08/01/2010
Misère et acquisition ménagères
Toute grande joie se mérite d'un revers.
L'adage se partage: qui n'a jamais entendu ces quelques mots, au détour d'un café- confidence, autour de la table de la cuisine : « C'est trop beau pour durer, un si grand bonheur, ça se paie... »
Mon Bonheur à moi durant la période de Noël, c'était la présence des enfants* à la maison.
Quinze jours en famille, comme au bon vieux temps!
Quel cadeau...
Le revers, consenti et constaté sans surprise dès leur départ, s'est manifesté par le débordement de la panière à linge... Mais au su de ma disponibilité, pas de panique, Saint Équipement Ménager, dans sa grande mansuétude, allait m'aider à résoudre le problème. Aussi aisément qu'un plissement de nez chez ma sorcière bien-aimée, les machines et moi allions venir à bout de la lingerie d'Augias made in St Max. En trois jours, j'aurai vite trié et engouffré dans les machines les draps, nappes et serviettes de toilette dont la masse expansive menaçait la panière d'explosion. Chacun avait eu beau tasser qui sa paire de draps, qui les nappes des trois réveillons, au bout du compte, le linge comprimé dans le carcan de la corbeille augmentait de volume au fur et à mesure ...
Audrey et Seb nous ayant quitté les derniers samedi soir, c'est dimanche matin que je me suis vaillamment activé à la première fournée... Las, au mi-temps du programme, la machine commence à éructer sévèrement, par spasmes violents, elle lâche une série de « Klang » synchronisés à la rotation du tambour, ce qui me fait dresser poils et cheveux et se traduit chez GéO par un intempestif :
- Qu'est-ce qu'il y a dans Ta machine ?
Mais avant que j'explicite le bon usage que mon indubitable savoir faire ménager applique sur le matériel à disposition, le noir envahit brutalement nos écrans... Le disjoncteur a saturé...
Remise en marche, réglage des pendules et re-clac !
Le diagnostique n'est pas très compliqué. La fautive est rapidement identifiée... Sournoise, la perturbatrice me laisse en rade au pire moment, tambour rempli de linge imprégné d'eau savonneuse, grisâtre, pégueuse : l'expression locale décrit la sensation pénible que donne un produit qui refuse de quitter vos mains, même sous le flux du robinet ouvert...
Ô joie des pannes du dimanche matin...
Ô solitude de la ménagère accablée par la vision miséreuse de la lessiveuse…
Tandis que GéO s'attelle derechef à détecter l'origine du problème, je sais que je n'aurai d'autre solution qu'une équipée solitaire à la laverie municipale. ... À l'heure où d'autres songent à dorer les amuse-gueule, à dresser le couvert de fête, à sonner le rassemblement festif du régal dominical, me voilà partie en expédition de rattrapage dans la cahute installée au Rond Point à la sortie de la ville, soulagée pour lors que ma nichée ait déjà déserté...
J'ai la surprise agréable d'y partager le sort de deux concitoyens. Un quinquagénaire célibataire souffrant du même abandon que moi, essaie de résorber son retard pour préparer sa semaine... C'est grâce à lui que je m'initie au mode d'emploi des machines alignées dans la cabane de verre. Le brave homme me propose même généreusement une dose de lessive dont je n'ai pas songé à me munir... Nous entamons une intéressante conversation consacrée aux mérites respectifs des équipements individuels comparés aux matériels collectifs, quand nos regards s'attardent sur le carrelage jonché de poils de chiens, de cheveux, de poussière et de résidus poudreux... Encourageant.
Survient alors notre troisième comparse, qui s'apprête à sortir d'un immense sèche-linge les deux couettes qu'elle lui avait confiées. Naturellement solidaire, je me propose pour l'aider à plier les pièces conséquentes en évitant de les laisser traîner sur le sol crasseux. Bien nous en prend, car l'opération qui consiste à tendre la couette avant pliage permet de repérer sur le tissu d'énormes taches brunes, dont la couleur et la consistance ne peuvent évoquer que le pire...
En fait, l'exploration de la machine par la lingère affolée ramène au jour des emballages individuels de...chocolat! Mous et presque vidés de leur contenu par la chaleur du séchage, les petits paquets vomissent encore un surcroît de boue brunâtre. Quelle bonne blague a été concoctée là par d'anonymes farceurs, peu gourmands ou saturés de friandise!
Glosons, glosons... N'empêche: cette misère ménagère aura enrichi considérablement mon champ d' expériences d'une activité encore inédite.
Et comme tout problème trouve sa solution, en guise de lot de consolation, GéO et sa moitié ménagère ( oui, oui, c'est moi) sommes fiers de vous annoncer l'arrivée et l'activité intensive de la dernière acquisition du ménage!
Vive l'an neuf et son lot de surprises...
* Qui va me jeter la pierre? Sans ambiguïté et lucidement assumé: tout trentenaires qu'ils sont, mes Audréliens seront toujours les enfants…
Quand bien même leurs chemins de vie se complexifient et empruntent des itinéraires éloignés du nid,(n'ai-je pas la première choisi l'exil conjugal et méridional) tendresse et vigilance restent inscrites au programme de mes gènes… Amen
19:29 Publié dans goutte à goutte | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : récit, écriture, humour, maison | | del.icio.us | Facebook | | Imprimer
21/12/2009
Les yeux de Mourad
Soraya Allouche ne peut retenir un soupir en franchissant la porte d'enceinte de la centrale. Ce nouvel entretien avec sa jeune cliente n'a encore rien donné, mais elle espère que son message finira par franchir la barrière mentale que la jeune Souad a dressée entre sa vérité et le monde réel. La jeune avocate redoute le poids de cette affaire, en passe de transformer une tragédie d'ordre privé en fait de société. En témoigne déjà la poignée de journalistes qui guettent sa sortie. Elle sait qu'elle doit absolument les éviter pour le moment, ajuste ses lunettes noires, remonte le col de son manteau et sert nerveusement sa mallette contre elle.
Tandis qu'elle presse le pas vers sa voiture, elle imagine la jeune fille de retour dans sa cellule, seule devant les feuilles de papier qu'elle lui a confiées. Ce que Souad ne peut dire maintenant, en prise au traumatisme des événements, Soraya est persuadée qu'elle saura trouver les mots nécessaires dans la solitude de la réclusion. L'avocate ignore encore la teneur des éléments du drame, mais elle est intimement persuadée que la confession qu'elle attend de Souad lui permettra d'obtenir la modification de l'acte d'accusation qui pèse sur le destin de la prévenue : passer de tentative de meurtre avec préméditation à légitime défense, n'est-ce pas le rêve de tout avocat ?
