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23/06/2011

Chutes…

- Ça démarre très mal, cette journée… Ferais mieux  de rester couchée. Pas moyen pourtant… Plus de lait pour le prochain biberon.

Malgré le mal de tête lancinant qui l’a atteinte au plus profond de son sommeil, Sylviane sait qu’elle doit se procurer la précieuse poudre pour Lilly, avant qu’elle ne se réveille, d’ici moins d’une demi-heure. La pluie qui tambourine sur les vitres au moins aussi fort que la migraine vrille ses tempes la dissuade d’habiller les enfants pour sortir… Et puis surtout, éviter que le bébé de six mois ne se réveille avant qu’elle ait le temps de préparer le prochain ravitaillement.

Un coup d’œil au coin salon : Léo s’est levé et habillé seul, il a l’habitude… Il s’est aussi préparé son petit-déjeuner comme un grand, du haut de ses cinq ans : le paquet de biscuits traîne sur la moquette à côté du canapé et  sur la table basse une briquette de lait chocolaté écrasée témoignent de son autonomie.

- Je sors une seconde Léo, souffle-t-elle à son fils, tu restes avec Lilly, mais ne la réveille surtout pas…Je vais au coin de la rue chercher du lait, je reviens dans un quart d’heure…

Léo ne détourne même pas la tête de l’écran de la télé où il regarde les dessins animés depuis un bon moment. Il opine simplement  du chef pour montrer qu’il a compris, comme d’habitude.

 Dans sa hâte, Sylviane enfile son pantalon de survêtement par-dessus son pyjama, elle glisse le plus gros de ses cheveux rebelles dans le chouchou qui traîne sur le lavabo, endosse son vieux blouson  à capuche ; elle glisse le porte-monnaie déjà trop plat dans la poche et claque machinalement la porte derrière elle.

- J’aurais dû prendre la clé ! Tant pis, Léo m’ouvrira, mais ça risque de réveiller Lilly.

 Fugace pensée disparue aussitôt  tandis qu’elle se lance dans l’escalier du petit immeuble où elle occupe encore un deux pièces étriqué au troisième étage, sans ascenseur évidemment.

 

 

Resté seul, Léo en a assez de ces dessins animés déjà vus plusieurs fois. Il éprouve le besoin de se dégourdir les jambes et en traversant l’entrée que vient de quitter sa mère, il se saisit du ballon qu’il a laissé tomber là la veille, en remontant du square. Le souvenir brûlant de la gifle que lui a value son dernier tir dans l’appartement arrête son pied à temps. S’il cassait encore quelque chose, Maman serait furieuse. Et puis s’il drible, le bruit va réveiller Lilly…

Alors, il ouvre la porte de l’appartement ; sur le palier, il ne cassera rien…

 

Au début, le ballon roule doucement vers la porte de la voisine, la vieille, très vieille Madame Saboura. Un petit tacle professionnel permet d’éviter le choc contre le battant de bois, qui n’aurait pas manqué de faire sortir la voisine. Léo n’a guère envie qu’elle s’offre encore à le garder, avec ses vieux biscuits rassis… Mais il a poussé le ballon un rien trop fort et celui-ci roule vite vers les marches. Le voilà qui rebondit rapidement sur les degrés, prenant de la hauteur au fur et à mesure. La course de la sphère s’achève pile dans la porte de droite, au deuxième étage. Le choc est terrible pour les Dutellier, qui achèvent leur toilette.  Pour Robert Dutellier, c’est l’alarme qui ouvre la porte à sa paranoïa latente.  Il se persuade qu’il s’agit d’un tir d’arme à feu dans le hall de l’immeuble et somme Anne, sa femme, d’appeler la police, tandis qu’il s’enferme aux toilettes, histoire de laisser les voyous se calmer…

Sur le palier, le ballon reprend de la vigueur après ce heurt, il rebondit de plus belle jusqu’à la rampe, dont il attaque la tranche de trois-quart. Ce faisant il évite la porte de l’appartement de gauche et c’est dommage, car il aurait tiré de sa torpeur suicidaire Hervé Galinet, abruti par les curieux mélanges alcool-cannabis et  autres substances  inusitées avec lesquelles il lutte contre la dureté des temps. Galinet n’a rien entendu au fond de son brouillard cérébral. Pourtant dans sa cuisine, l’eau bout depuis un quart d’heure dans une casserole, elle  continue de déborder à gros flots sur le brûleur à gaz qui menace de s’éteindre sous les vagues bouillonnantes. Mais Hervé Galinet a oublié qu’il avait envie d’un café…

 

 Léo s’est élancé dans la cage d’escalier, à la poursuite de son ballon rouge et noir. Malgré ses cinq ans seulement, il a conscience que sa maladresse ne passera pas inaperçue. Il espère encore rattraper l’objet avant que l’un des voisins ne s’en mêle. Sans pitié, le  ballon prolonge sa descente infernale vers les appartements du premier. Du plat de la main courante, il atterrit en face sur la courbe du mur,    entraîné dans ce mouvement de va et vient par la synergie, la force de la chute multipliée par la vitesse des rebonds… La sphère caoutchoutée a acquis sa vitesse maximale quand elle percute la tête d’Adèle Saboura, de retour de ses courses matinales. Adèle, la voisine de Sylviane, a  atteint quatre-vingt-six ans et peine à marcher, mais pour rien au monde elle ne renoncerait à son appartement du troisième, qu’elle entretient seule, s’acharnant à refuser l’aide de la mairie pour les courses et les menus travaux. Agrippée à la rampe de la main droite,   sa canne dans la main gauche ne l’empêche pas de saisir les barreaux pour tirer  sur se bras et hisser ses pieds enflés, un degré après l’autre, les trois étages à grimper comme un défi journalier au temps qui passe. Elle a entendu les chocs successifs et deviné plus qu’elle n’a vu l’ombre du projectile. La violence de l’impact ne lui laisse aucune chance et tandis que son corps tout cassé s’affale par-dessus la rambarde, elle atteint le carrelage du hall  au rez-de-chaussée plus vite que l’objet assassin.  Le ballon marque une halte sur le palier du premier, brise au passage l’applique murale qui éclaire les parties communes. Il semble déconcerté par les morceaux de verre qui se déposent sur le parquet, zigzague un instant comme une boule de billard avant de rouler mollement vers la dernière volée de marches. Le premier degré franchit, sa chute infernale reprend, sans violence, comme s’il avait épuisé sa brutalité dans l’agression d’Adèle.

