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13/01/2012

Bonheur et Bien-Être…

 Point d’orgue des échanges dans notre société si bien policée, pas une  seule nouvelle rencontre personnelle ou professionnelle n’échappe à la formulation, quel que soit son degré de sincérité et d’implication.

 

Bonne et Heureuse Année 2012.

 

Afin de souligner l’importance du message, on  met couramment des majuscules à tous les mots. Lorsque l’échange est oral, ce sont nos yeux qui se chargent de souligner l’empathie du locuteur, et l’on s’empresse d’ajouter :

  Et surtout la santé !

Ce qui ne manque pas d’être complété aussitôt par notre interlocuteur :

  Quand la santé va, le reste suit

             Ces formulations rituelles fonctionnent comme un  régissant la bonne marche de nos relations sociales, dernier vestige de deux exquises vertus en voie d’extinction: politesse et courtoisie. Mais j’y vois aussi une défense ultime en pleine œuvre de résistance : cette volonté  de bonheur reste au centre de toutes nos projections individuelles. Les deux premières décennies du XXIème siècle ont parachevé le déclin du Bonheur conçu comme bien collectif.   Dans la confusion idéologique de l’époque présente, entre proclamations  d’intention radicales de nos politiciens et les retraits égotistes de ceux qui se sentent pourvus, le bonheur de chacun d’entre nous ne se jauge pas forcément à la même aune. En ce début d’année, deux interventions différentes m’ont interpellée par leur pertinence et l’intérêt de les partager avec vous, ne serait-ce que pour secouer le scepticisme général.

 

         Fin décembre, j’avais relevé dans un des hebdomadaires que je parcours volontiers, ce dossier consacré au bonheur. La réflexion y était introduite en exergue par cette remarque :

Recevoir, mais aussi inventer son bonheur… Et  si le bonheur était une question de regard, de disposition de l’âme, une façon d’accueillir le bon et le moins bon ?

L’idée n’est certes pas neuve, mais il est peut-être intéressant d’y revenir de temps à autre, ne serait-ce que pour éviter d’en perdre de vue le principe. Notre bonheur dépend de nous, et de l’appréhension de notre vécu. C’est à Martin Steffens, enseignant de philosophie à Metz que revenait le développement de cette posture. Outre l’article qu’il a réservé à La Vie pour le dernier numéro de  2011, il a produit chez l’éditeur Salvator, un Petit traité de la joie, sous-titré consentir à la vie, afin de mieux définir la notion de témoignage.  Avec une simplicité de bon aloi, Martin Steffens nous ouvre la voie par cette évidence : «  Le bonheur, on en est le témoin un peu honteux — quand il s’agit du nôtre— ou un peu envieux — quand c’est celui des autres. Le bonheur, on en rayonne ou il nous éclabousse. » Il est vrai que se dire heureux sonne parfois comme une provocation incongrue, tant la parole semble toujours plus volontiers donnée à ceux qui revendiquent, jusqu’à l’absurde il me semble.     

Contester, grogner, râler,   se plaindre … Quel art de vivre bien français, quand on y pense…

Nos amis d’outre-Rhin, pour amoureux  sincères de la France et de ses mœurs qu’ils s’affichent, s’amusent parfois à souligner combien il est vain d’espérer changer nos (mauvaises) habitudes. Au cours de nos discussions conviviales, ils observent avec malice que les réformes si fréquemment proclamées par nos gouvernants successifs, sont rarement menées à terme, face à l’insurrection levée systématiquement. Nos institutions malades des avantages acquis, nos efforts paralysés par la peur de l’autre et du lendemain,   la méconnaissance des forces  intimes mobilisables contre le Mal, ainsi qu’en témoigne Anne Dauphine Juilliand dans Deux petits pas sur le sable mouillé,son admirable relation du  drame personnel qui a bouleversé sa vie. Tout comme Valérie Donzelli à travers le film La guerre est déclarée, Anne Dauphine Juilliand fait part des étapes cruelles de la maladie qui a emporté sa petite fille. Elle prend le parti d’assumer avoir illuminé les quelques mois de vie de sa petite malade, et déclare « le bonheur ne dépend pas de nos humeurs, il est intimement inscrit en nous.… Le véritable ennemi du bonheur, ce ne sont pas les épreuves, mais c’est la peur. »

 

