23/02/2014
Fable à part ( suite)
De son royal perchoir, Corbeau le Hautain
Arborait son majestueux butin.
Maître Renard, rompu aux courbettes,
Parvint enfin au pied de l’auguste silhouette.
À force de ronds de jambe et de flatteries
Le courtisan joua sa fortune sur son baratin
Étalant sans honte sa vile flagornerie.
— Eh Messire Renard, que vous êtes baveux,
Que votre verbiage me semble ennuyeux
Sans conteste, si votre courage
Ressemble à vos papotages,
Je gage, pour votre outrecuidance
Le gain d’un aller simple à la potence !
À ces mots Renard comprend sa méprise
Prend ses pattes à son cou, rompant là sa vantardise.
À notre connaissance, il court encore, qu’on se le dise !
18:49 Publié dans Conte-gouttes, Sources | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : fables, parodie, à la manière de, détournement de fables, la fontaine, acl | | del.icio.us | Facebook | | Imprimer
22/02/2014
L'amour de nos jours…
À portée de clavier, nos cœurs battent numériques
Abolir ici bas une solitude inique
La solution s’offre sur Meetic
Qui ne tenterait Fortune en quelques clics ?
Une Gisquette en mal d’amour tomba sur un Costaud
Bodybuildé comme une icône de magazine porno.
Bluffée par ses reliefs musculeux et vexée d’être roulée comme une paille,
Chez Musclor elle prend pension et travaille sans faille
À sculpter sa taille tout en béton, ça prend un bail…
Plus habile à poster des selfies, sur les réseaux elle vérifie ses avantages,
À renfort de like et de follower , elle guette les babillages.
Rien n’y fait, le faraud ne calcule pas son personnage.
La chétive retourne à l’ouvrage
Redouble d’efforts, de souffrance et s’entraîne jusqu’au claquage.
Epuisée, elle disparaît des écrans sans y laisser le moindre pixel.
Ne cherche pas à cloner ton profil, même pour la frime
De peur de te dissoudre dans la foule des anonymes
Maigrichonne ou replète, pour plaire joue plutôt du violoncelle.
12:21 Publié dans Conte-gouttes | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : écriture, acl, mise en mots, parodie de fables, la fontaine | | del.icio.us | Facebook | | Imprimer
24/12/2013
La migraine de Noël
En cet hiver humide, imaginez, discrètes souris lectrices, une immense demeure bâtie en rondins d’arbres centenaires. Malgré son aspect débonnaire et chaleureux, la maison perdue au fond d’une sombre forêt abrite deux enfants abandonnés qui tentent de survivre aux soins attentifs de L’Ogresse. Ils n’ont guère plus de dix ans tous deux et vous dire comment ils sont arrivés jusqu’à l’antre de cette femme aussi laide qu’énorme nous détournerait de notre propos, vous lecteurs à la recherche d’un divertissement de saison et votre modeste rapporteuse d’histoire.
Nos deux gamins, répliques contemporaines de Hansel et Gretel, regrettent tous les jours le méchant sort qui leur est fait, bien que la mégère prétende pourvoir à leurs besoins. Du matin au soir, Gary et Élodie vaquent aux tâches multiples ordonnées par la géante vigilante, laquelle répond néanmoins au doux nom de Célimène. La geôlière monte bonne garde et se montre implacable quand les résultats des travaux ne lui conviennent pas. Mais il est au moins un domaine où Célimène la sans-cœur se laisse facilement attendrir. Notre Ogresse est gourmande, comme il se doit, et les deux enfants ont appris à développer leurs talents culinaires. Aussi se hâtent-ils volontiers d’effectuer les corvées de nettoyage, lessive, raccommodage et plomberie que nécessite l’état de la vaste habitation pour regagner au plus tôt la cuisine. Dans cette pièce chaleureuse, Gary et Élodie sont devenus de véritables chefs et n’ont pas leur pareil au fourneau pour rôtir les cuissots de chevreuil, confectionner des tourtes aux champignons variés, dresser de voluptueux desserts à base de miel, de noisettes ou de fraises des bois, selon la saison… Souvent Célimène s’installe dans son fauteuil au bout de la longue table de bois ; elle suit les activités de ses cuistots d’un œil dépourvu de son éternelle méfiance. Il règne alors dans la salle une atmosphère détendue malgré l’activité des préparatifs. Les enfants soulagés rient, racontent des historiettes ou chantent à pleine voix pour s’encourager à inventer de nouvelles recettes de sauces. Si vous prêtez bien l’oreille, vous pouvez même entendre derrière leurs voix claires et cristallines un accompagnement sourd et grave : Célimène s’oublie jusqu’à accompagner d’un raclement de gorge les refrains entonnés en battant les œufs au fouet ou en râpant de savoureuses racines.
