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10/02/2016

Cuisine conjugale

 

Cuisine conjugale

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Prends ce fusil, mon cher amant et aiguise ce couteau qui me fait défaut. En attendant ton retour après une journée de dur labeur, j’aime à dorer, braiser, rôtir cuissots et gigots. Je préfère les bons morceaux savamment découpés pour garnir le fond de mes poêlons.

Avant de dresser la table pour ton réconfort,  j’aurai eu plaisir à établir un menu solide et consistant. Mélanger les saveurs et les textures, ajouter un peu d’épices et une pointe de liant pour adoucir sans alourdir,  rechercher le juste équilibre et chasser les calories inutiles, mais respecter le mariage des fumets et le parfum des aromates,    dénicher enfin le bon cru, breuvage idéal qui laissera éclater le bouquet de ses arômes lentement maturés.

 

Quand tu monteras d’un pas las la volée d’escaliers qui mène au logis, quand tu pousseras la porte en laissant derrière toi la fatigue des besognes accomplies, que mille effluves mijotés t’accueillent d’abord et te mènent par le nez jusqu’à mon antre et mes casseroles.

Sous tes paupières,  une étincelle pétillera, tes narines frémiront, ta langue inventera le goût du plaisir à venir, tu lèveras vers la lumière les reflets ambrés ou dorés du vin tournoyant.

Silencieuse,  je t’observerai tandis que tes forces renaîtront par la grâce de ce baptême culinaire. Tu accueilleras mon offrande sans dire un mot. Nous nous attablerons, nous dégusterons, nous donnerons à chaque bouchée du temps et de l’attention pour que dure ce repas, comme s’il était le dernier.

L’amour est curieux, le plaisir est jaloux, m’auras-tu alors pardonné mes erreurs et mes sautes d’humeur? Ce couteau aiguisé par tes soins, dissimulé maintenant sous ton oreiller, pourra-t-il rompre notre pacte avant que ne t’endorme pour l’éternité le poison versé au fond du caquelon ?

 

Voilà notre dernière nuit. Je le sais, tu le sais. Comme notre  première fois, aime-moi.

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07/02/2016

La conduite des habitudes

Une fois n'est pas coutume, ce petit texte d'étude pour illustrer quelques conversations récentes avec une amie aux multiples talents. Se reconnaîtra-t-elle, je ne sais, mais je lui adresse ce petit clin d'oeil, destiné à distraire aussi toutes les souris-discrètes-mais-fidèles- qui n'ont pas peur des éclaboussures d'une gouttesd'o.    Les contraintes données: texte bref, commençant par "j'avais l'habitude " et dont la dernière phrase débute par " c'était vraiment" .

La conduite des habitudes

J’avais l’habitude de me raconter des histoires, de doubler chaque moment vécu d’un reflet fictionnel rehaussant la banalité de mon quotidien. Cette manie envahissante avait perturbé bien des fois le cours de ma scolarité, la stabilité de mes amitiés, la cohérence de mon parcours professionnel, tous domaines où j’avais progressivement appris à tenir les rênes de mon théâtre intime. Mais mes efforts les plus acharnés abandonnaient tout pouvoir en situation de déplacement. Depuis ma plus tendre enfance,  dès que j’étais en mouvement, quel que soit le trajet, quel que soit le mode de locomotion,  j’avançais en compagnie de mon rêve éveillé.

Je marchais, je me racontais la quête de pèlerins vers des lieux sacrés et inaccessibles, je participais aux longues marches d’un exode romanesque et improbable. Étions-nous en voiture, je me projetais comme une étoile filante jusqu’aux confins du réseau routier, et mon imagination en roue libre transformait l’habitacle du véhicule en îlot de confort salon-salle-à-manger-chambre-à-coucher pour itinérance intercontinentale. Prendre le train me mettait en scène dans un wagon du Transsibérien,  dégustant un thé brûlant et noir autour d’un samovar escorté de quelques cosaques patibulaires et d’un escadron de Babouchkas, tandis que défilait à l’extérieur la steppe glacée du Kazakhstan. La première fois que j’ai pris l’avion, mon voyage intérieur me fit passer le mur du son et je décollais en songe pour un voyage interstellaire dont je ne reviendrai plus. C’est sans doute à cette occasion que les nuages ont emprisonné ma lucidité jusqu’à cette descente à skis qui fut pour moi la dernière. L’esprit embrumé dans le songe du jour, je n’ai pu éviter la collision avec un sapin. Fin de mes errances fantasmées.

