30/03/2013
La couleur des pages
Au livre ouvert de nos vies, nous tournons des pages blanches, feuilles vierges couvertes de caractères inattendus, à l’écriture sombre, noyée dans la couleur boueuse des crues. Avec l’âge, vient l’heure d’écrire des pages sages, ordonnées, où les mots se rangent sans frissons, lignes justifiées garantes de nos désirs pondérés. Éclaircies anarchiques, au fil du catalogue s’incrustent les paragraphes où s’ancre la mémoire du cœur, la plus belle et la plus indispensable de toutes nos fonctions vitales.
Il advient que Hasard, dieu malicieux, s’avise de bousculer nos certitudes engourdies. Il joue de vents contraires, bise d’hiver en plein juillet ou zéphyr langoureux sur nos mornes plaines, et tout à coup, nos horizons basculent, nos nuits s’éveillent, nos tracas baissent la garde. Ce sont alors des feuillets bleus, jaunes, roses , l’arc en ciel de nos amours, la palette irisée des moments heureux. Ces pages-là détiennent un pouvoir. Elles sont les piliers sur lesquels s’étaie le quotidien, elles préservent le capital émotionnel, elles cadencent la complainte des vieilles douleurs qui rythme dorénavant l’étrange état de ceux qui ont été.
Dans ma bulle affective, le dispensateur de ces bienfaits s’appelle Mathis. Son âge tendre déverse à tous moments une énergie sans faille, à l’instant d’ouvrir ses paupières jusqu’au moment de choisir l’histoire qui précède le coucher, cérémonie royale et sans façon qui mène à tour de rôle chacun de nous à son chevet.
Être Grand-mère ne saurait se résoudre à un statut, il faut encore rester à la hauteur de l’enjeu et courir ce marathon de longue haleine. La petite silhouette cahotante court sur le trottoir pentu de la ville. Le spectacle me réjouit autant qu’il mène au défi mon rythme cardiaque. Il ne s’agit pas de le laisser filer sur la chaussée ou d’attendre l’inévitable chute sur le bitume qui abîmerait sa dentition perlée. Pressé par mes appels, le fripon se retourne sans ralentir et la malice de son regard, hélas, n’a pas encore anticipé le trou entre les pavés. De ma besace , j’extirpe la panoplie du métier : mouchoir et consolation, ô bisous magiques.
À ce jour, Mathis est engagé dans la conquête du langage. Quelles merveilles partagées se nouent maintenant grâce à l’évocation des mots. La puissance du vocable, la vitalité du verbe, la volonté expressive des sons : « c’est moi qui fait… je suis le promier… attends je choisis… » sont désormais nos phrases clé, augurant toutes activités ou étapes de la journée.. Certes, certaines approximations fleurissent ici ou là, on n’attrape pas si facilement la complexités des consonnes qui se cognent dans le tunnel du larynx. Mais qui ne serait touché par sa volonté pour attraper au vol les distorsions incroyables de notre langage si bien formaté ? Et puis il y a le rire. Le rire tonitruant ou grelottant qui trahit le joyeux luron caché derrière le rideau ou sous un fauteuil. La joie à fleur de peau qui habille d’insouciance son tout jeune être. Comme on voudrait que la vie ne lui écrive que des pages multicolores!
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28/03/2013
Fanchette grand-mère
Dix jours en tête-à-tête avec Mathis, quoi de plus réjouissant ? La promesse d’un tel moment donne des ailes, vous le savez, ô vous mes fidèles-souris-discrètes qui partagez le statut délicieux et délicat d’aïeule… Malgré l’éloignement géographique, je n’entends pas céder une once de partage quand l’occasion se présente : les envies de soleil des parents représentent une aubaine, je ne me suis pas fait prier pour enfourcher mon beau destrier, en trois heures de TGV, me voilà prête à l’emploi…
Prête à l’emploi ?
