La couleur des pages (30/03/2013)

Au livre ouvert de nos vies, nous tournons des pages blanches, feuilles vierges couvertes de caractères inattendus, à l’écriture sombre,  noyée dans la couleur boueuse des crues.  Avec l’âge, vient l’heure d’écrire des pages sages, ordonnées, où les mots se rangent sans frissons, lignes justifiées garantes de nos désirs pondérés. Éclaircies anarchiques,  au fil du catalogue s’incrustent les paragraphes où s’ancre la mémoire du cœur, la plus belle  et la plus indispensable de toutes nos  fonctions vitales.

Il advient que Hasard, dieu malicieux,  s’avise de bousculer  nos certitudes engourdies.  Il joue de vents contraires, bise d’hiver en plein juillet ou zéphyr langoureux sur nos mornes plaines, et tout à coup,  nos horizons basculent, nos nuits s’éveillent, nos tracas baissent la garde.  Ce sont alors des feuillets bleus, jaunes, roses , l’arc en ciel de nos amours, la palette irisée des moments heureux. Ces pages-là  détiennent un pouvoir. Elles sont  les piliers sur lesquels s’étaie le quotidien, elles préservent le capital émotionnel,  elles cadencent la complainte des vieilles douleurs qui rythme dorénavant  l’étrange état de ceux qui ont été.

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 Dans ma bulle affective, le dispensateur de ces bienfaits s’appelle Mathis. Son âge tendre déverse à tous moments une énergie sans faille, à l’instant d’ouvrir ses paupières jusqu’au moment de choisir l’histoire qui précède le coucher, cérémonie royale et sans façon qui mène à tour de rôle chacun de nous à son chevet.

Être Grand-mère ne saurait se résoudre à un  statut, il faut encore rester à la hauteur de l’enjeu et courir ce marathon de longue haleine. La petite silhouette cahotante court sur le trottoir pentu de la ville. Le spectacle  me réjouit autant qu’il mène au défi  mon rythme cardiaque. Il ne s’agit pas de le laisser filer sur la chaussée ou d’attendre l’inévitable chute sur le bitume qui  abîmerait sa dentition perlée. Pressé par mes appels, le fripon se retourne sans ralentir et la malice de son regard, hélas, n’a pas encore anticipé le trou entre les pavés. De ma besace , j’extirpe la panoplie du métier : mouchoir et consolation, ô bisous magiques. 

 À ce jour, Mathis est  engagé dans la conquête du langage. Quelles merveilles partagées se nouent maintenant grâce à l’évocation des mots. La puissance du vocable, la vitalité du verbe, la volonté expressive des sons : «  c’est moi qui fait… je suis le promier… attends je choisis… » sont désormais nos phrases clé, augurant toutes activités ou étapes de la journée.. Certes, certaines approximations fleurissent ici ou là, on n’attrape pas si facilement la complexités des consonnes  qui se cognent dans le tunnel du larynx. Mais qui ne serait touché par sa volonté pour attraper au vol les distorsions incroyables de notre langage si bien formaté ? Et puis il y a le rire. Le rire tonitruant ou grelottant qui trahit le joyeux luron caché derrière le rideau ou sous un fauteuil. La joie à fleur de peau qui habille d’insouciance son tout jeune être. Comme on voudrait  que la vie ne lui écrive que des pages multicolores! 

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17:35 | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : écriture, rêverie, grand-mère, transmission, joie du sourire de mathis | |  del.icio.us |  Facebook | |  Imprimer