Aujourd’hui, quand je prends le métro, c’est à un voyage plus compliqué que je m’affronte. Les multiples obstacles qui se dressent compliquent mes pérégrinations, et je n’ai plus le loisir de laisser mon esprit voguer sur l’infini des possibles.  Pourtant j’adorerais imaginer que mon fauteuil file au galop à travers les campagnes françaises, je voudrais rêver encore que ses roues se métamorphosent en tapis volant planant au-dessus des rues embouteillées de la capitale. Mais je suis cloué là,  corps et âme, et mes habitudes ont changé.

Quand j’étais encore enfant, ma grand-mère ne cessait de me rappeler à la réalité. « Profite de ce que tu vis, disait-elle, tes rêves ne te mèneront nulle part ». Elle avait raison. C’était vraiment important de ne pas me laisser conduire par mes habitudes.

 

05/12/2014

Rituel matinal aux douceurs anodines

 

Ça commence dès potron-minet, quand le jour peine à percer l’épaisseur des  rideaux. J’ai beau me retourner sous la couette, enfoncer la tête plus pesamment dans le duvet de l’oreiller, rien n’y fait. Au bout de quelques minutes, mes jambes gambadent sous le drap,   je n’ai plus le choix, le lever devient impératif.  À contrecœur, je me résigne à quitter la tiédeur de la couche, abandonner la chaleur moelleuse du sommeil,  enfiler à la hâte le gros pull informe qui traîne à portée,   et renoncer  au silence engourdi de la chambre.

Dans la cuisine, la nuit est déjà oubliée: depuis ses multiples sources, la lumière  électrique triomphe facilement de la clarté timide qui s’anime à travers les vitres. Je voudrais éteindre et profiter un moment  de la douceur tendre de ce bout de ciel, l’esprit accordé à la lente sagesse du lever astral.

Plafonnier et néons ne sont pas les seuls ennemis des petits matins calmes. La vie frémit ici sous toutes les fourrures, les truffes noire et rousse de Copain et de Gus sont parties à l’assaut des caresses, sous mes mains, le long des jambières de mon pyjama, les chiens hument bruyamment l’odeur de la maîtresse retrouvée après la longue absence nocturne. Les queues battent le rythme  sourdement sur les portes des meubles, frappent la cadence métallique au coin  du radiateur, couvrant à peine l’éructation vaporeuse de la cafetière.

 Aux bruits de la maison s’ajoute maintenant l’odeur forte et caractéristique du breuvage. L’appel du café   prend la dormeuse vaincue par le bout des narines. Tous les sens captifs du rituel,   même la chaise  tend sa galette rembourrée juste à ma place habituelle, devant la tasse fumante où un nuage mousseux tourne délicatement.

— Tiens,    dit-il,  tu arrives à point…  

 

26/04/2014

Accordailles

         Désir brûlant des  regards fixés sur mes formes élégantes. Dérangeant et excitant,  serais-je  à la hauteur? Je me sens si fébrile parfois,   consumée par   l’envie  ardente de sentir vos appétits fondre sur moi,   et me glisser jusqu’au confluent de vos  mains enlacées, d’y butiner l’éclat des feux qui vous dévorent. Dangereuse convoitise, balancier infernal des battements du cœur.

Éternelle énergie,   prodiguée sans même bouger un doigt.  J’aurais préféré, n’en doutez pas,   rester cachée dans mon antre,   à l’abri de  la contamination concupiscente: dès lors qu’ils pensent à moi, Eux me considèrent suffisante, Elles me voudraient plus conséquente. Une stratégie éprouvée me pousse à leur opposer une indifférence de marbre. Je tente alors d’arborer une mine de plomb, je fais semblant d’avoir un cœur de pierre. Pourtant,   une fierté sans pareille coule dans mes veines et  je mets en valeur la finesse de ma taille et tous mes atours.

