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04/12/2011

Nuées …

      Prises sur le vif, ces quelques photos de la barrière nuageuse qui vient brutalement nous voler la vue sur  la Sainte Baume. La journée a été radieuse grâce au vent qui s'est levé dans la matinée… Chaque souffle du Mistral rafraîchit l'atmosphère,   mais nettoie nos horizons et restitue la lumière qui nous a manquée.  

       À l’approche du crépuscule, la luminosité se ternit progressivement. En ce  début décembre, le jour décroît de plus en plus vite, mais rien n’annonce le phénomène. Je ne sais pourquoi mon regard se lève vers l’ouest et se heurte à cette énorme fermeture de notre champ visuel.

Coucher du soleil en deuil, un crêpe épais comme un voile de veuvage a mangé la Sainte Baume. Quel présage les anciens y auraient-ils vu ?

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03/12/2011

Le solitaire du jardin désert…

 

Fanchette en visite chez mes enfants, je n'étais pas alors familière de cette banlieue sud-ouest, accrochée à ses coteaux plus abrupts que nos collines provençales.  En ce vendredi d’octobre, quand le refus de sieste de  Mathis m’est apparu définitif, j’ai pris le parti de nous offrir une exploration  au cœur de la cité  aussi pentue que cossue. Les promenades de début d’après-midi sont agréables, les rues sont désertes et  silencieuses. Nez au doux soleil de ce vendredi d’octobre,    nous nous sommes aventurés aux abords du Parc de Saint Cloud,    charmés de nos découvertes, que Mathis commente de quelques modulations sibyllines et mélodieuses.  Des rues aux trottoirs inégaux et au dessin tortueux  recèlent des villas somptueuses cachées  derrière des grilles impressionnantes qui délimitent autant de jardins luxuriants.  Dans la même rue parallèle aux limites du Parc, trois plaques ornent les entrées de trois maisons contiguës : ici vécurent Yéhudi Menhuin, Boris Vian, et Jean Rostand. Pas moins : un musicien magicien, un savant biologiste, un touche-à-tout de génie qui fit rêver sa grand-mère,   si Mathis imite ses glorieux prédécesseurs, son avenir sera brillant. Modeste, mon petit-fils opine dans sa poussette.

 

 Pour varier les plaisirs, nous nous engageons ensuite dans la  descente en pente vive depuis ces hauteurs, la rue Gambetta offre une piste qui plairait aux skieurs sur macadam !

À mi-parcours, je découvre à gauche la maison des Jardies, où vécut et mourut Léon Gambetta. Superbe maison blanche, à l’aspect sobre et retenu, comme il sied à l’image du grand homme. En face, quelques pas plus bas s’ouvre un chemin fermé par un portillon. Au milieu de bambous et de rosiers, nous descendons vers  un plan d’eau, avant d’aboutir à l’aire de jeux…

 

 

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Il est encore tôt,   les autres nounous veillent au sommeil de leurs nourrissons, et le jardin s’offre tout à nous. Mathis profite à loisir du toboggan et des installations ludiques. Mais il est encore petit et se lasse un tantinet. Pour faire diversion, je l’emmène jusqu’au plan d’eau en contrebas.

 

Sèvres, Mathis, jardin de ville, héron

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Tout à coup, nous sortons du monde réel. L’endroit est idyllique. Il règne ici un calme inouï, alors que la ville n’est qu’à deux pas derrière le mur. Mais cette roselière aménagée par un paysagiste  inspiré  me ravit. Nous sommes entrés dans une dimension féerique, baignant dans la magie de l’automne … 

 

Au détour d’un bosquet de roseaux,   je réalise que nous ne sommes pas seuls. Au bout de la rivière  aménagée, dans cet îlot de nature reconstituée, l’hôte du jardin nous regarde venir à lui.

 

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Mathis est toujours assis dans sa poussette, et semble pour le moment indifférent. Il n’a pas repéré l’échassier qui nous observe avec une attention inquiète. Aussi surprise que lui sans doute par cette apparition, je m’efforce de ne plus bouger, essayant d’attirer discrètement son attention par des gestes lents et discrets.  Au bout d’un moment, comme le héron ne bouge pas, je reprends notre progression le long de l’allée. Notre hôte se tient toujours immobile, et cette fois, Mathis l’a bien  repéré sous les frondaisons du saule.

