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23/09/2015

Ce que cachent nos collines

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Nos collines recèlent de nombreuses surprises, qu’il faut savoir dénicher en sortant des routes ordinaires. Les randonnées à pied réservent aux marcheurs les beautés de l’automne qui s’installe doucement.

Passant par « les jardins égaux «  de Bras, nous avons admiré ces courges achevant de se dorer au soleil, parmi quelques dahlias  sagement rangés, des tomates alignées  et une armée de poireaux aux longs feuillages en bataille.

Et puis nous n’avons pas quitté  le village  sans jeter un regard à l’ancienne chapelle templière qui se trouve aujourd’hui complètement sertie dans les bâtiments ruraux.

 

Patrimoine caché, colline du var, randonnées pédestres

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Au  détour du bois, il faut se glisser entre les fils de clôture pour rendre une visite impromptue aux compagnons de Cadichon. Certains persistent à snober les intrus, d’autres se laissent gagner par la curiosité, c’est humain  n’est-ce pas.

Patrimoine caché, colline du var, randonnées pédestres

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Les hommes justement se suivent à la trace. Les collines conservent les empreintes de  leurs passages même quand la végétation s’est refermée autour des ruines. L’homme se distingue par ce qu’il a bâti, et je trouve émouvant que des siècles plus tard,   d’autres hommes tout aussi anonymes que les premiers aient le courage de relever les pierres tombées.

Il y a dans nos collines des centaines de petits oratoires ou de chapelles que la bonne volonté des amateurs sauve du néant.

Patrimoine caché, colline du var, randonnées pédestres

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Celle-ci était dédiée à Saint Étienne. Pour la trouver, depuis le village, il suffit de suivre le petit chemin qui mène à Peyrourier. Bonne promenade…

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22/09/2015

Otages intimes


      Ce sera sans doute l’un des ouvrages les plus marquants de cette rentrée littéraire, même si, comme son titre le suggère, sa cible ne  concerne pas forcément le   grand public. Par la grâce de son écriture mêlant adroitement  la réalité extérieure au fil des pensées et ressentis de ses personnages, Jeanne Benameur nous convie dans le chaos personnel d’Étienne, photographe de presse tout juste libéré après quelques mois  de captivité.   De manière tout à fait emblématique, ce collecteur d’images a été enlevé en plein reportage, alors qu’il observait avec fascination une femme en train de charger sa voiture pour fuir avec ses enfants la ville en guerre. 

Dès les premiers mots du roman, Jeanne Benameur nous happe dans la confusion qui habite Étienne :  La peur, l’effroi, la faim, le manque de tout et d’abord l’isolement terrible qui donne l’impression de ne plus exister. Logiquement, Étienne voudrait que ces traumatismes s’effacent en réintégrant sa vie d’avant.   Mais quand il remonte à la surface, quand il se répète que c’est fini et qu’il va retrouver le cours normal de son existence, Étienne ne parvient pas à se sentir libéré. Page 13 :

«  Depuis, c’est l’entre-deux. Plus vraiment captif, mais libre, non. Il n’y arrive pas. Pas dedans.

Quand il a été enlevé, tout a basculé. On l’a fait passer, d’un coup, de libre à captif et c’était clair. La violence, c’était ça. Depuis, la violence est insidieuse. Elle ne vient plus seulement des autres. Il l’a incorporée.

La violence, c’est ne plus se fier à rien. Même pas à ce qu’il ressent. »

Thème principal de cette chronique du retour à la liberté, Otages intimes démontre combien nous sommes tous prisonniers de nos propres peurs, de nos frustrations, de nos rêves avortés. Aux côtés d’Étienne, nous ressentons combien nos vies sont tissées de tous nos ressentis. Par Étienne, mais progressivement aussi par le truchement de ses proches, nous percevons combien nos propres sentiments constituent la première prison dans laquelle nous nous enfermons : peur de n’être pas aimé, de n’être pas à la hauteur, de ne pas  savoir aimer. Peur de soi plus que peur des autres, finalement.

Captif. Ça vibre dans son ventre, entre ses deux épaules.  La nuque. Il revoit la nuque penchée d’un prisonnier qui n’en avait plus pour longtemps.

