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10/06/2014

Le collier rouge

Le collier rouge

Jean-Christophe Rufin

Gallimard (NRF) 2014

ISBN :978-2-07-013797-8

 

Avec ce roman, qui pourrait paraître court, Jean Christophe Ruffin revient à la fiction. En réalité, malgré la limpidité de son écriture, le sujet traité ici est dense. Si l’on peut se méfier de l’effet tendance qui consiste à projeter les intrigues sur le centenaire de  la déclaration de la première guerre mondiale,  Jean Christophe Rufin nous entraîne très vite à la recherche de la Vérité, celle qui ne s’expose pas aux regards de témoins omniscients mais qui motive profondément certains actes aussi impulsifs qu’insensés. Cette quête universelle et intemporelle est menée ici par le juge militaire Hugues Lantier du Grez , qui entend résoudre sa dernière affaire en tant qu’officier, avant de réintégrer la vie civile. C’est dire que sa conscience professionnelle est composée de rigueur et de respect des valeurs de sa classe, autant que d’une lassitude morale, maladie contractée à force d’examiner  les  dossiers de pauvres diables ayant subi l’enfer des tranchées pendant quatre longues années.

Au cours de l’été 1919, le Commandant Lantier  débarque  donc dans une petite bourgade berrichonne endormie sous la chaleur. Seuls les aboiements  désespérés d’un chien perturbent la léthargie de la petite ville. À l’intérieur de la caserne désaffectée, un gardien veille l’unique prisonnier du lieu. Cet homme mutique doit répondre d’une agression inexplicable dont la nature ne nous sera révélée que bien plus tard. Mais la  curiosité du juge militaire concerne le curieux rapports établis entre Morlac, ce paysan taiseux revenu dans sa région, et son chien manifestant une fidélité exemplaire. Pourquoi  et comment cet animal, devenu  tout au long du conflit la mascotte des bataillons où son maître était  envoyé, a-t-il pu susciter sa haine?  Pourquoi cet homme est-il revenu de son propre chef dans son village, en évitant de rentrer chez lui, de retrouver sa ferme, de se jeter dans les bras de sa femme et de son fils ?

Menée comme une intrigue policière, la recherche des motifs de l’étrange comportement du prisonnier met l’accent sur les difficultés de réinsertion de ces hommes traumatisés par leur vécu. Rufin ne joue pas la carte du misérabilisme ni de la culpabilité sociale et politique, mais laisse  percevoir  à travers l’obstination du juge, combien il devient nécessaire de gratter délicatement les défenses acquises  par ces hommes qui ont compris qu’ils avaient été floués, qu ’on avait joué de leurs vies et de leurs sorts pour servir des intérêts abscons.

Rufin nous offre un étonnant argumentaire du juge, qui propose à l’homme d’abandonner les charges, ce que l’accusé récuse. Il n’entend pas se dérober à la sentence qu’il croit mériter.   Car le commandant découvre peu à peu que l’accusé n’est pas le paysan analphabète qu’il avait cru devoir juger. Et puis ce chien qui se tient obstinément aux abords de la place, qui meurt de faim, de soif et d’épuisement malgré les soins empathiques de certains villageois, ce fidèle compagnon devient un personnage à part entière et Lantier devine que le canidé détient la clé de l’affaire. Finalement, après bien des détours autour du personnage, c’est au long d’une  enquête « à la Maigret », reposant sur les menues confidences recueillies dans le village, que l’officier parvient à saisir qui est Morlac, et quels sont les vraies raisons de ses agissements. Le lecteur n’attend pas de Jean-Christophe Rufin une autre vision que celle d’un humaniste. Et ce sera la toute dernière joute reposant  la sentence  qu’il confie à son juge. «  En tous cas, conclut Lantier d’une voix ferme, je ne serai pas complice de votre provocation. Puisqu’on attend de moi que je vous punisse, je sais quel châtiment je vais vous infliger. C’est celui qui fera le plus de mal à votre orgueil. Vous allez la voir et l’entendre. L’entendre jusqu’au bout et mesurer votre erreur. «   (page 149)

Un beau roman humaniste et touchant,  un de ceux que l’on regrette de refermer, et qui ne pèsera pas lourd dans vos bagages de l’été.