 

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Un moment d’observation réciproque se prolonge ; Mathis reste très calme, il pointe juste son petit doigt vers notre nouvel ami, en geste d’amitié qui ne semble pas intimider outre mesure l’échassier :

 

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Puis comme à regret, l’oiseau prend à nouveau ses distances. Lentement, il contourne la pelouse et gagne la roselière. Je ne peux accélérer notre avancée, de peur de l’effrayer. Au pied des gigantesques plantes aquatiques, il nous attend encore l’espace d’un instant, comme pour un adieu silencieux.

 

 

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Puis il disparaît si vite que le temps d’un battement de cils, la barrière végétale s’est refermée sur notre compagnon, comme un charme envolé.

 

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Notre ami a disparu et le charme s’est rompu. Enchantés néanmoins par cette rencontre, nous sommes retournés le lendemain en famille  dans ce jardin extraordinaire. La petite foule du week-end a alors envahi l’aire de jeux, les allées le long du plan d’eau  accueillent les promeneurs en quête de rêveries aquatiques, des amoureux dans leur bulle. Mais de  notre Héron, pas la moindre trace, pas la plus petite  rémige volant  dans la brise. Notre solitaire s’est évaporé, il nous reste le souvenir d’une  rencontre  insolite, cadeau dans notre besace à souvenirs.

 

 

 


 

 

29/11/2011

Baboum…


 

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C’est ainsi que toutes les prévisions sont déjouées.

Depuis sa naissance, tous les adultes qui se penchent vers l’enfant instillent  inlassablement les mêmes phonèmes : Pa-pa ; Ma-man ; Ma-mie ; Pa-pie, etc…

Chaque famille guette les premiers vagissements, les premiers sons émis, les cris incertains qui ressemblent à ces mots tellement attendus, tellement désirés comme une appropriation du lien, une reconnaissance enfin de tout cet amour dispensé.

 

Notre Mathis n’a pas échappé à nos tentatives.

Comme vous tous, fidèles souris- lectrices qui vous reconnaissez dans mes anecdotes, nous nous sommes extasiés aux ba-da- ga, plus ou moins distinctement articulés que produit notre bambin maison. Depuis l’été dernier, Mathis semble organiser de mieux en mieux son discours, mère et grand-mère s’exclament à tour de rôle :

— Mais si j’ai bien entendu, il prononce  va

— Cette fois,   je t’assure, il a émis un di  qui pourrait bien signifier doudie ;

Ce qui est certain en revanche, c’est l’apparition de la dénégation. Le balancement de la tête de droite à gauche ou de gauche à droite est très clair, surtout s’il s’accompagne  d’un nananan tout à fait explicite quand de surcroît le mouvement de tête renvoie la cuillerée de purée à sa fonction décorative.

En octobre, nous en étions à des parfaitement affirmatifs, nous enjoignant de nous poser où le désirait notre lutin en quête de câlin. Pour rester honnête,   pouvait également traduire le  titre du livre à lire, la voiture à pousser, le manteau à enlever, en un mot  toute une palette de nuances appropriées aux activités.

Au moins, nous étions unanimement ravis du pouvoir communicatif de ce claironné.

 

Un beau matin, Mathis a décidé de surprendre son monde.

D’un geste décidé, il a jeté un premier joujou par terre et regardant ses parents avec provocation, il leur a lancé cette exclamation péremptoire :

  Baboum !

Et comme Seb et Audrey restaient perplexes, le petit bonhomme a réédité son exploit, soulignant  de nouveau le jet de jouet de la même proclamation :

Baboum ! Baboum !

 Philosophes, Papa et Maman attendront encore un tantinet les mots magiques qui les identifient. Mathis a choisi  à sa guise sa manière d’entrer dans le langage.

 

10/11/2011

Décrue

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Une semaine de tempête sur nos têtes.

Une semaine de pluie et de  vent,   bourrasques et orages, nous n’en demandions pas tant pour accepter la ronde des saisons.

Une longue semaine grise et humide, un ciel de plomb pour tout horizon.

Et dessous nos pas, la terre enflée.

Habituellement lézardée par l’absence d’eau,   la terre d’ici est  sèche, durcie par le manque, comme un cœur en souffrance.

