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14/02/2016

Virtuoso ostinato

Amateurs d’histoires amples et chaleureuses, de couleurs et de paysages dessinés à la plume, les romans de Philippe Carrese vous attendent. Ce virtuose obstiné l’est, assurément, dans l’accomplissement de son destin musical qui suppose de s’arracher à la glaise épaisse de San Catello. Nous sommes en 1911, au fin fond de la campagne lombarde. C’est là que vivent Volturno Belonore et ses fils, qu’il exploite sans vergogne. La vie est âpre dans ce village montagnard, les journées consacrées au travail des champs. Les villageois forment une communauté resserrée sur elle-même,  organisée autour des traditions et des stratifications héritées d’âges immémoriaux. Seule la musique que le Père Steinegger,  le curé du village, essaie de transmettre tant bien que mal grâce aux cantiques dominicaux, ouvre un horizon différent aux jeunes voix de la paroisse. Des trois fils de Volturno, c’est le cadet Marzio qui impressionne le prêtre par la justesse de sa voix. Très vite, il permet à l’enfant de s’exercer sur l’harmonium de la paroisse, ce qu’accepte Volturno, à condition que les répétitions aient lieu le soir, toutes besognes familiales accomplies. Veuf de la mère des trois garçons, Volturno a épousé en seconde noce Ofelia, la plus jolie femme du village,  beaucoup plus jeune que lui. Ofelia est si belle que tous les hommes en sont plus ou moins amoureux. N’empêche, Ofelia se montre très sage,  sous la houlette de l’acariâtre belle-mère, elle assume les tâches d’une mère de famille nombreuse, puisqu’en plus des 3 beaux-fils, elle élève Vittoria sa petite fille. Mais à mesure que Marzio grandit, la complicité qui rapproche Ofelia de son beau-fils devient de plus en plus tendre. Dans cette petite communauté,  cette situation peut se révéler explosive.

D ‘autant que les villageois ne manquent pas de se préoccuper de la soudaine passion de Volturno pour « sa mine ». Le paysan s’est mis en tête de trouver un filon de minerai prometteur de fortune, et il n’épargne plus sa peine pour retourner le champ des Frêles, risquant dans cette entreprise sa fortune… Et la vie de ses fils.

L’arrivée d’un musicien charmeur achève de faire voler en éclats l’ordonnance de cette microsociété.  De drame en drame, la tragédie bouleverse San Catello, au point de ne plus faire de différence entre les morts, les meurtres, les accidents. C’est un souffle épique que Philippe Carrese maîtrise parfaitement. L’écrivain, par ailleurs scénariste et dessinateur, dresse un portrait formidable de la montagne Piémontaise, paysages humides et froids de l’hiver, âpreté de la vie paysanne au début du XXe siècle, aspirations à la tendresse des âmes tendres…

Dans ce récit construit en puzzle, le lecteur sait très vite que Marzio a échappé à la malédiction des Belonore, mais à quel prix ? Rien n’est achevé cependant quand vous refermez les presque 400 pages du roman… Reste à espérer que Philippe Carrese nous livre rapidement une suite.

 

Philippe Carrese, virtuoso ostinato, roman, fresque campagnarde, éditions de l'aube,

 

Virtuoso ostinato

Philippe Carrese

L’aube (mai 2015)

ISBN : 978-2-8159-1207-5

10/02/2016

Cuisine conjugale

 

Cuisine conjugale

écriture, nouvelle, texte bref, saint valentin,

Prends ce fusil, mon cher amant et aiguise ce couteau qui me fait défaut. En attendant ton retour après une journée de dur labeur, j’aime à dorer, braiser, rôtir cuissots et gigots. Je préfère les bons morceaux savamment découpés pour garnir le fond de mes poêlons.

Avant de dresser la table pour ton réconfort,  j’aurai eu plaisir à établir un menu solide et consistant. Mélanger les saveurs et les textures, ajouter un peu d’épices et une pointe de liant pour adoucir sans alourdir,  rechercher le juste équilibre et chasser les calories inutiles, mais respecter le mariage des fumets et le parfum des aromates,    dénicher enfin le bon cru, breuvage idéal qui laissera éclater le bouquet de ses arômes lentement maturés.