Or par cet après-midi tiède et pluvieux, Gary et Élodie négligent les habituelles besognes, malgré la longue liste dressée par la mégère avant son départ. L’absence de la marâtre sera longue, plus longue même qu’elle ne l’a calculée. Nos deux gamins ont ouvert en grand portes et fenêtres et leurs rires débordent dans la clairière qui s’étend autour de la maison des bois. L’endroit habituellement désolé n’est plus déserté par les familles de lapins, blaireaux et ragondins, taupes et écureuils. Attirées par les éclats de joie, quelques biches sont venues brouter avec leurs faons une herbe que le gel a épargnée. Mêmes les oiseaux, que les cris de la mégère effraient d’ordinaire, ont décidé de participer au concert improvisé. Il faut vous dire, à ce point de notre récit, que le petit peuple sylvestre redoute autant que les enfants l’humeur volcanique et gourmande de Célimène, nombre d’entre eux en ont fait les frais. Mais un mot d’ordre a voleté de nid en terrier, de bauge en tanière, les animaux de la forêt ont convergé vers la maison. Assis sur le perron, Gary sourit à Élodie, leurs regards se reportent sur la grosse horloge qui scande de son tic-tac la mesure de la récréation. Aujourd’hui, le temps ne les presse plus. Ce soir, c’est Noël, et les Rennes du domaine forestier ont promis d’organiser autour de la planète le plus vaste embouteillage qui se puisse imaginer ! Il y aura tout au long de la nuit tant de traîneaux contraints de s’arrêter au-dessus des cheminées fumantes, de courses entre les tours gigantesques des banlieues, de toits en villes piquetés d’antennes et de campagnes illuminées de guirlandes aveuglantes, mondialisation oblige, les tournées de distribution vont donner lieu à une manifestation interplanétaire. Certes, ce n’est pas de bonne grâce que les fidèles coursiers ont décidé de passer à l’action, mais à quel autre moment pourraient-ils faire valoir leur revendication? Et puis surtout, la Confédération Générale des Rennes en Colère a décidé d’agir ainsi pour offrir à nos héros un cadeau approprié. Gary et Élodie ne peuvent rêver de recevoir console de jeux ou voiture télécommandée, poupée starlette ou tablette électronique : le facteur ne leur a jamais livré de catalogue rutilant de tentations. Leur cadeau, ce sera l’absence de la marâtre, l’Ogresse restera coincée dans la cité, incapable de contourner les véhicules emmêlés, obligée d’attendre l’aube suivante pour regagner ses pénates. Gary et Élodie fêtent donc avec confiance l’ événement : ils ont préparé de succulents Weinachtspätschen qu’ils offrent à leurs amis réunis en chantant un refrain approprié :
Ô douce nuit, nuit de quiétude
Que les ramures bruissent à notre solitude,
Ce soir l’Ogresse est perdue,
Notre demeure ouverte au vent et à la lune,
Que les étoiles témoignent de notre bonne fortune.
Cependant, dans la ville voisine, l’animation bat son plein. Les passants se précipitent dans les magasins pour les ultimes achats du réveillon. Les trottoirs sont bondés de parents encombrés de parapluies et de paquets. Les chaussées ressemblent à un immense parking où tous les véhicules sont à l’arrêt, moteurs tournant à vide, la cacophonie des klaxons ne les délivre pas du mauvais sort qui les scotche au macadam. Aux carrefours, des agents impuissants inhalent vainement les gaz d’échappement. Au PC de la circulation, le directeur de la police s’arrache les cheveux devant les écrans qui traduisent tous la même réalité. Il a détaché toutes les forces dans les rues pour tenter de limiter les débordements et les excès prévisibles, mais jusqu’ici c’est peine perdue.