Au deuxième jour, cette  terre est déjà malade. Elle refuse d’avaler la potion.

-  C’est trop, dit-elle, trop pour moi.  Mon régime est chamboulé, j’ai besoin de m’habituer, de prendre l’humidité à petites goulées, sans me presser.

Au troisième jour, la tourmente redouble.  Obstinément, de son réservoir percé, l’eau se déverse sans cesse sur le sol saturé.

 Sous  les torrents improvisés, les chemins se perdent. La pente des sentes accentue l’ardeur du flot, la terre  diluée dévale, chargée de pierrailles, comme si la colline décidait de couler vers la plaine.

En bas, les champs disparaissent à leur tour. Plus de racines, plus de vignes,   plus de  limites entre routes et fossés, un vaste lac s’étale.

 

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On pense à Noé.

Des histoires de naufragés remontent, on imagine la colline émergeant lentement des rives d’une mer primitive,   ponctuée d’oiseaux abasourdis ébouriffant leurs plumes aux rivages boueux… L’homme  des crêtes se terre en attendant l’éclaircie.

Ceux du bas sont moins heureux.  Eux n’ont plus d’abri. L’eau s’est invité dans leurs demeures, leurs chambres et leurs salons. Mais elle n’arrive pas claire comme la pluie. La crue qui envahit les maisons s’est gorgée de boue, de pierres,   de poussières. L’onde pure s’est ruée en fange hostile, bourbier glacé qui anéantit tant d’efforts passés, tant de rêves  chèrement réalisés.

 

Enfin, le ciel a épuisé ses réserves ;  lentement, la pluie a reflué.

Sous la lumière engourdie d’une aube renouvelée, la pluie a  fini par cesser.

Un soleil  jouvenceau balaie les nuages, sa clarté timide se penche sur  les marécages. 

Les pieds dans l’eau encore, mais la tête au soleil, les ceps de vigne attendent des jours meilleurs.  Les routes de la plaine retrouvent le tracé du macadam, la terre déglutit les dernières gorgées de  sa tisane  automnale.

 

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Demain, il faudra nettoyer.  Demain il suffira d’ébrouer les résidus de boue,   de balayer les amas de vase, de repousser le limon dans  le lit  des rivières… Demain, le soleil luira sur les terres de Provence  rendues à leur vraie Nature.

 

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05/11/2011

Déluge et petit peuple…

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C'est vrai qu'ici c'est le déluge…

Depuis dix ans que je suis installée sur ce bout de colline, je n'avais jamais affronté une telle douche céleste…

Bourrasques et trombes d'eau depuis trois jours pleins, les chemins n'y résistent pas, les vignes de la plaine sont ennoyées, la piscine déborde régulièrement, …et nous affrontons vaille que vaille les mille et une malices du vilain  lutin de la maison : plomberie défaillante, velux fuyant, séjour ruisselant…Et chauffage lymphatique jusqu'à l'éclipse. Cette semaine restera marquée par les pannes en chaîne… À tel point que GéO ne s'énerve même plus…

 

Il en est deux toutefois qui  apprécient la situation… 

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26/10/2011

l'alpiniste

 

 

C’était elle qui avait pris le cliché.

Pourquoi a –telle éprouvé le besoin de le sortir de l’album ce matin ?

Lucie caresse la photo d’un doigt tremblant.

- Heureusement qu’à l’époque, on prenait encore des photo papier, soupire-t-elle.

Par la fenêtre, elle voit la masse formidable  du Massif, et la face grise de l’Aiguille de la Vanoise. Sur la photo qui tremble entre ses doigts, l’angle de vue est exactement le même :  en face de l’aplomb d’une centaine de mètres qui ouvre les «affaires sérieuses » de la course. À partir de ce point-là, on est sur une pente à soixante pour cent, l’encordage est obligatoire…

Malgré la clarté ensoleillée de la matinée, elle sait bien qu’on ne peut pas encore distinguer les grimpeurs,  même depuis la terrasse  du Fontanette, le restaurant d’altitude où elle  vit et travaille. Mentalement, elle rejoint la cordée qui va « faire »l’Aiguille aujourd’hui. Il leur faudra encore deux bonnes heures pour arriver exactement en face de la fenêtre, d’où le cliché qu’elle tient dans les mains a été pris, il y a quinze ans, déjà.

