10/11/2012
Sous les étoiles de Néoules
Sous les étoiles de Néoules
Vous doutez-vous qu’il y a foule ?
La nuit d’ici ouvre la voie aux rêves
Qu’ Émile le conteur cueille sans trêve.
Ce soir, il offre à l’auditoire sa chanson brève
Mais la nuit, la nuit noire de Néoules
N’est pas fille servile au conteur malhabile
Largant son récit au hasard versatile
« Sur le miroir glacé du lac, Camille pêche les comètes
Qui s’y reflètent, vacillantes sous les risées nocturnes.
À la pointe de la nuit, il accroche les lucioles célestes.
Dans sa sacoche de brume, il amasse sa parure d’étoiles.
Camille destine sa pêche joaillière
À Ludivine la Mutine,
La gamine orpheline a touché son cœur solitaire.
L’infante réfugiée au faîte d’une ruine fantasmée
Par la grâce de songes patiemment semés
A campé la tour crénelée
Où elle enjolive son destin imaginaire.
Autrefois, l‘homme logeait aux marges du village.
Il ne songeait jamais à la douceur des mots anodins.
Mais l’innocence insolente a chassé son chagrin.
La force de l’enfance a consolé ses larmes.
Ludivine la Mutine dessine à force de charme
Sur les joues burinées l’offrande souriante de doux présages.
Mais l'héroïne s’ennuie en attendant son pêcheur de lune.
À force de guet sur la margelle fictive
Elle s’endort en oubliant sa veillée attentive.
Le pêcheur s’obstine à sa quête de fortune
Aux éclats si fragiles que le point du jour assassine.
Là-haut, sur son parapet futile
Ludivine assoupie frissonne et vacille
Son corps flexible tremble et penche vers l’infortune… »
—Émile, réveille-toi, romps là tes bavardages
Alarme ton ami Camille
Car le sort est cruel pour la Mutine en péril
Oh la nuit, la nuit noire de Néoules
N’est pas tranquille pour les rêveurs puérils,
Insensibles aux dangers des rêves abandonnés
Captive de ses songes, Ludivine bascule dans le vide.
La chute de l’Infante provoque un choc brutal
Dans l’assemblée pétrifiée. La foule se presse avide
Autour du petit corps éclaté, privé de souffle vital…
— Qu’as-tu donc en tête, sinistre conteur,
Colporteur d’horreur ?
Repoussant vivement les participants impuissants,
Anéantis par le sort fatal de leur princesse endormie
Et l’absence coupable de son pêcheur d’astres luisants,
Sur ce cri, la Gitane a surgi au milieu du public ébahi.
Sa longue silhouette se dresse auréolée de jupons
Virevoltants, flammes de voiles vives comme un blason.
Estella, Estella, la foule murmure,
Estella diseuse de bonne aventure
— Enfin, elle est revenue. Que n’est-elle plus tôt survenue!
À défaut d’autres blâmes, la bohémienne magicienne
Se penche au sol et ramasse la poupée de chiffons.
En gestes tendres et précis, elle caresse le pantin, restitue sa tenue
Le pose alangui sur son cœur, et lance à l’adresse du conteur confondu
— Allons, Émile, faut-il encore répéter ce message qui t’oblige
À éviter les cimes, les marionnettes sont sujettes au vertige!
Oh la nuit, la nuit noire de Néoules
N’est pas limpide pour les rêveurs puérils,
Insensibles aux dangers des rêves malmenés
Sous le firmament étincelant des étés étoilés.
PS: Ce petit conte concocté pour l'atelier de Néoules, j'en ai remanié la chute, grâce à l'astuce de Christophe. Ce qui m' a paru amusant, c'est l'attitude face à notre propre texte, où le regard collectif nous engage à modifier l'angle de vue. Comme la plupart des assistants, je crois, notre fin improvisée est bien meilleure que l'originale, simplement parce qu'alors, nous avions du recul par rapport au travail initial.
