24/01/2012
Légende d'une étoile disparue
La nouvelle est tombée simplement un matin ordinaire.
Depuis ce moment, nos pensées ne sont plus aussi claires.
Le fantôme d’une vie embrume nos esprits.
Des éclats de souvenirs tournent en rondes abasourdies.
Elle était, dit-on, apparue par enchantement,
Issue d’une contrée éloignée.
Le temps d’un été, elle était adoptée.
Étoile resplendissante de ses multiples talents
Elle avançait en confiance
Tout sourit à qui donne sans compter.
Vint le temps des questions.
Un nuage obscurcit sa raison.
Tout à coup son rôle lui devint pesant
Le destin plus incertain que les serments
Une faille après l’autre,
Sa clarté pâlit jusqu’à la sombre pénombre des oublis volontaires.
L’étoile perdue s’est dérobée.
Le fil aurait pu se rompre.
Au bord du précipice, un Samaritain passait en chemin.
Certes pas un Prince de Conte qui endort les chagrins.
Juste un homme de même fracture
Un homme voûté sous la même fêlure.
Chaîne de vie que rien ne peut interrompre
Le lien des entrailles a tenu au plus fort de la tempête.
Vaille que vaille les Parques ont défilé quelques pelotes d’années.
Ranimée par des sourires tout neufs, abreuvée à la source d’enfance,
L’étoile fanée s’est embrasée de pépites en fête.
Ce jour-là le couperet est tombé
À son horloge intime, l’heure a sonné
L ‘Étoile s’est effacée
Une Comète a filé
11:16 Publié dans Blog, Larmes d'O | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : écriture, poésie, souvenirs, deuil, pleurs | | del.icio.us | Facebook | | Imprimer
15/03/2010
Les Colombes de l'Amitié
Petit retour attendri sur le groupe d’où est née la note précédente : L’Amitié n’est pas un don qui tombe du ciel comme une pluie printanière, encore que… Comme tous les sentiments, elle a besoin qu’un ensemble de paramètres soient réunis, que les échanges soient réciproques et l’intérêt mutuel…
Or il se trouve que la dernière école où j’ai pratiqué possède cette singularité étrange :
Aussi loin que remonte la mémoire des plus anciennes, le groupe des « instits » a toujours constitué une unité amicale, conviviale, joyeuse, animée d’une volonté de réussite collective.
Grâce soit rendue à cette page de ma vie. Mon arrivée dans notre petite école au cours des années 90, chargée d’un bagage familial plutôt pesant, mais motivée par une furieuse envie de m’y caler pour construire quelque chose de différent. Quoi, je l’ignorais, je savais juste ce dont je ne voulais plus. Dès le mois de juin précédent mon ralliement à la cause Sainte Colombe, l’accueil de l’équipe en poste s’est révélé extraordinairement chaleureux. Premier contact aux cafés croissants rituels du samedi matin, alors encore en vigueur, puis à la session de formation continue, à Nogent, où les conversations en délire avec Anne-Marie ont renforcé mon enthousiasme…
Est-ce dû à l’école, à l’histoire spécifique de ce petit îlot autonome dans une petite ville qui navigue entre campagne et grande banlieue ? Toujours est-il que de mémoire « d’instits », cette franche solidarité y a toujours régné. J’apprends avec bonheur que l’entente des « nouvelles » semble largement aussi patente. … Neuf ans après mon départ, le rappel des Colombines lors de nos retours est toujours aussi vivace, le rassemblement rayonnant du bonheur de passer quelques heures ensemble.