Au poste qui lui a été assigné dans l’artère principale, l’inspectrice Hélène Durand suit des yeux l’embourbement progressif de la situation, sous un fin crachin d’hiver. L’humidité ambiante ajoute encore à la difficulté générale. Comme la plupart de ses collègues, Hélène ne tente plus de réguler les soubresauts des voitures, motos et camionnettes dont les chauffeurs se battent pour gagner dix centimètres. Elle se contente d’observer la foule, de repérer les éventuels pickpockets ou les fêtards déjà éméchés qui pourraient avoir besoin d’aide. C’est tout à fait par hasard qu’elle remarque une femme à la silhouette impressionnante, dont la chevelure flamboyante se détache largement au-dessus des autres têtes. Sur le même trottoir, la matrone se déplace avec énergie malgré les obstacles et Hélène s’apprête à intervenir en constatant qu’elle utilise ses nombreux paquets comme projectiles destinés à lui ouvrir le chemin. Au moment où la femme atteint son niveau, Hélène se meut vers elle pour lui enjoindre un peu plus de contrôle, quand elle assiste à une scène qui la désarçonne: la géante se détourne brusquement vers la chaussée où une camionnette se tient arrêtée depuis lurette, toutes vitres ouvertes pour chasser la buée. Le chargement de paquets est visible, et la grosse femme déterminée. Elle plonge sa main gigantesque dans l’amas de colis, en tire une boîte dont elle déchire frénétiquement le carton pour en extraire une panoplie de guerrier romain. Continuant à détruire l’emballage, malgré les cris du conducteur furieux du pillage, la contrevenante s’empare d’un glaive en plastique et le brandit au-dessus de sa tête. Aussitôt, le jouet dérisoire s’allonge démesurément, et se métamorphose en un javelot étincelant que la sorcière enjambe derechef. L’attelage singulier s’élève en tanguant d’abord un tantinet. Comme aimantée par un point du ciel, la femme à califourchon gagne en hauteur, dépasse les voitures, monte toujours, atteint les toits des bâtiments. Dans la rue, tous les témoins regardent en l’air et se frottent les yeux, accablés. Les bouches arrondies de stupeur ne laissent passer aucun commentaire, tous sont certains d’avoir la berlue.
Hélène se reprend la première, elle sort de sa sidération, réalisant que le prodige n’annonce rien de bon. Les honnêtes gens ont-ils besoin d’avoir recours à des pratiques aussi extraordinaires ? En professionnelle de l’ordre, l'inspectrice cherche énergiquement le moyen de rattraper la fuyarde, ne serait-ce que pour comprendre le mécanisme d’un tel envol. Elle doit pourtant lutter d’abord contre la violente migraine qui s’installe dans son esprit en alerte. Pressentant un court-circuit neuronal imminent, elle sort de sa poche le tube de comprimés antidouleur dont elle ne se départit jamais, et en avale une poignée d’un coup. Dédaignant ses principes autant que son mal de tête, Hélène se saisit d’un vieux vélo accoté au mât d’un lampadaire et entreprend de slalomer à son tour dans la marée des véhicules. Mais elle a beau pédaler avec vigueur, elle comprend vite l’inutilité de ses efforts. Sur le point de disparaître dans l’écrin obscur de la nuit tombée, la sorcière la nargue en exécutant quelques acrobaties aériennes. Puis, comme dans un dessin animé pour enfant, la voilà qui accélère sa course et file vers les étoiles.
La jeune femme lutte contre le découragement, son esprit rationnel refuse d’accepter l’incongruité de la situation. C’est alors qu’elle ressent un choc contre la roue arrière de sa bicyclette, puis un curieux flottement qui lui donne le vertige. Elle a l’impression de décoller à son tour et ferme les yeux pour éviter le malaise qui lui fait craindre tout à coup d’ avoir abusé de l’aspirine. La sensation d’ivresse perdure sous ses paupières closes, Hélène perçoit des points lumineux fugaces, elle sent ses joues glacées par une brise humide. Ses pieds continuent de pédaler frénétiquement, mais le mouvement est devenu si facile, si mou! Il lui faut de longues, longues minutes pour parvenir à ouvrir les yeux, et constater … qu’elle vole, oui, vraiment, elle évolue en surplomb de la ville toujours engourdie, elle glisse sans effort dans l’obscurité, bien assise sur la selle du vélo, tenant le guidon entre ses mains crispées. Impossible de continuer à penser dans de telles conditions, Hélène se dit qu’elle a heurté le sol, qu’elle délire dans une ambulance, que le réveil ne va pas tarder à sonner , que ce rêve absurde s’achèvera au bout de la nuit…
Tout de même, il y a ce bruit de halètement qui enveloppe le songe. Lentement, la policière se décide à observer à nouveau sa situation, au prix d’un effort prodigieux, elle penche la tête et découvre, effarée, les bois de deux rennes insérés entre les rayons des roues. Au-dessous, ce sont les corps fuselés et puissants des animaux qui s’arrondissent puis se déploient au rythme d’un galop aérien de toute beauté. Hélène ne tente plus de raisonner, elle ne lutte plus, elle se contente d’apprécier la féerie de l’instant.
