur des mésalliances, la pureté de leurs liens s’affranchit des tabous victoriens et impériaux, sur fond d’évangélisation forcée, de manipulations politiques, de détournements d’objets précieux. José Frèches observe un schéma romanesque assez classique : ses personnages « purs » évoluent parmi les représentants de la lie morale. Le portrait de l’Angleterre victorienne est peu flatteur : à travers la Compagnie des Indes et les corporations marchandes, les représentants diplomatiques de la Couronne, les ordres religieux plus affidés aux trafics de Biens qu’à la transmission de leur foi, l’Europe civilisée apparaît plus dépravée encore que le pouvoir impérial chinois, pourtant roulé dans la fange de la décadence absolue. Isolé de tous et tout, l’empereur n’est plus que la marionnette de ses conseillers cupides qui s’affrontent par clans. Au point de ne plus se souvenir d’avoir abandonné son fils…
Le second volet de l’ouvrage, le sac du palais d’été, nous permet de suivre les épisodes d’une guerre interne, la rébellion contre le pouvoir Mandchou menée par Hong, un curieux illuminé passé par la case évangélisation avant de s’investir en Christ rédempteur. Dans ce contexte de guerre civile Laura se retrouve mêlée à ce groupe de partisan qui la protège plus ou moins, elle, son frère débile et l’enfant qu’elle a eu de La Pierre de Lune. Tandis que les péripéties des combats se succèdent, le destin du fils caché de l'Empereur connaît de sinistres rebondissements, sa mère,concubine "libre", réapparaît pour le sauver, mais elle meurt victime des eunuques, qui craignent que cet héritier improbable ne contrecarre leur influence. Violence et passion constituent la toile de fond de ce second roman, folie meurtrière et destructrice, Laura est contrainte de fuir la société des rebelles, rencontre des pirates japonais, manque périr dans un naufrage, tandis que la Pierre de Lune est victime à son tour de brigands rebelles… Voilà pour l'essentiel des péripéties et la menée d'un suspense à rebondissements multiples. Les personnages sont dessinés à grands traits, ils s'apparentent aux archétypes romanesques monoblocs: héroïsme, droiture , félonie ou cupidité . Peu donc de psychologie dans les déchirements que vivent les personnages, mais de nombreuses figures secondaires emblématiques du genre. Du jésuite affairiste au barbare chef de la rébellion, celui-ci étant par ailleurs le personnage secondaire le plus original et le plus fascinant.
Le sac du Palais d’été dessine la fin d’une dynastie, l’achèvement d’une civilisation usée de l’intérieur, ce qui l’affaiblit contre les dangers venus d’ailleurs. Rongé de misère, miné par l’opium et la veulerie, courbé sous les caprices de la corruption, L’Empire du Milieu sombre sous les coups de l’autre Empire, celui des Britanniques représentant un monde tout aussi sournois, cupide et vain. José Frèches construit de ces deux sociétés un portrait cruel qui nous éclaire peut-être sur le fossé qui persiste entre Asie et Occident.
José Frèches a écrit d’autres ouvrages sur la Chine et son histoire, ce roman, manifestement très documenté, apporte un éclairage particulier sur un pan de notre propre passé, guère glorieux. Voilà un intérêt qui n’est pas des moindres. La Saga romanesque convient à merveille aux séances de lecture cocoonage, petite gourmandise que les soirées fraîchissantes autorisent autant que les siestes- lecture à l’ombre de la piscine… Ne boudons pas ce plaisir.
L'empire des Larmes, de José Frèches , tome 1: la guerre de l'opium, tome 2: le sac du palais d'été, édition XO, année 2006.
Lien avec le site de l'auteur pour apprécier sa culture asiatique:http://www.josefreches.com/ouvrages.php
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11/03/2008
Improbables hasards de nos lectures
À propos de L’ombre du vent
de Carlos Ruiz Zafon qui est un roman encore récent, puisqu'il date seulement de cette décenie, j'ai envie de vous faire partager une petite digression.
