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22/03/2014

Viviane Élisabeth Fauville

À l’ouverture d’un livre, rien ne peut séduire davantage que le sentiment  de s’y retrouver, de reprendre, par les mots de l’auteur, le fil d’une conversation personnelle, avec la simplicité et l’aisance d’une relation amicale. Dès lors, l’écriture de Julia Deck prend le lecteur par la main et l’invite à …entrer dans la tête de son héroïne. Et oui, elle est maligne,   cette jeune écrivaine qui a  publié en 2012 son premier livre.  Mais à l’inverse du procédé inventé dans les années 60-70 par les écrivains du « nouveau roman », Julia Deck  ne se cantonne pas dans une structure définie. À mesure qu’évoluent son personnage et les éléments de l’intrigue,   le rapport auteur- personnage- lecteur se modifie : du voussoiement initial qui établit une distance, la narration emprunte successivement un glissement subtil à la première puis à la troisième personne, sans rompre pour autant le réseau empathique qui oblige le lecteur à s’inquiéter des manœuvres de Viviane Élisabeth. À quel moment devient-elle surtout Élisabeth, s’engluant dans un  brouillard intérieur, livrée  fiévreusement à ses démons ?

 

Le roman est à deux doigts de se loger dans la catégorie « polar », ce qui oblige à donner peu d’indices concernant l’intrigue. Cependant, la culpabilité avérée du personnage, la description du crime, les circonstances et l’absence de mobile au sens policier du terme détournent rapidement le suspense. Ce n’est plus la recherche de la coupable, l’habileté des enquêteurs qui intéresse l’auteure. Tout au contraire, le jeu de chat et de souris s’inverse. Là où les enquêteurs multiplient les pistes à la recherche du ou de la coupable plausible, Élisabeth emploie tous ses talents à mettre sa situation en péril. Et l’on frémit de ses maladresses. Tel est le ressort du  fonctionnement de notre intérêt, puisque nous sommes au cœur des raisonnements de la jeune femme.

Reçue chez François Bunel (La Grande Librairie France 5) à la sortie du roman, Julia Deck reconnaissait s’être beaucoup documenté au sujet des pathologies mentales, de manière à mieux cerner le comportement vraisemblable de son personnage. Les Parisiens (ou les expatriés de la capitale) seront bluffés par la précision des trajets en métro, que l’on suit aux couloirs près.  L’écriture est précise et presque sèche comme celle d’un  reportage, alors que nous plongeons directement dans le désarroi de cette jeune femme :

«… Les autres clients s’impatientaient. Ils perdaient du temps alors qu’ils étaient pressés de se rendre à leur travail, et c’est tout de même un monde de ne pas savoir ce qu’on veut dans une croissanterie à 9 h le matin, une dame derrière vous l’a laissé entendre très clairement. Vous l’avez regardée dans l’espoir d’un combat de femmes qui ranimerait votre instinct de survie mais vous ne l’avez pas vue, il n’y avait dans vos yeux que du carrelage. » ( Page 48)

Le  glissement mental de Viviane se traduit justement très judicieusement par le passage du vous au elle quand la tournure des événements déséquilibre sa propre construction. «  Tout cela suppose des choix. Une infinité de microdécisions dont chacune présente des implications supérieures. Vous n’êtes pas en mesure de faire des choix. Vous êtes l’esclave de la nécessité, c’est une position qui vous convient très bien, vous n’en avez jamais réclamé d’autres.

En face se présente un modeste square où l’on aère les enfants pauvres et les revendeurs de toxiques. Vous poussez la grille, prenez place sur un banc au soleil et, sortant les chaussons de leur sac, vous y glissez les mains. Elles s’y réchauffent tranquillement. »  (Page 46) 

Évidemment, les enquêteurs, pas si stupides, sont intrigués par quelques incohérences immédiatement décelables, et voilà notre jeune mère de famille convoquée pour la seconde fois dans les locaux de la police :

« Viviane observe attentivement les traits du commissaire, les paupières lourdes, la bouche lippue, le menton double et les plis de concentration qui architecturent l’ensemble. Elle juge qu’il n’y croit pas.

Je n’ai pas tué le docteur, soupire-t-elle. Je ne vais tout de même pas l’inventer. J’étais chez moi avec ma fille, je n’ai pas tué le commissaire.

Vous voulez dire le docteur.

Je veux dire le docteur.

Pourquoi avez-vous suggéré d’appeler votre mère ?

Je ne sais pas, c’est venu tout seul. C’est ce que le docteur m’a appris, à parler sans réfléchir. » (Page 61)

Aperçu du  ton d’humour subtil qui  confère à ce court roman une vivacité soutenue par des rebondissements évidemment inattendus. Je me réjouis d’autant plus que Julia Deck est l’invitée du prochain café-lecture de ma petite ville, et que je ne manquerais cette rencontre pour rien au monde !

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 Viviane Élisabeth Fauville

 

Julia Deck

Les Éditions de Minuit (septembre 2012)

ISBN : 978-2-7073-2240-1

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