 

 

roman, écriture, note de lecture, Jean Christophe rufin

 

12/05/2014

Qu'il est doux de se l'entendre dire…

Depuis toujours,  c’est-à-dire  au moins trois ans, le coucher de Mathis comporte un moment charmant entre tous : la lecture de l’histoire.  Ce soir-là,  la petite sœur déjà  endormie, nous nous sommes réfugiés dans la chambre de Papa-Maman pour profiter de cet échange chaleureux, avec une petite contrainte due à l’heure tardive : « pour une fois, raconte vite, tu n’es pas obligée de tout lire. »

Nous voici  donc tous les deux allongés sur la couette parentale, sous le halo de la lampe de chevet, à contempler les magnifiques illustrations du livre choisi. L’histoire est dense, nous l’avons déjà lue plusieurs fois, l’exercice apparemment facile se borne à la reconstruire à partir des images. Mais voilà que Mathis peine à comprendre pourquoi le Prince  en voyage est si triste de ne plus voir sa sœur restée au palais. Je tente de lui expliquer qu’à l’époque du conte, le téléphone n’existait pas  et que faute de technologie, quand on est loin des êtres chers, on s’ennuie d’eux. J’illustre mon propos en soulignant combien j’apprécie que nous puissions nous parler grâce au téléphone. Mon petit-fils paraît satisfait de cet éclaircissement, nous reprenons le cours des aventures du Prince sur son cheval magique. L’histoire conclue, Papa et maman nous rejoignent pour procéder à la réintégration silencieuse de la chambre enfantine. Mathis descend du  grand lit, le contourne et s’arrêtant tout à coup, il se retourne vers moi :

—Alors quand je suis pas là, tu es triste… (Grand soupir).  Alors ça c’est mince !

le cheval enchanté, Sally Scott, flammarion, mots d'enfants, lecture du soir

26/04/2014

Accordailles

         Désir brûlant des  regards fixés sur mes formes élégantes. Dérangeant et excitant,  serais-je  à la hauteur? Je me sens si fébrile parfois,   consumée par   l’envie  ardente de sentir vos appétits fondre sur moi,   et me glisser jusqu’au confluent de vos  mains enlacées, d’y butiner l’éclat des feux qui vous dévorent. Dangereuse convoitise, balancier infernal des battements du cœur.

Éternelle énergie,   prodiguée sans même bouger un doigt.  J’aurais préféré, n’en doutez pas,   rester cachée dans mon antre,   à l’abri de  la contamination concupiscente: dès lors qu’ils pensent à moi, Eux me considèrent suffisante, Elles me voudraient plus conséquente. Une stratégie éprouvée me pousse à leur opposer une indifférence de marbre. Je tente alors d’arborer une mine de plomb, je fais semblant d’avoir un cœur de pierre. Pourtant,   une fierté sans pareille coule dans mes veines et  je mets en valeur la finesse de ma taille et tous mes atours.

 Séduction éphémère,   hélas, une seconde de gloire, c’est toute la satisfaction au regard de ma réputation.  Ma présence devrait suffire à  apaiser tant de soupirs.  Ensemble, ils m’affichent mutuelle reddition à l’hymen éternel. Le secret de mon exposition repose sur les facettes de mes talents, réanimateurs habiles d’ardeurs chancelantes.

Immanquablement, vient le temps de l’ambivalence.  J’étais irrésistible,   je deviens infirmière d’amours exsangues  puis geôlière.  Les pulsions initiales  dont j’étais si brillamment parée sont   désormais banales, puis  ordinaires, elles deviennent chaînes. Ternie par un usage  quotidien, je me rends accessoire quand sonne le glas de la passion. Le  désir comblé s’éteint à petit feu,   et la magie distillée jadis se dissout dans la monotonie des libidos éteintes.

Rageur est le geste qui me jette au tapis. Ne reste que les regrets des promesses non tenues, le  pénible ratage d’un rêve  inachevé. Reléguée  loin des regards que la haine allume Elle me  contemple un moment, avant de me ranger dans l’écrin des souvenirs douloureux, recel ultime des amours renoncées. 