2010
Anita l’a défini très justement : Sainte Colombe nous unit par la Bienveillance qui éclaire les regards. Bienveillance constatée comme il se doit à l’égard des enfants qui nous sont confiés, et comme il faut bien s’aimer soi-même pour aimer autrui, Bienveillance fondatrice de l’esprit d’équipe. Les Colombines cultivent le don de l’Amitié, elles acceptent l’Autre comme elle est, et la somme de toutes les différences crée une harmonie spontanée où chaque personnalité s’épanouit sans fard et sans retenue : l’humour distancié d’Éliane, la fraîcheur d’Anita, la fantaisie d’Anne-Marie, les éclats de rire de la blonde Sylvie, la patience de Laurence, la discrète vigilance d’Alice, la pétulance de Brigitte… Tout cela mixés parfois aux accents décontractés d’Éric, le surveillant général, plutôt en charge du collège, mais toujours disponible pour nous dépanner. Et puis, ce rite bien particulier qui n’appartient qu’à notre brune Sylvie : chaque matin, elle se tient dans la cour, à l’endroit où les rangs sont en cours de formation…Naturellement, elle n’est jamais seule, parents, élèves ou collègues l’entourent déjà. À la manière d’un chef d’orchestre qui maîtrise à merveille sa partition, elle suspend la conversation en cours afin d’adresser un Bonjour particulier et quasi solennel à chaque nouvelle arrivante. Elle seule sait instiller dans ce seul mot, Bonjour, un message inscrit en filigrane qui se personnalise dès qu’il est propulsé dans l’air, et se charge instantanément d’informations précises et pertinentes. Ce bonjour ferme et courtois sonne comme: « Je te souhaite une bonne journée ! – Où en es-tu ? -As-tu bien dormi ? - Ta soirée d’hier a-t-elle été bonne ? - Tes soucis avec tes enfants sont-ils gérables ? - Comment te portes-tu, Toi ? »
On n’échappe pas à la vigilance d’une telle amie : alors, si d'aventure, votre fiston de 16 ans est ressorti pendant la nuit et que vous l’avez attendu avec angoisse, si les factures arrivées au courrier de la veille vous donne des sueurs froides, si la voiture menace ruine et que la voisine renverse les poubelles dans la rue, si vous sortez de votre nuit chiffonnée par un mauvais sommeil, vous confessez le tout dans le minuscule espace-temps de ce bonjour devant les rangs à demi formés.
Un échange de regards, un bonjour attentif, un sourire bienveillant, la plus faible d’entre nous sait qu’au premier moment libre, elle trouvera dans la présence des autres le réconfort nécessaire…
Combien de café-récré ont donné lieu à de petits complots bienveillants pour venir en aide à telle ou telle que menaçait une détresse passagère ou un souci profond ?
Face à cette cohésion, nombreux sont les parents qui s’en félicitent, certains que les enfants bénéficient de cette entente jamais rivale, si volontiers complémentaire. Et si là comme ailleurs le monde n’est pas parfait, les solutions-miracle pas plus inspirées par les mânes de notre sainte patronne que par le saint-esprit, au moins puis-je assurer sans mentir que chaque enfant confié y a trouvé sa place le regard bienveillant de nos Colombes de l’amitié.
19:25 Publié dans O de joie | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : écriture, récit, souvenirs, journal | | del.icio.us | Facebook | | Imprimer
31/08/2009
Amours d'antan
Hasard et coïncidences parsèment souvent nos cheminements de petits cailloux blancs que l’on a toujours plaisir à ressasser, aromates exotiques de notre quotidien. L’anecdote véridique que je m’en vais vous rapporter appartient à ces moments savoureux.
Au printemps dernier, j’avais imaginé de compléter notre périple parisien d’une petite escapade normande. Je proposai les pêcheries de Saint Pair sur Mer, GéO sauta sur l’occasion pour revenir sur les pas de ses vacances adolescentes et s’enquit aussitôt d’un hébergement à Port en Bessin. Affinant sa recherche, il zooma alors sur le village voisin de Commes le Bouffay et parmi les trois ou quatre adresses apparues sur son écran, choisit au hasard: pouf pouf ce sera toi… Il opta pour les charmes de la maison tenue par une dénommée Michèle Vincent.
En matière d’organisation, la règle d’or préconisée par GéO reste "qu’il faut être précis et rigoureux. Sinon, ce n’est pas la peine"…
La conversation commercialement engagée, les dates fixées et les tarifs débattus, GéO en arriva enfin aux détails pratiques et s’enquit auprès de son interlocutrice :
- Mais vous êtes où exactement dans Commes ?
Une demi-pause valant 2 temps, puis la voix féminine enchaîna :
- Vous connaissez bien le village?
- Ah oui, j’y venais souvent adolescent…
- Alors vous êtes Le Gérard Chollet que je connais ?
À son tour GéO marqua une pause, double soupir…
- Peut-être, Commes c’est tout petit…
Son naturel peu timide reprit vite le dessus.