Lucie frissonne malgré elle et se penche par –dessus le dossier du fauteuil qu’elle a poussé devant la fenêtre. Elle ne peut s’empêcher de vérifier encore une fois que la vue  depuis le siège est bien conforme. Elle s’en veut de se sentir si fébrile, alors qu’elle sait pertinemment qu’il n’y a rien à craindre, cette fois.

Son frère Marc est  un guide expérimenté. Savoyard pure souche, il  pratique la montagne depuis toujours. L’hiver en ski, dès la belle saison,  il ne pense plus que piolet, cordage, spits. Aussi,  s’il a décidé d’emmener Martin, son neveu, c’est qu’il sait que c’est le bon moment. Le temps est clair depuis au moins trois jours maintenant, et les prévisions météo franchement bonnes. Lucie ne doute pas que Martin, son fils de quinze ans, est maintenant fin prêt pour réaliser enfin cette course. Depuis des mois, la perspective de s’affronter à « la Petite Pasquier » l’a motivé à un entraînement drastique. Malgré ses craintes, légitimes, Lucie n’a pu que s’incliner.  La « Petite Pasquier » représente  une voie mythique pour  les  montagnards du massif de la Vanoise !

 

Cette première de Martin soulève des vagues d’émotions. Lucie  se souvient combien elle-même  et son frère Marc ont rêvé du jour où ils seraient enfin jugés dignes de s’attaquer à cette voie, un beau dénivelé de  350 mètres,  raide et athlétique contre une roche dure.

Techniquement, c’est l’épreuve initiatique  avec son dosage de passages difficiles, de pans escarpés et ombragés, froid comme une face Nord, avec un surplomb court mais délicat à mi-course, elle s’en souvient parfaitement, même si elle n’a plus jamais eu l’opportunité de s’y confronter depuis la naissance de Martin.

À nouveau, ses yeux reviennent à la photo ancienne. Elle sourit à l’évocation des circonstances de la prise de vue.  Elle venait de s’offrir alors un nouvel appareil photo, un Canon à focales variables,  grand angle, macro, zoom  avec un grossissement par sept , déjà énorme,  corrigé par un stabilisateur, du vrai matériel de pro… « Les marmottes de la Vanoise  auraient la vedette », on l’avait assez plaisanté sur sa  marotte photographique. Elle mourait d’envie de l’utiliser.  Et puisque sa maternité nouvelle l’empêchait de grimper, elle pouvait s’accaparer le massif par le biais de l’objectif…

En cette fin de printemps,   Marc et Philippe avaient décidé de s’offrir  en duo « la Petite Pasquier ,   en guise d’échauffement, avant l’arrivée des premiers clients… Toujours complices ces deux-là, même quand ils affectaient d’être rivaux. Philippe avait quand même l’avantage d’être, l’aîné des deux, et mettait volontiers en avant son expérience. Il n’hésitait jamais à rappeler qu’il connaissait mieux que Marc la plupart des sommets alpins mais aussi certaines pentes fameuses des Andes péruviennes, sans compter les deux voyages au Népal réalisés grâce à un client aussi original que richissime. Ces bonnes fortunes dataient d’avant son mariage avec Lucie et la naissance de Martin,   mais  Philippe aimait jouer encore de cette aura. Alors, une fois de plus, la dernière, Marc avait laissé le leadership à son ami et beau-frère.

 

 

L’esprit de Lucie est écartelé entre les deux horizons qui s’ouvrent devant ses yeux. Par la fenêtre, la roche grise de l’Aiguille  a perdu ses ombres bleutées du petit matin.  À huit heures, le soleil franchit enfin  la barrière de la Grande Casse,   la lumière devient plus crue, la muraille pierreuse blanchit, les reliefs s’affaissent. Encore une petite heure de marche,   et les grimpeurs du jour auront atteint le mur. Elle devra être en poste, mais elle ne s’affole pas, elle a déjà disposé son matériel à l’angle de la terrasse du restaurant, comme il y a quinze ans…

À quinze ans d’intervalle, elle s’apprête à prendre le même cliché…

Son cœur se serre.

C’est une grave erreur…

Et pourtant, Lucie refuse de s’avouer superstitieuse.