C’est dans sa nuque aussi maintenant. Tout ce qu’il a vu. Comment a-t-il pu traverser toutes ces images pendant toutes ces années ? Il s’est cru indemne ; Il a cru… maintenant, il ne peut plus, tout est là.  Et lui, un territoire occupé. Il voudrait crier J’ai pas le droit d’avoir juste un peu de paix ?( Page 72) 

Une des images qui hantent Étienne le ramène toujours juste à l’instant précédant son enlèvement : cette femme , mère de famille ancrée dans la nécessité de fuir, donc de protéger sa famille,   symbolisée par une  mèche brune échappée de son foulard,   décrite encore et encore, dessinant l’incarnation de la volonté d’agir. Cette vision constitue sa dernière image du monde d’avant la terreur. L’hésitation qu’il a marquée avant de l’aborder pour la photographier a entraîné une sorte de blocage, de frustration dont il ne parvient pas à s’affranchir.

 

 

Parallèlement au douloureux  cheminement d’Étienne, l’amour bienveillant d’Irène sa mère, essaie de construire des digues pour qu’il se repère, balises qu’elle veut discrètes et solides. La figure d’Irène cependant ne se résume pas à cet amour maternel extrapolé. La force du roman éclate ici par la juxtaposition des douleurs personnelles de chacun des personnages.

Il a averti Irène qu’il rentrerait sans doute tard et elle est juste allée chercher un morceau de pain et du fromage qu’il a enfourné dans sa sacoche avec la gourde, comme quand il était petit.

De la fenêtre, elle l’a regardé s’éloigner.

Sa haute silhouette l’a rappelée des années en arrière. Elle s’est parlé toute seule, comme elle fait souvent. Tu marches comme ton père. Quand il rentrait de ses voyages et que je sentais qu’il n’avait qu’une hâte : y retourner. Lui aussi partait vers la forêt et même ici, dans la maison, l’attente ne cessait pas. Sa présence ne comblait rien. J’étais devenue une drôle de femme. Une femme qui attend ce n’est plus tout à fait une femme. Est-ce qu’il faut toujours que l’histoire recommence ? j’étais comme notre village, un espace traversé de ruelles qui semblent mener au centre, à la place, mais en fait qui se détournent l’air de rien et vont toujours vers la forêt.  Un jour je t’ai cherché, tu étais petit, sept ou huit ans peut-être et tu étais sorti avec un drôle d’air, ton goûter à la main. Je t’ai suivi, de loin. (…)  Tu t’es arrêté devant le petit torrent et tu as mangé ton goûter debout, face à l’eau qui cascadait. Puis tu as jeté d’un geste large les miettes, comme une offrande, et je t’ai entendu tu parlais tu criais des choses dans le bruit de l’eau. Je n’ai pas compris les mots mais j’ai pensé à une prière et je suis resté là, à te contempler. Est-ce que si j’avais compris ta prière, j’aurais mieux su te protéger du monde ?

Toi et moi nous étions des petits territoires envahis par l’absence. Et nous faisions face , comme nous pouvions. Parfois il faut savoir baisser la tête. (Page 73-74)

 

 

Alors Étienne se tourne vers Enzo, l’ami d’enfance, le frère de cœur, qui l’accueille de son silence si dense et de sa musique. Enzo représente la fidélité, la présence, l’enracinement de la relation parce qu’il est resté au village, et que son métier de menuisier l’ancre dans un monde matériel dénué de peur. Enzo parle peu et comprend tout, comme s’il était la quintessence d’un monde isolé  des querelles humaines.

Enzo continue à jouer pour son ami endormi. Sous ses yeux maintenant, le corps si amaigri. Il joue doucement. C’est le mot « confinement » qu’il fait vibrer sur les deux cordes basses du violoncelle. C’est sous sa propre peau. Le visage d’Étienne est paisible. Enfin. Il continue à jouer doucement. La musique maintenant habite toute la pièce. Elle borde le sommeil de son ami.

(…)

Les paroles qu’il aurait voulu pour son ami, elles sont dans la musique cette nuit. Elles disent l’air du matin qu’il allait respirer pour lui. Elles disent la cime des arbres et l’élan du vol quand il planait là-haut et qu’il essayait d’élargir le confinement. Pour lui. Pour Étienne. Les paroles sont là. Ses mains ont toujours su dire mieux que sa bouche. Que sa musique borde le sommeil. Il garde la porte des enfers. Dors Étienne.

(…)

Dans la poitrine d’Enzo il y a les forêts bleu sombre. Il joue il ne s’arrête pas il vole très haut au-dessus du village et l’air entre dans sa musique. Chaque lettre du confinement s’envole. Loin.