C'est en remontant le temps que Souad a fini par libérer le tumulte des impressions qui l'oppressent. Elle s'est glissée à nouveau dans le cœur de cette fin d'après-midi où son sort s'est noué. La confession qu'elle remettra à son avocate n'est pas achevée, elle a pris la forme d'un journal intime centré sur le moment précis où elle a dû prendre sa décision. Souad ne pourra jamais formuler plus précisément le fil conducteur du drame.
La prison de Mourad a des murs, forcément.
La mienne est fermée par les yeux de Mourad.
Demain il sort de prison.
Ça fait trois ans qu'il y est enfermé. Ça fait trois ans que je suis libre.
Libre de vivre sans peur au milieu de ma famille.
Mais s'il revient demain, ma famille sera à nouveau la sienne.
Une famille ordinaire autour de notre mère et de mes frères, les grands et les petits.
Mes sœurs, je n'en ai plus. Mourad les a fait partir.
Sefana, ma préférée, elle n'a qu'un an de plus que moi, a été mariée l'année dernière. Pour elle, c'est le pire. Elle est partie, partie définitivement je crois.
Mourad a choisi un cousin, fils du frère de ma mère... Le lien avec le Pays, il a dit à ma mère. Et elle a obéi.
Elle a obéi à son fils aîné, comme toujours. Sans broncher. Et j'ai perdu ma sœur.
On s'est écrit trois fois, toutes les deux. Puis son mari a lu mes lettres, il lui a interdit de poursuivre notre correspondance. Sefana s'est retrouvée exilée dans sa belle-famille, condamnée à la peine conjugale : faire des enfants, cuisiner et tenir la maison de son mari, accepter tout ce qu'il décide pour elle, dans un pays qu'elle connaît à peine. Au mieux, elle va devenir une deuxième Boussaïna.
Boussaïna est la plus âgée des filles. Notre aînée. Mariée-quatre-enfants, tout est dit.
Mourad sort de prison demain.
Il revient à la maison et, à part moi, toute la famille se réjouit.
Malik et Bilal, mes petits frères, sautent sur le sofa. Ils profitent de l'absence de ma mère. Elle est partie en toute urgence faire des courses pour préparer le retour de son fils prodigue.
Il vaudrait mieux que je surveille les deux athlètes sur canapé, mais j'ai besoin de mettre de l'ordre dans mes idées. J'ai prétexté mes devoirs pour le lycée. Pourtant, j'ai du mal à me concentrer sur ce travail qui m'intéresse habituellement. Ce soir, j'ai l'impression d'étouffer, mon cœur bat à toute vitesse... J'ai peur, alors histoire d'ordonner mon angoisse, je gribouille mes idées. Des idées, j'ai intérêt à en trouver de bonnes pour éviter que ça recommence. J'ai une confiance nulle dans mon avenir...
Ou plutôt, je sais trop bien comment ça va se passer, recommencer comme avant.
J'ai eu trois ans de tranquillité.
Les trois années que Mourad a passé en prison.
J'ai réussi à éviter les parloirs en famille, les dimanches de visite.
J'ai obtenu d'aller au lycée, malgré les colères de Mourad. Il a dit à ma mère que je ne devais pas "prendre la grosse tête", qu'il ne fallait pas que je "m'y croie", que je devais continuer à aider à la maison. À chaque visite, il lui a dit: «surveille Souad et visse-la bien »... Ma mère rapporte les ordres de Mourad comme s'il était son mari, elle accepte tout sans broncher. C'est sa faute si Mourad est aussi dur avec nous.
D'un autre côté, je dois reconnaître qu'elle a bien voulu quand même que j'aille à Jean Zay. Avant moi, Soufiane était le seul à être allé dans un lycée. Mais lui, c'est un garçon, et mon père était encore vivant. Alors forcément, Mourad ne faisait pas la loi. Mourad n'a pas dû aller longtemps à l'école... C'est un souvenir vague, j'étais encore petite quand mon père a été écrasé par sa machine à l'usine. Maman s'est retrouvée seule avec nous sept, je n'avais que huit ans, et mes deux derniers frères n'étaient que des nourrissons. D'abord mon oncle Khaled s'est occupé de nous, puis Mourad a grandi. Mais il était déjà méchant, bien avant. Je n'ai pas souvenir d'être descendue à la cave sans crainte, à cause des pièges qu'il m'y tendait. Et après il a commencé à me faire mal, exprès, pour voir si j'allais me plaindre.
Il pleut à verse. La pluie tambourine sur les vitres. J'ai gribouillé les gouttes qui tombent comme des flèches sur la marge de ma copie. Au début, mon stylo a tracé des traits légers et nombreux, juste une ombre sur les lignes de la marge. Puis j'ai réalisé que mes hachures évoquaient des javelots, et je les ai accentuées, serrées, appuyées sur la page pour que les pointes transpercent Mourad devant la porte de la prison, demain matin. Je voudrais bien que mon dessin se réalise, comme une prière des religions primitives.... Il paraît qu'il y a des gens qui croient à ces sortilèges. Moi, je ne peux pas accepter ces sornettes, je veux devenir scientifique. Passer mon bac S à la fin de l'année. Les profs y croient tous. Ils me disent que j'ai le niveau. Que je pourrai faire la fac, aller à Paris, à Jussieu...
Mourad a été arrêté vers le milieu de ma troisième, il a pris trois ans. L'idéal, ç'aurait été qu'il y reste jusqu'après mon bac... Mais en fait, avec la prison d'avant le procès, et la remise de peine, je n'ai pas eu le temps d'être prête... Et puis, qui va se soucier d'une fille de seize ans, bientôt dix-sept, qui voudrait juste décider d'elle-même ? Il me manque deux trimestres ... Il faut que je trouve une solution pour tenir jusque-là.
Parce que si je reste ici comme une gourde à attendre Mourad, il va me regarder de ses yeux noirs, froncer ses énormes sourcils et m'ordonner de descendre à la cave, sous n'importe quel prétexte... Et personne ne s'étonnera... Il me rejoindra, comme avant... JE NE VEUX PAS QUE ÇA RECOMMENCE !
C'est carrément impossible de ne pas obéir à Mourad.
C'est à cause de ses yeux. À cause de cette façon particulière de nous regarder... Comme s'il y avait dans son regard la volonté d'un prophète...C'est la force qui lui a permis de s'imposer partout...Personne ne s'oppose à Mourad. En comptant les trois barres qui forment notre quartier, il a presque une cinquantaine de types sous ses ordres. L'avantage pour nous, c'est qu'on est protégé des autres bandes. C'est-la-sœur-à-Mourad, c'est une marque de privilèges, même après son arrestation... Pourtant, c'est lui que je redoute, c'est lui qui veut m'enfermer dans la famille, comme un oiseau dans une cage.