Quelque temps plus tard, au  hasard des ondes radiophoniques, j’ai entendu l’interview de Thierry Janssen menée par François Bunel sur France Inter.  Ce chirurgien belge  a abandonné l’exercice de son métier  valorisant et lucratif à la suite d’une sorte de burn out et se  consacre dorénavant à la compréhension du dialogue permanent entre notre corps et notre esprit. Nous pourrions, affirme-t-il, gérer plus habilement notre santé  si nous étions plus à l’écoute du sens de nos maladies . Raisonner nos maux, ne pas fuir honteusement les constats réalistes comme le décrié effet placebo, accepter le rôle de notre psyché dans le développement des maladies, apprendre à écouter le langage du corps dans son intégralité.

L’une des étapes- clefs du déroulement de la pensée de Thierry Janssen m’a semblé résumée par ce qu’il appelle l’unicité de notre être : pour lui l’erreur consiste toujours à dissocier les activités du corps et celles de l’esprit. Toute pensée ne peut se développer que par notre corps ; en corollaire, celui-ci n’existe pas sans la perception de l’esprit. 

J’ai relevé  quelques sites où sont exposées les idées de Thierry Janssen qui posent en outre le rapport du Bonheur à la notion de Bien-être.  Ce qui peut sembler un lieu commun, une évidence, mérite au contraire qu’on se reformule intimement cette notion de bien-être intérieur au long de tout  ce que nous vivons. Le bien-être ressenti à un instant T, (coucher de soleil sur une plage aux côtés de l’être aimé, petites étoiles dans les yeux de nos enfants à l’heure du Père Noël, joie profonde  à la réception d’un message amical…), ces bien-être ponctuels sont-ils suffisants pour construire le Vrai Bien-Être atteint quand on réalise  de la pointe des cheveux au bout des orteils que l’on est la bonne personne à la bonne place ?

Si le sujet vous intéresse, je vous suggère les sites suivants :

http://zenbelgique.skyrock.com/618517968-LA-SOLUTION-INTE...

http://www.thierryjanssen.com/

 

 À la lumière de ces petites gouttes qui m’ont abreuvée  ici ou là ces derniers jours, je vous souhaite donc de cueillir en votre sein l’ harmonie complète  qu’on appelle sérénité… 

31/12/2011

Douces Heures à venir…

Fin d’Année

Bilans égrenés, tous comptes faits

Humeurs oubliées

Prenez quatre Révolutions

Trois scandales ôtés de l’addition

… Et je retiens 2 propositions

 

Prenez encore 10 portions  de Meilleurs Voeux

Ajoutez la retenue

Empressons-nous de servir  1000 Douceurs et Vins succulents…

Pour faire bonne mesure

Tant que dure la fête  le temps file à pas lent

 

L’année se meurt, l’année s’efface,

Tombe dans l’ombre de  l’Oubli

Les traces de notre passage fragiles et fugaces

Appellent la lumière des éclairs,

Des cotillons aux paillettes éblouies

 

Comme passe le temps

Mais Toi tu es là

Regarde  devant  2012 t’attend…

 

 

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16/12/2011

Pause tendresse

Il y a du Noël dans l’air…

Des nuits étoilées grelottantes, ouvertes aux souffles du vent

Luttant  contre les soirs trop courts des rues chamarrées de lumières, 

Mille détails anodins s’enrobent d’un parfum d’Avent

Camelots frigorifiés sur les trottoirs des cités

Passants pressés aux mains empaquetées.

 

Avant que la fête ne  commence, 

Puisqu' Outre Rhin nous sommes en partance

J’ai hâté les préparatifs et l’ordonnance de  la maisonnée

Avant de clore nos valises, j’ai  dressé les lits des invités

Quitte à faire jaser, peluches au garde à vous et  joujoux parés

Pour qu’à notre retour nos convives se délassent .

 

Alors à tous qui passez parfois quelques minutes ici

Ne déduisez pas  de mon silence un abandon de glace

Je garde encore certains trésors  au fond de mon nid

Dans mes bagages, j’ai rangé quelques promesses de délicatesse

Mais j’ai gardé  au logis  une pleine pochette  d’Allégresse

Je vous dédie cette pause tendresse.

 

 

11/12/2011

Conte à rebours

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 Le compte à rebours est déjà enclenché pour beaucoup d'entre nous…

 N'empêche, même dans notre campagne, nos chiens apprécient la balade comme cadeau, quand il s'agit de vadrouiller dans la colline pour y chercher la mousse douillette qui accueillera nos santons.