 

Léo saute maintenant les marches du plus vite qu’il le peut… S’il le pouvait, il descendrait sur la rampe, mais il n’est pas mûr encore pour imaginer de telles acrobaties. Alors il s’élance vaillamment dans le vide, bravant sa crainte de tomber comme son ballon… Il arrive sur le palier du premier étage, il n’a pas vu la chute de la vieille Adèle, il se tenait contre le mur et n’avait pas le panorama sur l’ensemble de la cage d’escalier… Mais il a entendu la résonance terrifiante de l’impact. Il n’aime pas la sensation du verre pilé sous les semelles de ses chaussons. Encore un étage, il est certain que son ballon n’ira pas plus loin que le hall de l’immeuble… Alors il pose le pied sur la marche suivante, encore une fois, il entend distinctement le dernier rebond du caoutchouc gonflé sur le dallage… Cette fois, Léo imagine tellement fort la butée de l’objet contre le portail de la rue, il se voit déjà en train de le ramasser et de remonter le plus rapidement possible auprès de Lilly…

À la troisième marche avant le sol, il réalise qu’il n’a pas la clé de l’appartement… Mais sa pensée disparaît dans l’éblouissement soudain de l’énorme boule de feu qui mange la cage d’escalier dans son dos. Il n’a même pas conscience du vacarme qui secoue  le quartier tout entier. Le souffle de l’explosion le propulse contre les conteneurs des poubelles comme une poussière minuscule et sa dernière pensée avant de s’évanouir est pour ce ballon qu’il voudrait ne plus lâcher… Un bien vilain ballon qui  lui a échappé sans ménagement, qui a provoqué tant de dégâts mais n’a pas su déranger la bonne personne. Dans l’appartement d’Hervé Galinet, l’eau a fini par éteindre la flamme de la cuisinière, laissant s’échapper le gaz. Les coups de boutoir répétés par les différentes chutes ont fini par ramener l’homme à l’envie de son jus matinal ; dans son semi coma, il a allumé les lumières sans sentir l’odeur putride des émanations… Les pompiers ont travaillé longtemps afin d’extraire les victimes ; personne ne pourra  jamais imputer au ballon le décès d’Adèle.

Léo, lui a compris, mais il n’a rien dit quand les pompiers l’ont enfin trouvé au milieu des gravats, recroquevillé dans le ventre éclaté des poubelles.   Il a bien trop peur que Maman lui confisque le ballon qu’il tient très fort contre son cœur.

 

 

 

04/06/2011

C'est l'histoire…

C'est l'histoire  est un jeu de créativité proposé dans le cadre de l' ACL.

Les lignes en vert constituent le point de départ d'une histoire. C'est  Galina qui a donc imaginé la situation que je me suis ensuite appliquée à dérouler… Lorsque nous nous sommes revues quinze jours plus tard, elle ignorait comment j'avais mené son affaire…

 

écriture, nouvelle, récit, acl, Cambodge, tempête

Tempête à bord…

 

 

    C’est l’histoire de cette traversée et de son équipage sur le paquebot “Cambodge “. J’avais alors vingt-trois ans. Mes malles étaient entassées dans la cale parmi d’autres et inaccessibles. Je passais le plus clair de mon temps à visiter le paquebot avec ses couloirs, ses escaliers, ses écoutilles à n’en plus finir. Parfois même, je prenais des portes et des couloirs sans savoir où ils me mèneraient. Mais ce qui me plaisait le plus, c’était de me retrouver à la coupée du commandant.

    Là, j’observais la passerelle du paquebot s’étendant devant moi, se terminant en pointe, comme une flèche, faisant corps avec l’étendue de l’Océan.          

 

**

    Comme souvent, ce jour-là, je m’étais glissée dans la coupée, avec l’accord tacite et bienveillant des marins de quart. Depuis mon  poste d’observation, je réalisais peu à peu une certaine tension des hommes à leurs postes.

             Au loin, l’horizon s’assombrissait et devenait menaçant. Le commandant pris le message que lui tendait son personnel radio.

          - Nous allons rencontrer une tempête, assez forte, informez le personnel et l’équipage, lança-t-il.

         À peine avait-il donné ses ordres que  l’apparence des flots autour de nous s’était complètement modifiée. Du bleu profond auquel nous étions habitués, la mer avait viré au gris sombre, se creusant de plus en plus profondément, les crêtes  mouvantes et désordonnées  s’ornant de larges festons blancs.

    Semblant prendre conscience de ma présence pourtant discrète, le commandant m’ordonna de regagner les ponts inférieurs avec les autres passagers. Son ton était tellement déterminé que j’obtempérai sans répliquer.

 

    Il était d’ailleurs grand temps de se mettre à l’abri. En quittant le pont supérieur, j’eus le temps de regarder par les baies vitrées du grand salon. Je vis passer en un éclair ce que j’identifiais comme des matelas ou des couvertures de transats, que le personnel n’avait pas eu le temps de ramasser. »Profits et pertes » pensais-je en souriant. L’instant d’après, le navire plongea violemment dans un creux et je me retrouvais accroupie sur le sol, résolue à trouver rapidement un moyen de stabiliser ma posture.

 

***

 

    Nous étions assez nombreux  réunis dans le salon du pont moyen, où se déroulaient régulièrement les spectacles nocturnes proposés pour égayer les soirées à bord. À cette heure de la journée, il était habituellement désert, mais son décor cosy semblait tout à fait approprié pour éviter de penser au ciel subitement assombri, aux éclairs aveuglants qui se déchaînaient maintenant tout autour de notre paquebot. Comme moi, la plupart des passagers étaient résolus à faire confiance à notre capitaine et à l’équipage. Les histoires de croisières entendues ça et là faisaient suffisamment état de leurs expériences… Ils en avaient tous vu d’autres ! À l’abri de l’écrin aveugle que formait cette salle de spectacle, les passagers faisaient front avec patience.  La dépression semblait sérieuse et malgré sa taille respectable, notre navire était agité de soubresauts intempestifs. Le capitaine avait expliqué par l’intermédiaire du réseau de communication interne qu’il essayait de ne pas dérouter le navire mais qu’il devait manœuvrer au plus près pour prendre  les lames de trois quarts afin de maintenir la stabilité du bâtiment. Rassurés par ces commentaires, les voyageurs reclus plaisantaient,   forçant parfois la note, comme s’il s’agissait de sauver la face.    Peu à peu cependant, et malgré les collations proposées par le personnel dévoué, chacun se sentit gagner par un malaise désagréable, de plus en plus manifeste à la longue. Les conversations s’éteignirent au fil des heures.  Nous cherchions à suivre les mouvements du paquebot, persuadés qu’en acceptant  mentalement ces déplacements brutaux, nous échapperions à l’inévitable mal de mer qui s’annonçait de plus en plus dominateur… Hélas, nos efforts n’étaient pas également récompensés.

    Les haut-parleurs grésillèrent  enfin. Réconfortés, nous nous redressions déjà sur nos banquettes, quand la voix du Capitaine  requit notre attention :

    - Mesdames et Messieurs, la tempête que nous traversons actuellement risque de se prolonger toute la nuit…  Compte tenu des conditions particulières, ceux d’entre-vous qui le désirent pourront se restaurer d’un repas froid  au self- service du pont moyen, puis nous vous prions de regagner vos cabines le plus rapidement possible. En aucun cas vous n’êtes autorisés à sortir sur les ponts supérieurs. Merci de votre compréhension.

    Ce message eut pour effet d’accentuer le découragement qui guettait certains d’entre nous. Je vis en particulier le visage de ma voisine se froisser en une mimique trahissant son angoisse. En dépit de son âge mûr, elle semblait sur le point de pleurer comme une fillette éperdue.