Je vous entends sourire sous cape, la formule paraît cocasse, « tu es un être humain pourquoi diable vas-tu suggérer un mode d’emploi de la fonction ? »
Effectivement, dès mon arrivée, nous entreprenons avec les heureux vacanciers le tour de l’appartement et des différents repères indispensables, rangement du carnet de santé, adresses utiles, clés du local à poubelles, fonctionnement des différentes machines, à laver, à cuire, même la rutilante cafetière à expresso, café Longo, latte, avec ses fonctions filtres, rinçage et tutti quanti… Nous descendons au garage vérifier que je saurai ouvrir les portes, ma Douce y range sa voiture dans le bon sens pour mon confort et branche le sacro-saint Tom Tom, tant elle sait que je ne manquerai pas d’en avoir l’usage. Que peuvent-ils prévoir de plus pour planifier et faciliter le bon déroulement des vacances de Mathis et sa grand-mère ?
Impossible d’en douter, j’avais en main toutes les facilités de services.
En prime, notre programme de réjouissance comprenait le premier pestacle auquel Mathis allait assister. Audrey avait réservé des places pour une adaptation musicale du livre de la jungle, au théâtre du Temple. Représentation dimanche à 14 heures. Très bien, j’organise la matinée pour que Mathis déjeune de bonne heure, du plat qui le régale afin d’accélérer l’incontournable rituel jeu des repas, et foi de Doudie, bien avant l’horaire que je m’étais fixé, nous quittons l’appartement pour rejoindre en toute quiétude la capitale.
C’était évidemment bien trop tranquille.
Mon Mathis, docile et heureux, s’installe dans son siège sans attache, le temps que je gagne le jour de la rue. La voiture sagement rangée le long du trottoir, je ressors pour crocheter les attaches du harnais de siège bébé, selon l’usage. Et c’est là que ça se corse…
Vingt minutes plus tard, je suis toujours penchée sur le dispositif, tournant et retournant en tous sens les deux griffes métalliques qui doivent manifestement s’insérer l’une à l’autre avant de plonger ensemble dans la boucle qui remonte au niveau de l’entrejambe. Mon avance horaire a fondu, mais je m’efforce de rester aussi calme que possible, Mathis ne bouge pas, il est d’une patience merveilleuse, se contentant de ponctuer mes efforts de remarques compatissantes. À la fin, fort désappointée, je hèle un jeune homme armé d’une baguette de pain, manifestement en route pour le déjeuner dominical en famille. Sans vergogne pour ma blondeur, je laisse Fanchette exprimer son désarroi, et convainc facilement le jeune homme de s’intéresser au démoniaque système. Dix minutes plus tard, son caractère serviable jette l’éponge : —« Vous savez, je ne suis pas encore papa, alors je n’y connais rien… »
Que croyez-vous que fit Fanchette, en telle détresse ?
La priorité m’apparaissait clairement : pour rien au monde, je n’aurais privé Mathis du pestacle promis. Le trajet en métro s’annonçait beaucoup trop long, avec ses changements de lignes et le rythme du dimanche…
Quand il s’agit du sourire d’un petit, rien de tel qu’un taxi…
12:16 Publié dans Blog, goutte à goutte | Lien permanent | Commentaires (6) | Tags : écriture, récit, anecdote grand-mère, siège bébé, piège | | del.icio.us | Facebook | | Imprimer
24/02/2013
Saint Max sur glace
Changement d’ambiance !
Riez, Amis Nordistes, gaussez-vous de la mauvaise foi qui nous pousse à arborer nos cieux d’azur avec tant d’arrogance!
Cette fois, nous sommes logés à la même enseigne que vous… Une journée à rester sous la couette hier. Sur notre colline, les habitants frileux n’ont même pas envisagé de dégager les voitures. Le blanc du ciel répandu sur terre, à hauteur d’yeux et bien plus haut que celle des malheureux passereaux :
Paysages de Provence
Où sont donc passé les clichés habituels?
Ce matin, le décor se modifie sous l’effet de la lumière, nos humeurs deviennent méditatives, c’est dimanche, on prend le temps d’admirer les vagues minuscules que le froid a saisi sur les rambardes, les fleurs de coton qui s'ouvrent sur les branches gelées du laurier .