Progressivement, les coursiers ralentissent. Ils survolent un espace rond qui apparaît bientôt éclairé par la lumière des fenêtres d’une grande maison. Les rennes se posent souplement dans la clairière au moment où Célimène, furieuse, tente de pénétrer dans sa demeure. L’Ogresse tient toujours à la main le javelot qu’elle a chevauché. Pourtant, la surprise l’empêche de s’en servir contre la muraille animale qui protège l’entrée de son antre. Cerfs, biches, chevreuils en lignes serrées en défendent l’accès, tandis que dans ses pieds, des centaines de petits rongeurs courant entre ses jambes tentent de la faire chuter.
De mémoire de policière, jamais arrestation n’avait paru à la fois si facile et si déconcertante. Menottée par ses soins et gardée par un corps de geôliers aussi hétéroclite qu’invraisemblable, Célimène éructe et menace. Mais rien n’y fait. Les renforts du service d’ordre finissent par découvrir la clairière au point du jour, c’est-à-dire quand la matinée de Noël est déjà bien entamée. Les animaux se sont discrètement dispersés à l’approche des hommes, Hélène tire seule les honneurs de son fait d’armes. Ne comptez pas sur Gary et Élodie pour élucider les mystères de cette enquête, d’autant que les deux enfants exultent à l’idée de retrouver la civilisation, et leurs véritables parents. Toutefois, le retour aux contraintes de notre bas monde s’est avéré plus délicat pour notre héroïne. Ce coup d’éclat n’a pas eu l’heur de plaire à tout le monde et c’est d’un ton peu amène que son supérieur hiérarchique l’accueille au bureau.
— Alors, Hélène, cette migraine, c’était avant ou après les cocktails de Noël ?
Que ce conte de Noël vous réjouisse et vous transmette mes voeux de fêtes sereines et joyeuses, farfelues sans retenue, mais complices et tendres autant qu'il se peut.
18:48 Publié dans Conte-gouttes | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : écriture, conte, conte de noël, voeux de fêtes | | del.icio.us | Facebook | | Imprimer
11/02/2013
Waddine, ou la pratique du conte
Toutes nos lectures sont autant de rencontres, portes ouvertes sur des univers différents et spécifiques. Le hasard dépose parfois de minuscules balises sur nos chemins, jalons convergents vers des horizons insoupçonnés, des trouvailles insolites ou évidentes, des liens tissés à notre insu. Quelquefois l’aventure reste sans lendemain, mais il arrive qu’elle creuse son nid, flâne dans notre inconscient et finisse par émerger un beau jour sous une forme inattendue, île au trésor posée sur l’océan de nos imaginaires.
Cette remarque est doublement vraie.
D’abord, elle peut résumer ma rencontre avec l’auteur du conte que ma note souhaite vous inciter à découvrir. Mais cela, mes souris fidèles et discrètes, je vous en soufflerais peut-être quelques mots en d’autres occasions.
Pour l’heure, que vous cherchiez un conte pour enfant ou une fantaisie pour égayer un soir d’hiver un brin morose, partez avec moi dans l’univers d’un prince des mots, d’un magicien intemporel, d’un souffleur d’enchantements…
Waddine est à l’origine le nom d’un personnage imaginaire, mais à l’existence réelle, même si sa présence est restée occulte… Waddine était le compagnon secret d’un petit garçon à l’âme solitaire, il faut croire. Pour ma part, après avoir lu le conte écrit par Serge Casoetto, j’ai acquis une autre perception de cette transposition : il se pourrait que l’auteur ait un don de voir ce que nous autres, pauvres mortels, sommes incapables de reconnaître.