Le cliché est très net. Le fond rocheux de la paroi apparaît dans toute sa rugosité. L’ombre du grimpeur, le contour de son casque projeté sur la pierre accentue la profondeur des champs. Sous l’arrondi du casque, les cheveux châtains de Philippe s’échappent en boucles indisciplinées. À l’époque, malgré ses trente-cinq ans,  il conservait fièrement son allure d’adolescent. Pourtant, il était bel et bien père d’un fils  de six mois, pour lequel il projetait déjà toutes les étapes  de son apprentissage.

Dans  cette position de trois quarts dos, on pressent la vitalité et la hardiesse des gestes, la force de l’homme dans  l’effort. Philippe est collé à la paroi, tendu vers le haut du mur,  il est  relié à son équipier  vingt mètres en dessous  par une corde aussi vitale qu’un cordon ombilical ;  cette corde coule  de sa taille jusqu à sa cuisse. Impossible de voir son visage, mais qui le connaît bien sait qu’il est juste concentré dans l’action.

Voilà, c’était moins de trois minutes avant que le drame n’ arrive.

Ce qu’on ne voit pas sur la photo, c’est le plongeon de l’homme, quelques minutes après.   Pendant qu’elle guettait dans son viseur l’apparition de Marc, avec le décalage dû à la distance de sécurité entre les deux encordés, l’homme de tête avait déjà franchi l’arête bosselée qui limite le surplomb. En prenant pied sur le ressaut  au-dessus du dévers, il était sorti du champ de vision de Lucie, la dièdre inclinant à gauche la roche en un léger repli. C’est souvent la surprise, les plans invisibles que le soleil n’éclaire jamais. La plaque de glace attendait là, en embuscade. Comment un grimpeur aussi expérimenté que Philippe a-t-il pu l’ignorer ?

Longtemps, Marc a retenu le corps de Philippe qui s’est violemment balancé, après une chute de quarante mètres. Son premier réflexe a été d’assurer la prise par deux nouveaux mousquetons hâtivement clipés, mais cramponné à la paroi,  il n’a pu qu’essayer d’amortir le balan, choqué par le silence de son ami…

 

Lucie est froide maintenant.

Regarder la photo, c’est revivre à l’infini ce moment tragique, l’accident  qui a basculé leur vie. En évoquant  les événements de ce matin maudit, ses mains agissent sans qu’elle en ait vraiment conscience. Elle a numérisé la photo,  puis elle a cliqué sur le programme de retouche de son ordinateur. Dire qu’elle sait ce qu’elle prépare, qu’elle suit une idée précise? Non, elle agit comme une somnambule, l’esprit scindé en deux… Sur la même paroi, en ce moment, Marc et  Martin   s’apprêtent à attaquer le mur abrupt,  il leur faudra une bonne heure. Ce n’est qu’à ce moment qu’elle pourra prendre les photos, comme il y a quinze ans, sans émotion, sans penser surtout. Puis viendra le dévers, et le surplomb…

 

Lucie a quitté à regret la chambre, la fenêtre et le fauteuil. Depuis la terrasse du restaurant, les possibilités de cadrage sont plus ouvertes. Quand elle aperçoit enfin les grimpeurs, elle les immortalise longuement, l’un après l’autre, tendus qu’ils sont eux aussi dans leurs efforts. Puis elle change l’objectif du nouvel appareil, élargit le plan, les saisit tous les deux ensemble, ce qui demande du champ.

 Satisfaite, elle rentre enfin et s’active à intégrer les photos nouvelles. Sans réfléchir, elle les copie dans le fichier qu’elle vient d’ouvrir pour numériser le cliché d’autrefois. Ses doigts s’affairent sur le clavier tandis qu’elle suit mentalement les grimpeurs dans les derniers mètres qui les séparent du sommet. Là, ils vont souffler un moment, éperdus d’admiration devant le panorama conquis. Ils se sentiront  à l’égal des dieux créateurs, le temps de reprendre souffle. Puis Marc engagera Martin à boire son lait chocolaté pour recharger les accus, et la descente s’engagera, lente, prudente, presque toute en rappel.

 

 Sans qu’elle se souvienne l’avoir commandé, l’imprimante a craché les pixels reconstitués sur le papier glacé. La nouvelle photo n’est pas aussi nette que l’original, comme toujours avec le matériel informatique, mais le résultat est quand même satisfaisant.