Le plus heureux est toujours notre Copain !
Tandis que Guss cherche l’abri de la cuisine et l’exclusivité du coin radiateur, Copain exulte sous l’averse de flocons.
Le calme revenu, notre compagnon s’installe en vigie au bout de la terrasse. L’oreille gauche dressée, la droite plus nonchalante, Copain surveille le lever du soleil, l’amorce du dégel qui menace de le priver du tapis moelleux et de sa parure pointillée.
Passé la minute contemplative, me direz-vous, comment lutter contre le froid insidieux ? Cette semaine, nous avons rendu une visite courtoise à notre cinéma. Oui, oui, Saint Max possède depuis à peine plus d’un an une belle salle dédiée au cinématographe, sise dans notre Pôle Culturel. Dorénavant, salles de musique et de danse, médiathèque et hall d’exposition, le cœur de Saint Max bat cultivé, réjouissons-nous! Or donc, au milieu d’une programmation éclectique, notre écran blanc nous réserve quelques morceaux choisis.
Belle considération pour vous dire qu'après le magnifique Renoir sorti à l'automne, j’ai apprécié l’Alceste à bicyclette de Philippe Le Guay (réalisateur heureux des femmes du 6e), avec Fabrice Luchini et Lambert Wilson. Un scénario original et amusant, qui sied évidemment à la verve des acteurs. J’ai apprécié notamment la démonstration du travail des comédiens, avec la mise en perspective du comédien jouant au comédien, et l’ironie subtile du réalisateur soulignant le décalage entre le mode de vie autochtone et le parisianisme. Le Guay poursuit en fait la réflexion du film précédent, avec la patience d’un auteur qui peaufine son univers d’œuvre en œuvre. Et puis on ne peut que se régaler de la gourmandise sensuelle dont font preuve les deux personnages en s’emparant d’un des plus beaux textes de notre littérature. Les vers de Molière nous sont servis comme des mets précieux et résonnent à nos oreilles comme un appel aux sources. N’est-ce pas leur écho que guette ainsi mon Copain seul en son jardin?
18:15 Publié dans Blog, goutte à goutte, Sources | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : chronique, écriture, photos neige, cinéma, alceste à bicyclette, philippe le guay, luchini, molière | | del.icio.us | Facebook | | Imprimer
23/02/2013
L'inespérée
L’inespérée, comme le titre du dernier des 11 textes qui composent ce recueil. N’allez pas en déduire que le lecteur s’ennuie, loin de là. Christian Bobin entretient une conversation intime et aérienne avec les lecteurs qui ouvrent leurs cœurs à l’ami. Les mots fraient ici, comme dans toutes ses œuvres, un sillon subtil que vous empruntez à votre tour, comme il vous convient. Jamais vous n’ouvrez un volume signé de ce poète pour combler un moment de désoeuvrement. Il en va de Bobin comme de Schubert, ce sont des enchanteurs du cœur, que l’on invite pour la couleur de l’âme dont il propose le partage. Si donc vous cherchez paillettes et dépaysement, passez votre chemin…
Or, si votre humeur est à l’écoute, vous entrez à mots de velours dans le murmure des confidences que l’auteur livre au fil des pages, comme autant de lettres adressées à l’Ami, celui ou celle qui comprend les nuances des émotions et la fragilité des aveux.
« La beauté, madame, n’a d’autre cœur que le vôtre, glisse –t-il dans sa lettre à la lumière qui traînait dans les rues du Creusot…, Nous ne cherchons tous qu’une seule chose dans cette vie : être comblé par elle— recevoir le baiser d’une lumière sur notre cœur gris, connaître la douceur d’un amour sans déclin. » ( Pages 11-12 de l’édition Folio.)