En pénétrant dans l’univers de Waddine, le conte, nous arrivons d’abord à Lamina, un village de montagne reculé et intemporel où parvient un beau jour un personnage sans attache ni référence, dont beaucoup commencent à se méfier, comme il est de mise dans les campagnes.
« En réalité, Waddine parle peu. Il arrive rarement qu’il prononce même un seul mot durant ces visites nocturnes. Le timbre de sa voix est comme celui des sirènes. Il s’évanouit au gré des vagues et du vent.… » ( Page 19)
Or le bel inconnu se joue des défiances. Waddine semble posséder un atout inné, un pouvoir de séduction qui s’exerce naturellement sur les différents membres de cette communauté, où habitent comme partout des personnes fort dissemblables.
Dans une langue colorée et parsemée d’images poétiques, Serge Casoetto présente peu à peu les habitants de Lamina. Car, si les villageois lui ouvrent leur coeur, nul ne parvient à connaître vraiment l’étranger qui s’est installé dans une misérable remise à l’écart du village.
Cependant un drame éclate et Gordjaev, chef d’une petite bande de gamins dépassés par leur propre jeu, se retrouve confronté à une terrible responsabilité. Un terrible enchaînement de violence, que l’auteur évoque en scènes saisissantes.
« Dans la rue silencieuse, Gordjaev est resté seul. Il s’approche lentement du corps de Samuel, étendu contre le trottoir. La pierre l’a atteint en pleine tempe. Incrédules, les yeux bleus de l’enfant contemplent le ciel et la cime des verts peupliers. Gordjaev se sent profondément seul. Le petit Russe s’écroule en pleurs sur le cadavre de celui qu’il voulait châtier. Puis, relevant la tête en hoquetant, Gordjaev le fier aperçoit à travers ses yeux obstrués de larmes une silhouette descendre la petite rue. Il la reconnaît. La longue cape noire efface l’habit blanc de lumière. Waddine s’arrête aux pieds de Samuel, mais ses yeux ne regardent que Gordjaev. Et Gordjaev ne voit plus que Waddine. Alors, Gordjaev Yemkov se lève. Il paraît implorer en une soumission la clémence du pèlerin. » (Page 29)
Ce paragraphe me paraît particulièrement explicite de l’intrusion du merveilleux dans une histoire humaine. Si le lecteur ne peut déceler immédiatement la quête qui se dessine dès ce moment, il se posera sans doute des questions: Quel est le sens de cette indifférence apparente envers la victime ? La première partie du conte ancre l’histoire et les personnages dans un monde réel où le merveilleux est implicitement distillé pour créer chez le lecteur ce chatouillement d’hésitation qui nous surprend au moment de franchir un passage défendu.
Les réponses se dessineront progressivement, au terme de multiples péripéties vécues par d’étranges personnages convergeant vers… Un lieu secret, île paradisiaque ou repaire bien gardé ? Je me garderais de développer plus avant les étapes et les portraits de ces nouveaux protagonistes, il suffit de les accompagner au long de leur quête, voyage fantastique entre deux mondes, où Serge Casoetto ménage de multiples clins d’œil: à la mythologie et à l’Histoire antique, certains personnages portent des patronymes évocateurs, Nabuchodonosor, Mnémosyne, Sémiramis… Mais aussi Mac Luke ou Gomina, manière humoristique de refuser de s’enfermer dans un genre trop codifié.
Naturellement, ce conte original s’adresse d’abord à de jeunes lecteurs prêts à s’affranchir de l’enfance, qui sauront s’amuser dans le dédale des mondes juxtaposés. En tant que lectrice adulte je me suis rafraîchi l’esprit en m’immergeant dans un univers simplement merveilleux qui, sous son aspect ingénu, offre une belle matière de réfléchir à l’authenticité et la sincérité de nos valeurs.
Waddine
Serge Casoetto
Tous les renseignements pour se procurer l'ouvrage, et bien d'autres oeuvres du même auteur, sont détaillés sur le site de Serge casoetto:
http://www.serge-casoetto.com/
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20/01/2013
Alouette, gentille Alouette
Fuyons le ciel bas et lourd qui plombe nos week-ends…
En ce dimanche d’humeur grise, je me suis essayé à un petit clin d’œil louchant vers la comédie conjugale ordinaire, histoire de chasser quelques scories atmosphériques. J’espère que cette innocente saynète, taquinerie anodine, fera naître quelques sourires.