Mourad sera libéré demain... Ça veut dire que je n'ai que ce soir pour décider de ce que je dois faire. De ce que je veux devenir.
Comme Myriam et Soraya. Elles ont quitté la cité, elles se sont émancipées. C'est vrai, elles l'ont fait, je devrais donc pouvoir y arriver. Je me souviens que leur départ a beaucoup fait jaser, que beaucoup disaient que ça déconsidérait les parents. Mais Sefana et moi, on avait compris que c'était la jalousie, tous ces ragots.
En fait, les parents de Soraya devaient plutôt être fiers d'avoir une fille avocate ! Mais ils faisaient semblant de rester modestes, parce qu'ils voulaient être tranquilles. En attendant, elles habitent ailleurs, et plus personne ne se préoccupe de les surveiller.
C'est ça la Liberté, L'Égalité ...
Pour la fraternité, ce qu'il y a de sûr, c'est que c'est un piège. Au premier sens du mot, c'est le droit à la tyrannie. ... Si j'en avais un jour le pouvoir, je ferais enlever ce mot-là, fraternité, parce que dans tous les cas, il n'est jamais appliqué dans le bon sens. Les mots et la réalité ne font pas toujours bon ménage...
Si je pouvais partir ailleurs ... Voilà une idée à creuser. Continuer à habiter ici, c'est idiot, Mourad n'acceptera jamais que je ne reste pas à la maison...
... Et ma mère, elle comprendrait ma mère ?
Elle comprend quoi à notre vie, ma mère ?
Jamais elle n'a dit le moindre mot contre Mourad, contre ses trafics, ses activités, sa façon de nous commander tous...
Elle ne dit rien non plus contre Soufiane, qui a abandonné tous ses boulots les uns après les autres. Pourtant avec sa formation d'électricien automobile il peut trouver un emploi, quand il veut. Mais il a préféré jouer au petit soldat pour son frère aîné.
Je suis certaine qu'elle n'a pas protesté quand Mourad a organisé le mariage de Sefana depuis la centrale. De sa cellule, il a trouvé le temps d'écrire au bled, de combiner ses projets ... Sefana a été mise au courant la semaine avant son départ. Elle est partie seule, avec Soufiane pour représenter la famille ... Et personne n'a trouvé cette situation anormale. Elle s'est débattue, elle a voulu se sauver, nous avons pleuré et crié jusqu'à perdre nos voix toutes les deux, mais elle a fini par suivre Soufiane, et basta... Plus personne n'en parle, j'ai parfois l'impression d'être la seule à me souvenir de ma sœur, si proche, si gaie, si généreuse. Même quand nous nous disputions, elle était toujours la première à revenir et à faire la paix.
Je cherche la photo où nous sommes toutes les deux, allongées sur notre lit. C'était peu de temps avant ... Elle y est magnifique, avec ses longs cheveux bouclés : séance maquillage en chambre sur les conseils de Biba. Superbe! Digne d'une série genre Miss Cité des Cerisiers !
Cette photo-là, il faut que je la cache, mieux vaut que Mourad ne tombe pas dessus. Soufiane, il s'en moque, il ne rentre jamais dans ma chambre, la chambre des filles. Mais Mourad, il est bien plus curieux, plus exigeant. Rien ne lui échappe...
Comme avant, il nous regardera à tour de rôle, de ses yeux noirs impénétrables. Ça va durer un moment et le silence s'installera finalement, comme si son regard avait le pouvoir de déshydrater nos langues, sécher nos gosiers, ankyloser nos cerveaux. Quand il aura bien plombé l'atmosphère, il se redressera contre le dossier de sa chaise, il soupirera, et de petites étoiles commenceront à briller sur ses prunelles, elles perdront cet aspect mat et lourd, marc de café séché. D'un coup, il aura les yeux rieurs, illuminés d'étincelles pétillantes alors que ses lèvres resteront figées. En un instant, il paraîtra très beau, aussi charmant qu'un prince de contes, à cet instant, on aura tous envie de l'aimer ...
Son ordre partira comme un coup de poing, personne ne protestera.
J'ai aidé les petits à leurs devoirs, c'était facile. Ensuite, nous avons tous dîné et Soufiane m'a embêtée en me demandant pourquoi je faisais la tête. Il semblait attendre que je saute de joie... Je me suis soudain sentie mal à l'aise. D'habitude, c'est à peine s'il me voit. Ce soir, il n'a cessé de me taquiner au sujet de ma tête, de mon humeur, de ce que je devrais préparer pour demain... C'est là qu'il m'a fait peur.
Qu'est-ce que Mourad lui a dit de moi ?
Qu'est-ce qu'il a reçu comme consigne à mon sujet ?
Sans délirer, je suis persuadée que Soufiane connaît une partie de mon secret, punition sans raison qui permet à Mourad de me blesser à volonté...
À volonté, c'est à moi de décider, de montrer ma volonté de ne plus être son jouet...
À moi d'apprendre à lutter contre le regard de Mourad.
À moi de savoir comment l'empêcher de ruiner ma vie.
Il paraît qu'il existe des associations d'entraide pour les filles et les femmes.
Il faut que je trouve Soraya. Elle comprendra le problème. Elle connaît Mourad, c'est sûr, ils ont grandi pratiquement en même temps. Elle est avocate, donc, elle connaît les lois de France et celles de notre quartier. Si je lui parle de Mourad, elle saura sûrement combien il est malfaisant...
Et même si je blessais Mourad, si je ... Elle saurait sûrement me défendre.
La société nous rend Mourad, elle croit avoir assez puni le chef de bande, alors il me reste à me battre pour moi-même. Je n'ai vraiment pas le choix.
En rangeant la photo de Sefana, tout à l'heure, j'en ai trouvé une plus ancienne, où nous sommes tous réunis autour des parents, installés comme des rois sur le canapé, Bilal et Malik, encore bébés, sur leurs genoux. Nous sommes disposés en couronne autour d'eux, à la façon des familles royales sur les photos de Gala. Mourad et Soufiane sont debout à l'arrière-plan. Boussaïna, toute menue, se tient devant Soufiane, sans le cacher. Sefana et moi sommes figées devant Mourad. Il a posé ses mains sur nos épaules : je fais une grimace parce qu'il me pince le cou et je me suis tout à coup souvenue avoir été grondée parce que j'avais gâché le cliché en gigotant. C'est une parfaite photo de famille. Elle avait été prise pour être envoyée au bled.