Le second texte, le mal, commence par une longue diatribe contre la télévision et son « règne en vertu d’une attirance éternelle vers le bas, vers le noir du temps.(…) On appelle ça une fenêtre sur le monde, mais c’est, plus qu’une fenêtre, le monde en son bloc, les détritus du monde versés à chaque seconde sur la moquette du salon. (…) Alors qu’est-ce qu’il faut faire avec la vieille gorgée d’images, torchée de sous ? Rien. Il ne faut rien faire. Elle est là, de plus en plus folle, malade à l’idée qu’un jour elle pourrait ne plus séduire »…
La traversée des images nous convie à poser notre regard sur la profondeur de nos motivations : « Vous arrivez là comme vous arrivez partout, avec l’impatience de repartir bientôt. C’est une infirmité que vous avez de ne pouvoir envisager un voyage autrement que comme un détour pour aller de chez vous à chez vous.(…)Vous n’avez jamais deviné vers quoi pouvaient aller les phrases écrites, l’encre répandue comme du parfum sur la chair de papier blanc. C’est pour parler de ça que vous alliez en Haute-Savoie, voir cet écrivain que vous aimez sans encore l’avoir rencontré. Et bien sûr les choses se passent autrement que prévu »…( Page 31)
Permettez-moi une halte prolongée sur ce texte, car bien sûr, voilà qu’il me parle du fond des choses : « Comment c’est, un écrivain, dans votre tête : étrange à dire, mais ce n’est pas d’abord lié à l’écriture. Un écrivain c’est quelqu’un qui se bat avec l’ange de sa solitude et de sa vérité. Une lutte confuse, sans nette conclusion.(…) Il vous est arrivé de rencontrer des personnes bouleversées par leur propre parole. Leur conversation irradiait une intelligence vraie, non convenue, et quand ces gens entreprenaient d’écrire, plus rien : comme si la peur de mal écrire et la croyance qu’il y a des règles leur faisaient perdre d’un seul coup toute vérité personnelle. Ces gens, vous les reconnaissez comme d’authentiques écrivains. Ce n’est pas l’encre qui fait l’écriture, c’est la voix, la vérité solitaire de la voix, l’hémorragie de vérité au ventre de la voix. » (Page 33)
De ces vérités personnelles et structurantes, il est question encore dans l’approche de l’innocence du thé sans thé et d’une fête sur les hauteurs. Bobin débusque toujours la part des faux-semblants et de l’ajustement nécessaire propre à ceux que ne guident aucun intérêt. Il a, pour décrire ces rencontres inattendues, des images ciselées inoubliables : « Elle parle et vous écoutez ce gravier d’étoiles crissant dedans sa voix. » L’auteur ne se dédit pas quand il poursuit sa réflexion dans j’espère que mon cœur tiendra sans craquelure : « « Parler de peinture, ce n’est pas comme parler de littérature. C’est beaucoup plus intéressant. Parler de peinture c’est très vite en finir avec la parole, très vite revenir au silence. Un peintre c’est quelqu’un qui essuie la vitre entre le monde et nous avec de la lumière, avec un chiffon de lumière imbibé de silence. » ( Page 63)
Observer et transcrire en poète n’empêche pas d’exercer son regard avec lucidité. Christian Bobin se fait plus incisif dès lors qu’il se penche sur le sort éphémère de l’amour, ou plutôt des amours communes auxquelles nous nous accrochons : « dans les histoires d’amour, il n’y a que des histoires, jamais d’amour. Si je regarde autour de moi, qu’est-ce que je vois : des morts ou des blessés. Des couples qui prennent leur retraite à trente ans ou qui font carrière dans la souffrance.( Page 83 la retraite à trente ans)
Alors, au bout du compte, arrive cette déclaration d’amour à l’Inespérée, à la présence plus forte que tous les éloignements : « Cela fait bien longtemps que je ne sors plus sans toi. Je t’emporte dans la plus simple cachette qui soit : je te cache dans ma joie comme une lettre en plein soleil. » La nature de l’amour réside dans une quête d’absolu, où il s’avère que « les mots sont en retard sur nos vies. Tu as toujours été en avance sur ce que j’espérais de toi. Tu as depuis toujours été l’inespérée. » Nous pouvons enfin comprendre la nature de la révélation, qui tient plus à l’aimant qu’à l’aimé : « L’enfer c’est cette vie quand nous ne l’aimons plus. Une vie sans amour est une vie abandonnée, bien plus abandonné qu’un mort. » (Page 115)
L’écriture de Christian Bobin n’est jamais docte. S’il touche à nos émotions, ce n’est pas par souci d’esthétisme, ses flèches sont décochées pour mettre à jour nos vérités profondes, que l’on se cache parfois par pudeur de soi ou peur des autres, peur du jugement ou de n’être pas à la hauteur… Le plus beau cadeau qu’un tel écrivain offre à son public ne se niche-t--il pas dans le pari de son authenticité ?