 Séduction éphémère,   hélas, une seconde de gloire, c’est toute la satisfaction au regard de ma réputation.  Ma présence devrait suffire à  apaiser tant de soupirs.  Ensemble, ils m’affichent mutuelle reddition à l’hymen éternel. Le secret de mon exposition repose sur les facettes de mes talents, réanimateurs habiles d’ardeurs chancelantes.

Immanquablement, vient le temps de l’ambivalence.  J’étais irrésistible,   je deviens infirmière d’amours exsangues  puis geôlière.  Les pulsions initiales  dont j’étais si brillamment parée sont   désormais banales, puis  ordinaires, elles deviennent chaînes. Ternie par un usage  quotidien, je me rends accessoire quand sonne le glas de la passion. Le  désir comblé s’éteint à petit feu,   et la magie distillée jadis se dissout dans la monotonie des libidos éteintes.

Rageur est le geste qui me jette au tapis. Ne reste que les regrets des promesses non tenues, le  pénible ratage d’un rêve  inachevé. Reléguée  loin des regards que la haine allume Elle me  contemple un moment, avant de me ranger dans l’écrin des souvenirs douloureux, recel ultime des amours renoncées. 

À tout prendre  cependant, que suis-je d’autre qu’une pépite de planète, débris minéral arraché à la matière stratifiée ? Que de temps, de peines, de travail forcené se sont conjugués jusqu’aux outils du joaillier pour forger mon  destin, incarner sur les  doigts d’une main les cinq étapes du Désir. Diamant solitaire, alliance aux mille feux,  chef d’œuvre voué à la célébration des accordailles,  je flétris  aux désaccord’aïe.

 

 

22/02/2014

L'amour de nos jours…

À portée de clavier,  nos  cœurs battent  numériques

Abolir  ici bas une solitude inique

La solution s’offre sur Meetic

Qui ne tenterait Fortune en quelques clics ?

 

 

Une  Gisquette en mal d’amour  tomba sur un Costaud

Bodybuildé comme une icône  de magazine porno.

Bluffée par ses reliefs  musculeux et  vexée d’être roulée comme une paille,

Chez Musclor  elle prend pension et travaille sans faille

À sculpter sa taille tout en béton, ça prend un bail…

Plus habile  à poster des  selfies, sur les réseaux elle vérifie ses avantages,

 À renfort de like et de follower , elle guette les babillages.

Rien n’y fait, le faraud ne calcule pas son personnage.

La chétive retourne à l’ouvrage

Redouble d’efforts, de souffrance et s’entraîne jusqu’au claquage.

Epuisée, elle disparaît des écrans sans y laisser le moindre pixel.

Ne cherche pas à cloner ton profil, même pour la frime

De peur de  te dissoudre dans la foule des  anonymes

Maigrichonne ou replète,  pour  plaire  joue plutôt du violoncelle.

 

24/12/2013

La migraine de Noël

 En cet hiver humide, imaginez, discrètes souris lectrices,   une immense demeure bâtie en rondins  d’arbres centenaires.  Malgré son aspect débonnaire et chaleureux, la maison perdue au fond d’une sombre forêt abrite deux enfants abandonnés qui  tentent de survivre aux soins attentifs de L’Ogresse.  Ils n’ont guère plus de dix ans tous deux et vous dire comment ils sont arrivés jusqu’à l’antre de cette femme aussi laide qu’énorme nous détournerait de notre propos, vous lecteurs à la recherche d’un divertissement de saison et votre modeste rapporteuse  d’histoire.