- Si vous étiez à Commes ou au Bouffay dans les années cinquante, vous devez vous souvenir de notre groupe… Nous y sommes venus à plusieurs reprises, en vélo depuis Paris…
GéO avait déjà entrepris la narration au long cours des expéditions vélocipédiques de ces années glorieuses, quand il perçut le commentaire ténu de l’hôtelière:
- Je suis la sœur de l’épicière…
…Séquence émotion…
De part et d’autre de la ligne téléphonique, on pausa, on soupira, sostenuto, on inspira…avant d’entonner mezza voce :
- …La sœur de Madame Pain ?… Gilberte ?
- Ouiii, Gilberte…( pianissimo)
GéO avait déjà repris ses esprits, il avait retrouvé sa sonorité habituelle:
- Ah ah, c’est pas croyable, vous vous souvenez de nous ? Mais j’aurais pas deviné, à votre nom…
- C’est que …Gilberte, j’aime pas… J’ai jamais aimé mon prénom, alors j’ai pris celui de mon mari…
- Voilà pourquoi j’ai appelé par hasard, Michèle Vincent, je ne pouvais pas deviner…
- Moi, je n’ai pas reconnu votre voix, mais le nom et le prénom, là, ça m’a intriguée… Mais avant d’être certaine…
- Eh oui, ça fait combien… dans les cinquante ans, plus même, on est déjà en 2009 !
- On ne va pas compter maintenant, mais je crois bien qu’on aura du mal à se reconnaître !
Sur le coup, GéO était tellement enthousiaste qu’il fut tenté de programmer la semaine entière à Commes le Bouffay ! C’est qu’effectivement la surprise était de taille et l’émotion s’appréciait à la valeur du souvenir…
Gilberte avait été l’objet des tendres pensées qui avaient occupé son esprit et contribué à développer son talent épistolaire pendant une bonne année, entre les étés 1956 et 1957, avant Annie et le service militaire, c’est dire à l’âge tendre et formateur des idylles clandestines…
GéO narre volontiers ses apprentissages, professionnels ou affectifs. Cette période de fin d’adolescence, en particulier, sonne souvent dans ses souvenirs comme un moment intense de sa formation : l’école Dorian où il a côtoyé les professeurs qui lui ont appris méthode et débrouillardise, où il a rencontré Jean-Claude, celui-là même qui nous honore toujours de son amitié, malgré le temps et les aléas, ce Jean Claude qui a partagé mille et une aventures, dont les inoubliables équipées dans les falaises de Commes le Bouffay… Ce soir-là, les bouffées de nostalgie bienheureuse emplissaient son regard et sa voix quand il commentait :
- Tu te rends compte, Gilberte, qui m’apportait les camemberts avancés pour les copains en échange de nos caresses, oh bien pudiques, nos amours de l’époque… On n’allait pas bien loin dans nos explorations érotiques, tu penses, on avait bien trop peur, on était encore timides et pas très sûrs de nous…
Et puis, quand on s’est revu après avoir fantasmé sur l’Amour en s’écrivant pendant toute une année, on s’est retrouvé face à face, et on s’est senti tout bêtes, sans reconnaître en l’autre l’idéal qu’on s’était réciproquement créé…
Quand même, moi, j’étais déçu quand j’ai compris qu’elle me fuyait, et je suis revenu seul aux vacances d’hiver suivantes, pour comprendre et la reconquérir… Et je peux dire qu’elle m’a fait du chagrin, quand elle a refusé de descendre de la chambre où elle travaillait alors pour me rencontrer et m’expliquer… Oui, en un sens, Gilberte est ma première histoire d’amour, avec son beau côté… et mon premier chagrin d’amour !