À tout prendre  cependant, que suis-je d’autre qu’une pépite de planète, débris minéral arraché à la matière stratifiée ? Que de temps, de peines, de travail forcené se sont conjugués jusqu’aux outils du joaillier pour forger mon  destin, incarner sur les  doigts d’une main les cinq étapes du Désir. Diamant solitaire, alliance aux mille feux,  chef d’œuvre voué à la célébration des accordailles,  je flétris  aux désaccord’aïe.

 

 

29/03/2014

Le port intérieur

Habituellement,   je fuis les quatrièmes de couverture, ces exergues publicitaires qui servent à hameçonner nos envies, parfois malhonnêtement voire grossièrement. Cette fois, heureusement que  l’édition Mdouble (version poche de chez Minuit) donne un large aperçu de l’intrigue pour permettre au lecteur de s’y retrouver, et lui éviter une noyade prévisible dans le dédale marécageux de l’écriture Volodienne! Pourtant, honnêtement, ce roman ne manque pas d’intriguer.  Si l’on éprouve de temps à autre le besoin de faire le point, (merci  donc à la 4e de couv), l’intérêt du récit l’emporte, et l’on s’accroche, on poursuit le récit malgré soi, en quête du sort final réservé à Gloria et Breughel.

Reprenons donc depuis le début : trois personnages (Machado, Breughel et Gloria Vancouver) ont fui une nébuleuse organisation toute-puissante nommée tantôt le Parti,   ou le Paradis. Cette fuite, à valeur de trahison, se double du larcin d’une grosse somme, ce qui implique pour les fuyards la certitude d’être recherchés et exécutés sans pitié. Fuyant l’Occident (territoire indéterminé), les amants Breughel et Gloria sous la protection de Machado, mercenaire, homme de main du Parti, lui aussi en rupture de ban, trouvent refuge en Asie, à l’abri d’une fausse identité. Ils échouent à Macau,   alors indépendante de la République Populaire de Chine, où le mode de vie mêle étroitement les vestiges de l’occupation portugaise et les traditions chinoises. D’emblée, nous savons que Machado a trouvé la mort, que Gloria  a perdu la raison et que Breughel n’a plus qu’un but : protéger cette femme qu’il aime malgré sa folie et faire en sorte que les exterminateurs à leurs trousses ne puissent la découvrir.

À ce jeu, Volodine se révèle très habile. Efficace, la construction du récit devient un dédale entre les rêves, les cauchemars, les récits dans le récit qui noient la réalité dans les brumes étouffantes du port. La qualité première du récit repose sur le rendu de la touffeur malsaine du territoire, la chaleur humide, les cafards colonisant la masure où vit  Breughel, la sueur exsudant des corps en permanence, la tension extrême des situations jusqu’à la levée de la tempête des derniers chapitres : «  Le vent projetait avec force des morceaux de nuit contre la porte. «  ( Page 151)

D’un chapitre à l’autre, la voix du narrateur alterne les personnages, les lieux, les moments du récit. Entre les rappels des événements, les traductions des cauchemars que les personnages subissent, la volonté de Breughel de construire une fausse vérité pour tromper l’ennemi qui les chasse sans relâche… Volodine nous prévient d’entrée :

«  La bouche tremble. On voudrait ne plus parler. On aimerait rejoindre l’ombre et ne pas avoir à décrire l’ombre. Le mieux serait de s’allonger dans l’amnésie, à la frange du réel, les yeux mi-clos, et d’être ainsi jusqu’au dernier souffle, momifié sous une pellicule trouble de conscience trouble et de silence.

(…)

Un homme est là, très près, attentif à ce qui émerge. Il menace, il écoute. Il menace de nouveau, il écoute. On essaie d’éviter son regard. Toutefois, si les lèvres tremblent, ce n’est pas dans la crainte de la douleur et de la mort. C’est plutôt le vieil instinct du bavardage qui les agite. On a trop longtemps cru que parler tissait quelque chose d’utile sur la réalité, dans quoi on  pouvait s’envelopper et se cacher, quelque chose de protecteur. Parler ou écrire. Mais non, S’exprimer n’aide pas à vivre. On s’est trompé. Les mots, comme le reste, détruisent. » (Page 9)

Dans cette réalité mouvante où la vérité ne se démêle pas de l’imaginaire, nous nous attachons à comprendre les liens liant si passionnément et définitivement  Breughel, le personnage principal, à Gloria.  Le seul personnage féminin du roman paraît infiniment mystérieux, insaisissable autant que son absence :

« Gloria est là. Tu erres parmi les arbres et elle est là. Ses longs cheveux noirs touchent ton épaule, elle existe à côté de toi, tu lui saisis la main, le poignet, elle se dégage, elle te parle. Elle a une voix épuisée par l’absence. « ( Page 140).