19:41 Publié dans Blog, Livre, Sources | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : christian bobin, écriture, lecture, poésie | | del.icio.us | Facebook | | Imprimer
09/02/2013
Ermitage de charme
Ohé mes discrètes-souris-fidèles, que je devine nordistes accablées par la succession de jours gris, pluvieux, neigeux et /ou verglacés …Les plaisirs de l’hiver vous ont jetées au fond du lit, maussades et bougonnes, dans les transes dépressives d’un manque sévère de lumière ?
Prêts à tous les sacrifices, nous nous sommes mis en quête d’un remède infaillible, apte à parer vos songes dominicaux d’attraits ensorcelés, chargés de reflets ensoleillés et d’odeurs du large.
J’ai déniché pour vous ce petit ermitage de charme, planté au bout d’une presqu’île habitée de flamants roses et de grenouilles…
Imaginez le petit café matinal face à la mer dans cette demeure accrochée à son rocher comme une opiniâtre arapède ?
Monsieur Vauban l’a imaginée pour vous, la grâce de son bon Souverain Louis l’a érigée pour vous, la miséricorde de l’Histoire l’a conservée pour vous…
D’innombrables tempêtes ont porté assaut à ce bras de terre qui se tend encore vers les Îles d’Or
Les tumultes du temps ont fini par avoir raison de la batterie du Pradeau installée dans les années 1630 pour protéger les passes entre le littoral et les îles :
À l’Est, Porquerolles si proche qu’il paraît possible de s’y rendre à la nage :
À l’Ouest, l’îlot du Grand Ribaud sous les feux du soleil.
Et quand il faut s’arracher à la contemplation hallucinante des jeux d’eau et de lumière,
Dame Nature si prodigue offre encore l’occasion d’émerveillements ordinaires : les étangs des Pesquiers, résidus des anciens salins, où s’ébattent flamants insouciants, canards, cygnes et grenouilles ( à ton intention chère Anne-marie, toujours si concernée :270 espèces d’oiseaux recensées) … Tous oublieux des intrusions humaines qui grignotent le marais.
L’harmonie de ce territoire tient à un prodige naturel qu’il est bon de rappeler à l’Homme, fichu animal qui s’imagine toujours doté du droit de domination sur la terre offerte. Il y a peu, à l’échelle géologique s’entend, Giens appartenait à la famille des îles d’Or : sœur de Port-Cros, du Levant et de Bagaud, jumelle de Porquerolles, elle s’ébattait indépendante d’un continent jaloux de leur audace. Ce sont deux fleuves ombrageux, le Gapeau et le Roubaud, descendant des collines chargés d’eaux orageuses et d’alluvions qui ont poussé vers l’insolente fugueuse leurs sédiments. Aidés des courants marins, ceux-ci se sont accumulés jusqu’à former l’isthme de 4 km qui relie l’île à Hyères. Le phénomène est rare, on parle ici de double tombolo, puisque ce sont en fait deux cordons littoraux parallèles qui enserrent une lagune. L’exploitation du sel a commencé dès le Xème siècle, mais les salins ont connu l’apogée de leur exploitation à partir de 1848. L’activité a définitivement cessé en 1996, la presqu’île est dorénavant propriété du conservatoire du littoral, chargé de veiller à l’équilibre du biotope. Belle histoire pour ensoleiller votre veillée hivernale…
18:56 Publié dans Blog, goutte à goutte | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : presqu'île de giens, la tour fondue, carnet de campagne, protection du territoire, nature, oiseaux, îles d'or, hiver, soleil, écriture | | del.icio.us | Facebook | | Imprimer
20/01/2013
Alouette, gentille Alouette
Fuyons le ciel bas et lourd qui plombe nos week-ends…
En ce dimanche d’humeur grise, je me suis essayé à un petit clin d’œil louchant vers la comédie conjugale ordinaire, histoire de chasser quelques scories atmosphériques. J’espère que cette innocente saynète, taquinerie anodine, fera naître quelques sourires.