(…)

Enzo cette nuit joue pour Étienne pour Jofranka pour l’enfance qui les a réunis sur le chemin. Pour cette part d’eux-mêmes qu’ils n’atteindront jamais. Leur part d’otage.

(Page 80-81)

Étienne retrouvera encore Jofranka, la fillette qui complétait leur trio amical, soudé autour de  la musique transmise par Irène. Comme un leitmotiv, le trio de Weber souligne par sa grâce l’inadéquation des hommes face à la violence. Comme Étienne Jofranka   connaît bien la violence, elle a choisi de défendre les femmes opprimées partout sur la planète et œuvre pour qu’elles obtiennent réparation, même quand le découragement l’atteint à son tour. Ensemble, ils peuvent découvrir le fil ténu qui permet de tenir et d’oublier, ne serait-ce qu’un instant, la charge de violence et d’horreur, de ne plus s’en sentir le reflet sordide et mortifère.

 Qu’on ne s’y trompe pas, l’univers de Jeanne Benameur n’est pas  si sombre.  Cet ailleurs qui habite chacun de nous  se présente comme une rédemption, une vibration qui change le cours des choses. Enzo partira enfin de son village, Jofranka repartira plus forte encore vers sa mission et Étienne…

 Étienne a fermé les yeux.

Maintenant il peut accompagner la femme aux cheveux lourds et ses enfants jusqu’au bout. Il joue. Il pulse dans le trio la force qui lui manquait. Il retrouve la partie du morceau qui lui a manqué pendant l’enfermement. Maintenant il peut imaginer la femme qui roule. Longtemps. ( Page 191)

Jeanne Benameur bouscule la structure des phrases, elle tord la ponctuation et les codes de l’écrit, elle impose par la force de ses images le désarroi, la colère,  la solitude terrible qui accable ses personnages ou réajuste leurs regards.

  Quand ce sont les phrases de l’auteur qui reviennent ainsi étayer les émotions ressenties à la lecture, il est évident que ce roman mérite d’être lu et relu, placé en bonne place dans votre bibliothèque, prêté sans retenue. Il marquera cette rentrée littéraire, il marquera l’année de lecture qui nous attend, j’en fais le pari.

 

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Otages intimes

Jeanne Benameur

Actes Sud     (Août 2015)

ISBN :978-2-330-05311-6

 

 

18/09/2015

Le Corps quantique

 

Bien qu’écrit initialement en 1989, ce texte réactualisé régulièrement résonne toujours par son actualité. Plus que jamais nous nous sentons concernés par cette approche de notre santé et de notre bien-être, comme en témoignent nombre de publications récentes.

Partant de sa pratique médicale, Deepak Chopra, endocrinologue installé aux USA après des études de médecine à New Delhi, dresse le constat que l’évolution de certains cancers échappe parfois totalement au processus établi par les chercheurs et les médecins. Grâce à ses origines indiennes, Deepak Chopra est ouvert  aux pratiques de la médecine Ayurveda qu’il a également étudiée et pratiquée.  Ce médecin a fondé ses propres recherches sur l’intuition d’une interaction  méconnue entre le corps et la représentation mentale de la maladie.    Certaines guérisons dites spontanées de cancer ne s’expliquent-elles pas par une maîtrise de sa représentation, et au-delà de cette théorie, par un équilibre de la relation corps-esprit où la personne perçoit la « sagesse » de son corps et surmonte ainsi mieux le  stress inhérent au mode de vie autant qu’à l’annonce de la maladie.

Si nous sommes aujourd’hui baignés par cette certitude au point d’en faire presque un lieu commun, la théorie de Deepak Chopra, relayé par le mouvement New Âge dans les années 70 à 90 n’a pas manqué de susciter moqueries, méfiance et  irritations de la part du corps médical occidental. Chopra travaille cependant à vulgariser ses travaux par une série d’ouvrages qui rencontrent une audience plus attentive aux notions de développement personnel, de bien-être harmonieux tant par l’accord des aspirations du corps et de l’esprit que dans le rapport au monde qui nous entoure. Plus que jamais conscients des dérives  engendrés par le « tout matériel», nous tendons à  épurer nos modes de vie en accordant une plus large part à nos  ressentis et notre rythme biologique.