 

Quand tu monteras d’un pas las la volée d’escaliers qui mène au logis, quand tu pousseras la porte en laissant derrière toi la fatigue des besognes accomplies, que mille effluves mijotés t’accueillent d’abord et te mènent par le nez jusqu’à mon antre et mes casseroles.

Sous tes paupières,  une étincelle pétillera, tes narines frémiront, ta langue inventera le goût du plaisir à venir, tu lèveras vers la lumière les reflets ambrés ou dorés du vin tournoyant.

Silencieuse,  je t’observerai tandis que tes forces renaîtront par la grâce de ce baptême culinaire. Tu accueilleras mon offrande sans dire un mot. Nous nous attablerons, nous dégusterons, nous donnerons à chaque bouchée du temps et de l’attention pour que dure ce repas, comme s’il était le dernier.

L’amour est curieux, le plaisir est jaloux, m’auras-tu alors pardonné mes erreurs et mes sautes d’humeur? Ce couteau aiguisé par tes soins, dissimulé maintenant sous ton oreiller, pourra-t-il rompre notre pacte avant que ne t’endorme pour l’éternité le poison versé au fond du caquelon ?

 

Voilà notre dernière nuit. Je le sais, tu le sais. Comme notre  première fois, aime-moi.

écriture, nouvelle, texte bref, chute inattendue

 

 

 

07/02/2016

La conduite des habitudes

Une fois n'est pas coutume, ce petit texte d'étude pour illustrer quelques conversations récentes avec une amie aux multiples talents. Se reconnaîtra-t-elle, je ne sais, mais je lui adresse ce petit clin d'oeil, destiné à distraire aussi toutes les souris-discrètes-mais-fidèles- qui n'ont pas peur des éclaboussures d'une gouttesd'o.    Les contraintes données: texte bref, commençant par "j'avais l'habitude " et dont la dernière phrase débute par " c'était vraiment" .

La conduite des habitudes

J’avais l’habitude de me raconter des histoires, de doubler chaque moment vécu d’un reflet fictionnel rehaussant la banalité de mon quotidien. Cette manie envahissante avait perturbé bien des fois le cours de ma scolarité, la stabilité de mes amitiés, la cohérence de mon parcours professionnel, tous domaines où j’avais progressivement appris à tenir les rênes de mon théâtre intime. Mais mes efforts les plus acharnés abandonnaient tout pouvoir en situation de déplacement. Depuis ma plus tendre enfance,  dès que j’étais en mouvement, quel que soit le trajet, quel que soit le mode de locomotion,  j’avançais en compagnie de mon rêve éveillé.

Je marchais, je me racontais la quête de pèlerins vers des lieux sacrés et inaccessibles, je participais aux longues marches d’un exode romanesque et improbable. Étions-nous en voiture, je me projetais comme une étoile filante jusqu’aux confins du réseau routier, et mon imagination en roue libre transformait l’habitacle du véhicule en îlot de confort salon-salle-à-manger-chambre-à-coucher pour itinérance intercontinentale. Prendre le train me mettait en scène dans un wagon du Transsibérien,  dégustant un thé brûlant et noir autour d’un samovar escorté de quelques cosaques patibulaires et d’un escadron de Babouchkas, tandis que défilait à l’extérieur la steppe glacée du Kazakhstan. La première fois que j’ai pris l’avion, mon voyage intérieur me fit passer le mur du son et je décollais en songe pour un voyage interstellaire dont je ne reviendrai plus. C’est sans doute à cette occasion que les nuages ont emprisonné ma lucidité jusqu’à cette descente à skis qui fut pour moi la dernière. L’esprit embrumé dans le songe du jour, je n’ai pu éviter la collision avec un sapin. Fin de mes errances fantasmées.