***
Nous nous sommes donc rendus sur la côte normande en Juin dernier, de Deauville à Port en Bessin, nous avons longé les plages du débarquement quelques jours après la visite historique de Barack Obama… Une pause rapide à Arromanches, une seconde halte plus minutieuse aux canons de Longue, et GéO trépigne un tantinet, expliquant malgré son impatience comment les garçons du groupe exploraient le site, entassaient du matériel dans les restes cadenassés des anciens bunkers abandonnés, ignorants du danger représenté par les tonnes de munitions encore enterrées sous le béton dévasté et la falaise. Nous avons arpenté la prairie surplombant la mer, savourant le temps magnifique, les couleurs rehaussées du paysage, l’espace offert à nos regards… Mais GéO nous presse…
- C’est là, tout près, on y est…
Nous avons garé la voiture sur le parking aménagé, à côté d’un accès à la plage en contrebas. GéO nous emmène d’abord vers le coin précis de la falaise où ils établissaient leur campement. Nous avons apprécié religieusement le souvenir ému et précis de notre mentor, et je pressens qu’il s’octroie un suspense intérieur particulier…
Notre pèlerinage se poursuit devant l’ancienne maison des Jaillet, la famille d’accueil qui avait d’abord reçu GéO et Daniel en vacances enfantines, dans l’après-guerre où les escapades familiales n’étaient pas encore fréquentes, au regard des moyens et des modes de vie de l’époque.
Nous abordons enfin les bâtiments où se tenait la fameuse épicerie…
Un portail blanc clôt la courette. En face, une aile à deux étages, longée par une galerie, est desservie par un escalier extérieur. Les rambardes sont repeintes de neuf, l’apparence du site est coquette, pimpante. Sur la droite, le bâtiment de retour ferme l’ensemble, et GéO traduit :
- Cette aile, c’était là l’épicerie-bar-tabac, qui faisait quasiment office de tout. Mais c’est drôlement restauré, dis donc, ils ont fait un sacré boulot. T’aurais vu l’allure d’avant…
Effectivement, l’endroit respire la réhabilitation, le neuf, l’aménagement… Mais il est désert. À nos coups de sonnettes, nos appels, nos tentatives pour entrer…Personne ne répond.
- C’est bizarre quand même… Ils doivent bien nous attendre, surtout qu’on n’est plus anonymes !
Pour passer le temps, Marie-Geneviève et moi entamons une nouvelle balade de quelques pas dans le village désert. Manifestement, ce n’est pas l’heure de pointe dans ces rues aux maisons fleuries mais vides d’activité. Tout est silencieux, fermé, endormi. GéO s’est décidé à faire le tour des bâtiments de l’ancienne épicerie et tout à coup son rire sonore retentit comme un signal de victoire. L’air vespéral nous apporte l’écho d’exclamations féminines ponctuées d’hilarité. Nous rebroussons donc chemin et découvrons enfin la maîtresse des lieux aux côtés de son ancien amoureux.
Un sourire épanoui éclaire son visage. Ses yeux bleus lumineux croisent les miens avec naturel et spontanéité, elle offre l’éclat de sa figure ouverte encadrée de cheveux mi-longs, parfaitement coiffés. Un magnifique top décolleté rose fushia, rehaussé d’un collier harmonieusement assorti, dessine une silhouette élégante. La personne est avenante et les présentations sont bienveillantes.
Nous engageons un début de conversation banal, voyage bien déroulé et beau temps, quand notre hôtesse interrompt brusquement son propos :
- Oh, je vois que vous avez de bonnes têtes, vous n’êtes pas coincés, alors je me lance. Avec Dominique mon compagnon, on s’est dit : s’ils ont l’air un peu serrés, comme ça ( elle grimace une mimique en dessinant un arrondi serré avec ses lèvres) on dit rien, ils se débrouillent. Mais s’ils ont l’air sympa, ce serait bien de les inviter à dîner dans le jardin, puisqu’il fait beau !
Alors, ça vous dit ?
L’invitation est spontanée, comme on le voit, sans chichi.
Ce n’est pas pour nous déplaire!
Nous voilà installés dans le jardin, soirée de plein air inaugurale sous ce ciel normand. Nous dégustons sans façon des rillettes de maquereaux, un barbecue du même met, une salade copieuse… Le poisson a été pêché le matin même par Dominique, qui en bon gars du coin, accompagne ses copains pêcheurs sur leurs embarcations. Un régal, dans la bonne humeur et l’émotion.
Place d’abord aux souvenirs communs… Nous écoutons, attendris, jusqu’à ce que la dame lâche un commentaire incongru :
- En fait, je sortais avec toi, c’était bien, mais je lorgnais aussi sur ton copain !