 

****

 

    Au milieu de la déroute générale qui s’annonçait, j’entendis alors la voix claironnante de l’un des animateurs de nos soirées divertissantes… Son timbre nasillard et instable, comme s’il était en mue perpétuelle, était aisément reconnaissable. Accentuant le déséquilibre que le tangage du paquebot lui imposait, l’homme se dirigeait vers l’estrade arrondie réservée aux spectacles. Ses comparses habituels le rejoignirent à leur tour. Dans la confusion des heures précédentes, personne n’avait reconnu leurs silhouettes, mais leur intervention les sortaient de l’anonymat. L’un d’eux se mit au piano, et même si ses doigts n’attrapaient qu’une note sur trois, la mélodie endiablée qu’il semblait poursuivre dopa l’assistance. Sans réfléchir, je me mis à fredonner cette musique  qu’en temps habituel je n’apprécie qu’à dose homéopathique. Je n’étais pas la seule à réagir de cette façon. Les animateurs se mirent à frapper dans les mains, manœuvre pourtant risquée car il leur fallait surtout assurer leur position verticale ! Inévitablement, l’un d’entre eux perdit l’équilibre et se retrouva affalé devant la grand-mère prête à pleurer tout à l’heure. Ragaillardie, elle ne put s’empêcher d’éclater de rire et tenta de prêter main-forte au comédien étalé à ses pieds. Ce fut le début d’un sketch inattendu. Faisant mine d’aider son voisin, chacun endossa le rôle des dominos, et charivari du navire ou pas, voilà le salon envahi de clowns à quatre pattes, se livrant à des galipettes  involontaires ou provoquées, accompagnés d’un fond sonore délirant et tapageur.

    En quelques minutes, Angoisse et Impatience avaient cédé la place à l’hilarité et au défoulement enjoué.

     Confortés par ce succès, les animateurs enchaînèrent les numéros que  la tempête réinterprétait avec force remous. Ces saynètes déjà vues au cours des soirées précédentes paraissaient tout à coup nettement plus drôles, leur effet comique contaminant les assistants qui ne résistèrent pas tous à la tentation d’y ajouter un grain de sel de leur cru… Si bien que la salle était en effervescence depuis plus de deux heures, sans que quiconque ait prêté attention aux interventions diffusées depuis le poste de commandement.

 

     La nuit s’avançait cependant, et avec le point de l’aube, le vent perdit enfin de sa force. L’amplitude des lames s’amenuisait imperceptiblement, mais dans la salle peu s’en rendirent compte en temps réel. L’excitation générale avait permis d’occulter le désagrément des roulis et la crainte légitime devant les colères de la mer.

 

 

*****

 

     De mémoire de Capitaine, jamais une si longue traversée n’avait connu une ambiance pareille !

    Après un repos bien mérité, équipage et passagers se retrouvèrent à tous moments du périple comme les membres privilégiés d’une compagnie confraternelle. Il semblait difficile d’échapper à cette solidarité née de l’épreuve dominée ensemble.

             Alors que le début de la traversée m’avait apporté l’ivresse des espaces infinis dépourvus d’horizon, la volupté de remplir mes poumons d’air vif saturé d’embruns, d’emplir  mon esprit d’images et de sensations de liberté entre ciel et mer, voilà que le plus beau moment de ce voyage avait eu lieu dans le ventre aveugle  de ce paquebot, au même titre que mes valises entassées dans la soute. Quelle ironie !

      Au plus vif  de la tempête, le commandant et ses marins de quart, bien trop occupés à leur poste pour s’enquérir du confort des passagers, n’avaient pas eu connaissance de notre désobéissance à leur injonction de repli dans nos cabines. Ignorant la liesse qui nous avait unis, ils attribuaient cette atmosphère si  subtilement chaleureuse à notre soulagement et notre reconnaissance pour leur qualité de pilotage. Personne n’a  ensuite songé à les détromper.

    Voilà des années que j’ai accompli ce voyage qui devait changer ma vie à tout jamais… J’avais embarqué le cœur partagé entre le déchirement de quitter ce pays d’Asie qui m’avait vu grandir, et une insatiable curiosité pour l’Europe et ses promesses…

    S’il me fut donné un moyen de surmonter mon dilemme, c’est à cette tempête que je le dois. Car cette nuit-là, j’ai partagé un moment de solidarité inoubliable, et  j’ai souvent revu la petite grand-mère au bord des larmes… Car sous son regard bienveillant,   au milieu des heurts du tangage,  j’ai embrassé pour la première fois l’homme qui, bien des années plus tard, est devenu le père de mes enfants 

 

11/04/2011

Tant de printemps…

Il y a dans la vie des printemps qu’on ne vit pas toujours à vingt ans.
Il y a des printemps en fleurs et des printemps en pleurs.
Il y a des printemps en hiver et des saisons à l’envers.

Sur la planète bleue, les couleurs s’encanaillent
Sur la palette  tous les verts  virent en pagaille
Vert tendre,  vert anis,  vert amande, vert d’argent …
Nos prunelles s’ensoleillent sous ce foisonnement.

L’attente est trompeuse qui s ’accroche à l’habituel
Des ardeurs d’accouchement dans ce rituel,
Espérance ou Bienveillance d’une Mère Nature
Parfois si tendre, parfois si crue et dure …

26/03/2011

Points de vue…

On  sait combien les témoignages sont subjectifs…
Naguère, je vous contais les retrouvailles amusées de GéO et de sa première Dulcinée (première d’une longue liste, si l’on prête l’oreille aux légendes…), récit que j’avais intitulé Amours d’antan. Un petit clic sur ce titre joliment bleuté, et hop, mon point de vue de témoin particulier de l’événement réapparaît…

Depuis GéO s’est hasardé lui aussi sur les voies des concours webistiques.  À l’occasion de la Saint Valentin, le site  http://disnous.fr/ avait organisé un concours de nouvelles sur le thème des premières amours. GéO s’est amusé à rédiger SA version de cet épisode piquant  et l’a adressé au site en toute discrétion. Or voilà que le jury a été sensible au charme de l’anecdote et notre GéO est récompensé, oui, oui, par une troisième place !!! Le plus beau de l’affaire est que nous attendons pour lors une récompense qui promet d’être concrétisé par un coffret de champagne au nom d’une certaine veuve bien connue des amateurs… 

Ce succès de GéO nous réjouit et m’offre l’occasion d’une petite réflexion sur la subtilité des témoignages… Nous  vivons chaque événement selon nos critères : caractères, sensibilités diverses, disponibilité et réceptivité, mais la manière de relater les faits dépend aussi de facteurs qui créent une différence subtile. Aussi m’a-t-il paru amusant d’ouvrir une rubrique  à l’encre de…  GéO , et de publier, avec son accord, son texte. Certaines d’entre vous, fidèles souris critiques,  profiteront  demain des gouttes de pluie promises pour jouer à comparer les deux versions.  Et d’aucuns en profiteront pour souligner combien je m’égare parfois dans la menée de nos aventures … Mais moi, je ne gagne pas de champagne… Tout au plus ai-je droit à votre fidélité  distinguée et votre considération assidue, et à mes yeux, ça n’a pas de prix !!!