Alouette, gentille alouette,
Alouette, je te plumerais
Elle : Bonsoir mon chéri ! Tu rentres bien tard, heureusement que je n’ai rien mis à cuire. C’était encore très embouteillé ?
Lui : Oh comme d’habitude, les travaux, la pluie, trop de voitures… Et puis, je suis parti tard, Mercier nous a appelé d’Australie, juste quand j’allais partir, il a encore failli oublier le décalage horaire, quel étourdi celui-là !
Elle : Je vois. Bon oublie le boulot maintenant. Tu n’aurais pas envie qu’on s’offre une petite sortie, nous deux ? Comme ça en amoureux ?
Lui : Ce soir ? C’est un peu tard …
Elle : Non, pas ce soir, tu arrives à peine. En fait, je pensais plutôt à une sortie programmée, un événement qui sortirait de l’ordinaire…
Lui : Ben tu sais, le soir, moi, ce qui me fait plaisir, c’est de me délasser, lâcher un peu prise, comme on dit… Ce qui serait chouette, tu vois, c’est que tu m’attendes avec un bon petit verre, qu’on discute un peu tous les deux, qu’on prenne le temps de souffler au lieu de passer à table immédiatement quand j’arrive.
Elle : Mmouiii, tu as raison, on faisait toujours ça, avant… Bon si tu veux, assieds-toi, que veux-tu que je te serve ? Whisky, bière, cocktail ?
Lui : Cocktail ? Pourquoi pas ? C’est drôle que tu proposes un cocktail… Tu as encore le shaker sous la main ? J’ai l’impression qu’on ne s’en est pas servi depuis …Ouh, des années
Elle : Des années en effet…
Lui : Ah ! Ça me fait plaisir que tu aies cette idée, j’apprécie, je t’assure, vraiment…
Elle : Vraiment ? Tant mieux…
Tu sais en fait, je voulais te dire, hem… Oui, tiens, reprenons mon idée de sortie…
Lui : Hein, quelle sortie ?
Elle : Je te disais tout à l’heure que j’aimerais bien que nous allions un peu au théâtre…
Lui : Tu as dit ça ? Au théâtre, quelle drôle d’idée ? Il faut ressortir, s’habiller, reprendre la voiture… Trouver une place, oh la galère !
Elle : Mais non, il suffit de programmer à l’avance, tu n’es pas obligé de revenir me chercher, on se donne rendez-vous sur place, ce serait marrant, non,
Lui…
Elle : En tout cas, ça changerait un peu, tu disais toi-même tout à l’heure qu’on ne se parlait plus comme avant…
Lui : Justement, si on s’enferme dans une salle de cinéma ou de théâtre, on ne va pas se parler…
Elle : Évidemment, on ne parle pas pendant le spectacle! Mais au moins, avant et après, on a un nouveau sujet de conversation … Écoute, j’ai trouvé un site où on peut acheter des places pas chères du tout… Et tu sais finalement, on y a l’embarras du choix, des dates, des comédiens… Tiens regarde, j’ai mis le site en favori sur la tablette…Tu vois, là, sur la page d’accueil, Fabrice Luchini au théâtre Antoine …
Lui : Ouh à te voir excitée comme ça, toi, tu as une idée derrière la tête… Je vais encore me faire avoir, moi… Bon, écoute, je ne te dis pas non, mais là ce soir, je suis crevé, je n’ai pas envie de me fatiguer les yeux sur des écrans, j’ai eu ma part aujourd’hui. On en reparlera demain.
Elle : Demain, encore demain… Mais ce sera la même chose, demain ! tu seras encore fatigué, énervé, en retard, ou préoccupé, que sais-je ? Et moi, je passerai une soirée de plus à t’écouter te plaindre, à te servir à table sans que tu t’inquiètes de ce qu’a été la mienne de journée…
Lui : Oh non, ne commence pas avec ça ce soir, s’il te plaît ! On en a parlé des centaines de fois, ce n’est quand même pas ma faute si ton job ne te passionne pas ! Parce qu’au fond, tu veux que je te dise, tu m’en veux de m’investir et de tout faire pour réussir dans la boîte. J’en ai assez d’entendre tes reproches, alors que tu pourrais profiter du confort de notre situation !