Lucie revient alors vers le fauteuil roulant toujours immobilisé devant la fenêtre. Elle se penche  sur  l’homme  immobile, calé là  depuis si longtemps. Mais le temps n’a plus de prise sur lui.

 Elle porte le cliché modifié devant ses yeux, afin qu’il puisse contempler la scène. Sur le plan élargi, il y a maintenant trois grimpeurs. Martin  au milieu, Marc ferme la cordée… Mais le premier, celui qui guide et ouvre le passage, c’est Philippe,   l’homme d’avant, le fier ouvreur.

- Tu vois mon chéri,  souffle-t-elle en se penchant sur son oreille, toi aussi , tu grimpes avec eux…

 

02/10/2011

Réflexions dominicales…


24°7 ou 25°4 ?
À quel thermomètre se fier avant de confier à l’onde fraîche mes pieds brûlants, mes mollets échauffés… Mon corps tout entier arraché à la torpeur siesteuse de ce dimanche quasi estival ?

Ne vous moquez point ! Je sais que vous jouissez aussi de la quiétude ensoleillée. Je n’ai donc aucune honte à vous confier mon dilemme. GéO, s’appuyant  quant à lui sur les certitudes du bon Dr Coué,   préconise de ne choisir en toutes circonstances que la vérité qui fait plaisir. Il opte pour le compteur optimiste quand j’ai tendance à échafauder une vérité relative tenant pour avérées et certaines les valeurs de l’un et les annonces de l’autre.
En vertu de quoi, j’ai évalué une bonne moyenne à 25° et me suis gourmandée: j’ai bravement lâché mon bouquin et me suis astreinte à quelques dizaines de longueurs. L’exercice est vivifiant, tonique confie GéO quand je le croise au milieu du bassin, et m’insuffle la force de remonter vous conter mes réflexions.


Car il m’arrive de réfléchir… Enfin, soyons honnête… de profiter des réflexions d’autrui.
À l’heure bénie du café, qui chez nous est souvent sieste-lecture, moment sacré de la mi-journée s’il en est, mes yeux ont accroché sur un meuble un petit livre rouge, aussi mince  d’apparence qu’il m’est précieux de contenu.

Rainer Maria Rilke, lettres à un jeune poète, écriture, création, Atelier d'écriture

Ce précieux recueil de conseils épistolaires ne s’adresse pas qu’au jeune poète en question*, et malgré l’empreinte du temps, il demeure un ouvrage d’une rare finesse, d’une sensibilité acérée, d’une  actualité percutante.
C’est à Ginette, compagne de l’ACL de Néoules, que je  voudrais dédier tout particulièrement les lignes relevées. Réfléchissant sur la définition de l’Acte créateur et de l’Écriture vendredi dernier, Ginette a exprimé entre autres sentiments, le déclic de la solitude comme pulsion d’écriture. Et puis, comme souvent, Ginette demande l’expertise, l’aval de Christophe, elle clame son besoin d’encouragement. Et j’ai trouvé dans la toute première lettre ces phrases qui traduisent, me semble-t-il, les réserves qu’émet notre animateur à décerner à nos travaux une échelle de valeur.

 D’ailleurs, pour saisir une œuvre d’art, rien n’est pire que les mots de la critique.Ils n’aboutissent qu’à des malentendus plus ou moins heureux.
(…)
  Personne ne peut vous apporter conseil ou aide, personne. Il n’est qu’un seul chemin. Entrez en vous-même, cherchez le besoin qui vous fait écrire : examinez s’il pousse ses racines au plus profond de votre cœur.… Demandez-vous à l’heure la plus silencieuse de votre nuit : « Suis-je vraiment contraint d’écrire ? » Creusez en vous-même vers la plus profonde réponse. Si cette réponse est affirmative, si vous pouvez faire front à une aussi grave question par un fort et simple « je dois », alors construisez votre vie selon cette nécessité.
(…)
Vous n’essaierez pas d’intéresser des revues à vos travaux, car vous en  jouirez comme d’une possession naturelle, qui vous sera chère, comme d’un de vos modes de vie et d’expression. Une œuvre d’art est bonne quand elle est née d’une nécessité. C’est la nature de son origine qui la juge.