 Rituels de Noël,  les préparatifs affinent nos envies et tournent nos coeurs vers cette attente toujours renouvelée. Ce n'est même plus le symbole religieux qui nous étonne, la sacralisation de Noël s'accroche davantage à l'idée que cette fois, la fête sera complète, l'harmonie au rendez-vous de nos espoirs, la crise reléguée à  notre foie et nos soucis digestifs… 

Les laideurs et les angoisses de nos actualités vont devoir se faire la malle, partout alentour il n'est question que de festins, de mets savoureux, de surprises affectueuses et de plaisirs délicats offerts sans retenue ni décompte mesquin.

 On voudrait tous incarner non pas cet  enfant démuni, promesse d’un monde nouveau,   mais le tout puissant Père Noël pour effacer le temps d’un conte les déboires d’un quotidien plombé.

Plus d’enfants contraints à naître dans la misère, à la merci de la première bronchiolite passant  dans l’atmosphère. Plus de malades qui n’auraient pour tout horizon qu’un lit d’hôpital et une guirlande de pilules, plus d’errants sans toits ni repas, plus de haine jetée au visage de celui ou celle qu’on a adoré. Dans les bons contes de Noël, les diabétiques peuvent s’empiffrer de crottes en chocolat sans que leur insuline réagisse, les dissensions familiales s’évaporent comme neige au soleil, nos tirelires ne désemplissent plus, … Et les méchants se repentent de leurs mauvaises actions. Voyez, cette année, de Durban à Bruxelles, la hotte du bon-papa Noël s’est emplie de Promesses. Soyez rassurées, fidèles souris-lectrices, cette année s’achèvera sur un fantastique feu d’artifice de serments et d’engagements , c’est juré, c’est promis, c’est certain, Ils ont compris, Ils ont décidé de nous apporter la solution, il ne leur manque que notre confiance…

Les promesses n’engageant que ceux qui veulent bien y croire, dormez bonnes gens, dormez sur vos deux oreilles, dormez dans la  douceur ouatée, le temps  que s’écoule ce Conte à dormir debout.

 

 

 

 

10/11/2011

Décrue

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Une semaine de tempête sur nos têtes.

Une semaine de pluie et de  vent,   bourrasques et orages, nous n’en demandions pas tant pour accepter la ronde des saisons.

Une longue semaine grise et humide, un ciel de plomb pour tout horizon.

Et dessous nos pas, la terre enflée.

Habituellement lézardée par l’absence d’eau,   la terre d’ici est  sèche, durcie par le manque, comme un cœur en souffrance.

Au deuxième jour, cette  terre est déjà malade. Elle refuse d’avaler la potion.

-  C’est trop, dit-elle, trop pour moi.  Mon régime est chamboulé, j’ai besoin de m’habituer, de prendre l’humidité à petites goulées, sans me presser.

Au troisième jour, la tourmente redouble.  Obstinément, de son réservoir percé, l’eau se déverse sans cesse sur le sol saturé.

 Sous  les torrents improvisés, les chemins se perdent. La pente des sentes accentue l’ardeur du flot, la terre  diluée dévale, chargée de pierrailles, comme si la colline décidait de couler vers la plaine.

En bas, les champs disparaissent à leur tour. Plus de racines, plus de vignes,   plus de  limites entre routes et fossés, un vaste lac s’étale.

 

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On pense à Noé.

Des histoires de naufragés remontent, on imagine la colline émergeant lentement des rives d’une mer primitive,   ponctuée d’oiseaux abasourdis ébouriffant leurs plumes aux rivages boueux… L’homme  des crêtes se terre en attendant l’éclaircie.

Ceux du bas sont moins heureux.  Eux n’ont plus d’abri. L’eau s’est invité dans leurs demeures, leurs chambres et leurs salons. Mais elle n’arrive pas claire comme la pluie. La crue qui envahit les maisons s’est gorgée de boue, de pierres,   de poussières. L’onde pure s’est ruée en fange hostile, bourbier glacé qui anéantit tant d’efforts passés, tant de rêves  chèrement réalisés.

 

Enfin, le ciel a épuisé ses réserves ;  lentement, la pluie a reflué.

Sous la lumière engourdie d’une aube renouvelée, la pluie a  fini par cesser.