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27/06/2012
La sentinelle du quai H
La gare Saint Charles reflète la lumière de Marseille tout autant que l’exubérance et la disparité de ses habitants. Les barrières Vigipirate et la rénovation de la salle des pas perdus ne suffisent pas à interdire l’accès aux quais. Difficile de résister au plaisir d’accueillir parents et amis à la descente des trains. Ce jour-là j’avais en outre une bonne raison, puisque j’attendais mon neveu handicapé par une jambe plâtrée. Je m’étais ainsi glissée jusqu’à l’ultime repère, correspondant à la dernière voiture du convoi selon sa réservation.
Au bout du quai H, en attente du TGV de 18 heures 34, l’affluence ne cessait d’enfler. Parents âgés, adolescentes regroupées autour d’un téléphone high-tech, leurs rires explosifs à l’adresse des garçons solitaires assis sur le dossier des bancs publics, coiffés de capuches aussi sombres que leurs regards. J’observais une fillette d’à peine quatre ans. Elle courait de plus en plus près des voies, et malgré moi, il me venait une furieuse envie de la rattraper avant sa chute prévisible. Je cherchais des yeux sa mère. Celle-ci, accaparée par un monologue téléphonique, rappelait nonchalamment sa fille de temps à autre. Nullement impressionnée, l’enfant tournait et virait toujours plus rapidement, à la limite de l’équilibre. Dans son élan, elle vint heurter une femme, immobile au bout du quai depuis fort longtemps. Au milieu du tableau mouvant de l’assistance, je ne lui avais prêté d’abord aucune attention. Elle semblait s’être fondue dans ce paysage de fond de gare, à la limite de la jetée de béton. Derrière elle, il n’y avait plus que les voies étincelantes dans le soleil de fin de journée, des stries métalliques qui semblaient filer vers le cirque de collines blanches cernant la ville.
L’impassibilité de cette femme avait éveillé ma curiosité. Elle aurait dû se pencher vers l’enfant en pleurs après sa chute, ou bien manifester l’irritation d’avoir été bousculée. Mais elle était restée figée, indifférente au petit drame à ses pieds. Grande et mince, elle portait une tenue à l’élégance désuète. Sa coiffure aux cheveux argentés parfaitement mis en plis achevait de composer une allure démodée. Un détail toutefois détonnait curieusement dans cet ensemble, une touche excentrique inattendue constituée par une paire de lunettes de soleil, typique d’un modèle fameux associé aux aviateurs et aux pilotes sportifs.
Je m’étais approchée la première pour relever la petite victime en larmes. Je me confrontai alors à son visage sans regard. Dans le miroir glacé des verres foncés se reflétaient à l’infini les perspectives fuyantes des voies ferrées, ponctuées de poteaux verticaux portant les câbles électriques, un paysage fumé et barreaudé. Je n’avais pas pu lui adresser la parole.
Le temps de relever l’enfant, sa mère arrivait à notre hauteur.
Cette femme solitaire ne m’avait pas plus regardée qu’elle n’avait paru remarquer la scène dont elle était pourtant un élément déterminant.
Quelque temps plus tard, j’étais invitée à dîner chez de bons amis, en compagnie d’un autre convive, journaliste et marseillais cocardier. Cet ami d’enfance, Charles–je-sais-tout, a toujours assumé sans rougir le travers à l’origine de son surnom. Ce soir-là, la conversation s’était orientée sur la visite de mon neveu éclopé et je mentionnai l’incident de la gare. Mue par l’envie d’un bon mot, je qualifiai la vieille dame immobile de « sentinelle endormie »; plaisamment, je répétai « la sentinelle du quai H », quand Charles m’interrompit bruyamment:
— Mais c’est exactement ce qu’elle est!
Son intervention ne pouvait pas me surprendre. Par pur réflexe, je répliquai vertement:
— Comment peux-tu le savoir? Dans une ville comme la nôtre, les personnes âgées et élégantes ne manquent pas…
— Oui, mais une femme au style vintage années 60 et portant des Ray ban datant de 1937, figure-toi que sur ton quai de gare, ce ne peut être que Jeanne Flammerge!
Charles triomphait. Notre curiosité était assez éveillée, rien ne pouvait plus brider le plaisir de notre conteur :
— C’est une figure bien connue ici, tu sais! Maintenant, elle doit être septuagénaire, au moins. De toute sa vie, elle n’a jamais quitté Marseille, ni même sa maison natale. Personne n’est lié à la ville mieux qu’elle …
Satisfait de son effet, Charles savourait son café à petites gorgées. Malgré moi, j’étais prête à le supplier de continuer, mais le bavard n’avait nul besoin de stimulation.