Aujourd’hui, quand je prends le métro, c’est à un voyage plus compliqué que je m’affronte. Les multiples obstacles qui se dressent compliquent mes pérégrinations, et je n’ai plus le loisir de laisser mon esprit voguer sur l’infini des possibles.  Pourtant j’adorerais imaginer que mon fauteuil file au galop à travers les campagnes françaises, je voudrais rêver encore que ses roues se métamorphosent en tapis volant planant au-dessus des rues embouteillées de la capitale. Mais je suis cloué là,  corps et âme, et mes habitudes ont changé.

Quand j’étais encore enfant, ma grand-mère ne cessait de me rappeler à la réalité. « Profite de ce que tu vis, disait-elle, tes rêves ne te mèneront nulle part ». Elle avait raison. C’était vraiment important de ne pas me laisser conduire par mes habitudes.

 

29/01/2016

Petit Piment

Petit Piment est le surnom que le narrateur s’est gagné à la suite d’un exploit   fort risqué, en s’attaquant avec ruse et hardiesse aux jumeaux Songi-Songi et Tala-Tala, deux terreurs qui règnent dans l’orphelinat de Loango. Mais les rudesses des enfants entre eux ne sont rien en comparaison des sévices dus aux abus de pouvoir commis par le directeur de l’orphelinat, Dieudonné Ngoulmoumako. Entre autres méfaits, celui-ci a obtenu l’éviction de la seule personne capable de procurer aux enfants abandonnés du bonheur. Mais outre le fait d’aimer ces pensionnaires,  Papa Moupelo avait le tort d’être un prêtre, que son caractère expansif ne pouvait pas protéger des aléas engendrés par les multiples remous politiques qui caractérisent l’Histoire de la République du Congo.

Quand il se persuade que personne ne viendra plus l’arracher aux sévices de Ngoulmoumako et ses sbires,  Petit Piment s’enfuit de l’orphelinat en compagnie des fameux jumeaux, dont il intègre la bande. Les gamins se rendent à Pointe-Noire, capitale économique du Pays. Là, ils organisent leur survie comme peuvent le faire les enfants des rues dans toutes les villes du monde : racket, rapines, extorsions diverses et violences. Petit piment est malin, on l’a vu, il tire son épingle du jeu, véritable figure congolaise de Gavroche mâtinée de Huckleberry Finn.

La bonne fortune de Petit Piment arrive enfin le jour où il rencontre Maman Fiat 500 qui, avec ses dix filles de joie, lui offre une vraie famille. Petit Piment connaît une période de prospérité et de stabilité, il pense avoir trouvé sa place. Mais le sort, qui est sournois, en décide autrement. La politique et ses arrangements font voler en éclats le paradis. Comme jadis Papa Moupelo, Maman Fiat 500 disparaît.   Et Petit Piment se retrouve à la rue, abandonné une nouvelle fois.

Celui dont le véritable nom de baptême était « Rendons grâce à Dieu, le Moïse noir est né sur la terre des ancêtres » s’emploie alors à traverser son désert affectif aiguillonné par une curieuse vision de sa vengeance. La vie jusqu’alors épique de Petit Piment s’englue dans le tragique, jusqu’à la pirouette finale.

Ce roman picaresque coule longtemps d’une voix amusante, où la malice l’emporte souvent sur la nostalgie. La verve d’Alain Mabanckou fait sourire, provoque des éclats de rire tant il sait user du ressort naïf pour dépeindre une réalité plutôt sordide. En donnant la parole à un enfant, l’écrivain évite de s’appesantir sur les brutalités, la corruption et les iniquités absurdes d’un pays en proie aux soubresauts de l’instabilité. Mais c’est toute la finesse du genre, qui donne à ses personnages la force des faibles, la fantaisie des vaincus d’avance qui n’ont rien à perdre. Rire pour ne pas pleurer en somme. En ce sens, il ne faut pas enfermer Mabanckou dans une idée « africaine «  de la Littérature, même si sa langue et son style nous apportent une fraîcheur et une saveur bien particulières.