À l’encre de …  GéO
Premières amours



Août 1958, enfin les congés. Depuis une année que je travaille, les vacances scolaires ne sont plus que souvenirs. Je pars camper avec ma moto en Normandie où trois amis me rejoindront. Mais surtout, je suis heureux, je vais revoir Gilberte dont je suis tombé amoureux, il y a un an. Depuis nous avons commencé un échange épistolaire qui va devenir quotidien. Comme la distance et le temps abolissent progressivement toute retenue, nos écrits sont devenus parfois chauds et osés. Aussi, lorsque nous nous retrouvons face à face, nous avons l’étrange impression d’être en présence d’un être étranger, figé, totalement différent de celui avec qui nous avons correspondu si librement. Elle travaille cet été à l’épicerie du village et semble vouloir maintenir une certaine distance entre nous. Ce n’est pas ainsi que j’avais imaginé nos retrouvailles. Pourtant, c’est réel, nos relations se distendent. Cela me perturbe, mais j’espère que les vacances finies, nous reprendrons notre correspondance et que tout rentrera dans l’ordre.
   Hormis cela, le mois passe comme un rêve. Nous sommes souvent rejoints par des amis du cru. Les journées comme les soirées sont animées.
   Puis nous reprenons Gilberte et moi, nos écrits mais je sens bien que le cœur n’y est plus. Je profite d’un pont, en Novembre, pour faire un voyage express afin de la voir. Bien que prévenue, elle refuse de sortir de l’Hôtel où elle travaille. Il fait nuit. Face à la mer qui bat dans le port, devant la bâtisse éclairée, dans le froid et le vent qui me transperce, je la regarde une dernière fois, l’apercevant derrière une fenêtre du premier étage. La rengaine de Colette Renard “Tais toi, Marseille” me trotte dans la tête et ajoute à mon désespoir. Dans la pénombre elle m’observe sans un signe. Le cœur lourd, je me résous enfin à partir. Dès le lendemain, désespéré, je rentre à Paris. Nous ne nous reverrons jamais. 
Ce fût mon premier chagrin d’amour.

Juin 2009. Avec mon épouse, nous envisageons un “pèlerinage” sur les lieux de notre jeunesse. Elle veut revoir les pêcheries de sa jeunesse et moi, ma Normandie. Nous trouvons sans difficulté  une chambre d’hôtes dans une petite commune que j’ai bien connu. Notre logeuse, Michèle Vincent, est pour moi une parfaite inconnue. Pas un instant, je ne me doute que Gilberte se dissimule sous ce nom. Elle a changé de patronyme par son mariage, et de prénom pour reprendre celui de son mari décédé.  Imaginez ma surprise lorsque, après m’avoir demandé si je connaissais le village, elle se fait reconnaître en m’avouant qui elle est ! Elle de son côté était persuadée de mon identité, n’ayant personnellement changé ni de nom, ni de prénom.
Et ce sont les retrouvailles... cinquante-deux ans ont passés...
Voilà, l'histoire est ré-écrite et la suite a été super sympa, l’accueil si naturel de sa part et de celle de son compagnon Dominique, la soirée passée tous les quatre ensemble dans leur jardin et tous ces souvenirs. Une étape qui restera gravée dans notre mémoire comme une plongée dans notre jeunesse.


19/12/2010

Le moulin des contes

Nichée dans une ruelle minuscule, au sommet du centre historique d’Hyères, il faut bien chercher pour débusquer la librairie intitulée le moulin des contes.
  L’affaire n’a  pas été simple : frigorifiés,   nous avons erré une bonne demi-heure dans les ruelles glacées de la cité, que nous ne connaissions ni l’un ni l’autre. Même  le fidèle Tom Tom, héros de la technologie itinérante, n’avait pu nous mener  à bon port dans ce dédale de rues piétonnes. Il nous a donc fallu franchir un véritable labyrinthe  de rues étroites, pentues et serpentines, dessinant une spirale ascendante jusqu'au cœur de la vieille ville. Enfin  nous parvenons devant  la porte du lieu, où un mail de Catherine Brutinel nous avait conviés, en ce vendredi 17 décembre.  La  discrète rue du puits existe bel et bien, et nous y découvrons une  accueillante vitrine à l’ancienne, aux panneaux abondamment recouverts  de posters divers…

La porte franchie, nous sommes accueillis par le maître de céans, qui nous convie à nous fondre dans l’assemblée déjà réunie. La pièce où nous venons d’entrer paraît exiguë en regard du nombre d’invités qui bavardent entre les étals. Mon regard est  immédiatement attiré par les superbes marionnettes mises en scène sur toute la longueur du mur de droite… Deux ou trois alcôves ont été aménagées pour favoriser leur mise en valeur; leurs atours chatoyants, les faces maquillées des poupées de bois, les attitudes dans lesquelles elles ont été figées m’évoquent irrésistiblement le Marionnettentheater de Schönbrunn, découvert en septembre dernier.
Le centre de la pièce est occupé par de larges tables offrant aux visiteurs les couvertures aguichantes de livres, dont la plupart sont destinés à un public d’enfants. Je comprends pourquoi la seule personne capable de nous aiguiller un peu au cours de notre pérégrination était une jeune maman…

   Mais les contes de ce moulin ne s’adressent pas aux seuls enfants.
   Christian et Catherine Brutinel ont  à peine modifié cet  ancien moulin à huile, désireux d’en préserver les traces de vie antérieure, et tant pis pour la gêne relative occasionnée par une rigole creusée dans le pavement autour de la dalle de meulage.  Ainsi  aménagé, l’endroit semble hors du temps, et perd sa mine de commerce pour se métamorphoser en antre de la culture. D’ailleurs, je m’aperçois rapidement que d’incertaines piles de confitures voisinent aimablement avec des carnets de notes, des agendas aux couvertures régionales, des éditions de volumes qui n’apparaîtront jamais dans les rayons librairie des supermarchés. 

Éloigné des artères commerçantes de la ville, le couple a choisi d’offrir un centre de rencontre aux amoureux des livres et de la lecture, sans limite d’âge ou de centre d’intérêt, si ce n’est le désir de communiquer à l’unisson autour des mots, en échangeant des histoires et des mythes, en partageant le plaisir de la lecture avec ceux et celles qui rêvent d’écrire.


Depuis des années,   Christian et Catherine Brutinel consacrent leur énergie à la transmission des contes, ainsi qu'ils le définissent sur leur site au lien ci-dessous.
http://contes-actes83.monsite-orange.fr/index.html

 Soutenus notamment  par le parrainage du Lions club, ils ont en outre étendu cette noble ambition à l’association culturelle Lire à Hyères  aux objectifs  exposés sur la page d’accueil du site référencé ici :  http://lireahyeres.monsite-orange.fr/.
Parmi ces activités, l'annonce du concours annuel de nouvelles thématiques a semblé m' adresser un clin d’œil proprement irrésistible…



Au printemps dernier, je me suis donc  lancée dans l’aventure qui me tient à cœur depuis des lustres.
Lecteurs et lectrices anonymes mais fidèles,vous n’êtes pas sans avoir remarqué que de temps à autre, je publie sur ces pages  des textes fictionnels ou de menus poèmes plus ou moins sérieux. Sans ouvrir ici un bureau des plaintes, il est honnête de constater que mes petites histoires, plus ou moins fignolées, n’ont guère suscité d’échos.… Par  modestie, manque d’intérêt, ou indifférence totale de mes souris-lectrices, je ne sais, mais  face à un tel désert, immense est mon sentiment de solitude…
  À l’automne 2009, décidée à prendre mon destin en main, je vous contais comment j’avais résolu d’envoyer un premier texte au Hangar, site proposant  alors un challenge de nouvelles. Ma mésaventure, relatée alors ici : http://gouttesdo.hautetfort.com/archive/2009/12/20/mesave...
m’a tout de même permis d’entamer avec ce site communautaire un partage de notes de lecture qui se poursuit encore à ce jour, malgré les aléas des parcours de chacun… 

Mais l’idée était en germe et j’ai poursuivi ma démarche, jusqu’à débusquer cette occasion  radicale  de me frotter aux regards de lecteurs volontaires.  Sans me vanter ni me bercer d’illusions, j’ai donc adressé  en juin dernier à Lire à Hyères deux nouvelles peaufinées par mes soins.