Malgré l’éloquence de cette langue poétique, il faut bien avouer que les effets de     (dé) construction multipliés et répétés à l’envi finissent par lasser mes capacités de  concentration. Certaines trouvailles deviennent des tics de langage, et alors leur portée s’amoindrit, puis le procédé finit par déranger. Ainsi cette élision des fins de phrases, qui éblouit d’abord  comme une évidence, tellement on peut y reconnaître l’expression d’une lassitude :

«  Quel Paradis interrogea  Kotter.

Vous, dit Breughel. Ceux qui vous envoient.

Ah, dit Kotter, c’est comme ça que. » ( Page 11)

À force de rupture du flux que produisent ces phrases tronquées, le mécanisme du récit se grippe, expose  ses rouages, et le lecteur se sent joué, floué. La poésie s’évapore, reste tout de même une écriture forte malgré ses maladresses, ou grâce à elle, allez savoir. Pour ma part, je regrette le parti pris  démonstratif systématique. Malgré mes réserves, Ce port Intérieur possède une empreinte  particulière  dans le paysage romanesque.

 

antoine volodine, le port intérieur, roman post exotisme, littérature contemporaine

 Le port intérieur

 

Antoine Volodine

Mdouble ( Minuit poche) Septembre 2010

 Sorti initialement chez Minuit en 1995

ISBN : 978-2-7073-2121-3

22/03/2014

Viviane Élisabeth Fauville

À l’ouverture d’un livre, rien ne peut séduire davantage que le sentiment  de s’y retrouver, de reprendre, par les mots de l’auteur, le fil d’une conversation personnelle, avec la simplicité et l’aisance d’une relation amicale. Dès lors, l’écriture de Julia Deck prend le lecteur par la main et l’invite à …entrer dans la tête de son héroïne. Et oui, elle est maligne,   cette jeune écrivaine qui a  publié en 2012 son premier livre.  Mais à l’inverse du procédé inventé dans les années 60-70 par les écrivains du « nouveau roman », Julia Deck  ne se cantonne pas dans une structure définie. À mesure qu’évoluent son personnage et les éléments de l’intrigue,   le rapport auteur- personnage- lecteur se modifie : du voussoiement initial qui établit une distance, la narration emprunte successivement un glissement subtil à la première puis à la troisième personne, sans rompre pour autant le réseau empathique qui oblige le lecteur à s’inquiéter des manœuvres de Viviane Élisabeth. À quel moment devient-elle surtout Élisabeth, s’engluant dans un  brouillard intérieur, livrée  fiévreusement à ses démons ?

 

Le roman est à deux doigts de se loger dans la catégorie « polar », ce qui oblige à donner peu d’indices concernant l’intrigue. Cependant, la culpabilité avérée du personnage, la description du crime, les circonstances et l’absence de mobile au sens policier du terme détournent rapidement le suspense. Ce n’est plus la recherche de la coupable, l’habileté des enquêteurs qui intéresse l’auteure. Tout au contraire, le jeu de chat et de souris s’inverse. Là où les enquêteurs multiplient les pistes à la recherche du ou de la coupable plausible, Élisabeth emploie tous ses talents à mettre sa situation en péril. Et l’on frémit de ses maladresses. Tel est le ressort du  fonctionnement de notre intérêt, puisque nous sommes au cœur des raisonnements de la jeune femme.