Éclat de rire général, l’ego de Géo est peut-être un poil écorné, mais il s’en sort plutôt bien , avec une jolie pirouette à sa façon . Et puis, à cinquante-deux ans d’écart, il y a prescription…
Le soleil couché, un petit frais s’étend sur le jardin et comme j’enfile mon troisième pull, promise à une silhouette de bibendum, Michèle propose de servir café et pousse-café dans la maison. La conversation s’y poursuit à l’aise, nous suivons les péripéties des parcours de chacun et celui de Michèle n’est pas le moins intéressant. Comme nous tous, la chienne de vie ne lui a pas épargné beaucoup d’épreuves, et la Dame a dû batailler et reprendre son ouvrage plus souvent qu’à son tour…
Le temps passe si vite que nous n’avons pas réalisé l’avancée de la soirée quand Michèle s’écrie :
- Et si on ouvrait une bouteille de champagne ?
- Là, maintenant, mais il est minuit passé, on devrait aller se coucher…
- Ben justement, il est minuit, c’est pas formidable cette soirée qu’on est en train de vivre ? Avec Michel, mon mari, quand on commençait l’amour, et que c’était bien, on ouvrait toujours une bouteille, et là, ça devenait…
Il n’en faut pas plus pour convaincre GéO… Les yeux de Michèle sont explicites, le plaisir de ces retrouvailles vaut largement d’être arrosé du divin breuvage, d’autant qu’il n’y aura pas de contrôle routier sur la route de nos chambres…
La générosité de cette femme, son entregent, son affabilité non feinte, la fraîcheur de cette découverte, en un mot, je dirais que cette soirée à été l’une des plus réussies de notre été, qui n’en a pourtant point manqué, comme il se doit. Bien sûr, on s’est promis de se revoir, les adresses ont été échangées et nous espérons bien que le téléphone nous apportera bientôt la promesse du passage de nos hôtes.
Cinquante-deux ans après…
Ça donne à penser…
Et si… Si elle était descendue de la chambre, en novembre 1957…
Si… Si la vie ne lui avait pas repris son mari aussi stupidement…
Si… Gilberte-Michèle n’était pas revenue habiter un hameau où rien ne l’appelait…
Si je n’avais pas eu envie d’aller traîner à Saint Pair…
Si…
Que d’opportunités qui ne tiennent qu’à un tout petit si…
19:36 Publié dans Conte-gouttes | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : écriture, nouvelle, récit, souvenirs, tendresse, normandie | | del.icio.us | Facebook | | Imprimer
06/05/2008
Émotion
Un numéro de portable …et la voix qui répond n’a pas changé. Quelque part sur le canal de Bourgogne, il enchaîne si naturellement et calmement, à mon questionnement :
- Oh oui, bien sûr je reconnais ta voix, elle n’a pas changé du tout !
La sienne non plus n’a pas changé, il parle avec calme et douceur, comme à cette période vieille de…, je n’ose le calculer, mais oui, voilà plus de trente ans, trente-trois même, carrément.
Nous avons longuement échangé des nouvelles, nos enfants respectifs d’abord, bien entendu. Il a une fille de vingt-trois ans, que je n’ai jamais vue, puisqu’il était reparti depuis longtemps. Mais l’oncle Jimmy de mes AA les a vus naître, il a été témoin de tant de nos joies, de nos efforts pour bâtir notre vie et aménager l’Atelier. Durant ces années de bonheur inconscient, il était à nos côtés, plus frère que nos fratries biologiques.
Parfois, quand je rangeais la cuisine en fin de soirées animées, il venait m’aider gentiment à ces petites tâches et nous discutions à voix feutrées, pour ne pas déranger les bébés qui dormaient dans les chambres contiguës. Tandis que des conversations encore fiévreuses qui se poursuivaient dans le séjour jaillissaient de temps à autre les derniers éclats, je m’employais à limiter la pagaille et James ponctuait mes gestes de remarques apparemment anodines … Il cassait la solitude de la maîtresse de maison, il adoucissait le dilemme entre profit des petites heures nocturnes au salon et préparation des biberons de l’aube et autres joies maternantes. Puis, le dernier toujours, il quittait l’Atelier, traversait Paris juché sur son immense vélo antique, pour dormir quelques heures lui aussi et revenir en fin de matinée prêter la main aux interminables travaux entrepris pour transformer le hangar de verre en appartement.