Alouette, gentille alouette,
Alouette, je te plumerais
Elle : Bonsoir mon chéri ! Tu rentres bien tard, heureusement que je n’ai rien mis à cuire. C’était encore très embouteillé ?
Lui : Oh comme d’habitude, les travaux, la pluie, trop de voitures… Et puis, je suis parti tard, Mercier nous a appelé d’Australie, juste quand j’allais partir, il a encore failli oublier le décalage horaire, quel étourdi celui-là !
Elle : Je vois. Bon oublie le boulot maintenant. Tu n’aurais pas envie qu’on s’offre une petite sortie, nous deux ? Comme ça en amoureux ?
Lui : Ce soir ? C’est un peu tard …
Elle : Non, pas ce soir, tu arrives à peine. En fait, je pensais plutôt à une sortie programmée, un événement qui sortirait de l’ordinaire…
Lui : Ben tu sais, le soir, moi, ce qui me fait plaisir, c’est de me délasser, lâcher un peu prise, comme on dit… Ce qui serait chouette, tu vois, c’est que tu m’attendes avec un bon petit verre, qu’on discute un peu tous les deux, qu’on prenne le temps de souffler au lieu de passer à table immédiatement quand j’arrive.
Elle : Mmouiii, tu as raison, on faisait toujours ça, avant… Bon si tu veux, assieds-toi, que veux-tu que je te serve ? Whisky, bière, cocktail ?
Lui : Cocktail ? Pourquoi pas ? C’est drôle que tu proposes un cocktail… Tu as encore le shaker sous la main ? J’ai l’impression qu’on ne s’en est pas servi depuis …Ouh, des années
Elle : Des années en effet…
Lui : Ah ! Ça me fait plaisir que tu aies cette idée, j’apprécie, je t’assure, vraiment…
Elle : Vraiment ? Tant mieux…
Tu sais en fait, je voulais te dire, hem… Oui, tiens, reprenons mon idée de sortie…
Lui : Hein, quelle sortie ?
Elle : Je te disais tout à l’heure que j’aimerais bien que nous allions un peu au théâtre…
Lui : Tu as dit ça ? Au théâtre, quelle drôle d’idée ? Il faut ressortir, s’habiller, reprendre la voiture… Trouver une place, oh la galère !
Elle : Mais non, il suffit de programmer à l’avance, tu n’es pas obligé de revenir me chercher, on se donne rendez-vous sur place, ce serait marrant, non,
Lui…
Elle : En tout cas, ça changerait un peu, tu disais toi-même tout à l’heure qu’on ne se parlait plus comme avant…
Lui : Justement, si on s’enferme dans une salle de cinéma ou de théâtre, on ne va pas se parler…
Elle : Évidemment, on ne parle pas pendant le spectacle! Mais au moins, avant et après, on a un nouveau sujet de conversation … Écoute, j’ai trouvé un site où on peut acheter des places pas chères du tout… Et tu sais finalement, on y a l’embarras du choix, des dates, des comédiens… Tiens regarde, j’ai mis le site en favori sur la tablette…Tu vois, là, sur la page d’accueil, Fabrice Luchini au théâtre Antoine …
Lui : Ouh à te voir excitée comme ça, toi, tu as une idée derrière la tête… Je vais encore me faire avoir, moi… Bon, écoute, je ne te dis pas non, mais là ce soir, je suis crevé, je n’ai pas envie de me fatiguer les yeux sur des écrans, j’ai eu ma part aujourd’hui. On en reparlera demain.