Reçue chez François Bunel (La Grande Librairie France 5) à la sortie du roman, Julia Deck reconnaissait s’être beaucoup documenté au sujet des pathologies mentales, de manière à mieux cerner le comportement vraisemblable de son personnage. Les Parisiens (ou les expatriés de la capitale) seront bluffés par la précision des trajets en métro, que l’on suit aux couloirs près.  L’écriture est précise et presque sèche comme celle d’un  reportage, alors que nous plongeons directement dans le désarroi de cette jeune femme :

«… Les autres clients s’impatientaient. Ils perdaient du temps alors qu’ils étaient pressés de se rendre à leur travail, et c’est tout de même un monde de ne pas savoir ce qu’on veut dans une croissanterie à 9 h le matin, une dame derrière vous l’a laissé entendre très clairement. Vous l’avez regardée dans l’espoir d’un combat de femmes qui ranimerait votre instinct de survie mais vous ne l’avez pas vue, il n’y avait dans vos yeux que du carrelage. » ( Page 48)

Le  glissement mental de Viviane se traduit justement très judicieusement par le passage du vous au elle quand la tournure des événements déséquilibre sa propre construction. «  Tout cela suppose des choix. Une infinité de microdécisions dont chacune présente des implications supérieures. Vous n’êtes pas en mesure de faire des choix. Vous êtes l’esclave de la nécessité, c’est une position qui vous convient très bien, vous n’en avez jamais réclamé d’autres.

En face se présente un modeste square où l’on aère les enfants pauvres et les revendeurs de toxiques. Vous poussez la grille, prenez place sur un banc au soleil et, sortant les chaussons de leur sac, vous y glissez les mains. Elles s’y réchauffent tranquillement. »  (Page 46) 

Évidemment, les enquêteurs, pas si stupides, sont intrigués par quelques incohérences immédiatement décelables, et voilà notre jeune mère de famille convoquée pour la seconde fois dans les locaux de la police :

« Viviane observe attentivement les traits du commissaire, les paupières lourdes, la bouche lippue, le menton double et les plis de concentration qui architecturent l’ensemble. Elle juge qu’il n’y croit pas.

Je n’ai pas tué le docteur, soupire-t-elle. Je ne vais tout de même pas l’inventer. J’étais chez moi avec ma fille, je n’ai pas tué le commissaire.

Vous voulez dire le docteur.

Je veux dire le docteur.

Pourquoi avez-vous suggéré d’appeler votre mère ?

Je ne sais pas, c’est venu tout seul. C’est ce que le docteur m’a appris, à parler sans réfléchir. » (Page 61)

Aperçu du  ton d’humour subtil qui  confère à ce court roman une vivacité soutenue par des rebondissements évidemment inattendus. Je me réjouis d’autant plus que Julia Deck est l’invitée du prochain café-lecture de ma petite ville, et que je ne manquerais cette rencontre pour rien au monde !

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 Viviane Élisabeth Fauville

 

Julia Deck

Les Éditions de Minuit (septembre 2012)

ISBN : 978-2-7073-2240-1

21/03/2014

Les anges mineurs

les anges mineurs128.jpg

 À peine avais-je entamé la découverte des anges mineurs et de l’écrivain  Antoine Volodine,  qu'une question évidente s'est imposée: m'étais-je trompée de porte d’entrée? Quand on n’a  encore jamais lu l’œuvre d’un écrivain, après tout, il est rare « d’attaquer » sa bibliographie en ordre chronologique, n’est-ce pas ? Cependant, la forme du récit et l’univers très particulier que développe la suite de ces « narrats », (entendez de brefs chapitres constituant  chacun une entité de récit isolé) désarçonnent le lecteur non prévenu.

Progressivement cependant, cette mosaïque de textes organise un monde, que j’ai ressenti comme une prophétie d’apocalypse. Exprimé le plus souvent à la première personne, chaque « chapitre » porte en titre le nom et prénom d’une personne, sans que toutefois il s’agisse véritablement d’un portrait de personnage. Tous  repères spatiaux et temporels chamboulés, c’est une vision de l’après-catastrophe qui se dessine au fil des récits. D’ailleurs c’est ainsi que s’ouvre le premier narrat, titré Enzo Mardirossian, où le narrateur  livre son état d’âme:

«  Inutile de se cacher la vérité. Je ne réagis plus comme avant. Maintenant, je pleure mal. Quelque chose a changé en moi autant qu’ailleurs.… »