Il y a eu ces dix-huit mois de vie quasi commune, il y a eu l’épisode tragi-comique de sa chute sur la dalle de pierre qui nous servait de table, à cause d’une échelle mal calée. Il y a eu tant et tant d’anecdotes, de gags liés à l’approximation de la langue, de gestes gentils, de mots d’auteur qui dressent nos balises d’amitié:
- Je n’ai pas dit merci parce que chaque fois, on me répond : c’est pas la peine…
Et à moi, ces soirs de fatigue où je ne me sentais plus du tout en forme, à force de petites nuits dans ce chantier voué à l’éternité, il savait me tendre la vaisselle sale avec ces quelques mots articulés de sa voix si douce :
- Euoh toua, Eodil, tou es quand même la Plou Belle !
18:57 Publié dans O de joie | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : amitié, souvenirs, travaux, ami, américain | | del.icio.us | Facebook | | Imprimer
22/04/2008
Solidarité fraternelle
Ce matin-là, je prends quelques minutes pour aider Audrey à répéter la petite pièce de piano que sa grand-mère lui a donnée à apprendre. Comme Mamo s’annonce toujours en début d’après-midi, il ne faut pas traîner pour permettre à Audrey de satisfaire son aïeule. À cinq ans, elle préférerait jouer et les leçons de piano lui pèsent déjà un peu. Nous sommes très concentrées, j’apprends à déchiffrer les partitions en même temps qu’elle. Aurélien, qui n’a pas ses trois ans, va et vient au rez-de-chaussée, et je ne m’alarme pas de son inhabituel silence. Quand il me demande si j’ai encore d’autres gâteaux comme celui-ci, je mets un moment avant de me retourner pour lui répondre. Me penchant par-dessus la rambarde de la mezzanine, je découvre le petit bonhomme, debout dans l’embrasure de l’entrée, un petit carton marron dans une main et un tout petit bout de biscuit dans l’autre, des traces de poudre rose autour de la bouche. Le souricide! Un éclair de compréhension, je suis descendue à la volée et me précipite sur lui :
_ Tu en as mangé beaucoup ?
_ Il n’y en avait qu’un, mais c’est bon.
J’atteste que l’urgence rend lucide et donne des ailes. Jamais de ma vie je n’ai mis si rapidement la main sur la facture , pourtant rangée dans le coffre à papier, et le centre anti-poison répond rapidement. Conseil très concret :
- Partez immédiatement, même si vous n’êtes pas prête, gardez la facture en main et quand vous entrez dans le hall des urgences, criez très fort le nom de la formule chimique.
Ce que j’applique à la lettre, heureusement que nous habitons à cinq minutes à pied de Saint Vincent de Paul.
En entrant dans le hall des Urgences, j’articule donc de toutes mes forces le nom de la fameuse formule, au moins neuf syllabes. L’effet est immédiat : une première infirmière m’arrache l’enfant des bras, une seconde me guide vers les sièges en face de la porte de la salle où Aurélien a été emporté. Elle m’enjoint d’attendre sans bouger et surtout sans essayer d’entrer ou de suivre les soins. « C’est assez pénible, mais indispensable… » Alors, angoissée, je prends Audrey sur mes genoux et lui raconte de petites histoires et des comptines, pour éviter de me poser maintenant les questions stupides que j'aurais dû anticiper. Comment Aurélien a-t-il réussi à ouvrir la grille du cache-radiateur qui empêchait l'accès au piège? Audrey est très sage, patiente, malgré le temps qui s’écoule avec une désespérante lenteur.
Tout à coup, la porte s’ouvre brutalement et une blouse blanche se précipite sur nous deux, m’arrache la fillette des genoux et fait mine de l’emmener.
Je la défends vigoureusement, et proteste :
- Mais arrêtez, qu’est-ce que vous faites ? Elle n’en a pas goûté !
- Vous êtes sûre, me répond-t-on, parce que c’est important.
- Mais oui, je vous assure, elle était avec moi, nous étions au piano…
À ce moment, Audrey est déjà dans la salle, un énorme infirmier me bloque l’accès et la vue sur la scène…
Un médecin, en blouse verte, se déplace jusqu’à la porte, et restant à demi masqué par l’infirmier, il justifie l’urgence de la situation:
- C’est à cause de votre fils. Dès qu’on lui a retiré la sonde gastrique, il a crié : « ma sœur aussi !»