Un soleil  jouvenceau balaie les nuages, sa clarté timide se penche sur  les marécages. 

Les pieds dans l’eau encore, mais la tête au soleil, les ceps de vigne attendent des jours meilleurs.  Les routes de la plaine retrouvent le tracé du macadam, la terre déglutit les dernières gorgées de  sa tisane  automnale.

 

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Demain, il faudra nettoyer.  Demain il suffira d’ébrouer les résidus de boue,   de balayer les amas de vase, de repousser le limon dans  le lit  des rivières… Demain, le soleil luira sur les terres de Provence  rendues à leur vraie Nature.

 

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26/10/2011

l'alpiniste

 

 

C’était elle qui avait pris le cliché.

Pourquoi a –telle éprouvé le besoin de le sortir de l’album ce matin ?

Lucie caresse la photo d’un doigt tremblant.

- Heureusement qu’à l’époque, on prenait encore des photo papier, soupire-t-elle.

Par la fenêtre, elle voit la masse formidable  du Massif, et la face grise de l’Aiguille de la Vanoise. Sur la photo qui tremble entre ses doigts, l’angle de vue est exactement le même :  en face de l’aplomb d’une centaine de mètres qui ouvre les «affaires sérieuses » de la course. À partir de ce point-là, on est sur une pente à soixante pour cent, l’encordage est obligatoire…

Malgré la clarté ensoleillée de la matinée, elle sait bien qu’on ne peut pas encore distinguer les grimpeurs,  même depuis la terrasse  du Fontanette, le restaurant d’altitude où elle  vit et travaille. Mentalement, elle rejoint la cordée qui va « faire »l’Aiguille aujourd’hui. Il leur faudra encore deux bonnes heures pour arriver exactement en face de la fenêtre, d’où le cliché qu’elle tient dans les mains a été pris, il y a quinze ans, déjà.

Lucie frissonne malgré elle et se penche par –dessus le dossier du fauteuil qu’elle a poussé devant la fenêtre. Elle ne peut s’empêcher de vérifier encore une fois que la vue  depuis le siège est bien conforme. Elle s’en veut de se sentir si fébrile, alors qu’elle sait pertinemment qu’il n’y a rien à craindre, cette fois.

Son frère Marc est  un guide expérimenté. Savoyard pure souche, il  pratique la montagne depuis toujours. L’hiver en ski, dès la belle saison,  il ne pense plus que piolet, cordage, spits. Aussi,  s’il a décidé d’emmener Martin, son neveu, c’est qu’il sait que c’est le bon moment. Le temps est clair depuis au moins trois jours maintenant, et les prévisions météo franchement bonnes. Lucie ne doute pas que Martin, son fils de quinze ans, est maintenant fin prêt pour réaliser enfin cette course. Depuis des mois, la perspective de s’affronter à « la Petite Pasquier » l’a motivé à un entraînement drastique. Malgré ses craintes, légitimes, Lucie n’a pu que s’incliner.  La « Petite Pasquier » représente  une voie mythique pour  les  montagnards du massif de la Vanoise !

 

Cette première de Martin soulève des vagues d’émotions. Lucie  se souvient combien elle-même  et son frère Marc ont rêvé du jour où ils seraient enfin jugés dignes de s’attaquer à cette voie, un beau dénivelé de  350 mètres,  raide et athlétique contre une roche dure.

Techniquement, c’est l’épreuve initiatique  avec son dosage de passages difficiles, de pans escarpés et ombragés, froid comme une face Nord, avec un surplomb court mais délicat à mi-course, elle s’en souvient parfaitement, même si elle n’a plus jamais eu l’opportunité de s’y confronter depuis la naissance de Martin.

À nouveau, ses yeux reviennent à la photo ancienne. Elle sourit à l’évocation des circonstances de la prise de vue.  Elle venait de s’offrir alors un nouvel appareil photo, un Canon à focales variables,  grand angle, macro, zoom  avec un grossissement par sept , déjà énorme,  corrigé par un stabilisateur, du vrai matériel de pro… « Les marmottes de la Vanoise  auraient la vedette », on l’avait assez plaisanté sur sa  marotte photographique. Elle mourait d’envie de l’utiliser.  Et puisque sa maternité nouvelle l’empêchait de grimper, elle pouvait s’accaparer le massif par le biais de l’objectif…