De fait, bien que tissée à maille  décousue,   la cohérence du récit se bâtit sur  l’errance, la survie, la récurrence des patronymes et la projection d’un univers «  étranger » à nous, lecteurs  douillettement au cocon dans nos pénates. Volodine use de consonances « étrangères », qui localisent le récit loin à l’Est. Peu à peu s’amorce l’idée que la catastrophe planétaire concerne l’éclatement des sociétés, une lutte géopolitique autant qu’écologique, et l’on comprend que ce récit apocalyptique nous parle autant d’hier que de demain. À l’image de ces  grands-mères héroïques,   immortelles survivantes dans la steppe mongole, qui entreprennent de créer un sauveur pour cette humanité en danger, comme une espèce en voie de disparition. Mais du destin de Will Scheidmann, qui apparaît  dès le narrat 7, je ne vous dirai rien, car alors ce livre risquerait de connaître le sort des œuvres de Fred Zenfl :

« Mais Fred Zenfl ne réussissait pas à trouver la forme littéraire qui lui eut permis d’entrer  véritablement en communication avec ses lecteurs éventuels et ses lectrices et, démoralisé, il n’allait pas jusqu’à l’achèvement de son propos. » 

Reconnaissons- là l’humour et l’autodérision  caustiques d’un écrivain qui  prend sérieusement le  risque de bousculer son lectorat. Au demeurant, les anges mineurs ont connu  un bien meilleur sort, récompensé successivement par le prix Wepler (1999)   et le prix du livre Inter (2000)!

Le caractère remarquable de ce récit  définit une tentative de renouveau narratif, que Volodine a baptisé « post exotisme ».  Avant même d’ aller piocher sur Internet les éclaircissements nécessaires, les effets stylistiques de l’auteur sautent aux yeux:  utilisant  souvent la première personne, le narrateur  déroule son récit avant de préciser l’identité endossée à ce moment-là, ce qui accroît la déstabilisation du lecteur :

«  C’était une zone où régnaient, dans une ombre bruyante et remplie de couteaux, les maîtres abatteurs et les tripiers ; l’air empestait le sang, les chasseurs de gibier et le linge très sale dans lequel avait été emballé la venaison. Je n’étais ni vendeur ni acheteur. Quand je dis je, c’est à Khrili Gompo que je pense, cela va de soi. On m’avait accordé douze minutes. La fille se dirigeait sur moi de façon inéquivoque, elle vint à moi comme si elle me connaissait, comme si elle m’avait longtemps attendu, comme si elle m’avait passionnément aimé et attendu, comme si elle m’aimait depuis toujours, comme si en dépit des évidences et en dépit des discours de ses proches, elle avait persisté à croire que je n’étais pas mort et que je m’évaderais un jour de la mort et reviendrais, comme si enfin j’étais revenu vers elle, après une longue absence, après un très long voyage. » ( Page 64)

En vérité, j’ose livrer ici ma totale incapacité à développer de façon synthétique une véritable intrigue, un fil conducteur menant le lecteur assidu d’une page à l’autre. Il y a là plus de raison de lâcher l’affaire que d’adhérer à la poésie sauvage et cruelle du fantasme apocalyptique. Les amateurs d’humour noir se réjouiront de perles disséminées savamment dans les hautes herbes de ces divagations :

«  Aux fils Schtern je n’adresse jamais un signe qui aille au-delà de la simple courtoise. Bien que nous soyons désormais voisins, je les ignore. Je regrette cette proximité. Ils ne m’inspirent aucune sympathie, nous n’avons pas d’atomes crochus. On voit bien qu’ils engraissent leur mère pour des raisons cannibales. Dans peu de semaines, ils la saigneront et ils la cuisineront. C’est vrai que l’existence  est fondamentalement sale, mais, tout de même, ils pourraient aller faire cela ailleurs. » ( Page 61)

 

 Ainsi affranchis, les-dits amateurs se réjouiront du tableau des « vieillardes pluricentenaires dont les herbes  pourtant basses camouflaient l’identité » et qui s’obstinent vaillamment à assumer la condamnation du petit-fils défaillant :

«  Les vieilles avaient éjecté, des culasses, les douilles brûlantes, et elles restaient étendues dans la position dite du sniper couché, mais toutes avaient l’air  déconcertées  d’avoir raté leur cible, et elles hésitaient avant de lâcher une seconde » mitraillade. Sous leurs narines errait de la fumée de poudre noire, mêlée aux  parfums de jeune absinthe et à l’insistante puanteur de l’urine des brebis et des chamelles qui, à l’endroit où elles étaient couchées, avaient dormi nuit après nuit pendant des mois. «  ( Page 76)

Vous l’aurez saisi, je ne suis pas parfaitement enchantée de ce cheminement chez les anges mineurs, même si je me suis rarement senti autant dépaysée. Mais  il est vrai que c’est  là une des  vertus majeures de la lecture.