En remontant de la cave, un jour de mes douze ans, j'ai pris ce cliché vieillot dans la boîte à photos.
J'ai longtemps caché cette image dans les toilettes, sur le dessus des étagères où sont rangés nos produits d'entretien.
Un soir, je suis restée longtemps dans ce cabinet, parce que j'avais dû fabriquer une compresse d'eau fraîche pour l'appliquer sur la brûlure de cigarette que Mourad m'avait faite en bas du ventre, au milieu de la toison qui commençait à tout juste à pousser. Il trouvait ça drôle de brûler ce duvet avant qu'il frise. J'avais mal, mais je ne pouvais pas montrer les marques à cet endroit-là. Pour passer le temps, j'ai repris la photo dans sa cachette. Mon idée première, le jour où je l'avais subtilisée était de la déchirer et de la jeter dans les toilettes. Mais je n'avais pas osé sur le moment, de peur que des morceaux flottent et me trahissent.
Ce soir-là, la douleur de la brûlure s'est estompée, quand de la pointe de mes lacets, j'ai crevé les yeux de Mourad.
Sur la photo.
C'est ça, ma porte de sortie.
Si Mourad perd ses yeux...
Maintenant, que Mourad reste aveugle ou qu’il meurt, quelle différence…
Puisque qu’elle a eu la force de lui jeter au visage l’huile brûlante de la poêle à brick, elle a effacé son pouvoir maléfique…
Elle peut bien habiter une prison de béton, la souffrance de Mourad est devenue sa geôle à vie.
Elle ne regrette rien.…
12:53 Publié dans Conte-gouttes | Lien permanent | Commentaires (5) | Tags : écriture, nouvelle | | del.icio.us | Facebook | | Imprimer
20/12/2009
Mésaventure d'une petite plume
Voilà un bon moment que je n'abonde plus ici en débordements verbaux…
Ce n'est pas tant que je sois devenue mutique du clavier…
Je ne boude pas non plus, quoique je ne croule pas sous les commentaires, soyons lucide…
Néanmoins, je m'aperçois que les petites souris lectrices et lecteurs continuent d'être fidèles et j'en suis fort contente. Et me sens votre obligée, en quelque sorte…
Je m'en vais donc vous exposer mes deux justificatifs:
a) La semaine dernière a été plutôt froide, disons glaciale, et comme notre contrat EDF est particulier, nous ne chauffons pas le bureau les jours d'EJP *. De lundi à vendredi, la température ici est passée progressivement par 15°, 12°, 8°, 7°, 5,4° vendredi soir. Franchement, une demi-heure quotidienne pour relever l'essentiel des mails, ça suffit. Je titille mon clavier avec des gants de laine, vous imaginez sans trop de peine le comique de ma prose…
Nous chauffons à nouveau depuis hier matin, et ce soir la température au bureau est idyllique: nous plafonnons à 16,5°! Waouh, quel confort! Je récupère des neurones qui décongèlent len-te-ment…
Évidemment, ce n'est pas la vraie bonne raison.
b) La vraie bonne raison, c'est que je me suis lancée un défi…
J'avais répéré sur le site le hangar un concours de nouvelles.
- Ah, me suis-je gourmandée, avant de tourner ta dizaine et de trépasser , faudrait bien mesurer ta prose aux regards de gourmets producteurs!
Je me suis lancée, sans m'en vanter, pour oeuvrer à ma main selon les contraintes imposées: thème la liberté, 5 pages maximum, police corps 12. Il y a des années, j'avais reçu un autre conseil avisé: respecter un interligne de 1,5 afin d'épargner la fatigue des lecteurs.
Ça n'a l'air de rien, mais ce n'est pas si commode. Et puis sans doute avez-vous noté mon côté débordant. Saine gymnastique que ces limites…
Alors, voilà, j'arrive au bout, au point que je me suis fixée, soit deux jours avant la date butoir…
Et vous savez quoi?
En première page du site, une note grise comme un faire-part de deuil…
Le concours est annulé.
Tout simplement…
Y'a pas de doute, vous n'allez pas y couper, c'est gouttesdo qui va en profiter!
* EJP= Effacement Jours de Pointe, il fallait penser à une dénomination pareille…
EDF et ses tarifs! EDF recrute une équipe de cerveaux habilités à dresser de véritables labyrinthes tarifaires dont les particuliers ne sortiront plus jamais vainqueurs. Comme une majeure partie des administrations, le challenge pour les rédacteurs consiste à rédiger les offres de la façon la plus absconse possible…
19:17 Publié dans Courant d'O | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : écriture, blog et littérature | | del.icio.us | Facebook | | Imprimer
26/11/2009
Amitié et amitiés
Un peu kitsch, ce bouquet composées de roses de Novembre ?
Sûrement, mais je les ai trouvées belles et nobles, entièrement vouées à l’éclat de leurs couleurs, à l’épanouissement de leurs corolles denses et parfaites … La couronne constituée par tous ces pétales m’offre l’évocation idéale du sentiment éprouvé lors de la visite d’Annick, Florence et Alice à la maison, voilà une dizaine de jours.
Observez la structure particulière des pétales : leur entrelacement illustre l’enchevêtrement des relations amicales au long d’une existence. Belle image de l’Amitié et des amitiés qui entourent et protègent nos cœurs de vie.
Ce week-end éclair nous a permis d'accueillir Annick, en coup de vent, mais je lui sais gré de nous l’avoir accordé. J’ai toujours connu Annick en train de courir, de se démener pour trouver une solution aux multiples problèmes que rencontre toute mère de famille qui roule en solo. Toutefois, au cœur même de ses soucis, Annick a souvent procédé en discutant, en confrontant ses ressentis et ses angoisses aux avis de ses amies. Son esprit ouvert lui permet d’apprécier les divergences ou les similitudes de situations, de se forger sa vérité, quitte à affronter les conséquences de ses choix. Ce qui me touche en elle est sa volonté combative de positiver et d’avancer… Son honnêteté intellectuelle et sa lucidité, que j’ai retrouvées intactes, bien que nous n’ayons plus eu l’occasion d’échanger ainsi depuis plusieurs années.
Autre bonus du week-end, Annick était accompagnée de Florence et d’Alice, les cadettes de la fratrie, que j’ai comptées jadis parmi mes élèves. L’amitié née en cette période est largement payée de retour : il est touchant et agréable de retrouver à l’âge adulte les jeunes femmes et de les écouter exposer leurs projets et leurs plans d’avenir. Que de chemin parcouru ! Elles ont atteint l’orée de leur maturité, et m’ont impressionnée par leur vision pragmatique du futur. Leur confiance en la vie, c’est à leur mère qu’elles la doivent. Merci donc à l’Amitié pour leur passage à Saint Max.