En cette fin de printemps,   Marc et Philippe avaient décidé de s’offrir  en duo « la Petite Pasquier ,   en guise d’échauffement, avant l’arrivée des premiers clients… Toujours complices ces deux-là, même quand ils affectaient d’être rivaux. Philippe avait quand même l’avantage d’être, l’aîné des deux, et mettait volontiers en avant son expérience. Il n’hésitait jamais à rappeler qu’il connaissait mieux que Marc la plupart des sommets alpins mais aussi certaines pentes fameuses des Andes péruviennes, sans compter les deux voyages au Népal réalisés grâce à un client aussi original que richissime. Ces bonnes fortunes dataient d’avant son mariage avec Lucie et la naissance de Martin,   mais  Philippe aimait jouer encore de cette aura. Alors, une fois de plus, la dernière, Marc avait laissé le leadership à son ami et beau-frère.

 

 

L’esprit de Lucie est écartelé entre les deux horizons qui s’ouvrent devant ses yeux. Par la fenêtre, la roche grise de l’Aiguille  a perdu ses ombres bleutées du petit matin.  À huit heures, le soleil franchit enfin  la barrière de la Grande Casse,   la lumière devient plus crue, la muraille pierreuse blanchit, les reliefs s’affaissent. Encore une petite heure de marche,   et les grimpeurs du jour auront atteint le mur. Elle devra être en poste, mais elle ne s’affole pas, elle a déjà disposé son matériel à l’angle de la terrasse du restaurant, comme il y a quinze ans…

À quinze ans d’intervalle, elle s’apprête à prendre le même cliché…

Son cœur se serre.

C’est une grave erreur…

Et pourtant, Lucie refuse de s’avouer superstitieuse.

Le cliché est très net. Le fond rocheux de la paroi apparaît dans toute sa rugosité. L’ombre du grimpeur, le contour de son casque projeté sur la pierre accentue la profondeur des champs. Sous l’arrondi du casque, les cheveux châtains de Philippe s’échappent en boucles indisciplinées. À l’époque, malgré ses trente-cinq ans,  il conservait fièrement son allure d’adolescent. Pourtant, il était bel et bien père d’un fils  de six mois, pour lequel il projetait déjà toutes les étapes  de son apprentissage.

Dans  cette position de trois quarts dos, on pressent la vitalité et la hardiesse des gestes, la force de l’homme dans  l’effort. Philippe est collé à la paroi, tendu vers le haut du mur,  il est  relié à son équipier  vingt mètres en dessous  par une corde aussi vitale qu’un cordon ombilical ;  cette corde coule  de sa taille jusqu à sa cuisse. Impossible de voir son visage, mais qui le connaît bien sait qu’il est juste concentré dans l’action.

Voilà, c’était moins de trois minutes avant que le drame n’ arrive.

Ce qu’on ne voit pas sur la photo, c’est le plongeon de l’homme, quelques minutes après.   Pendant qu’elle guettait dans son viseur l’apparition de Marc, avec le décalage dû à la distance de sécurité entre les deux encordés, l’homme de tête avait déjà franchi l’arête bosselée qui limite le surplomb. En prenant pied sur le ressaut  au-dessus du dévers, il était sorti du champ de vision de Lucie, la dièdre inclinant à gauche la roche en un léger repli. C’est souvent la surprise, les plans invisibles que le soleil n’éclaire jamais. La plaque de glace attendait là, en embuscade. Comment un grimpeur aussi expérimenté que Philippe a-t-il pu l’ignorer ?

Longtemps, Marc a retenu le corps de Philippe qui s’est violemment balancé, après une chute de quarante mètres. Son premier réflexe a été d’assurer la prise par deux nouveaux mousquetons hâtivement clipés, mais cramponné à la paroi,  il n’a pu qu’essayer d’amortir le balan, choqué par le silence de son ami…

 

Lucie est froide maintenant.