 

Des anges mineurs 

Antoine Volodine 

Points poche  2007 (Le Seuil Août 1999) 

ISBN : 978-2-02-044461-3 

Prix Wepler 1999- Livre Inter en 2000

 

 

 

10/03/2014

Mal-entendu

Par la grâce du clavier,  partageons ce sketch de notre  humoriste maison…

Donc ce matin je me lave les dents tranquillement dans la salle de bain quand Mathis entre. 
Il me regarde attentivement et me dit: "Maman pourquoi tu te laves les dents?".
Je réponds " pour qu'elles choient propres". 
— Han! tu laves la langue aussi? pourquoi tu laves la langue??? 
— Pour laver les jodeurs de la nuit...shhhh (aspiration du dentifrice qui fuit).
— Pour laver les odeurs de l'anus maman? c'est quoi l'anus?" 
— NON! pour laver les odeurs de la nuit! shhh 
— Mais c'est quoi l'anus!"
— Mathis, la nuit!" 
— L'anus c'est la nuit?" 
Et voilà comment un enfant de 3 ans 1/2 annonce fièrement à sa maîtresse le matin que sa maman se lave les dents pour laver l'odeur de l'anus... :)
Bonne journée!

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08/03/2014

L'extraordinaire voyage du fakir qui était resté coincé dans une armoire Ikea

 

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Après deux livres «  sérieux », qu’il est bon d’aborder un temps sur les terres farfelues de Romain Puértolas.   Le titre (clin d’œil à Michel Audiard?) annonce déjà la couleur : sous la bannière  du célèbre logo, c’est un voyage en kit que nous livre le jeune auteur. Mais au lecteur téméraire, point n’est besoin de mode d’emploi fastidieux ni de clefs minuscules à tourner dans le vide. Ce roman, c’est une pochade, une farce qui dure un peu,   et qui emmène mine de rien de la blague fantastique  à la frontière du vrai monde. On pourra lui reprocher d’effleurer sans les traiter des problèmes graves, le dénuement, l’émigration clandestine, la solitude ou la solidarité, mais ce n’est pas le propos. Romain Puértolas ne cherche qu’à faire sourire le lecteur d’aujourd’hui, dans une comédie résolument contemporaine, sans morale ni leçon.

D’ailleurs  ce fakir au prénom imprononçable apparaît rapidement comme un escroc. C’est même ce qui le rend d’emblée  sympathique. Et le chauffeur de taxi qu’il arnaque n’est guère plus irréprochable. Mais ça, c’est à l’autre bout de l’histoire. Entre-temps, le voyageur improvisé se retrouve embarqué malgré lui  dans un périple qui sillonne l’Europe sans lui donner l’occasion de visiter l’une ou l’autre des étapes  inattendues. Les rencontres improbables se multiplient, le ton comique soutenu  par une veine truculente  qui se   décline au long du récit, tels  les jeux de mots associés aux personnages : le  migrant au long cours prénommé Wiraj, la star internationale Sophie Morceaux, le taxi Gustave Palourde et son acolyte Tom Cruise-Jesùs Cortès, mais la palme revient sans conteste à la litanie des prononciations suggérées pour le patronyme du héros. Ainsi, je vous invite à faire rapidement  connaissance avec Ajatashatru Lavash Patel (Prononcez, j’attache ta charrue la vache… ou Achète un chat roux, quand ce n’est pas J’ai un tas de shorts à trous).

 

L’extraordinaire voyage du fakir qui était resté coincé dans une armoire Ikea

Romain Puértolas

Le Dilettante (2 013)

ISBN :978-2-84263-776-7