L’Amitié est pour la plupart d’entre nous le meilleur ressort du sentiment d' exister, l' appréciation d' épaulement dans les mauvais jours, l' exaltation par le partage des moments heureux. Qui ne rêve de prolonger à l’infini cette fusion extra-sexuelle du lien à l’autre que l’on croit avoir vécu à l’adolescence ?
Avoir été pensionnaire, c’était dans mon cas personnel, avoir noué des attaches privilégiées avec mes congénères… De fait, à l’autre bout de la chaîne de vie, ces amitiés de jeunesse n’ont pas survécu à l'érosion du temps, aux éloignements physiques et aux divergences de cheminement.
Les amitiés adolescentes sont éphémères, elles durent le temps nécessaire à la sortie du nid et s’effacent souvent à la confrontation des choix amoureux …
Que sont devenues Jacqueline, Viviane, Michèle et les autres ?
C’étaient mes amitiés de jeunesse, et après elles, d’autres figures ont occupé mes pensées, d’autres rencontres ont partagé mes discussions, d’autres personnalités ont construit le réseau de mes amitiés. À leur tour, l’une après l’autre, elles se sont fondues dans la brume du passé. Elles sont entrées au musée des amitiés révolues.
Toute amitié non entretenue devient fleur fanée.
Les premières amitiés étaient si entières que je croyais qu’elles dureraient à tout jamais.
Les amitiés de l’âge adulte n’étaient pas moins sincères sur le moment, mais j’ai toujours su, malgré les nombreuses barrières qui ont bloqué la formulation de l’aveu, qu’elles étaient des amitiés opportunistes, puisqu’elles étaient liées à nos couples, à l’évolution de nos familles. Ces amitiés-là fonctionnaient comme un interminable labyrinthe de miroirs, où de dîners en week-end campagnards, des vacances partagées aux sorties courantes, les échanges se bornaient à se renvoyer indéfiniment l’image du même épanouissement consensuel.
Les premières amitiés étaient abruptes comme les chrysalides que nous étions. Les secondes se sont raffinées par l’enregistrement de codes sociaux. Les premières se sont évanouies dans un espace indéfini, entre la fac et la mise en couple. Les secondes se sont fondues dans le brouillard opaque levé à l’heure des dissensions et du divorce. Quelques promesses d’amitiés sincères à la saveur embarrassée au moment d’être proférées. C’est qu’il est particulièrement malaisé de soutenir un seul membre d’une équipe qui se désunit. Ces amis-là ont généralement rompu les amarres, sans heurts, sans reproches et sans larmes, juste par défaut de présence.
Je me souviens d'un ami qui définissait ce syndrome en figurant son cercle relationnel sur une soucoupe. Lui se situait au centre de sa sous-tasse, il occupait franchement l’espace plan nécessaire à l’équilibre du récipient. Autour, sur la porcelaine incurvée qui entoure le fond, les gens tournaient sur un manège en forme de toupie : tantôt proches du centre, grâce à l’attraction centripète des sentiments passionnés, puis par la force centrifuge des événements sociaux, propulsées vers l’extérieur avec le reflux des histoires achevées. Un beau jour, chacun d’entre nous pouvait atteindre le bord de l'assiette et disparaître dans l’abîme de l’oubli…
Les véritables amis, celles et ceux qui traversent les courants existentiels et se maintiennent près du centre, sont ceux que l’on rencontre en Pays de Solitude , sinon de détresse. Chacun peut reconnaître son cercle véritable quand les liens perdurent aux chagrins, aux déménagements, aux errements professionnels et affectifs. De ma période parisienne, je me réjouis des attaches toujours vaillantes avec mon Trio Sensible, même si les entrevues sont devenues rares, elles résonnent toujours du même vibrato. Grande Richesse. De la page construite dans ma-maison-au-bord-de-la-forêt,où ce Trio a joué aussi sa partition, je peux me vanter aussi de quelques amarres solides… D’autres se sont usées avec le temps, certaines ont des pics d’émergence, comme si la marée haute les recouvrait pudiquement pour mieux les mettre à jour, bien au sec, en période de basses eaux : La vie avec ses nombreux va-et-vient… Mais il ne faut jamais rien regretter, de nouvelles rencontres se sont produites, d’autres visages occupent les multiples pétales de mes roses… Ce bouquet de novembre, c’est un livre de l’amitié qui se feuillette à loisirs.…en marche vers l’automne personnel qui me guette, il sent encore très bon.
18:41 Publié dans Courant d'O | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : écriture, journal, amitié, images et fleurs | | del.icio.us | Facebook | | Imprimer
31/10/2009
L'envers du décor…
Depuis Le Plan de la Tour, la descente sur Sainte Maxime s’effectue rapidement. Nous profitons d’abord du paysage en cinémascope, capté depuis la hauteur, largement ouvert sur le miroitement de la baie. Le coteau est ponctué de somptueuses villas et autres maisons coquettes, desservies par la route étroite qui traverse le massif des Maures.
La traversée du Plan de La tour est encore agréable, à cette saison, quelques touristes traînent aux terrasses des deux cafés encore ouverts. L' Aïoli, le restaurant du centre ville, a fermé et sa terrasse déserte annonce l’automne plus sûrement que les frondaisons des platanes.
Jusque-là, rien n’annonce le constat qui s’impose dès que, au niveau du hameau Les Mûres, nous rejoignons la DN 98 qui longe toute la côte nord de la baie. La route est défoncée en plusieurs endroits et les barrières de sécurité le disputent aux engins de chantier affairés à la remise en état de l’asphalte… La circulation s’organise en sens alternés, ce qui ne facilite guère la sortie des entreprises à midi. Mais qu’importe, difficile de ne pas remarquer les magasins aux vitrines maculées, les stockages de caravanes sens dessus dessous, les esplanades bourbeuses où s’étendent ordinairement les entreprises, le long des ruisseaux souvent à sec… Les roseaux couchés, les sacs de plastique éventrés flottent au vent dans les branchages, à deux mètres de hauteur… Témoins désolants du désastre renouvelé.