Regarder la photo, c’est revivre à l’infini ce moment tragique, l’accident  qui a basculé leur vie. En évoquant  les événements de ce matin maudit, ses mains agissent sans qu’elle en ait vraiment conscience. Elle a numérisé la photo,  puis elle a cliqué sur le programme de retouche de son ordinateur. Dire qu’elle sait ce qu’elle prépare, qu’elle suit une idée précise? Non, elle agit comme une somnambule, l’esprit scindé en deux… Sur la même paroi, en ce moment, Marc et  Martin   s’apprêtent à attaquer le mur abrupt,  il leur faudra une bonne heure. Ce n’est qu’à ce moment qu’elle pourra prendre les photos, comme il y a quinze ans, sans émotion, sans penser surtout. Puis viendra le dévers, et le surplomb…

 

Lucie a quitté à regret la chambre, la fenêtre et le fauteuil. Depuis la terrasse du restaurant, les possibilités de cadrage sont plus ouvertes. Quand elle aperçoit enfin les grimpeurs, elle les immortalise longuement, l’un après l’autre, tendus qu’ils sont eux aussi dans leurs efforts. Puis elle change l’objectif du nouvel appareil, élargit le plan, les saisit tous les deux ensemble, ce qui demande du champ.

 Satisfaite, elle rentre enfin et s’active à intégrer les photos nouvelles. Sans réfléchir, elle les copie dans le fichier qu’elle vient d’ouvrir pour numériser le cliché d’autrefois. Ses doigts s’affairent sur le clavier tandis qu’elle suit mentalement les grimpeurs dans les derniers mètres qui les séparent du sommet. Là, ils vont souffler un moment, éperdus d’admiration devant le panorama conquis. Ils se sentiront  à l’égal des dieux créateurs, le temps de reprendre souffle. Puis Marc engagera Martin à boire son lait chocolaté pour recharger les accus, et la descente s’engagera, lente, prudente, presque toute en rappel.

 

 Sans qu’elle se souvienne l’avoir commandé, l’imprimante a craché les pixels reconstitués sur le papier glacé. La nouvelle photo n’est pas aussi nette que l’original, comme toujours avec le matériel informatique, mais le résultat est quand même satisfaisant.

Lucie revient alors vers le fauteuil roulant toujours immobilisé devant la fenêtre. Elle se penche  sur  l’homme  immobile, calé là  depuis si longtemps. Mais le temps n’a plus de prise sur lui.

 Elle porte le cliché modifié devant ses yeux, afin qu’il puisse contempler la scène. Sur le plan élargi, il y a maintenant trois grimpeurs. Martin  au milieu, Marc ferme la cordée… Mais le premier, celui qui guide et ouvre le passage, c’est Philippe,   l’homme d’avant, le fier ouvreur.

- Tu vois mon chéri,  souffle-t-elle en se penchant sur son oreille, toi aussi , tu grimpes avec eux…

 

09/08/2011

Occupée !!!

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Fidèles-souris-lectrices, ai-je besoin de vous expliquer plus avant les raisons de ma désertion aoûtienne?

Mathis nous régale de sa constante bonne humeur, mais je ne sais plus où j'habite… Comme toutes mes "collègues" du Club Mamies, je vis à la minute présente. Mais quel régal!

Je ne veux évidemment pas même penser au vide de la maison , la semaine prochaine. Profitons du moment, c'est formidable.  Avec l'aide d'un gentil baby-sitter occasionnel, Alex assure quelques intermèdes de garderie, le temps de courir au Poulous chercher les légumes du jour ou d'étendre une des lessives quotidiennes…

Monsieur Mathis est fort occupé lui aussi à conquérir la marche et la station debout. Il s'entraîne à franchir tous les seuils de portes , bras chargés d'une lourde locomotive jouet en bois, et surtout il se relève seul, sans prendre d'appui, en deux temps. Puis il guette nos applaudissements.

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Nos deux p'tits pensionnaires s'entendent à merveille. Alex ( 12 ans) fait preuve de patience et d'attention. En témoigne cette partie de ballon où Mathis ( 11 mois aujourd'hui!) nous surprend en lançant vraiment la balle à son partenaire.

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19/07/2011

Berceau des civilisations…(2)

Souris-fidèles rassurez-vous, je n’ai nulle intention de vous présenter le guide complet de nos visites. Soit, vous êtes fans et vous avez de longues dates traîné vos cothurnes dans les champs de reliques…

Mais tant qu’à évoquer les Merveilles de la planète, je ne saurais conserver égoïstement les images du monde révolu sans lequel notre société actuelle n’aurait pas eu la moindre chance d’émerger. À l’époque du collège, quand ce sont les programmes scolaires qui entrouvrent nos esprits perméables à l’infinité des perspectives de l’histoire, nous engrangeons des rêves et des concepts. Mais comment donner corps, visages, sensations et reliefs aux ombres évoquées ?  L’ère du tourisme saisonnier offre cet avantage de permettre à chacun de saisir le bout de quelque fil trop bien rangé dans sa mémoire…
 