En s’appuyant sur les avancées en biologie et en physique, Deepak Chopra  démontre que nos corps sont constitués comme toute matière universelle d’éléments infiniment petits. Illustrés d’abord par les relations neuronales, véhicules de la pensée, les dendrites créées à chaque instant, Chopra poursuit son analogie entre relation cosmique et corrélation des particules quantiques, affirmant progressivement  qu’il existe une relation « d’intelligence », une réactivité incessante entre  les divers éléments constitutifs de notre ADN. Cette intelligence de nos cellules expliquerait  notre capacité à évoluer sans cesse. À nous d’apprendre à écouter et utiliser nos ressources internes, aussi différentes et capables de re-créations à chaque instant. Ainsi il n’y aurait pas de déterminisme à la maladie, pas plus qu’au vieillissement, pourtant inéluctable.

Pour apprendre à mieux entrer en fusion harmonieuse avec notre corps, Deepak Chopra s’est longtemps appuyé sur la Méditation transcendantale, avant de s’éloigner du mouvement MT et de fonder sa propre clinique. Mais au-delà de ces cheminements non  dépourvus de mercantilisme, le message  de l’ouvrage, par ailleurs  peu facile à intégrer à la lecture,   est d’abord de nous inciter à prendre nos santés en main, à travers une sagesse pragmatique  qui ne rejette nullement le recours aux médecines traditionnelles. Il nous enjoint  cependant à exercer une meilleure écoute de ce que nous sommes, à la fois comme conscience individuelle et comme particule d’un tout cosmique. Les outils pour y parvenir passent par la méditation personnelle toujours, mais aussi par l’empathie avec la Nature, le développement d’une spiritualité fondée sur l’harmonie. Deepak Chopra est persuadé que la science et la spiritualité se rejoignent et se complètent pour nous permettrent de mieux comprendre l’intelligence  subtile qui régit le fonctionnement de toutes nos cellules, de nos pensées, de nos moindres réactions, à l’échelle la plus infime de notre corps. Il appartient donc à chacun d’entre nous de découvrir sa voie personnelle pour développer au mieux cette paix intérieure que nous recherchons tous plus ou moins consciemment. 

 

 

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Le corps quantique

Dr Deepak Chopra

J’ai lu (Aventure secrète)  2009

ISBN : 978-2-290-01332-8

09/09/2015

Var à pied

 

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Un des principaux attraits de la randonnée pédestre réside dans le plaisir de la découverte. Le marcheur est patient, curieux et en principe discret. Non loin de la confluence du Cauron et de l’Argens, qui diffuse la cantate cristalline des eaux mêlées, on pénètre avec respect au cœur des collines du Var.

La nature se dévoile dans la lumière de cette fin d’été, soleil et ombres alternent avec douceur. C’est le temps de l’alliance de l’homme et de la nature, les vendanges sont en cours, mais même la présence de l’homme se veut mesurée. Au carrefour des  bois et des vignes, elle semble nous attendre pour nous inciter à lever le nez.  De la terre au ciel, de nos pas vers nos pensées, l’artiste secret nous invite par surprise .

 

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Une signature énigmatique en bas de cette œuvre  disposée au creux d’un chemin que ne peuvent fréquenter que machines agricoles et piétons-musardiers.

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Cette balade entre Bras et Saint Maximin révèle ainsi d’autres surprises : Un  Christ accueillant de rares visiteurs devant une chapelle restaurée par  Pierrot et son fils , derniers tailleurs de pierre du village de Bras. Pas moins d’un an de travail à allure forcée raconte-t-il avec fierté quand il nous présente le bâtiment qu’un mécène  lui a demandé de sauver. Cette chapelle d’origine templière probable n’est accessible qu’à quelques privilégiés en temps normal, mais elle recèle encore quelques trésors dans son écrin de pierres brutes.

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07/09/2015

l'Homme de Leucade

La littérature n’a pas d’âge, les œuvres peuvent sombrer comme  leurs auteurs, et réapparaître miraculeusement par divers truchements. Le livre qui m’a réjoui quelques soirées est sorti des rayonnages où il sommeillait depuis quelques décennies  grâce à une conversation inopinée que j’ai tenu au printemps dernier avec une de mes sœurs. Nous parlions désert et peintures rupestres, objet des attentions d’un certain Étienne auquel je concoctais un sort peu enviable. Tout à coup, ma soeurette entreprit une recherche dans sa bibliothèque. Elle possède une bonne mémoire car en très peu de temps, elle réussit à  extraire des rayonnages un ouvrage aux pages jaunies, exhalant cette odeur très particulière de papier vieilli. Il s’agissait de l’Homme de Leucade, d’un certain Hammond Innes.   Je confesse que ni l’auteur ni le titre n’étaient porteurs d’évocation en ce qui me concerne. Mais la mémoire de mon aînée avait conservé le plaisir de sa lecture d’alors,  le charme des  aventures maritimes pimentées du mystère des civilisations perdues. Loin, très loin des lectures d’actualité, me voici donc partant en archéo-lecture sur les traces d’un plaisir ancien. 