Nos deux gamins, répliques contemporaines de Hansel et Gretel, regrettent tous les jours le méchant sort qui leur est fait, bien que la mégère prétende pourvoir à leurs besoins. Du matin au soir, Gary et Élodie vaquent aux tâches multiples  ordonnées par la géante vigilante, laquelle répond néanmoins au doux nom de Célimène. La geôlière monte bonne garde et se montre implacable quand les résultats des travaux ne lui conviennent pas.  Mais il est au moins un domaine où Célimène la sans-cœur se laisse facilement attendrir.  Notre Ogresse est gourmande, comme il se doit, et les deux enfants ont appris à développer leurs talents culinaires. Aussi se hâtent-ils volontiers d’effectuer les corvées de nettoyage, lessive, raccommodage et plomberie que nécessite l’état de la vaste habitation pour regagner au plus tôt la cuisine. Dans cette pièce chaleureuse, Gary et Élodie sont devenus de véritables chefs et n’ont pas leur pareil au fourneau pour rôtir les cuissots de chevreuil,   confectionner des tourtes aux champignons variés,   dresser de voluptueux desserts à base de miel, de noisettes ou de fraises des bois, selon la saison… Souvent Célimène s’installe dans son fauteuil au bout de la longue table de bois ; elle suit les activités de ses cuistots d’un œil dépourvu de son éternelle méfiance. Il règne alors dans la salle une atmosphère détendue malgré l’activité des préparatifs.  Les enfants soulagés rient, racontent des historiettes ou  chantent à pleine voix pour s’encourager à inventer de nouvelles recettes de sauces. Si vous prêtez bien l’oreille, vous pouvez même entendre derrière leurs voix claires et cristallines un accompagnement sourd et grave : Célimène s’oublie jusqu’à accompagner  d’un raclement de gorge les refrains entonnés en battant les œufs au fouet ou en râpant de savoureuses racines.

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Or par cet après-midi tiède et pluvieux, Gary et Élodie négligent les  habituelles  besognes, malgré la longue liste dressée par la mégère avant son départ. L’absence de la marâtre sera longue, plus longue même qu’elle ne l’a calculée. Nos deux gamins ont ouvert en grand portes et fenêtres et leurs rires débordent dans la clairière qui s’étend autour de la maison des bois.  L’endroit habituellement désolé n’est plus déserté par les familles de lapins, blaireaux et ragondins, taupes et écureuils. Attirées par les éclats de joie,   quelques biches sont venues brouter avec leurs faons une herbe que le gel a épargnée.  Mêmes les oiseaux, que les cris de la mégère effraient d’ordinaire, ont décidé de participer au concert  improvisé. Il faut vous dire, à ce point de notre récit, que le petit peuple sylvestre redoute autant que les enfants l’humeur  volcanique et gourmande de Célimène, nombre d’entre eux en ont fait les frais.  Mais un mot d’ordre a voleté de nid en terrier, de bauge en tanière,   les animaux de la forêt ont convergé vers la maison. Assis sur le perron, Gary sourit à Élodie, leurs regards se reportent sur la grosse horloge qui scande de son tic-tac la mesure de la récréation. Aujourd’hui, le temps ne les presse plus. Ce soir, c’est Noël, et les Rennes du domaine forestier ont promis d’organiser autour de la planète le plus vaste embouteillage qui se puisse imaginer !  Il y aura tout au long de la nuit tant de  traîneaux contraints de s’arrêter au-dessus des cheminées fumantes, de courses entre les tours  gigantesques des banlieues,  de toits en villes piquetés d’antennes et de campagnes illuminées de guirlandes aveuglantes, mondialisation oblige, les tournées  de  distribution vont donner lieu à une manifestation interplanétaire. Certes, ce n’est pas de bonne grâce que les fidèles coursiers ont décidé de passer à l’action, mais à quel autre moment pourraient-ils faire valoir leur revendication? Et puis surtout, la Confédération Générale des Rennes en Colère a décidé d’agir ainsi pour offrir à nos héros un cadeau approprié. Gary et Élodie ne peuvent rêver de recevoir console de jeux ou voiture télécommandée, poupée starlette ou tablette électronique : le facteur ne leur a jamais livré de catalogue rutilant de tentations. Leur cadeau, ce sera l’absence de la marâtre, l’Ogresse restera coincée dans la cité, incapable de contourner les véhicules emmêlés, obligée d’attendre l’aube suivante  pour regagner ses pénates.  Gary et Élodie fêtent donc avec confiance  l’ événement : ils ont préparé de succulents  Weinachtspätschen qu’ils offrent à leurs amis réunis en chantant un refrain approprié :

Ô douce nuit, nuit de quiétude

Que les ramures bruissent à notre solitude,

Ce soir l’Ogresse est perdue, 

Notre  demeure ouverte au vent et à la lune,

Que les étoiles témoignent de   notre bonne fortune.