Elle : Demain, encore demain… Mais ce sera la même chose, demain ! tu seras encore fatigué, énervé, en retard, ou préoccupé, que sais-je ? Et moi, je passerai une soirée de plus à t’écouter te plaindre, à te servir à table sans que tu t’inquiètes de ce qu’a été la mienne de journée…
Lui : Oh non, ne commence pas avec ça ce soir, s’il te plaît ! On en a parlé des centaines de fois, ce n’est quand même pas ma faute si ton job ne te passionne pas ! Parce qu’au fond, tu veux que je te dise, tu m’en veux de m’investir et de tout faire pour réussir dans la boîte. J’en ai assez d’entendre tes reproches, alors que tu pourrais profiter du confort de notre situation !
Elle : Mais justement, qu’est-ce que tu appelles profiter ? Rentrer du boulot des heures avant toi, faire les courses, préparer le dîner, ranger, m’occuper des problèmes d’entretien et des factures, parce que tu n’as plus de temps pour nous, la maison et nos amis ? Mais j’ai envie de vivre comme tout le monde, moi, de me changer les idées, de profiter des spectacles qui existent, de me cultiver autrement qu’en lisant les critiques de Télérama ! Je veux être dedans, dans la vraie vie, j’en ai marre de camper à la marge depuis mon salon et ma télé…
Lui : Tiens, à propos de télé, t’as regardé les infos ? Ils en sont où de la prise d’otages ?
Elle : L’otage ici, c’est moi ! Tiens, regarde-là ta fichue télé, je vais mettre le rôti au four, puisque tu as encore réussi à cramer la soirée…
Alouette, gentille Alouette,
Qui sera qui plumé ce soir ?
12:32 Publié dans Blog, Conte-gouttes | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : écriture, saynète, dialogue, vie conjugale | | del.icio.us | Facebook | | Imprimer
05/12/2012
L'appétit de Mademoiselle Lê
Comme d’habitude, l’enfant s’est planté devant la fenêtre pour avaler le dernier gâteau de son goûter. Mademoiselle Lê ne s’en contrarie plus. Il y a longtemps que Mademoiselle Lê ne lutte plus contre ce qu’elle ne peut changer.
Manu, son élève, ne sera jamais musicienne. L’enseignante a honnêtement essayé d’expliquer le fait à ses parents, choisissant des mots précautionneux pour ne pas les peiner. La révélation de l’inaptitude de leur fille ne les a pas froissés. Ils ont cependant insisté pour que le professeur persiste dans l’éducation à la pratique de son Art. Touchée par leur modestie candide, Mademoiselle Lê a accepté de poursuivre sa mission. Par reconnaissance, la fillette apporte désormais quelques pâtisseries provenant de la boutique de ses parents.
Ce goûter imposé en prolongement des séances l’a d’abord offusquée. Endurer le pilonnage des touches de son clavier par les maladresses enfantines, c’était déjà douloureux pour sa dignité d’ancienne virtuose! Mais la colère de Mademoiselle Lê a fondu quand elle a compris le sens des remerciements parentaux. Conscients que leur voisine vit du fruit de ses études musicales, ils offrent en retour le meilleur de leurs talents : des religieuses, des Paris-brest et des petits-fours sortis tout chauds du fournil.