Hammond Innes (1913-1998) était  un auteur britannique d’origine écossaise, amoureux de la mer et des espaces vierges et dangereux. Homme d’aventures lui-même, il s’est inspiré de son expérience militaire durant la seconde guerre mondiale et de ses  voyages pour créer des personnages ordinaires confrontés malgré eux à des situations retorses, la localisation des intrigues ajoutant au suspens.

Le narrateur de l’Homme de Leucade est un jeune homme déjà en position délicate cependant, quand s’ouvre le roman. Nous ignorons pourquoi, mais il semble aux abois quand il s’introduit dans  la maison de son père en son absence. Il a besoin de discrétion et d’argent. Malheureusement, dans cette situation, la recherche de solutions à ces deux problèmes engendre justement d’autres dangers. Pour fuir ses dilemmes, il choisit de remplir une mission délictueuse, non sans s’être d’abord offert le luxe de refuser de venir en aide à ce père qu’il déteste, alors que des amis de celui-ci lui ont exposé leur  grande inquiétude concernant ce savant archéologue, âgé et peut-être en perte de moyens.

Embarqué sur un voilier appartenant à un couple d’aventuriers anglais manifestement peu regardant sur les législations, Paul van der Voort s’apprête donc à recueillir et convoyer quelques pièces de contrebande sorties illégalement de Turquie. Une inspiration le mène à céder aux divers messages reçus concernant la disparition de ce père pourtant haï. Soupçonné de communisme,   Pieter van der Voort est maintes fois décrit comme un savant fantasque, misanthrope, capable de fausser les présentations de ses recherches pour faire admettre ses intuitions… Bref, reconnu pour sa passion, il semble aussi considéré comme peu fiable. Bien entendu, cette convergence d’opinions contradictoires excite la curiosité de son fils Paul. Le jeune homme décide de prendre quelques jours pour tenter de retrouver son paternel et il débarque sur les différentes îles de la mer Égée, sur les traces des fouilles menées successivement par le savant.  C’est alors que commencent d’autres soucis, principalement en la personne du commissaire Kotiadis, policier détaché d’Athènes, et dont l’intérêt pour Pieter Van der Voort est manifestement soutenu par une défiance sans pareille.

 S’il n’était aussi daté,   par le traitement  unipolaire de la guerre froide notamment, ce roman pourrait parfaitement rester rangé dans les rayonnages destinés aux adolescents. Mais je doute que nos jeunes soient aujourd’hui sensibles à ce spectre du communisme noyautant les milieux scientifiques afin de s’octroyer le prestige de découvertes concernant les débuts de l’humanité. Au regard des créations actuelles, cinéma, séries ou livres, le traitement de l’intrigue peut sembler gentillet, ce qui date aussi le roman. Mais la surprise tient à un certain décalage : les recherches archéologiques en Grèce ne concernent pas l’Antiquité, mais une période bien antérieure, et c’est plausible. Cet homme de Leucade est retombé dans l’oubli, les strates nouvelles de la profusion éditoriale  ont recouvert  Hammond Innes d’une poussière cristallisée par quatre décennies. Mais qui sait si un jour, quelque archéologue des temps futurs n’exhumera-t-il pas cet ouvrage représentant un  genre perdu d’œuvres fictionnelles ? 

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L’homme de Leucade

Hammond Innes

Albin Michel 1972

19/07/2015

L'art d'apaiser son enfant

Voilà un ouvrage pratique,   d’accès facile, simple à consulter au gré de chapitres aux titres très clairs. Lise Bartoli, psychologue clinicienne, propose  dans cet opus un moyen de comprendre et de dépasser les inévitables phases de troubles qui se manifestent au cours de la petite enfance. Loin de se contenter d’établir des recettes comme des réponses toutes faites, Lise Bartoli prend soin d’exposer non seulement les archétypes de problèmes, mais aussi et surtout une méthode originale de dialogues établis avec les enfants qu’elle reçoit en consultation. Fondant sa pratique sur la visualisation mentale de leurs ressources, elle tend à ses jeunes patients un miroir de leur inconscient, avec des mots simples, induisant dès leur plus jeune âge l’idée qu’ils ont des forces intérieures.