      De toutes les questions que je me posais pendant cette période d'agitation intérieure qui marquait le début de ma crise d'adolescence, une seule revenait de jour comme de nuit et m'empêchait d'avaler ma salive comme si j'avais une arête dans la gorge: étais-je le seul "Tokumisa Nzambe po Mose yamoyindo abotami ya Bakoko" au monde?  À la longueur de ce nom je pouvais répondre par l'affirmative et me réjouir d'être un gamin singulier. Or Papa Moupelo fréquentait d'autres orphelinats à Pointe-Noire, à Tchimbamba ou à Ngoyo. Je ne pouvais me retenir de nourrir des doutes sur l'originalité de ce patronyme. Une certaine jalousie m'habitait rien qu'à l'idée de savoir que je  pourrais n'être qu'un Moïse parmi des centaines et des milliers d'autres et qu'ils étaient plus aimés que moi par Papa Moupelo.

     Il était le seul à pouvoir me rassurer. Et comme nous étions au milieu de la semaine, j'avais hâte que le samedi arrive afin de lui poser ouvertement la question. Hélas, j'étais loin de penser qu'un fait inattendu allait chambouler le reste de notre existence dans ce coin perdu de la région du Kouilou. Je me serais attendu à tout, sauf à un tel retournement des choses.

     Curieusement, et c'était cela qui m'alarmait le plus, Papa Moupelo non plus  n'avait pas cu venir cet événement malgré sa proximité avec le ciel… ( Pages 20-21) 

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Petit Piment

Alain Mabanckou

Le Seuil (Août 2015)

ISBN :978-2-02-112509-2

25/01/2016

Va et poste une sentinelle

S’il est une erreur à éviter, c’est d’enchaîner la lecture de la deuxième œuvre publiée d’Harper Lee juste après avoir achevé Ne tirez pas sur l’oiseau moqueur. Erreur absolue que je vous conseille de ne pas commettre à votre tour, à double titre : protégez votre plaisir de lecture d’une éventuelle déception, et offrez à ce roman une chance de vous toucher.

Lire donc Va et poste une sentinelle sans essayer d’établir un lien chronologique entre les deux ouvrages. Difficile certes pour les lecteurs qui ont vraiment apprécié le premier titre paru. Ne pas se laisser influencer par la genèse de l’œuvre, qui nous présente celui-ci comme une ébauche.

Parmi les éléments qui vous surprendront sans doute, sachez que l’héroïne de Ne tirez pas sur l’oiseau moqueur, devenue adulte, ne s’entend plus guère appelée Scout mais Jean Louise. Après ses études, la jeune femme s’est installée à New York et le roman débute alors qu’elle revient à Maycomb où elle pense se ressourcer quelques jours chez son père Atticus. Elle sait qu’elle retrouvera près de lui sa tante Alexandra qui l’agaçait déjà dans son enfance. D’entrée, le style est très différent, le charme de l’enfance envolé, certes, mais le ton si particulier du premier ouvrage, incisif, railleur et faussement naïf, tellement réjouissant, n’est plus. Ce n’est plus Scout qui raconte, le roman est écrit à la troisième personne, ce qui permet de réaliser paradoxalement l’intérêt d’un récit à la première personne, l’intimité immédiate que crée le processus entre le narrateur et son lecteur.

Les perspectives de Jean Louise sont partagées par ce retour à Maycomb. Elle guette les signes de faiblesse de son père qui vieillit physiquement, mais elle en attend rigueur intellectuelle et honnêteté morale qu’elle a toujours connues. Elle retrouve également sa complicité avec un nouveau venu pour nous, Henry Clinton, Hank pour les intimes, qu’Atticus considère comme son successeur potentiel depuis la mort de Jem. Car, et c’est un nouveau choc, nous apprenons que le frère aîné de Jean Louise est décédé brutalement. Henry Clinton, orphelin depuis son adolescence, a été aidé par Atticus et lui voue en retour une piété filiale. Ses rapports amoureux avec Jean Louise date de cette époque et nous pensons à Dill, second grand absent du roman. Nous sommes ainsi préparés à observer les changements survenus dans la petite bourgade.