 Cette démarche suppose la gestion d'une légitime impatience. Nos écrits voyagent,  et il faut accepter de les perdre de vue…  Silence accepté pendant tout l’été,   silence persistant en ce début d’automne.
 Indubitablement  convaincue que mes talents ne devaient pas être reconnus en ce bas et vil monde, j’ai fini par publier ici la seconde des nouvelles en jeux, La dauphine et le baby-foot *, en priant le ciel qu’un lecteur au moins manifeste un début d’intérêt… Las !
Jusqu’au 1er novembre dernier… Un mail cordial de Catherine Brutinel m’informait que ma nouvelle Retour**  était retenue pour la publication du recueil des prix 2010.  Je n’avais pas décroché de distinction particulière, mais un de mes textes serait dorénavant couché sur le papier … Un grand calme se fit en moi… Enfin !

 Est-ce dû au gène sceptique de mon caractère, avant de vous confier mes émotions, il me fallait être sûre et certaine  que je pourrais voir de mes yeux ces quelques lignes imprimées. C’est chose faite depuis vendredi, et mieux que ça… j’ai entendu deux ou trois petites notes célestes arpégeant  la poésie de mon écriture… Mais chut ! J’ai bien trop peur  qu’un manque brutal de modestie de ma part n’étouffe définitivement les flammèches à peine allumées  de la renommée…

Pour références et avec mes remerciements:

Éditions du Moulin des Contes

3bis rue du puits

83400 Hyères

 Tel 04 94 35 79 28

 

* http://gouttesdo.hautetfort.com/archive/2010/10/30/la-dau...

** http://gouttesdo.hautetfort.com/archive/2009/01/30/retour...

12/12/2010

Ode de Noël

Si j’avais un talent,                                                                            
Un art solitaire et gratuit                                                                   
Je voudrais qu’il  soit celui                                                               
D'inventer des mots étonnants.                           

Des mots pour tout te  dire …                                                         
Des mots bout à bout qui touchent                                                 
Des mots gais qui n’écorchent pas                                                 
Des mots  assagis pour ouvrir                                                        
Tes yeux et ton sourire                                                                   
Des mots qui effacent                                                                     
Les vilaines traces                                                                          
Des blessures nées d’escarmouches.                                            

 Lors, il suffirait que mon talent                                                       
Sache accrocher ces belles pépites                                              
Sous la voûte du ciel,  au sommet des sapins.                              
Ces guirlandes de mots chanteraient                                             
Le plaisir des menues fêtes quotidiennes,                                     
La  félicité d’ échanges sans contraintes,                                      
Elles enchanteraient nos étreintes.                                                
Elles pareraient nos vies d’étoiles insolites.                                   


Si j’avais le talent d’un poète                                                          
Le don prodigieux d’embraser la planète                                       
De phrases réjouissantes et vives                                                 
Tu t’émerveillerais  des Noëls qui arrivent…                                  



Si j’avais ce talent                                                                            
Je t’habillerais aux couleurs de  mes rêves                                     
Tu vivrais dans cet éternel ravissement                                           
Ton avenir gravé  d’une unique trêve.                                              

30/10/2010

La Dauphine et le Baby-foot


C’était le dernier achat de Jean-Paul.

Il n’avait pas encore reçu sa feuille de route, mais il n’avait évidemment aucun doute sur l’imminence de l’Appel. En cette année 1959, la tournure des événements  sentait le roussi, pour reprendre l’expression de son père, et Jean-Paul, comme  tous les amis de sa classe, ne se berçait pas d’illusions. Pour  tous ceux qui, comme lui, devaient fêter leurs vingt ans, ce serait sans appel vingt-huit mois minimum d’incorporation.

 Et pourtant, il l’avait achetée,  sa Dauphine, convoitée si longtemps; il avait accroché aux formes rondes et élégantes de la voiture ses rêves d’avenir, l’argument décisif qui avait fait fléchir André, son père, pourtant peu enclin aux fantasmes.

- Tu comprends Papa, l’argent que j’ai gagné à l’usine depuis deux ans, il est déjà investi. La voiture, elle sera là quand je reviendrai, je n’aurai plus qu’à finir les démarches pour la licence du Taxi. Tu verras, c’est un bon plan…Maintenant, je te montre comment tu vas la faire tourner de temps à autre, pour que la batterie  ne se vide pas…

André avait accepté de garder la voiture dans le garage du pavillon. De toutes les façons, il n’avait jamais eu de voiture et n’avait même jamais passé son permis de conduire…

 

Depuis le départ de Jean-Paul pour l’Algérie,  chaque dimanche, André ouvrait en grand la porte du garage, tirait la bâche de protection, la pliait soigneusement, avant de se livrer méticuleusement au rituel  d’entretien promis à son fils : faire tourner le moteur sur place cinq à dix minutes,  passer la chiffonnette douce sur la carrosserie.  Il lustrait les chromes et lessivait les optiques, sans oublier le rétroviseur tout rond apposé sur la portière gauche, une option dont Jean- Paul était très fier.   Ce faisant, il se livrait à son monologue  intérieur, ponctué de quelques mots échappés malgré lui, véritable conversation entre la voiture et lui-même : si une lettre de son fils était arrivée dans la semaine, André transmettait les nouvelles telles qu’il les avait lues et digérées:  les potins de chambrée,  les exercices d’entraînement,  les menus événements que le soldat avait le droit de  raconter… Cette discussion intime le soulageait d’un poids terrible, l’absence de son fils unique, il avait l’impression de s’adresser à la Dauphine comme il aurait donné des nouvelles à la fiancée que Jean-Paul avait perdue.

 

De son côté, Monique, son épouse, s’affairait à l’étage dans la chambre de leur enfant. Sans exagération, c’était la pièce la mieux entretenue du pavillon, où pourtant, Monique ne ménageait pas sa peine. Car cette pièce quasiment  intouchable avant le départ de Jean-Paul, était devenu son sanctuaire : Le lit fait de draps propres, pour quand il aura une permission, la poussière  inexistante essuyée tous les deux jours, les vitres de la fenêtre lessivées une fois par semaine, malgré les volets fermés. André la taquinait :

- Si tu crois que JP va faire attention au ménage !

- À force de frotter cette armoire, tu vas la rendre plus aveuglante qu’un miroir…

Monique n’avait cure de ses menues moqueries, elle s’acharnait tout particulièrement sur l’électrophone Teppaz que la famille entière s’était cotisée pour offrir aux vingt ans de Jean-Paul. Au lieu de l’installer dans le salon, pour en profiter, comme son fils le lui avait suggéré, elle l’avait soigneusement refermé et installé sur la table devant la  fenêtre, le  "bureau " de son enfant. Le plus difficile consistait à dépoussiérer cette étrange matière mi-tissu mi-plastique dont semblait faite la coque de l’appareil. On  aurait dit un tissu pied-de-poule, un granité de plastique qui accrochait la poussière de sorte que celle-ci  menaçait d’entrer par  la trame qui recouvrait les haut-parleurs intégrés.