À échanger avec nos connaissances de Sainte Maxime, tous sont effondrés par cette double catastrophe « dont il vaut mieux ne pas parler »… Traduire, ne pas prendre le risque de dissuader les touristes belges et nordistes de venir profiter des derniers rayons de l’automne flamboyant. Car sous l’azur retrouvé, on peine à croire qu’il y a moins d’une semaine, le ciel s’est déversé là avec une pareille violence…
Un mois avait à peine suffi à panser les plaies*, nettoyer les rez de chaussée envasés, dégager les véhicules chamboulés, traînés sur des centaines de mètres… Acheter de nouveaux réfrigérateur, lave-linge, équipement électroménager et matériel indispensables aux activités professionnelles autant que domestiques…
Pourquoi tant de haine de la part de cieux d'ordinaire plus riants ?
D’aucuns murmurent déjà que les travaux de la route du col, la D 25, n’y sont pas pour rien.
On suppose que les grosses buses installées pour drainer les pentes des Maures et éviter l’arrachement de la chaussée nouvellement élargie ont accentué la densité des ruissellements. Les eaux furieuses ont convergé sur les mêmes barrages sauvages organisés par les amoncellements de détritus divers, débris végétaux, carcasses de voitures, d'électro-ménager et autres gravats balancés au petit bonheur au fond des ravins.…
Ainsi, grands travaux et négligence humaine conjuguent leurs efforts pour faire payer le prix fort à la communauté qui s’est établie là où les terrains sont les moins chers : l’ancien marécage herbeux, devenu zone d’activité …
À observer la carte hydrographique, il est aisé de constater combien la région est arrosée de multiples petits torrents côtiers, le plus souvent complètement taris, mais rapidement en crue dès que les orages éclatent.
Les assurances honoreront-elles leurs engagements une seconde fois ?
Les pouvoirs publics reconnaîtront-ils leur part de responsabilité dans l’aménagement de la région ?
Les citoyens qui se délestent si volontiers de leurs encombrants percevront-ils leurs responsabilités individuelles ?
Questions pour le moment sans réponses, mais il faudra bien que des mesures soient envisagées et réalisées avant une troisième vague de pluie… Nous ne sommes qu’en début d’automne.
Sur la mer flottent encore des débris végétaux charriés par les flots déchaînés du Préconil. On peut distinguer la traînée boueuse du courant se mêlant à la mer turquoise… Je vous épargne la purée végétale flottant sur les eaux stagnantes du port, mais vous convie à découvrir une nouvelle île dérivante à proximité, îlot d’arbres arrachés à la terre. On ne peine plus à imaginer les obstacles encombrant les eaux de la baie…
Pour aller plus loin sur ce sujet, voici le lien avec le site sur les risques de crues dans le Var.
http://www.var.pref.gouv.fr/ddrm/spip.php?article65#
Comme je ne souhaite pas influencer votre week-end de Toussaint par un point de vue trop pessimiste, haut les cœurs, je vous laisse sur l’image d'un pont tendu entre ciel et terre, entre territoire et spiritualité, un nuancier de baumes dispensé par le Grand Bienfaiteur…
Après le Pluie…Vient le temps des émerveillements.
15:58 Publié dans Courant d'O | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : récit, écriture, environnement, nature, sainte maxime, hydrographie, var | | del.icio.us | Facebook | | Imprimer
29/10/2009
Retour aux sources
Je vous ai parfois invités à cette promenade au long d’un site charmant, ancien moulin abandonné, ruines ouvertes sur ce plateau micacé, étincelant au soleil.
(notes goutte à goutte ô combien du 7 -10-2008 http://gouttesdo.hautetfort.com/trackback/1833806
et l’Aille en eau du 9-02-09 http://gouttesdo.hautetfort.com/trackback/2041356 ).
Je vous proposais alors de comparer les états du lieu, en des circonstances fort différentes.
Lundi dernier, l’envie nous est revenue de prendre le pouls de la vallée. La route qui nous y mène est fort étroite et sinueuse, mais elle offre des points de vue remarquables. Il n’est toutefois pas recommandé de s’arrêter aussi souvent que l’on voudrait, tant la visibilité est réduite entre deux virages et certains résidants locaux conduisent sur cette route en propriétaires…
Après les pluies diluviennes de la semaine dernière, la végétation s’ébroue et prend ses aises sur les talus. À notre surprise, les bruyères se sont épanouies et tapissent à leur tour les pentes de leurs hampes serrées en un élégant camaïeu.
Le pont qui enjambe notre site favori se décèle à peine dans cette verdure foisonnante, alors qu’il offrait l’an passé sa carcasse décharnée à tous les regards.
Sans atteindre le niveau des crues de février dernier, l’eau se déverse ici à pleins bouillons. Vous pouvez juger du débit intense, mais le malaise naît de cette vilaine mousse incongrue qui tapisse le bassin. Qu’a bien pu ramasser en amont l’onde innocente qui s’exprime et se libère par ces bulles douteuses ?
Qui oserait imaginer la vie aquatique sous la pellicule savonneuse ?
L’eau dévale ici avec force, déjà…
Tandis que je me lance à la recherche des rainettes, je sais qu’elles prospèrent dans les trous et qu’il faut s’armer de patience pour déceler leurs présences, trahies parfois par un saut si rapide que l’œil n’est pas certain de le capter. Le bonheur de saisir leurs reflets en photo est encore plus rare…
Si d’aventure vous cherchez un havre isolé pour abriter vos méditations, accueillir une douce rêverie, songez en ces lieux à refaire le monde et nettoyer la planète…
Voici le palais des courants d’air, voûte céleste et eau courante non garanties à l’année…
18:33 Publié dans goutte à goutte | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : récit, écriture, eau, balade, pollution, provence | | del.icio.us | Facebook | | Imprimer
02/09/2009
Copain chien amphibie
Dans la catégorie Bête de Gévaudan, portrait du jour :
Honte à moi sur toute la ligne, durant l’été, j’ai omis de vous tenir au courant des frasques du Destrouk’tor noiraud. Toujours débordant d’affection envers quiconque passe à portée de ses démonstrations intempestives, il adore fourrer sa truffe frémissante dans les conduits de nos oreilles. Et puisque nos organes de l’ouïe l’inspirent, il lance ensuite de petits souffles derrière le lobe de nos oreilles, remonte enfin vers les commissures de nos lèvres en une bonne série de léchouilles tendres… Ainsi débarbouillés, il ne nous reste plus qu’à l’accompagner au bain pour le rituel joujou-piscine, autre variante du joujou-jardin qui finit par lasser …
Depuis l’an dernier, les joujoux ont changé de corps. Finies les baballes en mousse ou en latex. Un grand nombre de balles de tennis ont rendu l’âme en quelques secondes, GéO a résolu de passer au produit de grande résistance, et dont le renouvellement ne nous coûte rien : bouteille de Salvetat et de Vichy font parfaitement l’affaire. Avant de rejoindre la poubelle de tri, elles ont droit désormais à un détour par la case joujou, le recyclage, c’est économique et écolo…
Cet après-midi, donc, séance piscine selon le rituel établi :
Après quelques plongeons au milieu du bassin pour récupérer l’objet lancé, voici une petite séquence photo concernant les intenses activités du chien et de son maître.