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Sur quelques centaines de kilomètres, de Çannakale à Antalaya, la côte sud-ouest regorge de sites historiques très riches.  Depuis deux décennies, de gros efforts de l’État turc ont  permis d’améliorer considérablement les conditions de circulation:  la chaîne montagneuse du Taurus entre Izmir et  Marmaris se traverse preque entièrement grâce à un réseau de routes à quatre voies. Les activités engendrées par le tourisme participent à l’élan économique du pays, et les Turcs avec qui nous parlons sont très fiers de l’amélioration de leurs conditions de vie. Ils sont également conscients de leur disparité, et nourrissent, me semble-t-il,  un certain ressentiment à propos du manque de confiance  affiché par les hésitations européennes.

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Car sur ces terres, ce sont les premières civilisations qui nous ont laissé en héritage l’idée que l’Homme, à l’égal des dieux, était Maître de son destin.  En ce lieu, sur les étendues d’herbes sèches où nous admirons les colonnes doriques destituées de leur majesté,   dans ces champs de statues défiant les ravages des temps, nous courrons après le miroir de nos illusions. Quelle civilisation parmi toutes celles qui ont bâti ici cité et royaume, forteresse ou mausolée, temple et agora, quelle est celle qui a donné à l’homme le plus de chance de se réaliser ?

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Quatre millénaires avant l’ère chrétienne qui nous sert de jalon comptable, les Hittites, les Attis, les Sumériens, les Assyriens, les Arméniens, les Phrygiens et les Lydiens, les Perses, des Égyptiens enfin les Hellènes avant les Romains, ont vécu, combattu, construit, marchandé et cultivé, créé des réseaux et avili d’autres hommes, étendu leur territoire avant de péricliter .
 

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                             Tombeau Lycien de Caunos IVè siècle avant JC

D’autres ont suivi sur ces terres mêmes, et cette poursuite vitale n’est évidemment pas achevée. Après les bouillonnements du Christianisme triomphant et l’errance du Schisme de 1054, Constantinople et l’influence byzantine ont  fini par refluer sous l’invasion des Seljukides, venus de l’Est au XI siècle. L’Empire Ottoman à partir du XVe fera trembler l’Occident sur ses bases, des rives du Maghreb aux portes de Vienne… On voit trop bien maintenant combien la Turquie moderne demeure un nœud gordien dans l’équilibre des forces au Moyen-Orient, carrefour d’influences profondes… Avons-nous eu raison de la maintenir dans  l’entrebâillement de notre porte ? Vaste débat.

 

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Retour sur les magnificences de Milet, cité rayonnante du VIIe siècle avant notre ère jusqu’au IVe après JC… Port marchand et surtout cité intellectuelle flamboyante, patrie d’un certain Thalès dont la mémoire hante toujours les classes de nos lycées.
Pour l ’anecdote,  la rencontre de ce Thalès ( 625-547) nous adresse une jolie leçon d’humilité. Outre ces talents de mathématicien et de philosophe, le bonhomme était rusé politique et fin connaisseur en astronomie. Wikipédia vous contera comment son nom est associé au calcul d’une éclipse solaire, mais j’aime assez la version de notre guide Yalçin ( se prononce Yoltchen !!!) pour vous la rapporter.
Thalès avait acquis une jolie fortune fondée sur la renommée de ses talents philosophiques et de l’école qu’il avait créée. Cependant, on peut être sage et dépenser sans compter… Notre Maître se trouva donc un jour trop dépourvu pour honorer ses dettes envers un certain créancier irascible de surcroît. Acculé par les raisons pugnaces du paysan mauvais prêteur, Thalès eut l’idée lumineuse d’engager un pari osé, en faisant miroiter l’alarme du jour vaincu par la nuit en plein midi. L’homme un peu balourd accepta le pari… Le lendemain, à son grand effroi, les ailes de la nuit s’étendirent sur ses champs. Frigorifié par la disparition de l’astre du jour et la crainte de perdre ses récoltes, il se rendit, bien obligé d’acquitter son débiteur.

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Accès aux thermes de Faustine


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De l’usage successif des lieux… De la majesté des thermes ioniens à la modestie de l’échelle byzantine . 

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