Elle : Mais justement, qu’est-ce que tu appelles profiter ? Rentrer du boulot des heures avant toi, faire les courses, préparer le dîner, ranger, m’occuper des problèmes d’entretien et des factures, parce que tu n’as plus de temps pour nous, la maison et nos amis ? Mais j’ai envie de vivre comme tout le monde, moi, de me changer les idées, de profiter des spectacles qui existent, de me cultiver autrement qu’en lisant les critiques de Télérama ! Je veux être dedans, dans la vraie vie, j’en ai marre de camper à la marge depuis mon salon et ma télé…
Lui : Tiens, à propos de télé, t’as regardé les infos ? Ils en sont où de la prise d’otages ?
Elle : L’otage ici, c’est moi ! Tiens, regarde-là ta fichue télé, je vais mettre le rôti au four, puisque tu as encore réussi à cramer la soirée…
Alouette, gentille Alouette,
Qui sera qui plumé ce soir ?
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19/01/2013
Kaléidoscope
Que vous dire, à vous, frères et sœurs
De l’ordre des Écrits ?
Avec des mots assis sur l’écho de nos enfances
Des phrases arrimées aux balises de nos vies
Chaque fragment de nos jours,
Ceux garnis de pain blanc
Et ceux enfouis sous les cendres amères
Frappent également à la vitre des surprises bénies.
Ils s’accrochent à la mousse des nuages,
Sous le souffle du vent,
A travers l’amplitude des nuits
Dans la percée douloureuse du brouillard maladif
Comme une clameur, ils portent
Le nom de nos compagnons
Ils charrient le flot de nos orages.
Si ces mots jetés à la volée
Parviennent à briser
Les murs gris de l’ennui
S’ils peuvent abreuver les bouches
Tordues sous le silence des bourreaux
Si chaque poème composé
De pierres, de sang et d’ombres glacées
Réveille des bouffées d’Azur
Allume des flambeaux d’étoiles
Alors, chaque main qui se tend
Vers les prisons mutiques
Chaque corps abandonné
A sa solitude nue
Saura reconnaître sous la douceur d’une paume
La présence attentive de l’Autre
Il se relèvera maillon indéfectible
D’une humanité jamais rompue.
À quoi sert de LIRE ?
À qui sert d’ÉCRIRE ?
À ceux qui s'étonneront de retrouver des images piochéesaux creusets des poètes, en l'occurence Liberté de Paul Éluard, je ne me défendrai pas de plagiat, tant je suis reconnaissante à mes sources.
12:42 Publié dans Blog, Conte-gouttes | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : poèmes, poésie, Éluard, images, paroles, travail d'écriture | | del.icio.us | Facebook | | Imprimer
05/12/2012
L'appétit de Mademoiselle Lê
Comme d’habitude, l’enfant s’est planté devant la fenêtre pour avaler le dernier gâteau de son goûter. Mademoiselle Lê ne s’en contrarie plus. Il y a longtemps que Mademoiselle Lê ne lutte plus contre ce qu’elle ne peut changer.
Manu, son élève, ne sera jamais musicienne. L’enseignante a honnêtement essayé d’expliquer le fait à ses parents, choisissant des mots précautionneux pour ne pas les peiner. La révélation de l’inaptitude de leur fille ne les a pas froissés. Ils ont cependant insisté pour que le professeur persiste dans l’éducation à la pratique de son Art. Touchée par leur modestie candide, Mademoiselle Lê a accepté de poursuivre sa mission. Par reconnaissance, la fillette apporte désormais quelques pâtisseries provenant de la boutique de ses parents.
Ce goûter imposé en prolongement des séances l’a d’abord offusquée. Endurer le pilonnage des touches de son clavier par les maladresses enfantines, c’était déjà douloureux pour sa dignité d’ancienne virtuose! Mais la colère de Mademoiselle Lê a fondu quand elle a compris le sens des remerciements parentaux. Conscients que leur voisine vit du fruit de ses études musicales, ils offrent en retour le meilleur de leurs talents : des religieuses, des Paris-brest et des petits-fours sortis tout chauds du fournil.
