La conduite des habitudes (07/02/2016)

Une fois n'est pas coutume, ce petit texte d'étude pour illustrer quelques conversations récentes avec une amie aux multiples talents. Se reconnaîtra-t-elle, je ne sais, mais je lui adresse ce petit clin d'oeil, destiné à distraire aussi toutes les souris-discrètes-mais-fidèles- qui n'ont pas peur des éclaboussures d'une gouttesd'o.    Les contraintes données: texte bref, commençant par "j'avais l'habitude " et dont la dernière phrase débute par " c'était vraiment" .

La conduite des habitudes

J’avais l’habitude de me raconter des histoires, de doubler chaque moment vécu d’un reflet fictionnel rehaussant la banalité de mon quotidien. Cette manie envahissante avait perturbé bien des fois le cours de ma scolarité, la stabilité de mes amitiés, la cohérence de mon parcours professionnel, tous domaines où j’avais progressivement appris à tenir les rênes de mon théâtre intime. Mais mes efforts les plus acharnés abandonnaient tout pouvoir en situation de déplacement. Depuis ma plus tendre enfance,  dès que j’étais en mouvement, quel que soit le trajet, quel que soit le mode de locomotion,  j’avançais en compagnie de mon rêve éveillé.

Je marchais, je me racontais la quête de pèlerins vers des lieux sacrés et inaccessibles, je participais aux longues marches d’un exode romanesque et improbable. Étions-nous en voiture, je me projetais comme une étoile filante jusqu’aux confins du réseau routier, et mon imagination en roue libre transformait l’habitacle du véhicule en îlot de confort salon-salle-à-manger-chambre-à-coucher pour itinérance intercontinentale. Prendre le train me mettait en scène dans un wagon du Transsibérien,  dégustant un thé brûlant et noir autour d’un samovar escorté de quelques cosaques patibulaires et d’un escadron de Babouchkas, tandis que défilait à l’extérieur la steppe glacée du Kazakhstan. La première fois que j’ai pris l’avion, mon voyage intérieur me fit passer le mur du son et je décollais en songe pour un voyage interstellaire dont je ne reviendrai plus. C’est sans doute à cette occasion que les nuages ont emprisonné ma lucidité jusqu’à cette descente à skis qui fut pour moi la dernière. L’esprit embrumé dans le songe du jour, je n’ai pu éviter la collision avec un sapin. Fin de mes errances fantasmées.

Aujourd’hui, quand je prends le métro, c’est à un voyage plus compliqué que je m’affronte. Les multiples obstacles qui se dressent compliquent mes pérégrinations, et je n’ai plus le loisir de laisser mon esprit voguer sur l’infini des possibles.  Pourtant j’adorerais imaginer que mon fauteuil file au galop à travers les campagnes françaises, je voudrais rêver encore que ses roues se métamorphosent en tapis volant planant au-dessus des rues embouteillées de la capitale. Mais je suis cloué là,  corps et âme, et mes habitudes ont changé.

Quand j’étais encore enfant, ma grand-mère ne cessait de me rappeler à la réalité. « Profite de ce que tu vis, disait-elle, tes rêves ne te mèneront nulle part ». Elle avait raison. C’était vraiment important de ne pas me laisser conduire par mes habitudes.

 

12:53 | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : écriture, nouvelle, acl, atelier d'écriture, contraintes d'écriture | |  del.icio.us |  Facebook | |  Imprimer