La bouche pleine et les mains constellées des miettes du mille-feuille qu’elle dévore avec application, Manu ne quittent pas des yeux les mésanges charbonnières qui virevoltent inlassablement sur la terrasse près du petit refuge en bois. Les oiseaux ont déjà perçu l’imminence des premières gelées et sont revenus vers l’abri. Occasionnellement, Mademoiselle Lê s’octroie une pause pour admirer la chorégraphie harmonieuse qui régit leur conquête du territoire. Parfois, elle imagine quelques notes, joue une suite d’arpèges illustrant leur manège. Les mésanges ont l’oreille plus musicale et attentive que bien des humains…
— Chais pas, mais là ch’crois bien qu’elles zaiemeraient goûter aussi mon gâteau…
Et Manu pose sur la crémone ses doigts collants de crème et de sucre. Mademoiselle Lê réprime un frisson. Paradoxalement, la spontanéité maladroite de la fillette lui apparaît comme une revanche sur son propre parcours. Ses nuits sont encore habitées de cauchemars remontés des limbes du passé: elle revit indéfiniment son apprentissage précoce du piano et la sévérité de l’éducation dans la Chine des années Mao, la terreur et la faim éprouvées pendant la longue période en exil pénitentiaire sous le joug de la Révolution Culturelle. Et puis, à son arrivée en Europe, l’outrance des excès alimentaires pour effacer les manques. Elle a alors supporté des troubles de l’appétit déstabilisants jusqu’à l’abandon de la carrière de soliste qui lui était promise.
Aujourd’hui, Mademoiselle Lê apprécie chaque jour de sa vie frugale. Elle a trouvé son chemin de paix en acceptant les contradictions du monde. Sa solitude est comblée par son chat et les merveilles dont son minuscule jardin lui offre la jouissance: les fleurs des plates-bandes, les jeux d’ombres et de lumière sous le tilleul, et les trilles des rossignols qui font vibrer la chaleur des nuits d’été. Alors, les rêves oppressants se diluent parce que le chant de l’oiseau amoureux célèbre sa plus grande victoire sur les bourreaux d’hier. Privée de nourriture mais aussi de partition et d’instrument, elle a maintes fois vaincu la famine rendue plus pénible par l’inactivité nocturne : durant ses années d’interdits, elle s’endormait en jouant mentalement, immobile sur sa paillasse, les morceaux difficiles que sa mémoire restituait fidèlement. Cette musique clandestine la nourrissait alors, lui permettait d’oublier sa souffrance, de surmonter ses manques. Elle avait cessé de dépérir comme ses compagnes.
Aujourd’hui, Il n’y a plus de Gardes Rouges pour l’empêcher de goûter à satiété Schumann et Brahms. Elle puise dans l’écoute et le travail de ces musiciens plus de vitalité que ne lui en procurent les repas ascétiques que seuls son estomac supporte.
Alors, Mademoiselle Lê regarde Manu éparpiller les miettes grasses du gâteau sur la terrasse. Elle lui tend la boîte de carton souillée de résidus chocolatés.
— Ne t’inquiète pas Manu, lui sourit-elle, ici chacun peut manger à sa faim…
17:51 Publié dans Blog, Conte-gouttes | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : manger à sa faim, écriture, nouvelle, musique, gourmandise | | del.icio.us | Facebook | | Imprimer
14/11/2012
Les mots plumes
J’aurais voulu que mes mots plumes
Dressent remparts contre les brumes.
La parole est caprice,
Fenêtre ouverte sur cicatrices
Nourries d’anciennes amertumes.
Mots parfois traitres à nos pensées,
Sitôt lâchés, maladroits messagers,
Échappant à la source qui les voulait légers.
Dans l’espace où ils voyagent
À mesure qu’ils tracent leur sillage
Les mots se chargent de mirages.
Ils arrivent vocables d'orages.
Soulevant des vagues oppressantes
Tu plies sous les déferlantes
Et tu cries ta rage.
Les mots perdus tombent comme plomb
La communication se rompt
Un silence hostile érige à la place
Une frontière tenace
Contre laquelle tout se fracasse.
Les mots plumes se sont évadés
Emportés dans la tempête
Ils n’ont pas opposé de résistance
Les vents d’Automne soufflent en tous sens.
D’autres mots s’échapperont de l’enclume
Clairs et doux, ils chasseront la rancune
Vêtus d’une dentelle d’écume
Ces mots aériens se poseront comme une plume
Effaçant d’un trait les blessures importunes.
19:23 Publié dans Blog, Conte-gouttes, Larmes d'O | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : écriture, poésie, communication, mots, les mots, solitude | | del.icio.us | Facebook | | Imprimer