 

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Cependant, dans la ville voisine, l’animation bat son plein. Les passants se précipitent dans les magasins pour les ultimes achats du réveillon. Les trottoirs sont bondés de parents encombrés de parapluies et de paquets. Les chaussées ressemblent à un immense parking où tous les véhicules sont à l’arrêt, moteurs tournant à vide, la cacophonie des klaxons ne les délivre pas du mauvais sort qui les scotche au macadam. Aux carrefours, des agents impuissants inhalent vainement les gaz d’échappement. Au PC de la circulation, le directeur de la police s’arrache les cheveux devant les écrans qui traduisent tous la même réalité. Il a détaché toutes les forces dans les rues pour tenter de limiter les débordements et les excès prévisibles, mais  jusqu’ici c’est peine perdue.

Au poste qui lui a été assigné dans l’artère principale, l’inspectrice Hélène Durand suit des yeux l’embourbement progressif de la situation, sous un fin crachin d’hiver. L’humidité ambiante ajoute encore à la difficulté générale. Comme la plupart de ses collègues, Hélène ne tente plus de réguler les soubresauts des voitures, motos et camionnettes dont les chauffeurs se battent pour gagner dix centimètres. Elle se contente d’observer la foule, de repérer les éventuels pickpockets ou les fêtards déjà éméchés qui pourraient avoir besoin d’aide. C’est tout à fait par hasard qu’elle remarque une femme à la silhouette impressionnante,  dont la chevelure flamboyante se détache largement au-dessus des autres têtes.  Sur le même trottoir, la matrone se déplace avec énergie malgré les obstacles et Hélène s’apprête à intervenir en constatant qu’elle utilise ses nombreux paquets comme projectiles destinés à lui ouvrir le chemin. Au moment où la femme atteint son niveau, Hélène se meut vers elle pour lui enjoindre un peu plus de contrôle, quand elle assiste à une scène qui la désarçonne: la géante se détourne brusquement vers la chaussée où une camionnette se tient arrêtée depuis lurette, toutes vitres ouvertes pour chasser la buée. Le chargement de paquets est visible, et la grosse femme déterminée. Elle plonge sa main gigantesque dans l’amas de colis, en tire une boîte dont elle déchire frénétiquement le carton pour en extraire une panoplie de guerrier romain. Continuant à détruire l’emballage, malgré les cris du conducteur furieux du pillage, la contrevenante s’empare d’un glaive en plastique et le brandit au-dessus de sa tête. Aussitôt, le jouet dérisoire s’allonge démesurément, et se métamorphose en un javelot étincelant que la sorcière enjambe derechef.  L’attelage singulier s’élève en tanguant d’abord un tantinet. Comme aimantée par un point du ciel, la femme à califourchon gagne en hauteur,  dépasse les voitures, monte toujours, atteint les toits des bâtiments.  Dans la rue, tous les témoins regardent en l’air et se frottent les yeux, accablés. Les bouches arrondies de stupeur ne laissent passer aucun commentaire, tous sont certains d’avoir la berlue.

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Hélène se reprend la première, elle sort de sa sidération, réalisant que le prodige n’annonce rien de bon. Les honnêtes gens ont-ils besoin d’avoir recours à des pratiques aussi extraordinaires ?  En professionnelle de l’ordre, l'inspectrice  cherche énergiquement le moyen de rattraper la fuyarde, ne serait-ce que pour comprendre  le mécanisme d’un tel envol. Elle doit pourtant lutter d’abord contre la violente migraine qui s’installe dans son esprit en alerte. Pressentant un court-circuit neuronal imminent, elle sort de sa poche le tube de comprimés  antidouleur dont elle ne se départit jamais, et en avale une poignée d’un coup.  Dédaignant ses principes autant que son mal de tête, Hélène  se saisit d’un vieux vélo accoté au mât d’un lampadaire et entreprend de slalomer à son tour dans la marée des véhicules. Mais elle a beau pédaler avec vigueur, elle comprend vite l’inutilité de ses efforts. Sur le point de disparaître dans l’écrin obscur de la nuit tombée, la sorcière la nargue  en exécutant quelques acrobaties aériennes. Puis, comme dans un dessin animé pour enfant, la voilà qui accélère sa course et file vers les étoiles.

