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22/04/2008

Solidarité fraternelle

Ce matin-là, je prends quelques minutes pour aider Audrey à répéter la petite pièce de piano que sa grand-mère lui a donnée à apprendre. Comme Mamo s’annonce toujours en début d’après-midi, il ne faut pas traîner pour permettre à Audrey de satisfaire son aïeule. À cinq ans, elle préférerait jouer et les leçons de piano lui pèsent déjà un peu. Nous sommes très concentrées, j’apprends à déchiffrer les partitions en même temps qu’elle. Aurélien, qui n’a pas ses trois ans, va et vient au rez-de-chaussée, et je ne m’alarme pas de son inhabituel silence. Quand il me demande si j’ai encore d’autres gâteaux comme celui-ci, je mets un moment avant de me retourner pour lui répondre. Me penchant par-dessus la rambarde de la mezzanine, je découvre le petit bonhomme, debout dans l’embrasure de l’entrée, un petit carton marron dans une main et un tout petit bout de biscuit dans l’autre, des traces de poudre rose autour de la bouche. Le souricide! Un éclair de compréhension, je suis descendue à la volée et me précipite sur lui :
_ Tu en as mangé beaucoup ?
_ Il n’y en avait qu’un, mais c’est bon.
J’atteste que l’urgence rend lucide et donne des ailes. Jamais de ma vie je n’ai mis si rapidement la main sur la facture , pourtant rangée dans le coffre à papier, et le centre anti-poison répond rapidement. Conseil très concret :
- Partez immédiatement, même si vous n’êtes pas prête, gardez la facture en main et quand vous entrez dans le hall des urgences, criez très fort le nom de la formule chimique.
Ce que j’applique à la lettre, heureusement que nous habitons à cinq minutes à pied de Saint Vincent de Paul.
En entrant dans le hall des Urgences, j’articule donc de toutes mes forces le nom de la fameuse formule, au moins neuf syllabes. L’effet est immédiat : une première infirmière m’arrache l’enfant des bras, une seconde me guide vers les sièges en face de la porte de la salle où Aurélien a été emporté. Elle m’enjoint d’attendre sans bouger et surtout sans essayer d’entrer ou de suivre les soins. « C’est assez pénible, mais indispensable… » Alors, angoissée, je prends Audrey sur mes genoux et lui raconte de petites histoires et des comptines, pour éviter de me poser maintenant les questions stupides que j'aurais dû anticiper. Comment Aurélien a-t-il réussi à ouvrir la grille du cache-radiateur qui empêchait l'accès au piège? Audrey est très sage, patiente, malgré le temps qui s’écoule avec une désespérante lenteur.
Tout à coup, la porte s’ouvre brutalement et une blouse blanche se précipite sur nous deux, m’arrache la fillette des genoux et fait mine de l’emmener.
Je la défends vigoureusement, et proteste :
- Mais arrêtez, qu’est-ce que vous faites ? Elle n’en a pas goûté !
- Vous êtes sûre, me répond-t-on, parce que c’est important.
- Mais oui, je vous assure, elle était avec moi, nous étions au piano…
À ce moment, Audrey est déjà dans la salle, un énorme infirmier me bloque l’accès et la vue sur la scène…
Un médecin, en blouse verte, se déplace jusqu’à la porte, et restant à demi masqué par l’infirmier, il justifie l’urgence de la situation:
- C’est à cause de votre fils. Dès qu’on lui a retiré la sonde gastrique, il a crié : « ma sœur aussi !»