— Pour mieux vous faire comprendre qui est Jeanne, il faut remonter à loin, bien loin. En fait, aux premiers mois de l’année 1944, la zone libre n’existait plus depuis Novembre 42, les conditions de vie étaient devenues nettement plus difficiles! Je tiens l’histoire de mon grand-père, un ami de la famille du docteur Flammerge, alors les détails… Début Avril 44 donc, le docteur et son épouse ont été arrêtés, le même jour mais pas ensemble : des histoires de soins aux résistants et de cachette pour les transfuges, que sais-je! Jeanne n’était encore qu’un bébé, je dirais dans les deux ou trois ans. La famille comptait aussi une aînée nettement plus âgée, Josette, qui avait alors presque seize ans. Au bout de deux mois, elle a fini par savoir que ses parents, comme d’autres prisonniers, étaient partis en convoi vers le Nord, mais les informations restaient imprécises. Je vous rappelle que ça commençait à « barder » sérieusement depuis le printemps, ici comme ailleurs. Josette s’était occupée de sa sœur comme une véritable petite maman. Mais à l’été, toujours sans nouvelles, elle s’est impatientée. Elle a confié Jeanne à leurs grands-parents.
Charles jouissait manifestement de la tension de l’auditoire. Il ménagea une courte pause avant de reprendre son récit.
— Alors notre Josette est allée à la gare, flanquée de la grand-mère paternelle et de la petite. Elles l’ont accompagnée jusqu’au seul train en partance pour Paris, où la malheureuse pensait retrouver la trace de ses parents. Pourquoi les grands-parents ne l’ont-ils pas retenue? On était en Juillet. Depuis le débarquement sur la côte Normande, les alliés bombardaient sans relâche tous les points stratégiques: les usines, les casernes, les routes. Cette nuit-là, la gare de Juvisy, en banlieue parisienne, a été soufflée, ravagée par un déluge de bombes. On n’a plus jamais eu de nouvelles de Josette. De sorte que les premiers et derniers souvenirs de famille de Jeanne se situent à Saint Charles…
Les huit convives gardèrent le silence un moment. L’histoire paraissait aussi tragique qu’absurde. Comme s’il avait deviné le cours de nos réflexions, Charles poursuivit :
— Aucun de nous n’a vécu cette période, c’est difficile à réaliser. Mais de nombreux drames identiques ont eu lieu. Les grands-parents ont élevé la gamine. Jeanne a suivi son chemin. Elle est devenue une avocate réputée. Mais elle est restée célibataire et n’a pas quitté la maison de la rue Sainte Famille. Après sa retraite, quelque chose a changé. Trop de solitude sans doute. Jeanne a commencé à fréquenter la gare, toujours en fin d’après-midi.
— Admettons, mais pourquoi s’affuble-t-elle de telles lunettes? Pourquoi cet accessoire particulier? Son regard inaccessible, c’est… Comme un miroir sans tain qui l’empêche de voir le monde réel.
— Sans doute. Ces lunettes appartenaient aux pilotes anglais que les Flammerge ont dû héberger rue Sainte Famille. Elles seraient devenues une sorte de talisman qui permet à Jeanne de voir au-delà du bout des rails. C’est ainsi qu’elle guette le retour de sa famille. Elle est la sentinelle du passé et tant qu’elle attendra, elle protégera les victimes de l’oubli.
Je suis revenue quelquefois attendre des proches au train de 18 heures 34.
Au bout du quai H, la longue silhouette immobile guettait inlassablement le retour improbable de ses voyageurs. Tournant le dos à la foule, insensible au joyeux brouhaha, la sentinelle du quai H assurait fidèlement sa faction.
Jusqu’à ce jour où, jetant mon coup d’œil coutumier vers le fond de la gare, l’agitation inhabituelle et les uniformes du SAMU m’ont alertée d’une appréhension inquiétante. Mêlée aux curieux, j’ai attendu le passage des secouristes. Sur la civière guidée par une équipe d’urgentistes, ma sentinelle gisait, inerte. Elle avait perdu ses lunettes, et je découvrais enfin ses traits à nu, les paupières closes sur un visage couleur de cendres. Un rideau de plomb tiré sur la veille de la sentinelle.