La jeune femme lutte contre le découragement, son esprit rationnel refuse d’accepter l’incongruité de la situation. C’est alors qu’elle ressent un choc contre la roue arrière de sa bicyclette, puis un curieux flottement  qui lui donne le vertige. Elle a l’impression de décoller à son tour et ferme les yeux pour éviter le malaise qui lui fait craindre tout à coup d’ avoir abusé de l’aspirine. La sensation d’ivresse perdure sous ses paupières closes, Hélène perçoit des points lumineux fugaces, elle sent ses joues glacées par une brise humide. Ses pieds continuent de pédaler frénétiquement, mais le mouvement est devenu si facile, si mou! Il lui faut de longues, longues minutes pour parvenir à ouvrir les yeux, et constater … qu’elle vole, oui, vraiment, elle évolue en surplomb de la ville toujours  engourdie, elle glisse sans effort dans l’obscurité, bien assise sur la selle du vélo, tenant le guidon entre ses mains crispées. Impossible de continuer à penser dans de telles conditions, Hélène se dit qu’elle a heurté le sol, qu’elle délire dans une ambulance, que le réveil ne va pas tarder à sonner , que ce rêve absurde s’achèvera au bout de la nuit…

Tout de même, il y a ce bruit de halètement qui enveloppe le songe. Lentement, la policière se décide à observer à nouveau sa situation, au prix d’un effort prodigieux, elle penche la tête et découvre, effarée, les bois de deux rennes insérés entre les rayons des roues. Au-dessous, ce sont les corps fuselés et puissants des animaux qui s’arrondissent puis se déploient au rythme d’un galop aérien de toute beauté. Hélène ne tente plus de raisonner, elle ne lutte plus, elle se contente d’apprécier la féerie de l’instant.

 Progressivement, les coursiers  ralentissent. Ils survolent un espace rond qui apparaît bientôt éclairé par la lumière des fenêtres d’une grande maison.  Les rennes se posent souplement dans la clairière au moment où Célimène, furieuse,   tente de pénétrer  dans sa demeure.  L’Ogresse tient toujours à la main le javelot qu’elle a chevauché. Pourtant, la surprise l’empêche de s’en servir contre la muraille animale qui protège l’entrée de son antre. Cerfs, biches, chevreuils en lignes serrées  en défendent l’accès, tandis que  dans ses pieds, des centaines de petits rongeurs courant entre ses jambes tentent de la faire chuter. 

 De mémoire de policière, jamais arrestation n’avait  paru  à la fois si facile et si déconcertante. Menottée par ses soins et gardée par un corps de geôliers aussi hétéroclite qu’invraisemblable, Célimène éructe et menace. Mais rien n’y fait.  Les renforts du service d’ordre finissent par découvrir la clairière au point du jour, c’est-à-dire quand la matinée de Noël est déjà bien entamée. Les animaux se sont discrètement dispersés à l’approche des hommes, Hélène  tire seule les honneurs de son fait d’armes. Ne comptez pas sur Gary et Élodie pour élucider les mystères de cette enquête, d’autant que les deux enfants exultent  à l’idée  de retrouver la civilisation, et leurs véritables parents. Toutefois, le retour aux contraintes de notre bas monde s’est avéré plus délicat pour  notre héroïne.  Ce coup d’éclat n’a pas eu l’heur de plaire à tout le monde et c’est d’un ton peu amène que son supérieur hiérarchique l’accueille au bureau.

— Alors, Hélène, cette migraine, c’était avant ou après les cocktails de Noël ? 

 

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Que ce conte de Noël vous  réjouisse et vous transmette mes voeux de fêtes sereines et joyeuses, farfelues sans retenue, mais complices et tendres autant qu'il se peut. 