La méthode ne paraîtra pas forcément révolutionnaire, mais elle permet aux parents de  dédramatiser en rappelant  comment nos psychismes enfantins fonctionnent. Armé d’un schéma mental, l’enfant peut dépasser les questionnements  qui le troublent. L’idée qu’il existe en chacun de nous « une-partie-qui-sait-tout » , l’inconscient, l’ aide à  s’exprimer et à libérer les angoisses qui surgissent. Avec humour et fantaisie, Lise Bartoli a imaginé des exercices de visualisation et des contes simples qui permettent de transposer problèmes et résolutions.

Problèmes de sommeil, de stress, de timidité, épreuves de deuils, de séparation, ou peur du noir constituent des archétypes qui prennent des formes variées selon les cultures familiales et les antécédents du vécu des parents, Lise Bartoli n’entend pas tout résoudre. Elle propose une approche et emblématique éclairante.

Sans fermer son propos sur les seuls cas énoncés, elle montre aussi aux parents comment ils peuvent intervenir au quotidien,   dans une relation détendue et confiante avec leurs enfants. Ce livre très pratique peut rester longtemps à portée de chevet des jeunes parents, et peut-être évitera-t-il à nombre d’entre vous des nuits nomades entre votre chambre et celle de vos chérubins.

 

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L’art d’apaiser son enfant

Pour qu’il retrouve force et confiance en lui

Lise Bartoli

Payot (2010)

ISBN : 978-2-228-90581-7

À ceux qui souhaitent connaître davantage Lise Bartoli: http://www.lisebartoli.com/

18/07/2015

Danser les ombres

Laurent Gaudé n’a pas son pareil pour animer le mariage de la Vie et de la Mort. De son écriture sensible et pudique, il mène comme jamais le bal des ombres… Mais n’anticipons pas.  Danser les ombres est d’abord une ode à la vie, cette fois sur les trottoirs d’Haïti, île sacrifiée aux fureurs infernales, décor initiatique d’un drame imminent.

Depuis  la mort du Roi Tsongor, en 2002 ou encore la Porte des Enfers, en  2008, l’auteur nous a habitués à l’intrication des deux mondes,   et son univers englobe naturellement la tragédie au  sein du quotidien des humbles.  Quittant les rivages méditerranéens, il a établi son théâtre en Haïti, où  Lucine, jeune marchande ambulante  soumise à sa misère, reçoit un présage de mort, désignée publiquement à la fatalité par un Lansetkod, sorte de messager vaudou des catastrophes à venir. Ainsi sont posées les passerelles avec l’au-delà.   Et Lucine doit faire face au décès brutal de sa jeune sœur, qui lui laisse deux orphelins sur les bras.

Contre les fléaux de la misère, les Haïtiens se serrent les coudes. Avec l’intention de convaincre  le père des enfants orphelins d’apporter de  l’aide, Lucine retourne à Port-Au-Prince, où elle a vécu jadis en tant qu’étudiante. Là, elle avait milité pour le droit des femmes, là, il lui semblait que le destin pouvait être maîtrisé. Mais dans la violence de la dictature, elle avait perdu illusions et amis. Cette mission de sollicitation lui offre la tentation de renouer avec ses rêves passés. Par hasard, Lucine rencontre Saul et le Vieux Tess, autour d’une ancienne maison de tolérance  où se retrouvent les membres d’une communauté d’anciens résistants aux sinistres tontons macoutes de  Papa Doc. Entre deux parties de dominos,   elle est témoin  que les défaites peuvent générer des victoires, que l’appel à la Vie succède à la torture et à la peur.

Jusqu’à ce jour-là…Hier comme aujourd’hui, le soleil doucement commençait à décliner et la chaleur était moins forte.

Personne n’avait remarqué que les oiseaux s’étaient tus, que les poules, inquiètes, s’étaient figées de peur. Personne n’avait remarqué que le monde animal tendait l’oreille, tandis que les hommes, eux, continuaient à vivre.

Mais d’un coup, sans que rien ne l’annonce, d’un coup, la terre, subitement, refusa d’être terre, immobile, et se mit à bouger…

Durant trente-cinq secondes  qui sont trente-cinq années…

… À danser, la terre…

… À trembler. (Page 128)

 

Survivre à la catastrophe, se demander si l’on est encore vivant, tenter de se repérer dans un monde de décombres d’où tous les repères ont disparu, chercher ses proches, ses amis, sa famille au milieu de fantômes épars aussi déboussolés que vous. Laurent Gaudé traduit avec finesse et intuition les premiers instants d’après,   au long de pages émouvantes qui serrent la gorge. Puis viennent les premiers doutes, les premières étrangetés. Qui est là, qui aide, qui a peur maintenant ? Qui cherche,   qui trouve sa proie, son amour, son double ? La terre s’est ouverte, elle a libéré les Ombres, elle ne veut pas encore avaler ceux qui lui sont dus.