Vous constaterez sans peine que Copain est parfaitement amphibie et pratique sans fatigue l’art de l’apnée:
Promis, juré, il ne se fera plus avoir !
19:17 Publié dans goutte à goutte | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : récit, journal, écriture, animaux familiers | | del.icio.us | Facebook | | Imprimer
31/08/2009
Amours d'antan
Hasard et coïncidences parsèment souvent nos cheminements de petits cailloux blancs que l’on a toujours plaisir à ressasser, aromates exotiques de notre quotidien. L’anecdote véridique que je m’en vais vous rapporter appartient à ces moments savoureux.
Au printemps dernier, j’avais imaginé de compléter notre périple parisien d’une petite escapade normande. Je proposai les pêcheries de Saint Pair sur Mer, GéO sauta sur l’occasion pour revenir sur les pas de ses vacances adolescentes et s’enquit aussitôt d’un hébergement à Port en Bessin. Affinant sa recherche, il zooma alors sur le village voisin de Commes le Bouffay et parmi les trois ou quatre adresses apparues sur son écran, choisit au hasard: pouf pouf ce sera toi… Il opta pour les charmes de la maison tenue par une dénommée Michèle Vincent.
En matière d’organisation, la règle d’or préconisée par GéO reste "qu’il faut être précis et rigoureux. Sinon, ce n’est pas la peine"…
La conversation commercialement engagée, les dates fixées et les tarifs débattus, GéO en arriva enfin aux détails pratiques et s’enquit auprès de son interlocutrice :
- Mais vous êtes où exactement dans Commes ?
Une demi-pause valant 2 temps, puis la voix féminine enchaîna :
- Vous connaissez bien le village?
- Ah oui, j’y venais souvent adolescent…
- Alors vous êtes Le Gérard Chollet que je connais ?
À son tour GéO marqua une pause, double soupir…
- Peut-être, Commes c’est tout petit…
Son naturel peu timide reprit vite le dessus.
- Si vous étiez à Commes ou au Bouffay dans les années cinquante, vous devez vous souvenir de notre groupe… Nous y sommes venus à plusieurs reprises, en vélo depuis Paris…
GéO avait déjà entrepris la narration au long cours des expéditions vélocipédiques de ces années glorieuses, quand il perçut le commentaire ténu de l’hôtelière:
- Je suis la sœur de l’épicière…
…Séquence émotion…
De part et d’autre de la ligne téléphonique, on pausa, on soupira, sostenuto, on inspira…avant d’entonner mezza voce :
- …La sœur de Madame Pain ?… Gilberte ?
- Ouiii, Gilberte…( pianissimo)
GéO avait déjà repris ses esprits, il avait retrouvé sa sonorité habituelle:
- Ah ah, c’est pas croyable, vous vous souvenez de nous ? Mais j’aurais pas deviné, à votre nom…
- C’est que …Gilberte, j’aime pas… J’ai jamais aimé mon prénom, alors j’ai pris celui de mon mari…
- Voilà pourquoi j’ai appelé par hasard, Michèle Vincent, je ne pouvais pas deviner…
- Moi, je n’ai pas reconnu votre voix, mais le nom et le prénom, là, ça m’a intriguée… Mais avant d’être certaine…
- Eh oui, ça fait combien… dans les cinquante ans, plus même, on est déjà en 2009 !
- On ne va pas compter maintenant, mais je crois bien qu’on aura du mal à se reconnaître !
Sur le coup, GéO était tellement enthousiaste qu’il fut tenté de programmer la semaine entière à Commes le Bouffay ! C’est qu’effectivement la surprise était de taille et l’émotion s’appréciait à la valeur du souvenir…
Gilberte avait été l’objet des tendres pensées qui avaient occupé son esprit et contribué à développer son talent épistolaire pendant une bonne année, entre les étés 1956 et 1957, avant Annie et le service militaire, c’est dire à l’âge tendre et formateur des idylles clandestines…
GéO narre volontiers ses apprentissages, professionnels ou affectifs. Cette période de fin d’adolescence, en particulier, sonne souvent dans ses souvenirs comme un moment intense de sa formation : l’école Dorian où il a côtoyé les professeurs qui lui ont appris méthode et débrouillardise, où il a rencontré Jean-Claude, celui-là même qui nous honore toujours de son amitié, malgré le temps et les aléas, ce Jean Claude qui a partagé mille et une aventures, dont les inoubliables équipées dans les falaises de Commes le Bouffay… Ce soir-là, les bouffées de nostalgie bienheureuse emplissaient son regard et sa voix quand il commentait :
- Tu te rends compte, Gilberte, qui m’apportait les camemberts avancés pour les copains en échange de nos caresses, oh bien pudiques, nos amours de l’époque… On n’allait pas bien loin dans nos explorations érotiques, tu penses, on avait bien trop peur, on était encore timides et pas très sûrs de nous…
Et puis, quand on s’est revu après avoir fantasmé sur l’Amour en s’écrivant pendant toute une année, on s’est retrouvé face à face, et on s’est senti tout bêtes, sans reconnaître en l’autre l’idéal qu’on s’était réciproquement créé…
Quand même, moi, j’étais déçu quand j’ai compris qu’elle me fuyait, et je suis revenu seul aux vacances d’hiver suivantes, pour comprendre et la reconquérir… Et je peux dire qu’elle m’a fait du chagrin, quand elle a refusé de descendre de la chambre où elle travaillait alors pour me rencontrer et m’expliquer… Oui, en un sens, Gilberte est ma première histoire d’amour, avec son beau côté… et mon premier chagrin d’amour !