La bouche pleine et les mains constellées des miettes du mille-feuille qu’elle dévore avec application, Manu ne quittent pas des yeux les mésanges charbonnières qui virevoltent inlassablement sur la terrasse près du petit refuge en bois. Les oiseaux ont déjà perçu l’imminence des premières gelées et sont revenus vers l’abri. Occasionnellement, Mademoiselle Lê s’octroie une pause pour admirer la chorégraphie harmonieuse qui régit leur conquête du territoire. Parfois, elle imagine quelques notes, joue une suite d’arpèges illustrant leur manège. Les mésanges ont l’oreille plus musicale et attentive que bien des humains…
— Chais pas, mais là ch’crois bien qu’elles zaiemeraient goûter aussi mon gâteau…
Et Manu pose sur la crémone ses doigts collants de crème et de sucre. Mademoiselle Lê réprime un frisson. Paradoxalement, la spontanéité maladroite de la fillette lui apparaît comme une revanche sur son propre parcours. Ses nuits sont encore habitées de cauchemars remontés des limbes du passé: elle revit indéfiniment son apprentissage précoce du piano et la sévérité de l’éducation dans la Chine des années Mao, la terreur et la faim éprouvées pendant la longue période en exil pénitentiaire sous le joug de la Révolution Culturelle. Et puis, à son arrivée en Europe, l’outrance des excès alimentaires pour effacer les manques. Elle a alors supporté des troubles de l’appétit déstabilisants jusqu’à l’abandon de la carrière de soliste qui lui était promise.
Aujourd’hui, Mademoiselle Lê apprécie chaque jour de sa vie frugale. Elle a trouvé son chemin de paix en acceptant les contradictions du monde. Sa solitude est comblée par son chat et les merveilles dont son minuscule jardin lui offre la jouissance: les fleurs des plates-bandes, les jeux d’ombres et de lumière sous le tilleul, et les trilles des rossignols qui font vibrer la chaleur des nuits d’été. Alors, les rêves oppressants se diluent parce que le chant de l’oiseau amoureux célèbre sa plus grande victoire sur les bourreaux d’hier. Privée de nourriture mais aussi de partition et d’instrument, elle a maintes fois vaincu la famine rendue plus pénible par l’inactivité nocturne : durant ses années d’interdits, elle s’endormait en jouant mentalement, immobile sur sa paillasse, les morceaux difficiles que sa mémoire restituait fidèlement. Cette musique clandestine la nourrissait alors, lui permettait d’oublier sa souffrance, de surmonter ses manques. Elle avait cessé de dépérir comme ses compagnes.
Aujourd’hui, Il n’y a plus de Gardes Rouges pour l’empêcher de goûter à satiété Schumann et Brahms. Elle puise dans l’écoute et le travail de ces musiciens plus de vitalité que ne lui en procurent les repas ascétiques que seuls son estomac supporte.
Alors, Mademoiselle Lê regarde Manu éparpiller les miettes grasses du gâteau sur la terrasse. Elle lui tend la boîte de carton souillée de résidus chocolatés.
— Ne t’inquiète pas Manu, lui sourit-elle, ici chacun peut manger à sa faim…
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14/11/2012
Les mots plumes
J’aurais voulu que mes mots plumes
Dressent remparts contre les brumes.
La parole est caprice,
Fenêtre ouverte sur cicatrices
Nourries d’anciennes amertumes.
Mots parfois traitres à nos pensées,
Sitôt lâchés, maladroits messagers,
Échappant à la source qui les voulait légers.
Dans l’espace où ils voyagent
À mesure qu’ils tracent leur sillage
Les mots se chargent de mirages.
Ils arrivent vocables d'orages.
Soulevant des vagues oppressantes
Tu plies sous les déferlantes
Et tu cries ta rage.
Les mots perdus tombent comme plomb
La communication se rompt
Un silence hostile érige à la place
Une frontière tenace
Contre laquelle tout se fracasse.
Les mots plumes se sont évadés
Emportés dans la tempête
Ils n’ont pas opposé de résistance
Les vents d’Automne soufflent en tous sens.
D’autres mots s’échapperont de l’enclume
Clairs et doux, ils chasseront la rancune
Vêtus d’une dentelle d’écume
Ces mots aériens se poseront comme une plume
Effaçant d’un trait les blessures importunes.
19:23 Publié dans Blog, Conte-gouttes, Larmes d'O | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : écriture, poésie, communication, mots, les mots, solitude | | del.icio.us | Facebook | | Imprimer