29/10/2013

En attendant Poucette…

En attendant notre Poucette, j'ai l'âme en balance, les mots en vacances, l'inspiration en manque. 

 Panne du clavier, paresse de l’âge ?… Je vous entends mes fidèles-souris. Ou du moins, j’ai bien reçu vos messages d’amitié  que la séparation géographique n’éloigne  pas des intérêts du cœur. La question est d’actualité : «  n’oublie de mettre un SMS dès que tu sauras »…Maintenant que nos inquiétudes concernant la santé de GéO se sont réellement atténuées, il est temps que je revienne à mon pupitre et vous adresse ce petit pêle-mêle des dernières  nouvelles  qui ont embelli nos jours.

Outre le voyage à Bordeaux sur laquelle je reviendrai, n’ayez crainte, l’événement majeur concerne…  Mathis a fêté dignement ses 3 ans. Déjà ! Petit reportage illustré qui satisfera  j’espère la curiosité légitime qui m’a été adressée.

 C’est d’abord en cuisine que ça se passe. Rejoindra-t-il une Masterclass gastronomique ? Grande question, si l’on en juge par ces témoignages.

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Assurément,  pour assurer la qualité de sa production, notre cuisinier paie de sa personne…

La question du gâteau réglée, la fête a battu son plein. Non, non, malgré les apparences, Nicolas n’a pas eu besoin de frapper  l’impétrant  pour qu'il  accepte d’ouvrir ses cadeaux.

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Mais en ce mois de Septembre,  notre sphère a été ému par une autre Grande Affaire: LA RENTRÉE de Mathis. La toute première, celle qui ne manque pas de pincer nos cœurs de mère et grand-mère. Et oui, mes bonnes copines, même moi, malgré tout ce que j’ai dit, pensé et défendu pendant mes années d’exercice, je n’ai pu me défendre de trouver que Mathis est encore bien jeune pour affronter toute une journée d’école! De fait, s’il a manifesté son individualisme en refusant d’abord de participer docilement à toutes les activités, son goût des livres, des mots, des comptines a eu rapidement raison de ses défenses. En peu de temps, Mathis a adopté son nouveau domaine, et puisqu’il y a là des copains…tout va bien.

Il n’empêche, on attend toujours SA petite sœur…  

14/04/2013

Dimanche à la campagne

Il s’est fait attendre, mais le voilà, le  premier dimanche printanier…

 Il se reconnaît bien sûr aux parures multicolores qui se trouvent partout, balcons et plates- bandes, parterres chamarrés des parcs, jardinières des centres commerciaux, pas de jaloux  :

 

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Ah, il devait être difficile de trouver une chaise libre dans les jardins publics cet après-midi !

Pour nous qui n’avons pas besoin des belles allées du Luxembourg pour aérer nos mines hivernales, il existe d’autres repères qui permettent d’anticiper la promesse de farniente…

— Pii pii pii tirlouit, pii pii pii tirlouit…

Dès potron minet, l’appel pressant résonne.

Est-ce dû au printemps tardif , il me semble que cette année le concert est encore plus insistant que d’habitude. Comme si la gent oiselle voulait rattraper le temps perdu.

Mais la  véritable caractéristique d’un dimanche printanier à la campagne ne se limite pas aux chants des oiseaux, qui se fichent comme d’une guigne du jour de la semaine. Non, ce qui marque vraiment le dimanche à la campagne, ce n’est ni les cloches de la basilique appelant à l’office dominical, ni l’odeur des barbecue qui sont encore  en stand-by, ce sont les bruits de tondeuses et de Kärcher qui sont entrés en action.  Le premier dimanche de printemps n’est pas celui où l’on s’invite à partager le rosé et la côtelette grillée. À la campagne, il faut d’abord nettoyer, couper, gratter, frotter le mobilier de jardin…

En ville,  les citadins se sont promenés.

Dans les campagnes, les ruraux ont briqué.

Vivement lundi, qu’on aille se reposer au boulot !

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Demain, la colline nous sera rendue à l’écoute des tchii tchii pirlouit !