30/01/2009
retour
C’est arrivé tout à coup.
Les trottoirs de l’avenue luisaient après cette forte averse d’avril, et elle a remarqué les larmes étincelantes sur les timides bourgeons des platanes. Le temps de se formuler la beauté simple du phénomène, elle n’y a plus pensé.
Et puis, le même soir justement, en émergeant du RER, elle a longé comme d’habitude les grilles du Parc, fermées à cette heure crépusculaire. Elle a simplement entendu la phrase qui s’est formée dans sa tête, « qu’est-ce que ça sent bon, il doit y avoir déjà des lilas éclos, il faudra venir un moment ce week-end… », Et alors seulement elle a réalisé que l’air qu’elle respirait lui semblait léger et pétillant, comme une goulée d’oxygène capable de la saouler, ça l’a fait sourire et elle s’est dit que c’était vraiment une saison agréable.
Elle a repris sa marche lente pour remonter jusqu’à la maison.
Un peu plus tard, comme elle achevait de ranger la cuisine, Jérémy est entré dans la pièce, l’a observée un moment en silence; elle a senti son regard sur elle comme une source de lumière bienveillante. Son cœur a fait un petit bond dans sa poitrine, une légère bouffée rose lui est montée aux joues, elle a soufflé sur sa frange décidément trop longue pour chasser cette soudaine chaleur, et Jérémy a murmuré timidement :
- J’aime bien ton sourire, ce soir…
Elle s’est sentie émue par cette touche de tendresse, une réminiscence de bonheur révolu.
Elle aurait souhaité répondre, mais son mari avait déjà quitté la pièce.
Une inquiétude s’est fait jour, elle s’est dit « qu’est-ce que j’ai encore perdu ? » et puis elle a repris le cours de ses rangements.
Au moment de se coucher, comme toutes les nuits, elle est allée border Églantine et déposer un bisou de plume sur le front de sa fille, elle s’est arrêtée un moment, un voile de buée aux yeux, la gorge soudainement serrée par l’envie de la réveiller pour lui dire comme elle la trouve grande, belle, et si …Merveilleuse, tout bêtement. Elle s’est retirée sur la pointe des pieds, un sentiment d’inachevé pendu au cœur…
Quel gâchis, une éternité de grisaille l’a enserrée dans sa gangue.
Ça fait un bail qu'elle ne cherche plus la sortie …
***
Le ballon multicolore roule jusqu’à ses pieds, et dans ce petit matin encore un peu frisquet, elle a eu envie de shooter dedans, de la pointe de sa chaussure, mais elle l’a ramassé pour le tendre au petit garçon des voisins. Il ne faudrait pas que le ballon se dirige vers la rue et…
Ça y est, elle s’est à nouveau raidie dans son chagrin, le regard au-delà du perron de l’immeuble, elle s’apprête à retourner dans son asile intérieur, mais Tom, le petit Tommy des voisins, qui a l’âge que devrait atteindre aussi son fils, l’Ange perdu, la regarde et lui dit :
- Tu sais, j’aimerais bien que tu joues au ballon avec moi …
Alors, elle baisse les yeux vers Tommy, admire les minuscules quenottes qui barreaudent son sourire épanoui, lève les yeux vers sa mère du bonhomme, à qui elle n’a plus adressé la parole depuis…si longtemps.
- Il fait beau, n’est-ce pas, même si le fond de l’air…
Elle s’en moque bien du fond de l’air, mais ce n’est plus la même chose.
Elle a vu la beauté de ce matin du monde, un enfant inconnu ou presque courir dans la fraîcheur étincelante de la matinée, et elle a pu penser à Lui en supportant les images juxtaposées.
Elle a compris qu’elle est en train de pardonner …
Il faudra encore du temps, c’est vrai, pour échapper à la masse paralysante de la chape grise qui l'étouffe, alourdit ses gestes et comprime sa respiration, ce poids douloureux qui ancre son corps et son âme dans un néant sinistre. Elle perçoit cependant comme les prémices d'un éveil qui essaient de fissurer la gangue… Ça tient sans doute à un rien, des couleurs, des odeurs, des sourires et la chaleur des mains de Jérémy, mais ça pousse en elle…
Elle a compris qu'elle approche du bout du tunnel,
Elle vient d'entamer la lente remontée vers la Vraie Vie, celle où les émotions sont acceptables. Un jour, elle n'aura plus peur des photos, des regards, des sourires et des invitations… Un jour, elle regardera Églantine grandir sans ressentir cette pincée au coeur, semblable à une glaciation des sentiments.
Un jour…
La peau déchiquetée de son deuil tombera…
Bientôt.
Sa douleur s'évanouira imperceptiblement…
Elle revient.
20:04 Publié dans Conte-gouttes | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : écriture, nouvelle, deuil, vie | | del.icio.us | Facebook | | Imprimer
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