12:45 Publié dans O de joie | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : Écriture, nouvelle, souvenirs, hôpitaux, urgences, mémoires, enfance | | del.icio.us | Facebook | | Imprimer
19/11/2007
En marge
Nos quatre hommes sont restés seuls autour de la table et leur conversation a perdu son éclat, elle s’étire comme la dernière miette de ce repas dominical.
Leurs femmes ont déjà emporté les assiettes à la cuisine, par la porte parviennent les bruits de vaisselle, d’eau coulant à gros jet, de rires et d’apostrophes joyeuses… Les verres sont restés sur la table, et la bouteille s’incline pour l'ultime tournée vers leurs bords tendus… Ah, que les hommes repus aiment ce moment de flottement d’après festin… Une nonchalance satisfaite les gagne, légère ivresse née autant du copieux repas que de la satisfaction du repos hebdomadaire mérité. Dans cette ambiance détendue, chacun d’eux s’installe à sa façon dans son contentement.
Le plus âgé, Pierre, jeune chef d’entreprise trentenaire, aussi vif que mince, impatient et un brin autoritaire d’ordinaire, se laisse aller contre le haut dossier de sa chaise, et croise les bras sur sa poitrine, maîtrisant encore la conversation de ses plaisanteries caustiques. Il ne lâchera pas cet art obstiné de la taquinerie qui établit sa prédominance sur la tribu rassemblée.
Luc, son cousin, s’installe en maître de maison. Il s’est spontanément assis en bout de table, à la place qu’occupait son père jusqu’à son décès. La maison n’abrite plus d’Anciens, mais la génération montante s’applique à préserver les rites. Cette propriété de famille est appelée à devenir sienne très bientôt, il y a déjà installé en guise de garde-robe ses outils de bricolage bidouillés ou achetés à grands efforts budgétaires. Il sert le vin sérieusement, pourvoit au ravitaillement de la cave, mais derrière la barre impérieuse de ses sourcils, qu’on ne s’y trompe pas, il tient ses stocks. Pensez, le Morgon coule à flot en ces jours de festivités hivernales. Luc se sait investi d’une obligation morale à être l’Héritier, le fils de…, même si le rôle est déjà très lourd à endosser. De sorte que l’apostrophe « Mais c’est complètement con… » est devenue la phrase-clef de ses prises de parole, histoire de poser son autorité de médecin récemment diplômé.
Son cadet de dix ans, Laurent, se bat pour intégrer le cénacle et se sentir adoubé. Démarche malaisée s’il en est. Ce fossé d’une décade à l’entrée en âge mûr est la pire des barricades. Dans trente ans, son aîné le courtisera, mais il l’ignore encore et pour l’heure, il déguste le vin avec application et gourmandise, parle en forçant sa voix, que Dame Nature lui a donné un peu frêle à son goût. Il aimerait donner son avis, vanter ses choix, parvient à amuser de réparties fines ses interlocuteurs, mais perçoit bien que ses efforts lui permettent juste de rester à la marge.
Le dernier de la tablée, Daniel, s’est légèrement éloigné de la table. Il a reculé sa chaise d’un pas, a croisé les jambes et arrondi son dos. Rien dans son attitude ne traduit le volontarisme des trois autres. Il a pivoté sur l’axe de sa chaise et son bras gauche repose sur le haut du dossier, tandis que la main droite porte régulièrement à sa bouche la cigarette brune qu’il savoure sans retenue. À chaque inspiration, il ferme à demi son regard de chat, inspire profondément, marque un temps d’arrêt, et relâche enfin la fumée d’un souffle long. Il a incliné la tête, comme pour mieux écouter sa petite voix intérieure, en réalité il est resté attentif aux propos de Pierre et de Luc. En réponse aux anecdotes farfelues qui émaillent la conversation, un petit rire secoue son apparente inertie, et il rejette alors la tête en arrière, déglutissant avant de souffler vers le plafond la dernière bouffée ingérée.
. Comme les femmes reviennent enfin avec le café et disposent le service devant les verres à peine vides, il s’adresse gentiment à la plus proche :
- Elles ont besoin d’un coup de main, les madames ?