Au-delà des éléments de ton, de style, le fond de l’intrigue majeure reste la manière dont l’héroïne va être conduite à grandir en se confrontant à la réalité. Jean Louise est désormais New Yorkaise, elle s’est habituée au mixage des visages, des habitudes, des micro-sociétés qui se côtoient dans la grande ville du Nord ; Nous sommes maintenant dans les années cinquante, mais l’Alabama est toujours enraciné dans sa mentalité du Sud et la jeune femme va devoir réapprendre un nouveau code comportemental. Certes, elle reste provocatrice et entière, mais elle a appris à composer avec sa tante, elle joue aussi au chat et à la souris avec Henry, réellement amoureux d’elle.   Malgré elle, elle ne peut s’empêcher de se questionner au sujet d’un éventuel mariage avec l’ami d’enfance, le substitut de son frère disparu. Ce sont là des éléments d’incarnation du personnage qui ne manquent pas d’intérêts.

Mais ces questionnements personnels se retrouvent brutalement balayés par un événement qui prend la mesure d’un ouragan. Obéissant à sa curiosité, Jean Louise s’est glissé dans la salle du tribunal, comme autrefois pendant le fameux procès où Atticus avait tenté de défendre un noir injustement accusé de viol. Alors que dans le passé, son père avait revêtu les atours d’un archange défenseur du Droit, elle le surprend ce dimanche-là en pleine compromission avec des racistes notoires. Stupeur et accablement, Jean Louise est bouleversée. Son père serait-il devenu raciste, adepte des idées du Klan dont elle a trouvé un fascicule de propagande sur un guéridon du salon ? Tenaillée entre un amour inconditionnel pour la figure paternelle qui s’impose depuis son enfance comme un repère, et cette découverte qui l’horrifie, elle vit en deux journées sombres une véritable révolution —au sens géométrique du terme— qui la conduit à intégrer la nécessité des compromis. Son père perd son statut, son univers bascule, c’est encore une étape vers la maturité que doit gravir douloureusement l’ex petite Scout.

Roman donc de passage initiatique, Va et poste une sentinelle, expose la vision de l’auteur, elle-même femme de ce Sud ambivalent. Ce sont les thèmes centraux des deux ouvrages, bien que traités différemment. Si la réussite de l’Oiseau moqueur est incontestable, Va et poste une sentinelle souffre d’une facture plus didactique, d’une sensibilité moindre dans l’expression des états d’âme de l’héroïne, comme des personnages secondaires : Cet Henry Clinton, amoureux gentiment repoussé est trop placide, trop parfait. Les explications de l’oncle Jack, philosophe loufoque, tournent autour du pot et peuvent être lassantes malgré les anecdotes cocasses. Quant à Atticus, est-il aussi convaincant quand il laisse sa fille patauger et s’enferrer au lieu de mettre les points sur les i ? En un mot ce roman forgé de bonnes intentions paraît infiniment moins réussi que celui qu’Harper Lee publiera quelques années plus tard. Il reste néanmoins intéressant en ce qui concerne l’éclosion au monde adulte, aux vérités ambiguës et aux nécessaires compromissions.

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Va et poste une sentinelle

Harper Lee

Grasset   (Octobre 2015)

ISBN :978-2-246-85868-3

23/01/2016

Ne tirez pas sur l'oiseau moqueur

On pourra toujours se demander pourquoi il a fallu tant de temps aux lecteurs français pour apprécier ce roman devenu immédiatement incontournable lors de sa parution aux USA en 1960. Voilà un livre qui se ferme à regret, et une héroïne, Scout, que l’on voudrait accompagner bien plus longtemps.