( Extrait de la lettre du 17 février 1903)

 

Tout comme Ginette, il m’arrive parfois de ressentir une solitude de coureur de fond quand je confie à ces pages l’une de mes conte-gouttes, sans percevoir l’intérêt d’éventuel lecteur. Un petit pincement de joie me ragaillardit quand je constate que certains textes, bien qu’anciens, sont ouverts au gré du zapping des souris de passage. Les mots de Rainer Maria Rilke m’ont mis du baume au cœur et confortent cette assurance nouvelle qui est mienne. Décidément, les réflexions dominicales ont du bon.

 
* Il s’agit de Franz Xaver Kappus, alors élève  cadet dans une école militaire autrichienne, et devenu plus tard romancier. On a oublié aujourd’hui ses œuvres, mais on lui doit la publication de dix lettres qu’il a reçues du poète déjà reconnu. Que son nom passe à la postérité pour ce geste, il a permis à nombre d’entre nous d’y puiser de très intéressants réconforts. 

Rainer Maria Rilke, Lettres à un jeune poète, édité dans la collection cahiers rouges de chez Grasset. 

28/09/2011

Urgences

Urgences:


podcast

Comme la visite nocturne des services hospitaliers de Brignoles, où les épanchements du nez de GéO nous ont menés la semaine dernière. Heureusement, ce n’était pas trop grave et le vaillant sourire de Marie-Ange nous a promptement réconfortés. Débarrassé des deux énormes mèches qui obstruaient ses narines, GéO a retrouvé avec bonheur sa liberté de respiration… Il n’en apprécie que mieux LA VIE qui va…

Urgences
Comme ces alarmes qui résonnent dans toutes nos actualités…

Que penser de ces affligeantes nouvelles concernant une juge dessaisie ici d’une affaire mettant en cause des privilégiés, un procureur soupçonné de collusion là où les affaires sentent la corruption des états ? Le président de l’USM, principal syndicat de magistrats, exprime leur consternation « de voir la justice se poursuivre elle-même et de l'image ainsi donnée du parquet, censé représenter la société. «  ( citation du site de USM).  Pis encore, Christophe Régnard souligne la dérive de la sacro-sainte indépendance de la justice face au politique dans une  interview ce midi sur France Inter. Dans un pays qui se prétend toujours être le champion des droits de l’Homme, ce constat est accablant, angoissant, mortifère. Mes gouttesdo n’ont aucune prétention politique ni même philosophique, vous le savez bien,  mais il me semble bien n’être pas la seule à comprendre à quel point notre société vit un tournant de civilisation. Jusqu’où la corde des désillusions va-t-elle se tendre, avant que le dégoût et la désespérance ne ruinent notre vivre ensemble ?

J’en tiens un petit exemple sous la main…Ou plutôt sous le clavier.
Hier soir, je vous ai posté une note de lecture (voir ci-contre) concernant le pamphlet remarquable de Zoé Shepard, Absolument dé-bor-dée ! Comme les critiques de ce site ne sont pas ouvertes aux commentaires, mes souris-fidèles savent que je dépose aussi ces notes sur http://odelectures.canalblog.com/.
Le livre de Zoé Shepard est sorti il y a plus d’un an, et il a fait grand bruit à l’époque. Habituée  comme vous au rythme des scandales qui se succèdent et s’oublient plus vite qu’un jour sans pain, je n’imaginais pas rencontrer autant de réactions.  Mes publications rencontrent d’ordinaire un succès intime… Brutalement,   les stats de lectures en partage ont cru  comme jamais encore… Surtout le témoignage rapporté dans un commentaire y est presque douloureux. Le malaise est patent, la peur de s’exprimer révélatrice d’une situation plus que tendue.
Nous allons vivre les exaspérations d’une période électorale où seuls les candidats croient en leurs mensonges… Je connais plus de sceptiques que de convaincus. Nous serons plus nombreux à voter par défaut que par enthousiasme ou foi…
Allez, je vais me mouiller : Que diriez-vous d’aller changer l’Air des Éléphants en votant tous massivement pour LE candidat qui n’a aucune chance ? Est-ce que cette manœuvre remettrait les vanités en cause ?


Urgence :
La première urgence est de ne pas céder à la démoralisation.
Il est urgent de faire attention à nos proches, à nos familles, à nos ami(e) s, à tous ceux qui vivent autour de nous.
Comme il est urgent de profiter du soleil qui brille encore.