(Page 221) : Et Boutra reste silencieux. Quelque chose lui dit que son ami a raison. La joie, l’amitié, le rhum chez Fessou, les discussions à n’en plus finir, ils ne connaîtront plus rien de  tout cela tant que les morts, le passé, le passé, toute l’histoire du pays s’échappera ainsi de chaque fissure, de chaque crevasse, et dansera dans la nuit sur la musique des vivants.

 

La dernière partie du roman prend un tour totalement surréaliste que n’aurait pas renié le Cocteau  du testament d’Orphée. La danse des ombres est proprement hallucinante.

(Page 235): Au carrefour de Macouly et Dame-Marie, le Vieux Tess commence à semer les morts et la première à s’égarer est la petite Lily, là, au pied du manguier du jardin, comme elle l’avait souhaité, au milieu de femmes et d’hommes qui toussent, se lamentent, cherchent un peu de repos, sourient d’un peu d’eau offerte ou d’une caresse pour éponger le front. Elle était morte là, son corps épuisé d’avoir tenu si longtemps, et le Vieux Tess savait bien qu’elle serait la première. »Il faut danser les morts, » murmure-t-il. Il fait maintenant des pas de côté, allant à reculons, accélérant d’un coup. « Les morts doivent être semés sur le chemin et ne plus jamais savoir comment revenir dans le monde des vivants. »

Et tandis que le lecteur tremble en suivant le cortège, frémit à chaque fatigue des danseurs, redoute par-dessus tout que les mains se délient, La Vie et la Mort se partagent les marcheurs.

Le jour va se lever et la colonne menée par Dame Petite s’arrêtera bientôt sur les bords de la route, éparpillée et exsangue, comptant ceux qui ne sont plus là, faisant repasser en esprit les images de cette nuit de déchirure. (Page 242)

Seuls après le Chaos resteront ceux qui doivent payer encore leur tribut à l’Histoire, pour que les deuils referment enfin leurs plaies béantes,   et que les ombres dorment en paix.

Je ne tiendrais certes pas cet ouvrage pour une lecture de plage, mais si vous  pouvez profiter d’un abri calme et —je l’ose — ombragé, ce roman inspiré pourrait bien vous accompagner longtemps après la dernière page.

Laurent gaudé, danser les ombres, tragédie Haïti, roman français, littérature contemporaine

Danser les ombres

Laurent Gaudé

Actes Sud (Janvier 2015)

 

 

 

 

17/07/2015

Prends garde

Ne cherchez pas, amis lecteurs, de quatrième de couverture pour vous guider, ce curieux ouvrage possède deux entrées, indépendantes, tête- bêche pourrait-on dire. L’idée est intéressante en effet, à partir d’un même fait réel, les deux auteures italiennes nous livrent deux versions de l’histoire.  Et quelle histoire ! Rien de moins que le massacre d’une fratrie de  quatre vieilles femmes, les sœurs Porro, dans une bourgade des Pouilles au cours d’émeutes du printemps 1946.