De ses cinq à ses huit ans, c’est à la hauteur du nez de cette fillette intrépide, résolue, et tenace que nous nous immergeons dans la vie d’une petite ville du Sud de l’Alabama. Vous allez découvrir Maycomb dans les années 30, bourgade isolée avec ses rues bordées de maisons coquettes, son centre-ville que l’on peut encore rejoindre à pied depuis le quartier bourgeois, son école unique et ses paroisses propres à chaque communauté. Scout est la benjamine, de son nom de baptême Jean Louise, élevée en compagnie de son frère Jem par leur père que les enfants nomment tous deux par son prénom, Atticus. La gouvernante-cuisinière-femme à tout faire, Calpurnia,   est totalement dévouée aux enfants et à son patron. Atticus est un humaniste. Avocat, il professe la raison et la tolérance envers tous, et sème dans l’esprit des enfants des repères moraux et intellectuels censés les préparer à devenir des adultes accomplis. En attendant, Jem et Scout sont souvent livrés à eux-mêmes dans le jardin de la maison et dans le quartier tranquille qu’ils habitent. Tranquille ce quartier ? Pas si sûr ! La demeure voisine semble bien mystérieuse avec ses volets toujours clos et ses habitants invisibles. Et le sort de Boo Radley, le garçon de la maison préoccupe la fratrie, rejointe en été par Dill, un gamin du même âge qui passe ses vacances chez sa tante. Les trois compères imaginent diverses stratégies pour rencontrer Boo enfin et qui sait,   le sauver d’une supposée séquestration… Harper Lee joue à merveille des mots et des expressions pour relever ce récit qui pourrait s’apparenter aux sagas enfantines dans la veine de Mark Twain, par son insolence et sa critique sous-jacente des conformismes. Sauf que Jem et Scout ne sont pas malheureux. Si la mère n’est plus, Calpurnia assume de son mieux les fonctions maternelles, même si elle cache sa tendresse sous des dehors rugueux, qui font fulminer Scout, mais qui se révèlent très vite indispensables au respect du cloisonnement naturel entre Blancs et Noirs. Harper Lee décrit l’enfance comme un territoire harmonieux, où les disputes se limitent à l’assaisonnement naturel des jours trop tranquilles.

Et puis un soir, Atticus éprouve le besoin de mettre ses enfants en garde. Dans les semaines à venir, ils vont entendre des rumeurs désagréables, ils seront même sans aucun doute chahutés par leurs camarades, ils vont devoir apprendre à se comporter selon les principes qu’il espère avoir inculqués. Commence une nouvelle année scolaire où Scout va grandir plus vite que les années précédentes. La calomnie, la distance, l’hostilité sournoise se font sentir… Des enfants du quartier défavorisé d’Old Sarum sont intégrés à l’école et les différences d’éducation révèlent des fractures dans l’équilibre de la société. Toutefois, Scout paraît souvent plus intéressée par ces failles que par le bavardage insipide des chipies habituelles. Progressivement, l’atmosphère de la petite ville s’est tendue, les menaces contre Atticus deviennent de plus en plus évidentes et ne peuvent plus être cachées aux enfants. Mais Scout peine à saisir la raison de ces changements, jusqu’à ce soir où,  Atticus les pensant couchés, Jem et Jean Louise se relèvent et courent vers la ville, pour découvrir leur père assis sur une chaise en train de monter la garde devant la prison. Il est seul, héros solitaire d’un drame prêt à exploser. Heureusement, l’imprimeur local va prêter main-forte à l’avocat en mauvaise posture. Scout tourne et retourne la situation, ne comprenant pas qu’Atticus soit inquiété alors qu’il a été commis d’office à la défense de l’homme accusé de viol que certains citoyens de Maycomb aimeraient lyncher sans autre forme de procès. Le procès s’ouvre cependant le lendemain. Jem, Dill et Jean Louise doivent ruser pour assister, malgré l’interdit paternel, aux débats.

Sans changer de ton, Harper Lee parvient à donner au roman l’épaisseur d’une critique acérée contre le racisme, l’intolérance, la bêtise. Racontées par une enfant de huit ans, les situations apparaissent parfois terriblement cocasses, le rire éclate alors même que l’émotion et l’écoeurement prévalent. Toutes les pages consacrées aux audiences sont haletantes et je défis le lecteur de poser le livre. Mais le procès achevé, la défaite consommée, les choses n’en restent pas là parce qu’on est en Alabama, où la guerre de Sécession n’a jamais quitté les esprits. La dernière partie du livre nous tient toujours davantage en haleine et les surprises nous attendent jusqu’à l’ultime page.