Et puis il y avait maintenant dans l’angle de la pièce le baby-foot. Ça, c’était plus récent. Le baby-foot avait été gagné des années auparavant, personne ne savait plus comment, par Jean-Paul et son groupe de copains, dans une kermesse, un gros lot, elle n’avait peut-être jamais su exactement. Comme il fallait bien entreposer l’engin quelque part, le groupe avait choisi le pavillon de ses parents, le plus spacieux de tous les logements de la bande. D’abord, André et Monique n’y avaient pas consenti de bon cœur, ils redoutaient l’un et l’autre le bruit que les parties allaient générer. En réfléchissant bien ils s’étaient dit qu’après tout, les gamins seraient mieux là qu’à traîner Dieu  savait où, dans les cafés par exemple, et ils avaient accepté à condition que ça se passe dans le garage… Il y en avait eu des parties, dans ce sous-sol, puis des surprises-parties, avec whisky-coca, musique à fond, et les filles qui avaient commencé à s’introduire, une par une, toujours souriantes et gentilles… Il y avait eu pour finir Patricia, jolie comme un cœur…Mais elle avait  rompu net avec son Jean-Paul, à deux mois de l’incorporation! Celle-là, elle ne lui pardonnerait pas la mine tirée et l’humeur chamailleuse de son garçon, le premier  chagrin d’amour asséné.

 

L’arrivée de la Dauphine avait bousculé l’ordre des choses. Il avait fallu monter le baby-foot au premier étage, dans la seule chambre aménagée sous comble. Alors, voilà, elle pestait un peu en époussetant aussi l’engin, se coinçait les mains dans les figurines de bois qui tournaient vicieusement dès qu’elle cherchait à soulever la poussière du tapis vert au fond. Mais en même temps, ce baby-foot, c’était aussi un peu de Jean-Paul qui était rentré dans son antre, comme s’il allait débarquer du train et  jeter son barda à terre avant de faire tourner les barres d’un revers de poignet.

André et la Dauphine, Monique dans la chambre, tous deux tenaient  ainsi de secrètes conversations avec leur rejeton. Les pensées qui s’exprimaient-là allaient bien au-delà des mots posés sur le papier des lettres échangées. D’abord, tout le monde savait que les missives personnelles étaient lues, et cette idée dérangeait. Comment parler de soi, de son compagnon, des soucis familiaux ou intimes, quand le premier lecteur serait un sergent quelconque, qui connaîtrait les secrets des familles avant leurs destinataires ! Parfois, le courrier parvenait très irrégulièrement, certaines lettres mettaient plus de quinze jours, et cela créait des trous dans la relation… Alors les soins apportés au mobilier de la chambre, à la Dauphine du garage, c’était une résistance du cœur pour maintenir solide le lien. Attention, personne ne se laissait démoraliser, envahir par d’absurdes pensées de danger… Pour rien au monde on n’aurait cédé un pouce de terrain à l’angoisse, à  la peur, aux idées noires.

 

Au fil des mois, Jean-Paul avait eu deux permissions, dont une passée en France. Il avait fait un saut à Draveil, trois jours d’éclaircie et d’oasis. Il n’avait pas prêté attention à sa chambre, au mobilier rutilant, le Teppaz n’avait même pas été ouvert. Deux des copains présents étaient montés dans la chambre, mais Monique n’avait pas entendu le tapage d’une partie de baby-foot en cours… Et André avait dû insister pour que Jean-Paul sortît la Dauphine de sa bâche, en fasse le tour, écoutât ronronner le moteur, avant de céder et de l’emmener au moins jusqu’à la station d’essence.

N’empêche, pour les parents, tout était en ordre, ils avaient fait de leur mieux pour préparer le retour de l’absent…

 

 

Ç’aurait dû être un jour comme un autre. Un samedi tranquille, ménage et courses, un peu de repos après déjeuner.

On a sonné à la porte du pavillon. Monique est allée ouvrir, jetant son torchon en même temps qu’un « laisse, j’y vais » à l’adresse d’André, plongé dans l’Aurore de la veille.

Le gendarme l’a saluée, lui a parlé doucement en tendant un feuillet bleu.

Monique serait incapable de se souvenir des paroles du messager. Ses doigts ont attrapé la missive, sans l’ouvrir…À quoi bon ?

De son fauteuil au salon, André a vue sur l’entrée, il a perçu la stature du gendarme dans l’encadrement de la porte. Monique n’a pas pensé à lui dire d’entrer.  Elle se tient droite en face de lui, immobile, si longtemps qu’elle aurait pu être statufiée. Le gendarme a salué, d’un geste rapide de la main au képi, il est parti à reculons semble-t-il.

Alors, André s’est levé du fauteuil, a glissé vers le corridor jusqu'à l’escalier qui descend au garage, sans même tenter de parler à sa femme.  D’une main tremblante,  il caresse la bâche de la Dauphine,  comme la robe d’une femme.

Tout bas,  comme pour ne pas mettre en fuite le souvenir de son enfant, il lui parle à mots doux, espacés par sa respiration haletante,  il prononce des mots qui disent qu’il va prendre soin de la Dauphine encore, qu’il ne cessera jamais de l’attendre, de préparer son retour.

 

 

 

 

21/12/2009

Les yeux de Mourad

Soraya Allouche ne peut retenir un soupir en franchissant la porte d'enceinte de la centrale. Ce nouvel entretien avec sa jeune cliente n'a encore rien donné, mais elle espère que son message finira par franchir la barrière mentale que la jeune Souad a dressée entre sa vérité et le monde réel.  La jeune avocate redoute le poids de cette affaire, en passe de transformer une tragédie d'ordre privé en fait de société. En témoigne déjà la poignée de journalistes qui guettent sa sortie. Elle sait qu'elle doit absolument les éviter pour le moment, ajuste ses lunettes noires, remonte le col de son manteau et sert nerveusement sa mallette contre elle.
Tandis qu'elle presse le pas vers sa voiture, elle imagine la jeune fille de retour dans sa cellule, seule devant les feuilles de papier qu'elle lui a confiées. Ce que Souad ne peut dire maintenant, en prise au traumatisme des événements, Soraya est persuadée qu'elle saura trouver les mots nécessaires dans la solitude de la réclusion. L'avocate ignore encore la teneur des éléments du drame, mais elle est intimement persuadée que la confession qu'elle attend de  Souad lui permettra d'obtenir la modification de l'acte d'accusation qui pèse sur le destin de la prévenue : passer de tentative de meurtre avec préméditation à légitime défense, n'est-ce pas le rêve de tout avocat ?


C'est en remontant le temps que Souad a fini par libérer le tumulte des impressions qui  l'oppressent. Elle s'est glissée à nouveau dans le cœur de cette fin d'après-midi où son sort s'est noué. La confession qu'elle remettra à son avocate n'est pas achevée, elle a pris la forme d'un journal intime centré sur le moment précis où elle a dû prendre sa décision. Souad ne pourra jamais formuler  plus précisément le  fil conducteur du drame.