Sa quête était interrompue, pour combien de temps ?
Instantanément, j’ai compris l’ampleur du désastre.
Ce n’est pas seulement le départ de Jeanne qu’il nous faut redouter.
Qui, dorénavant, viendra accueillir les fantômes de l’Histoire?
© cette nouvelle, présentée au concours d'Orgon, n'est pas libre de droit.
Merci de me contacter avant toute copie, même partielle.
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12/05/2012
Couleurs de l'âme
Sous mon clavier, il y a un Firmin qui trépigne pour prendre vie en ce moment. Je lui concocte doucement une longue nuit, dont je ne vous parlerais pas plus avant… Mais Christophe, notre "Maître d'activités" nous ayant demandé de réaliser une description de lieu sous l'influence contrariée de deux états d'âme différents, Firmin en a profité et s'est incrusté dans un décor que je n'avais guère songé à lui octroyer…
Vient la tentation de vous en faire profiter. Après tout, Firmin a atteint son but, il existe et je connais sa fierté. Firmin aime la terre de Provence, il aime la chaleur sèche et est ravi de la promenade. J'espère que vous apprécierez cette balade au fil de ses états d'âme …
Printemps
Aveuglé par la luminosité du petit matin, Firmin s’arrête un instant sur le seuil de la maison, cligne des yeux quelques minutes avant de s’habituer à la clarté trop blanche de l’aube. Il est à peine six heures, en ce matin du 6 juin, et sa colline commence à s’éveiller doucement sous la douceur du ciel à l’azur transparent, luisant à peine sous le rayonnement oblique du soleil. Son regard capte d’abord la barrière de couleurs vives où le vermillon tranchant des géraniums et les camaieux mauves des pétunias alternent dans les pots qu’Éliette, sa femme, a soigneusement transplantés comme chaque printemps. Elle délimite ainsi l’espace de la terrasse, un quadrilatère mi-herbu mi- gravillonné, où trône un majestueux tilleul à l’ombre fraîche, idéal pour accueillir la table des repas.
Firmin et Éliette ont acheté, il y a plus de quarante ans maintenant, cette ferme abandonnée dans l’arrière-pays varois alors que leurs enfants étaient encore en âge scolaire. Un point de chute formidable pour les vacances en famille, une bouchée de pain pour une masure certes en piteux état, mais entourée d’un espace extraordinaire pour les enfants, un hectare de friche maquisarde qui permettait aux petits Parisiens de connaître une détente au grand air, sans contraintes de voisinage. De plus, à l’époque, on pouvait encore voir la mer depuis la façade de la maison, la côte n’étant qu’à six kilomètres en contrebas, un saut de puce pour rejoindre le voilier accosté dans le port tout proche.
Firmin s’étire une nouvelle fois devant le spectacle doré. Certes, les toitures cannelées des villas récentes ont relevé progressivement l’horizon et masquent maintenant en grande partie le miroitement bleuté au fond du panorama. Le beige rosé des tuiles se mêle au vert sombre des chênes et des pins. Au début, Éliette et lui se sont insurgés, puis ils se sont habitués à la modification du paysage. Tant qu’une façade criarde, une verrue de béton percée de fenêtres indiscrètes ne s’érigerait pas comme une tour offensive devant leurs yeux… Mais Firmin est resté ferme sur ses positions et a toujours refusé de céder les arpents sollicités par les promoteurs. Au moins, il leur reste l’espace, même si les enfants y viennent moins souvent avec leurs progénitures. Éliette et lui sont fidèles au poste dès le mois d’avril, et jusqu’aux premiers brouillards de Novembre, ils garderont maison ouverte pour qui souhaitera venir partager gîte et couvert à "la bastide". Cette maison au confort rustique est devenue au fil des années un refuge solide contre les tempêtes du monde, un havre de plus en plus confortable où célébrer les joies et les succès de leur tribu.