Cette fois, je dois bien avouer que je n’avais jusqu’alors jamais entendu le nom de cet auteur et à ma grande honte, j’ai dû ainsi prendre conscience de l’indigence extrême de mon approche de la littérature hispanique. Les derniers romans de ma brève culture date de mon époque « censier, Sorbonne nouvelle Paris III» UV de littérature comparée. Je m’étais alors régalée de la découverte du splendide Vaste est le monde de Ciro Alegria (Gallimard nrf) , ouvrage prolifique et marquant que je n’ai jamais oublié, alors même que je l’ai très parcimonieusement prêté. D’ailleurs les rares lecteurs auxquels je l’ai confié n’ont pas paru en percevoir le suc dont j’avais conservé le souvenir, et du coup, je l’ai peu diffusé.
Et bien en fait, si mon livre à adopter, à sauver n’était autre que celui-ci ?
En exhumant Vaste est le monde de ma bibliothèque pour qu’il m’accompagne dans la rédaction de cette note, je me sens émue et compatissante en regard de son état : sa couverture jaune racornie, son dos scotché sur les deux angles, une barre d’adhésif renforçant la couverture d’une large diagonale, mon livre porte la marque de l’intérêt qu’il a suscité dans les années 70. J’ouvre précautionneusement la couverture, et tombe sur un minuscule encart proprement découpé dans un journal de l’époque, scotché sur la page de garde. À la main, j’ai simplement reporté à l’encre rouge la date : 22 avril 1970. Intitulé Un convoi d’esclaves est intercepté par la police, l’article mérite d’être recopié ici, vous allez en juger :
« Recife (AFP., UPI) La police de l’état de Pernambouc a libéré, mardi, deux cent dix paysans destinés à êtres vendus, dix-huit dollars chacun, à des propriétaires ruraux de l’état de Minas-Gerais.
Les paysans, originaires des États de Paraïba et de Rio Grande do Rio Grande Do Norte étaient transportés par des camions. L’organisateur de ce trafic d’esclaves a réussi à s’enfuir. Au début de ce mois, les autorités avaient déjà arrêté à Recife les dirigeants d’un réseau analogue, qui vendaient des paysans aux grands propriétaires du centre et du sud du brésil. »
C’est bref, vous en conviendrez, et l’épisode est totalement oublié. Pourtant, cet article n’est probablement pas là par hasard… Que d’émotions, de révoltes, de prise à parti me reviennent d’un coup en mémoire. Ce livre à-ne-pas-oublier me renvoie tout à coup à ma propre perte de cohérence, mon inconstance en quelque sorte…
Vaste est le monde, immense est l’enterrement inconstant de nos idéaux…
Traduit en français par Maurice Serrat et Michel Ferté, dans la collection la croix du sud en 1960, l’épais roman de Ciro Alegria relate un long épisode de la conquête des terres péruviennes par les Hacendados, propriétaires terriens qui achètent à bas prix grâce à des collusions politiques, les terres que cultivent en communautés des paysans dépourvus de tout. Vaste fresque humaine, composée de personnages attachants et émouvants par leur dignité et leur simplicité, ce fut pour moi l’ouverture sur une page d’histoire inconnue. Or les faits relatés dans le récit et sur ce petit article découpé sont autant de témoignages d’une situation qui perdure, je me souviens avoir lu durant l’été 2006, je crois, un dossier sérieux constitué sur cet état de fait au Brésil du cher Lulla. L’ouvrage de Ciro Alegria est donc toujours d’actualité, preuve s’il en est que l’artiste-écrivain traverse les âges et les époques et que son œuvre doit nous aider à nous tenir debout , vigilant et attentif.
Ce retour aux sources inattendu, cette madeleine littéraire qui provoque un téléscopage passé-présent, j’imagine sans peine que je ne suis pas seule à l’avoir expérimenté ce soir… Expérience à partager et à faire partager…
19:27 Publié dans Sources | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : lecture, culture, roman, littérature hispanique, histoire, monde paysan, mondialisation littéraire | | del.icio.us | Facebook | | Imprimer