La prison de Mourad a des murs, forcément.
La mienne est  fermée par les yeux de Mourad.
Demain il sort de prison.
Ça fait trois ans qu'il y est enfermé. Ça fait trois ans que je suis libre.
Libre de vivre sans peur au milieu de ma famille.  

Mais s'il revient demain, ma famille sera  à nouveau la sienne.
Une famille ordinaire autour de notre mère et de mes frères, les grands et les petits.
Mes sœurs, je n'en ai plus. Mourad les a fait partir.
Sefana, ma préférée, elle n'a qu'un an de plus que moi, a été mariée l'année dernière. Pour elle, c'est le pire. Elle est  partie, partie définitivement je crois.
Mourad a choisi un cousin, fils du frère de ma mère... Le lien avec le Pays, il a dit à ma mère. Et elle a obéi.
Elle a obéi à son fils aîné, comme toujours. Sans broncher. Et j'ai perdu ma sœur.


On s'est écrit trois fois, toutes les deux. Puis son mari a lu mes lettres, il lui a interdit de poursuivre notre correspondance. Sefana  s'est retrouvée exilée dans sa belle-famille, condamnée à la peine conjugale : faire des enfants, cuisiner et tenir la maison de son mari, accepter tout ce qu'il décide pour elle, dans un pays qu'elle connaît à peine.  Au mieux, elle va devenir une deuxième Boussaïna.
Boussaïna est  la plus âgée des filles. Notre aînée. Mariée-quatre-enfants, tout est dit.

Mourad sort de prison demain.
Il revient à la maison et, à part moi, toute la famille se réjouit.
Malik et Bilal, mes petits frères, sautent sur le sofa. Ils profitent de l'absence de ma mère. Elle est  partie en toute urgence faire des courses pour préparer le retour de son fils prodigue.
Il vaudrait  mieux que je surveille les deux athlètes sur canapé, mais j'ai besoin de mettre de l'ordre dans mes idées. J'ai prétexté mes devoirs pour le lycée. Pourtant, j'ai du mal à me concentrer sur ce travail qui  m'intéresse habituellement. Ce soir, j'ai l'impression d'étouffer, mon cœur bat à toute vitesse... J'ai peur, alors histoire d'ordonner mon angoisse, je gribouille mes idées. Des idées, j'ai intérêt à en trouver de bonnes pour éviter que ça recommence. J'ai une confiance nulle dans mon avenir...
Ou plutôt, je sais trop bien comment ça va se passer, recommencer comme avant.

J'ai eu trois ans de tranquillité.
Les trois années que Mourad a passé en prison.
J'ai réussi à éviter les parloirs en famille, les dimanches de visite.
J'ai obtenu d'aller au lycée, malgré les colères de Mourad. Il a dit à ma mère que je  ne devais pas "prendre la grosse tête",    qu'il ne fallait pas que je "m'y croie", que je devais continuer à aider à la maison.  À chaque visite, il lui  a dit: «surveille Souad et visse-la bien »... Ma mère rapporte les ordres de Mourad comme s'il était son mari, elle accepte tout sans broncher. C'est sa faute si Mourad est aussi dur avec nous.


D'un autre côté, je dois reconnaître qu'elle a bien voulu quand même que j'aille à Jean Zay. Avant moi, Soufiane était le seul à être allé dans un lycée. Mais lui, c'est un garçon, et mon père était encore vivant. Alors forcément, Mourad ne faisait pas la loi. Mourad n'a pas dû aller longtemps à l'école... C'est un souvenir vague, j'étais encore petite quand mon père a été écrasé par sa machine à l'usine. Maman s'est retrouvée seule avec nous sept,   je n'avais que huit ans, et mes deux derniers frères n'étaient que des nourrissons. D'abord mon oncle Khaled s'est occupé de nous, puis Mourad a grandi. Mais il était déjà méchant, bien avant.  Je n'ai pas souvenir d'être descendue à la cave sans crainte, à cause des pièges qu'il m'y tendait.  Et après il a commencé à me faire mal, exprès, pour voir si j'allais me plaindre.

Il pleut à verse. La pluie tambourine sur les vitres. J'ai gribouillé les gouttes qui tombent comme des flèches sur la marge de ma copie. Au début, mon stylo a tracé des traits légers et nombreux, juste une ombre sur les lignes de la marge. Puis j'ai réalisé que mes hachures évoquaient des javelots, et je les ai accentuées, serrées, appuyées sur la page pour que les pointes transpercent Mourad devant la porte de la prison, demain matin. Je voudrais bien que mon dessin se réalise, comme une prière des religions primitives.... Il paraît qu'il y a des gens qui croient à ces sortilèges. Moi, je ne peux pas accepter ces sornettes, je veux devenir  scientifique. Passer mon bac S à la fin de l'année. Les profs y croient tous. Ils me disent que j'ai le niveau.  Que je pourrai faire la fac, aller à Paris, à Jussieu...
Mourad a été   arrêté vers le milieu de ma troisième, il a pris trois ans. L'idéal, ç'aurait été qu'il y reste jusqu'après mon bac... Mais en fait, avec la prison d'avant le procès, et la remise de peine, je n'ai pas eu le temps d'être prête... Et puis, qui va se soucier d'une fille de seize ans, bientôt dix-sept, qui voudrait juste décider d'elle-même ?  Il me manque deux trimestres ... Il faut que je trouve une solution pour tenir jusque-là.
Parce que si je reste ici comme une gourde à attendre Mourad, il va me regarder de ses yeux noirs, froncer ses énormes sourcils et m'ordonner de descendre à la cave, sous n'importe quel prétexte... Et personne ne s'étonnera... Il me rejoindra, comme avant... JE NE VEUX PAS QUE ÇA RECOMMENCE !

C'est carrément impossible de ne pas obéir à Mourad.
C'est à cause de ses yeux. À cause  de cette façon  particulière de nous regarder... Comme s'il y avait dans son regard la volonté d'un prophète...C'est la force qui lui a permis de s'imposer partout...Personne ne s'oppose à Mourad.  En comptant les trois barres qui forment notre quartier, il a presque une cinquantaine de types sous ses ordres. L'avantage pour nous, c'est qu'on est protégé des autres bandes. C'est-la-sœur-à-Mourad, c'est une marque de privilèges, même après son arrestation... Pourtant, c'est lui que je redoute, c'est lui qui veut m'enfermer dans la famille, comme un oiseau dans une cage.

Mourad sera libéré demain... Ça veut dire que je n'ai que ce soir pour décider de ce que je dois faire.  De ce que je veux devenir.
Comme Myriam  et  Soraya. Elles ont quitté la cité, elles se sont émancipées. C'est vrai, elles l'ont fait, je devrais donc pouvoir  y arriver.  Je me souviens que leur départ a beaucoup fait jaser, que beaucoup disaient que ça déconsidérait les parents. Mais Sefana et moi, on avait compris que c'était la jalousie, tous  ces ragots.
En fait, les parents de Soraya devaient plutôt être fiers d'avoir une fille avocate ! Mais ils faisaient semblant de rester modestes, parce qu'ils voulaient être tranquilles. En attendant, elles habitent ailleurs, et  plus personne ne se préoccupe de les surveiller.
C'est ça la Liberté, L'Égalité ...
Pour la fraternité, ce qu'il y a de sûr, c'est que c'est un piège. Au premier sens du mot, c'est le droit à la tyrannie. ... Si j'en avais un jour le pouvoir,  je ferais enlever ce mot-là,   fraternité, parce que dans tous les  cas, il n'est jamais appliqué dans le bon sens. Les mots et la réalité ne font pas toujours bon ménage...