 Bien que mon choix vers ce récit m’ait été soufflé par une lecture partagée au café- lecture du Mal de Pierres de Milena Agus,   j’ai  choisi de commencer par la face Luciana Castellina. Une motivation toute rationnelle, puisque cette journaliste passionnée d’histoire et de politique relate ces quelques semaines du printemps 1946 en accordant attention au contexte particulier  de l’après-guerre dans le Sud de la presqu’île italienne. Circonstances totalement méconnues par la grande majorité des Français, on peut parier que bon nombre de compatriotes habitant la partie nord de l’Italie ont oublié cet épisode tragique, fondé sur la misère et l’inadéquation d’une société  abandonnée entre deux mondes. La guerre est passée par les Pouilles, renforçant la pauvreté du peuple et aggravant les disparités entre ouvriers, chômeurs endémiques, et les castes de notables, accrochées à l’Ancien Régime, souvent grands bénéficiaires de la période fasciste. Luciana Castellina, qui a œuvré au sein du PC, connaît bien son sujet. Elle développe conditions de vie des uns et des autres, les sœurs Porro ayant le malheur de cristalliser  le mode de vie obsolète des héritiers nantis. Quant au contexte politique, entre rancunes exacerbées par les années Mussolini et peur de voir ressurgir le fantôme d’une monarchie vaine, les haines s’attisent dans le chaudron des idées progressistes. Le débarquement inopiné de Victor Emmanuel III dans son palais de Brindisi met le feu aux poudres. Sa légitimité largement contestée par les faits écoulés, ce prétendant à la Restauration n’a plus d’autorité. Au milieu des troubles de l’époque, l’épisode de l’assassinat de deux des malheureuses vieilles filles quasi recluses dans leur maison d’Andria a été très peu commenté. Quelques entrefilets dans les journaux locaux, vite relégués aux oubliettes par une actualité générale brûlante. Alors Luciana Castellina essaie de dresser un tableau du possible et du vraisemblable, soulignant la part de malchance et de coïncidences qui n’excluent pas une vengeance opportuniste. Elle mène cet essai rapide avec une précision très convaincante,   se gardant de jugements moraux concernant les victimes et les bourreaux, de sorte qu’il m’a fallu un temps d’adaptation pour entrer en empathie avec l’autre face du bouquin.

 

Mais finalement, ce second volet livre à sa manière un témoignage intéressant sur la mentalité d’une époque. Et c’est là aussi que l’on peut mesurer la force du regard littéraire. Comme dans le Mal de Pierres cité plus haut, Milena Agus travaille ses personnages au ras de leur âme. Ce ne sont pas les destins grandioses qui la motivent, ce sont les ressentis à fleur de quotidien. Aussi prend-t-elle le parti de construire son récit par le biais du témoignage fictif d’une amie des sœurs Porro. Elle dessine  ainsi le portrait en creux de sa narratrice,   attachée à visiter ces quasi recluses, confites en religiosité aveugle, ayant réglé leurs vies sur des règles issues de la Vie des Saints. À petites touches, elle décrit cet univers totalement coupé de la réalité, inconscientes jusqu’au bout des drames qui se jouent sur la place que leur Palais domine.  Milena Agus n’en fait pas des monstres, elle les montre dans la lumière feutrée d’une maison fermée, occupées modestement entre dévotions et ouvrages de coutures, appliquées à se comporter aux portes de la vieillesse comme si elles étaient encore les petites filles modèles obéissant aux règles paternelles. De nos jours, on les moquerait d’être ainsi « à côté de la plaque », mais dans les circonstances tragiques que subit la population de leur bourgade, elles sont provocatrices.  Leur innocence même du Mal  Social devient insupportable. À son tour,   Milena Agus se garde de jugement, soulignant aussi la difficulté d’une opinion à propos  de faits  si longtemps occultés.   Au terme du témoignage de sa narratrice, que la dureté de l’histoire pousse à la solidarité envers les femmes miséreuses qui survivent dans des caves nauséabondes, l’auteure souligne combien les épreuves n’éclairent que nos seuils personnels : Ses pensées voguaient du paquet de grenouilles gentiment offert au paquet rassemblant les reliques ensanglantées de Luisa et Carolina, qu’on avait restituées à leurs sœurs.

Une fois, elle demanda à l’une de ces malheureuses : « Et d’après vous, qui a tiré du palais Porro ?

— Ce sont les Porro qui ont tiré, bien sûr !

— cela ne vous fait pas de peine, qu’on les ait tuées comme ça ?

— On ne pourrait pas vivre, si on avait de la peine pour tout le monde, il n’y a que les saints pour faire ça ! (Pages 88-89)

Mais en conclusion, l’écrivaine tempère cet effet de la  misère et elle ouvre au contraire  un débat qui menace la paix de notre sommeil :

« Le monde est ainsi fait, disaient les Porro avec un léger geste des bras et un petit haussement d’épaules. Que pouvons-nous y faire ? » Cette attitude qui l’avait toujours mise hors d’elle.

Pourtant, elles avaient raison : le monde est ainsi fait, et rien ne change jamais vraiment, ce sont seulement les rôles qui s’échangent. ( Page 90)

 

 

Prends garde, Milena Agus, Luciana Castellina, histoire des pouilles, italie, déterminisme historique

Prends garde

Milena Agus     (Traduction Marianne Faurobert)

Luciana Castellina (Traduction Marguerite Pozzoli)

Édition : Liana Levi (2015)

ISBN : 978-2-86746-752-3