L’arrivée du sombre breuvage marque la fin de l’épisode languide. La pause sacrée du déjeuner a été bien respectée, retour aux projets et aux emplois du temps obligés d’un dimanche à la campagne.
Tandis que Luc et Pierre dressent leur plan d’attaque pour rendre leur matériel de plongée plus performant l’année prochaine, arranger la vanne du compresseur ou renforcer l’axe du barbecue, Laurent se joint à l’assemblée féminine pour entretenir l’immense jardin ou défaire les lourds rideaux qu’il faudra porter chez le teinturier dans la semaine… Et ce café longtemps attendu est avalé trop fort, trop chaud, trop sucré, trop rapidement.
De café, Daniel n’en veut point, il préfèrerait un petit verre de chartreuse, puis une longue, longue sieste pour clore cette journée de repos, méditant peut-être sur la félicité du paresseux, la jouissance du Grand Nonchalant , le loisir de l’oisif.
Sylviane est retournée en cuisine, et tandis que les convives se lèvent bruyamment, elle réapparaît, s’adressant au chien de la maison, sagement allongé sur son tapis, au coin de la cheminée. Jupiter, joli braque français, n’attendait que ce signal pour manifester sa joie. Il n’est de festin humain qui ne comprenne sa part de récompense. L’os du gigot, encore bien pourvu de chair rouge et sanguinolente, brandi à bout de bras, Sylviane prétend mener l’animal jusqu’à la porte de la terrasse pour lui donner enfin son dû.
Daniel s’anime soudain à cette scène familière. Le voilà debout, il attrape lestement le manche convoité et sans plus de façons, s’accroupit à quatre pattes sur le tapis du chien. Avec force grimaces, il se cale l’os entre ses mâchoires grandes ouvertes! Le chien connaît le jeu, il est déjà en position identique, croupe en l’air et pattes avant aplaties au sol. Il jappe, deux ou trois fois en guise d’avertissement, pour bien montrer qu’il entre en scène. Toujours à terre, Daniel tourne, revient, provoque son compagnon, et notre Jupiter, les yeux complètement exorbités, saute autour de l’adversaire, le contourne à la recherche d’une bonne prise. Mais l’homme est trop vif, l’animal laisse échapper un gémissement de convoitise, puis un jappement bref, il saute enfin sur ses pattes arrière, peut-être pour intéresser les spectateurs à sa cause, car le cercle s’est resserré autour des deux joueurs. Les rires et les commentaires s’entremêlent, quelques conseils retentissent.
- Attention Daniel, ce n’est qu’un chien, ne l’excite pas trop...
Mais Daniel connaît son affaire… Tournant, virant, grognant à l’instar de Jupiter, il ne perd pas le contrôle de la situation et adopte les variantes nécessaires. Le voilà sur le dos, membres recroquevillés en l’air, il n’a pas lâché sa proie, il roule à nouveau sur le tapis, et le chien suit le mouvement, mieux, il imite son concurrent. Le voilà à son tour ventre offert, dos au tapis, orientant sa tête pour suivre du regard les déplacements de l’ennemi… Le jeu se poursuit encore quelques minutes quand Daniel décide d’accorder le point : reprenant la pose à quatre pattes, il fait glisser l’os sur le côté et offre l’autre extrémité à la gueule du chien… Jupiter ne se fait pas prier, il s’aplatit instinctivement sur le sol face à son rival et les voilà tous deux attelés par la gueule au même trophée.
Quelle complicité jubilatoire, dans le calme revenu, on entend le raclement des dents sur l’os, le craquement sec de la matière brisée par les molaires du chien, Daniel a conservé la posture, et maintient sa portion, jusqu’à la fatigue. Le jeu se calme ainsi peu à peu, mais jamais l’animal n’a manifesté la moindre agressivité, ni abusé de sa force. Quand l’homme lâche enfin le morceau sous les exclamations du public, Jupiter satisfait signale son contentement par le balancement du moignon qui lui sert de queue. Se relevant enfin et massant ses reins endoloris par la gymnastique canine, Daniel lâche enfin ses premiers mots :
- Ouf, faudrait pas que j’oublie ma sieste avec tout ça, moi !
16:50 Publié dans Larmes d'O | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : Jeux, chiens, souvenirs, repas de famille, sieste | | del.icio.us | Facebook | | Imprimer