Comme tous les matins, Firmin entreprend le tour du propriétaire, à pas mesurés, sans presse. Il donne à Éliette le temps de se réveiller à son rythme dans la maison aménagée au fil des années. Il sait combien sa femme apprécie maintenant le ralentissement du rythme des journées. Suivant un rituel instauré graduellement, il consacre d’abord son attention aux quelques rangées de pieds de vigne. Témoins vigilants de la vaillance du vignoble, des rosiers multicolores montent la garde devant chaque rang. Chacun d’eux rappelle un événement, le rouge vermillon pour la naissance de Sabine leur fille, le rose tendre pour celle de Simon le cadet. Le jaune célèbre leurs vingt-cinq ans de mariage. Firmin adresse aux fleurs pleinement épanouies un regard ému, les arbustes ploient sous les corolles veloutées, aux pétales serrés. Il s’engage entre les rangées de ceps bien alignés, où le feuillage s’est amplement développé, il inspecte quelques feuilles d’un œil expert, à la recherche de ces taches blanches ou marrons qui signeraient le passage d’insectes ou de parasites. Avec plaisir, il effleure du bout de ses doigts un peu gourds les embryons de rafles qui se forment déjà au sein du feuillage. Sous l’ombrage du vert profond, elles paraissent si pâles, presque blanches. Firmin sourit : comme la nature est bien faite !
Le vieil homme a contourné la maison maintenant et entreprend de gravir la restanque derrière le mur nord. Son pas se fait plus lourd sur la terre rocailleuse. De petites pierres mal arrimées au sol roulent sous ses pieds, il trébuche presque sur les accidents du terrain.
— Ouf, souffle-t-il en s’épongeant le front d’un large mouchoir , c’est bientôt plus de mon âge, ce terrain devient chaque jour plus pentu. Il faudra que je rappelle le nouveau jardinier pour finir le nettoyage du sous-bois…
Demain, Firmin fêtera ses quatre-vingt-neuf ans, et il savoure par avance la perspective d’un tête-à-tête attendri que lui prépare à coup sûr sa tendre Éliette.
Automne
Décidément, l’air devient plus frais en cette fin Septembre. Firmin remonte la fermeture éclair de son gilet et regrette déjà d’avoir oublié son écharpe posée sur une chaise de la chambre. Debout sur la grosse pierre plate qui marque le seuil de la maison, il s’accoutume lentement à la lueur grise du lever du jour. Derrière la crête de l’Estérel, à sa gauche, les premiers rougeoiements du soleil annoncent l’arrivée de la grosse boule flamboyante. Dans quelques minutes, l’astre paraîtra au-dessus des roches rouges et l’embrasement sera total. Des années que Firmin se lève si tôt pour ne pas manquer l’apothéose matinale.
Mais ce matin, le regard du vieil homme se pose d’abord sur la rangée de poteries à la lisière de la terrasse. Malgré les arrosages crépusculaires, la sécheresse a eu raison de l’éclat des géraniums. Les dernières inflorescences dressent leur hampe d’incarnat éteint, les pétunias poussent leurs corolles flétries au bout des tiges dénudées. La danse lumineuse des couleurs s’est assoupie sous un voile de poussière, l’été finissant a usé aussi la vivacité des couleurs.
Firmin entreprend son tour de jardin rituel. Passant près du tilleul généreux qui ombrage toujours les déjeuners, il remarque les coussins des chaises qui ont été oubliés là la veille au soir. Bah, tant pis, il faudra bien les remplacer à la saison prochaine, si… Son cœur se sert et il se refuse à formuler plus avant sa pensée.
Les rosiers à l’entrée des vignes livrent vaillamment leurs derniers boutons de la saison. Quelques fleurs trop ouvertes achèvent de se faner, le bout des pétales rouillés et recroquevillés témoigne de leur fatigue. Subtilité des roses alanguis et des rouges ternis que l’éclat du soleil a patiné, décoloré comme un bouquet de mariage conservé sous cloche.
Bientôt, la vigne rendra les armes, elle aussi. Les vendangeurs passeront demain, ils couperont d’un geste expert les grappes noires qui pèsent lourdement sur les ramures. Une demi-journée suffira pour dépouiller les ceps de leurs efforts, et la vigne sèchera aux derniers souffle du vent ses feuilles roussies que personne ne viendra contempler cet automne.
Un soupir gonfle la poitrine de Firmin. Était-ce l’été de trop ?