***
Nous nous sommes donc rendus sur la côte normande en Juin dernier, de Deauville à Port en Bessin, nous avons longé les plages du débarquement quelques jours après la visite historique de Barack Obama… Une pause rapide à Arromanches, une seconde halte plus minutieuse aux canons de Longue, et GéO trépigne un tantinet, expliquant malgré son impatience comment les garçons du groupe exploraient le site, entassaient du matériel dans les restes cadenassés des anciens bunkers abandonnés, ignorants du danger représenté par les tonnes de munitions encore enterrées sous le béton dévasté et la falaise. Nous avons arpenté la prairie surplombant la mer, savourant le temps magnifique, les couleurs rehaussées du paysage, l’espace offert à nos regards… Mais GéO nous presse…
- C’est là, tout près, on y est…
Nous avons garé la voiture sur le parking aménagé, à côté d’un accès à la plage en contrebas. GéO nous emmène d’abord vers le coin précis de la falaise où ils établissaient leur campement. Nous avons apprécié religieusement le souvenir ému et précis de notre mentor, et je pressens qu’il s’octroie un suspense intérieur particulier…
Notre pèlerinage se poursuit devant l’ancienne maison des Jaillet, la famille d’accueil qui avait d’abord reçu GéO et Daniel en vacances enfantines, dans l’après-guerre où les escapades familiales n’étaient pas encore fréquentes, au regard des moyens et des modes de vie de l’époque.
Nous abordons enfin les bâtiments où se tenait la fameuse épicerie…
Un portail blanc clôt la courette. En face, une aile à deux étages, longée par une galerie, est desservie par un escalier extérieur. Les rambardes sont repeintes de neuf, l’apparence du site est coquette, pimpante. Sur la droite, le bâtiment de retour ferme l’ensemble, et GéO traduit :
- Cette aile, c’était là l’épicerie-bar-tabac, qui faisait quasiment office de tout. Mais c’est drôlement restauré, dis donc, ils ont fait un sacré boulot. T’aurais vu l’allure d’avant…
Effectivement, l’endroit respire la réhabilitation, le neuf, l’aménagement… Mais il est désert. À nos coups de sonnettes, nos appels, nos tentatives pour entrer…Personne ne répond.
- C’est bizarre quand même… Ils doivent bien nous attendre, surtout qu’on n’est plus anonymes !
Pour passer le temps, Marie-Geneviève et moi entamons une nouvelle balade de quelques pas dans le village désert. Manifestement, ce n’est pas l’heure de pointe dans ces rues aux maisons fleuries mais vides d’activité. Tout est silencieux, fermé, endormi. GéO s’est décidé à faire le tour des bâtiments de l’ancienne épicerie et tout à coup son rire sonore retentit comme un signal de victoire. L’air vespéral nous apporte l’écho d’exclamations féminines ponctuées d’hilarité. Nous rebroussons donc chemin et découvrons enfin la maîtresse des lieux aux côtés de son ancien amoureux.
Un sourire épanoui éclaire son visage. Ses yeux bleus lumineux croisent les miens avec naturel et spontanéité, elle offre l’éclat de sa figure ouverte encadrée de cheveux mi-longs, parfaitement coiffés. Un magnifique top décolleté rose fushia, rehaussé d’un collier harmonieusement assorti, dessine une silhouette élégante. La personne est avenante et les présentations sont bienveillantes.
Nous engageons un début de conversation banal, voyage bien déroulé et beau temps, quand notre hôtesse interrompt brusquement son propos :
- Oh, je vois que vous avez de bonnes têtes, vous n’êtes pas coincés, alors je me lance. Avec Dominique mon compagnon, on s’est dit : s’ils ont l’air un peu serrés, comme ça ( elle grimace une mimique en dessinant un arrondi serré avec ses lèvres) on dit rien, ils se débrouillent. Mais s’ils ont l’air sympa, ce serait bien de les inviter à dîner dans le jardin, puisqu’il fait beau !
Alors, ça vous dit ?
L’invitation est spontanée, comme on le voit, sans chichi.
Ce n’est pas pour nous déplaire!
Nous voilà installés dans le jardin, soirée de plein air inaugurale sous ce ciel normand. Nous dégustons sans façon des rillettes de maquereaux, un barbecue du même met, une salade copieuse… Le poisson a été pêché le matin même par Dominique, qui en bon gars du coin, accompagne ses copains pêcheurs sur leurs embarcations. Un régal, dans la bonne humeur et l’émotion.
Place d’abord aux souvenirs communs… Nous écoutons, attendris, jusqu’à ce que la dame lâche un commentaire incongru :
- En fait, je sortais avec toi, c’était bien, mais je lorgnais aussi sur ton copain !
Éclat de rire général, l’ego de Géo est peut-être un poil écorné, mais il s’en sort plutôt bien , avec une jolie pirouette à sa façon . Et puis, à cinquante-deux ans d’écart, il y a prescription…
Le soleil couché, un petit frais s’étend sur le jardin et comme j’enfile mon troisième pull, promise à une silhouette de bibendum, Michèle propose de servir café et pousse-café dans la maison. La conversation s’y poursuit à l’aise, nous suivons les péripéties des parcours de chacun et celui de Michèle n’est pas le moins intéressant. Comme nous tous, la chienne de vie ne lui a pas épargné beaucoup d’épreuves, et la Dame a dû batailler et reprendre son ouvrage plus souvent qu’à son tour…
Le temps passe si vite que nous n’avons pas réalisé l’avancée de la soirée quand Michèle s’écrie :
- Et si on ouvrait une bouteille de champagne ?
- Là, maintenant, mais il est minuit passé, on devrait aller se coucher…
- Ben justement, il est minuit, c’est pas formidable cette soirée qu’on est en train de vivre ? Avec Michel, mon mari, quand on commençait l’amour, et que c’était bien, on ouvrait toujours une bouteille, et là, ça devenait…
Il n’en faut pas plus pour convaincre GéO… Les yeux de Michèle sont explicites, le plaisir de ces retrouvailles vaut largement d’être arrosé du divin breuvage, d’autant qu’il n’y aura pas de contrôle routier sur la route de nos chambres…
La générosité de cette femme, son entregent, son affabilité non feinte, la fraîcheur de cette découverte, en un mot, je dirais que cette soirée à été l’une des plus réussies de notre été, qui n’en a pourtant point manqué, comme il se doit. Bien sûr, on s’est promis de se revoir, les adresses ont été échangées et nous espérons bien que le téléphone nous apportera bientôt la promesse du passage de nos hôtes.
Cinquante-deux ans après…
Ça donne à penser…
Et si… Si elle était descendue de la chambre, en novembre 1957…
Si… Si la vie ne lui avait pas repris son mari aussi stupidement…
Si… Gilberte-Michèle n’était pas revenue habiter un hameau où rien ne l’appelait…
Si je n’avais pas eu envie d’aller traîner à Saint Pair…
Si…
Que d’opportunités qui ne tiennent qu’à un tout petit si…
19:36 Publié dans Conte-gouttes | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : écriture, nouvelle, récit, souvenirs, tendresse, normandie | | del.icio.us | Facebook | | Imprimer