C’est sans doute ce qui explique la désolation du lectorat d’Harper Lee, qui n’a rien publié de plus pendant des décennies. Silence pesant enfin rompu l’année dernière par l’édition de Va et poste une sentinelle, mais c’est une autre histoire, comme l’on verra bientôt.

En ce qui concerne Ne tirez pas sur l’oiseau moqueur, ce n’est pas l’auteur que je vais citer, mais Isabelle Hausser, qui a révisé la traduction du roman et achève ainsi la postface: « Le texte d’Harper Lee, d’une infinie drôlerie, est un enchantement. Il a la légèreté et le poids que recherche le véritable amateur de roman et cette vertu si rare de pouvoir être lu à tout âge, quelle que soit l’éducation que l’on a reçue, de quelque pays qu’on vienne, à quelque sexe que l’on appartienne. »

La longue absence d’Harper Lee sur la scène éditoriale a contribué à fonder sa légende. La jeune femme a trente-quatre ans lorsque sort le roman en 1960. L’ampleur du succès international immédiat, l’attribution du Pulitzer l’année suivante, le film qui en est tiré ( titre français du silence et des ombres) , sont autant d’occasions d’interprétation des éléments biographiques qui ont inspiré le fond et la forme de l’affaire. Son amitié avec Truman Capote attestée, l’auteur n’a jamais caché le rôle de son propre père dans la construction de la figure d’Atticus. La genèse du livre commence à être mieux connue, en particulier à la lumière du second ouvrage, bien différent. Mais chaque chose en son temps. Il est peu vraisemblable que Nelle Harper Lee, 90 ans en Avril prochain, cède à la tentation médiatique et se livre davantage…

 

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Ne tirez pas sur l’oiseau moqueur (To kill a mocking bird 1960 )

Harper Lee

Le livre de poche ( Grasset)

1ÈRE parution en France 1988 chez Grasset, réédité en 2015 en poche

ISBN : 978-2-253-11584-3

07/01/2016

Les Garagaïs

 

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Eh non, il ne s'agit pas d'un nouveau roman, bien que la sonorité du mot appelle  à savourer la répétition de  la finale chantante …

Ce n'est pas non plus une recette gastronomique aux ingrédients locaux et rares,  charme des tablées régionales…

 En ces temps de repos hivernal, sous un ciel qui n’en finit pas d’étirer sa grisaille, marcher permet de s’affranchir du repli saisonnier. Sans doute insuffisante pour effacer les excès de table, la balade  offre le plaisir d’une découverte géologique. Sur le plateau forestier qui s’étend entre Bras et Le Val,   les sentiers plats nous mènent jusqu’au bord d’une faille étrange que la curiosité nous pousse à explorer.

 

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Un véritable réseau de galeries, d’effondrements et de chaos s’étend sur tout le plateau. Parfois difficile à repérer tant la végétation a repris ses droits, et se fait surprenante.

 

 

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Ce sont en fait les résultats du travail d’érosion, pluies violentes, vent et gel nocturne suivi de prompt réchauffement diurne. Ce phénomène est créé par la dissolution des roches calcaires et produit un sol déchiqueté, sillonné de fissures et de crevasses parfois impressionnantes.

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Ces « Garagaïs  » provençaux, gouffres ou lapiaz sont très particuliers sur ce plateau, la plupart du temps, ils se sont formés sur les pans élevés des massifs côtiers plus dénudés : Marseilleveyre,  ou Sainte Victoire, mais ils existent aussi sur le versant Nord de la Sainte Baume, recouvert d’une forêt aux essences variées, une des plus belles forêts du secteur.

 

06/01/2016

À l'année qui s'ouvre…

 

2016, voeux

À mes souris-discrètes-et-fidèles

…Et au lecteur de passage

Je souhaite une multitude de projets

Un Arc en ciel d'émotions 

L' élan de l'Azur

et la Fantaisie

Pour ciel de lit.

Que cette année vous soit 

2016, voeux

Nos regards amicaux et tolérants

nos voix à l'unisson 

Nos lectures dynamisantes

nos échanges vivifiants;

Que l'Amour  nous grandisse

Que nos peines nous fortifient

Que nos soucis tombent dans l'oubli.

2016, voeux