Si je pouvais partir ailleurs ... Voilà une idée à creuser.  Continuer à habiter ici, c'est idiot, Mourad n'acceptera jamais que je ne reste pas à la maison...
... Et ma mère, elle comprendrait ma mère ?
Elle comprend quoi à notre vie, ma mère ?
Jamais elle n'a dit le moindre mot contre Mourad, contre ses trafics, ses  activités, sa façon de nous commander tous...
Elle ne dit rien non plus contre Soufiane, qui a abandonné tous ses boulots les uns après les autres. Pourtant avec sa formation d'électricien automobile il peut trouver un emploi, quand il veut. Mais il a préféré jouer au  petit soldat pour son frère aîné.

Je suis certaine qu'elle n'a pas protesté quand Mourad a organisé le mariage de Sefana depuis la centrale. De sa cellule, il a trouvé le temps d'écrire au bled, de combiner ses projets ... Sefana a été mise au courant la semaine avant son départ. Elle est partie  seule, avec Soufiane pour représenter la famille ... Et personne n'a trouvé cette situation anormale.  Elle s'est débattue, elle a voulu se sauver, nous avons pleuré  et crié jusqu'à perdre nos voix toutes les deux, mais elle a fini par suivre  Soufiane, et basta... Plus personne n'en parle, j'ai parfois l'impression d'être la seule à me souvenir de ma sœur, si proche, si gaie, si généreuse.  Même quand nous nous disputions, elle était toujours la première à revenir et  à faire la paix.

Je cherche la photo où nous sommes toutes les deux, allongées sur notre lit. C'était peu de temps avant ... Elle y est magnifique, avec ses  longs cheveux bouclés : séance maquillage en chambre sur les  conseils de Biba. Superbe! Digne d'une série genre  Miss Cité des Cerisiers !


Cette photo-là, il faut que je la cache, mieux vaut que Mourad ne tombe pas dessus. Soufiane, il s'en moque, il ne rentre jamais dans ma chambre, la chambre des filles. Mais Mourad, il est bien plus curieux, plus exigeant. Rien ne lui échappe...
Comme avant, il nous regardera à tour de rôle, de ses yeux noirs impénétrables. Ça va durer un moment et le silence s'installera finalement, comme si son regard avait le pouvoir de déshydrater nos langues, sécher nos gosiers, ankyloser nos cerveaux. Quand il aura bien plombé l'atmosphère, il se redressera contre le dossier de sa chaise, il soupirera,  et de petites étoiles  commenceront  à briller sur ses prunelles, elles perdront cet aspect mat  et lourd, marc de café séché. D'un coup, il aura les yeux rieurs, illuminés d'étincelles  pétillantes alors que ses lèvres resteront figées. En un instant, il paraîtra très beau, aussi charmant  qu'un prince de contes, à cet instant, on aura tous envie de l'aimer ...
Son ordre partira comme un coup de poing, personne ne protestera.

J'ai aidé les petits à leurs devoirs, c'était facile.  Ensuite, nous avons tous dîné et Soufiane m'a embêtée en me demandant pourquoi je faisais la tête. Il semblait attendre que je saute de joie... Je me suis soudain sentie  mal à l'aise. D'habitude, c'est à peine s'il me voit.  Ce soir, il n'a cessé de me taquiner au sujet de ma tête, de mon humeur, de ce que je devrais préparer pour demain... C'est là qu'il m'a fait peur.
Qu'est-ce que Mourad lui a dit de moi ?
Qu'est-ce qu'il a reçu comme consigne à mon sujet ?
Sans délirer,   je suis persuadée que Soufiane  connaît une partie de mon secret, punition sans raison qui permet à Mourad de me blesser  à volonté...
À volonté, c'est à moi de décider, de montrer ma volonté de ne plus être son jouet...
À moi d'apprendre à lutter contre le regard de Mourad.
À moi de savoir comment l'empêcher  de ruiner  ma vie.


Il paraît qu'il existe des associations d'entraide pour les filles et les femmes.
Il faut que je trouve Soraya. Elle comprendra le problème. Elle connaît Mourad, c'est sûr, ils ont grandi pratiquement en même temps.  Elle est avocate, donc, elle connaît les lois de France et celles de notre quartier. Si je lui parle de Mourad, elle saura sûrement combien il est malfaisant...
Et même si je blessais Mourad, si je ... Elle saurait sûrement me défendre.
La société nous rend Mourad, elle croit avoir assez puni le chef de bande, alors il me reste à me battre pour moi-même. Je n'ai vraiment pas le choix.

En rangeant la photo de Sefana, tout à l'heure, j'en ai trouvé une plus ancienne, où nous sommes tous réunis autour des parents, installés comme des rois sur le canapé, Bilal et Malik, encore bébés, sur leurs genoux. Nous sommes disposés en couronne autour d'eux, à la façon des familles royales sur les photos de Gala. Mourad et Soufiane  sont debout à l'arrière-plan. Boussaïna, toute menue, se tient devant Soufiane, sans le cacher. Sefana et moi sommes  figées devant Mourad.  Il a posé ses mains sur nos épaules : je fais une grimace parce qu'il me pince le cou et je me suis tout à coup souvenue avoir été grondée parce que j'avais gâché le cliché en gigotant.  C'est une parfaite photo de famille. Elle avait été prise pour être envoyée au bled.


En remontant de la cave, un jour de mes douze ans, j'ai pris ce cliché vieillot dans la boîte à photos.
J'ai longtemps caché cette image dans les toilettes, sur le dessus des étagères où sont rangés nos produits d'entretien.


Un soir, je suis restée longtemps dans ce cabinet, parce que j'avais dû fabriquer une compresse d'eau fraîche pour l'appliquer sur la brûlure de cigarette que Mourad m'avait faite en bas du ventre, au milieu de la toison qui commençait à tout juste à pousser. Il trouvait ça drôle de brûler ce duvet avant qu'il frise. J'avais mal, mais je ne pouvais pas montrer les marques à cet endroit-là.  Pour passer le temps, j'ai repris la photo dans sa cachette. Mon idée première, le jour où je l'avais subtilisée était de la déchirer et de la jeter dans les toilettes. Mais je n'avais pas osé sur le moment, de peur que des morceaux flottent et me trahissent.
Ce soir-là, la douleur de la brûlure s'est estompée, quand de la pointe  de mes lacets, j'ai crevé les yeux de Mourad.
Sur la photo.
C'est ça, ma porte de sortie.
Si Mourad perd ses yeux...

Maintenant, que Mourad reste aveugle ou qu’il meurt, quelle différence…
Puisque qu’elle a eu la force de lui jeter au visage l’huile brûlante de la poêle à brick, elle a  effacé son pouvoir maléfique…
Elle peut bien habiter  une prison de béton,   la souffrance de Mourad est devenue sa geôle à vie.
Elle  ne regrette rien.…