Pourquoi la chaleur du midi s’est-elle montrée si harassante, au cœur de la belle saison? Pourquoi le vent a-t-il si souvent coupé leur souffle, les poussant à délaisser hamacs et chaises longues pour la pénombre fraîche de l’intérieur ?
Son cœur se serre encore, et cette fois, Firmin ne refuse pas la grosse boule qui se noue dans sa gorge, qui broie sa poitrine et soulève une lame de fond qui noie d’un coup ses yeux. Après tout, cette vigne miniature, témoin de tous ses bonheurs, ne peut-elle pas aussi accueillir cette angoisse folle qui l’habite désormais ? Assis à même le sol, seul au milieu des rangées de fruits promis à une récolte somptueuse, Firmin accepte de déverser sa détresse sur cette terre craquelée.
La fatigue d’Éliette, ses saignements de nez, ses vertiges multiples ont pris un nom hier. En baptisant les malaises de sa femme d’une désignation barbare, les médecins ont dressé un pronostic, ils ont tranché leur avenir d’un couperet glacial.
Demain il faudra se battre. Mais aujourd’hui, Firmin se terre une dernière fois au sein de cette nature rude et prodigue. La poussière de la terre peut bien coller des rigoles grises sur ses joues burinées, jamais autant qu’en ce jour, l’homme n’a perçu combien notre sort est lié au cycle des saisons. Hier, il est entré dans son hiver.
19:41 Publié dans Blog, Conte-gouttes | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : écriture, nouvelle, états d'âme, humeurs, description, paysage. | | del.icio.us | Facebook | | Imprimer
25/03/2012
Nettoyage au Jardin …
Bienvenue au beau temps !
La semaine écoulée a été rude pour tous, l’atmosphère générale assombrie par une actualité où l’horreur et la barbarie le disputent à l’incompréhension. Et pourtant, là où le recueillement dans l’émotion et la compassion s’impose comme seule réponse à cette folie meurtrière, nous sommes baignés dans les flux d’infos, d’opinions, de reportages creux— non, rien de nouveau, le présumé coupable ne bouge plus— en interminables expertises de spécialistes. Et comme chaque fois que le danger est passé, nos hérauts médiatiques relaient la diatribe: — fallait-pas, y’avait-qu’à…
Le printemps sonne à point l’heure des pulsions ménagères.
Descendons au jardin arracher les mauvaises herbes, détruire les graines de folie qui pourrissent nos plantes bandes et le cours de nos pensées.
Mes gouttes d’O évitent habituellement la pollution politique, mais certains mots poussent sous le sarcloir ; ils réclament d’être dits, écrits, chantés et contés afin de fissurer la gangue du quant à soi et des avis raccourcis.
Notre société ne va pas bien, elle engendre des monstres, celui de cette semaine n’est pas le premier, de sinistre mémoire. Mais la solution n’est pas dans la vitupération, les faux débats agités pour faire de l’audience. Pollution de nos âmes, le racisme ordinaire est latent, larvé, prêt à émerger de son trou à la première occasion, et son réveil constitue un méfait supplémentaire — dégât collatéral— du tueur de Toulouse et Montauban.
Il appartient à chacun de nous de ne pas se réveiller un jour dans la peau de Madame Dupont La Joie. Ne pas continuer à faire la sourde oreille aux petits avis chauvins et gratuits distillés au compte-goutte, se dire que ce n’est pas notre faute, qu’on n’a pas vu, rien compris, mal évalué les aspects du problème.
Dupont La Joie n’est que le prototype du méchant-lâche-mesquin-râleur-raciste-et-borné ordinaire. Il concentre les tares usuelles, ce qui finit par allumer le projecteur sur ses nuisances. Mais dans la vraie vie, nous côtoyons une multitude de clones inaboutis du personnage, qui véhiculent leur racisme ordinaire par flots de mails et de remarques saumâtres déversées à l’attention d’un public déjà convaincu, classées à la rubrique il faut bien que je m’exprime, moi !
Le climat des élections est évidemment propice à l’exercice.
Les meurtres barbares de Mohammed Merah aussi, hélas.
Et le discours va s’amplifiant : tu vois bien c’est encore un Maghrébin, un Arabe, un musulman.
La télévision, la radio, l’ensemble des médias audio et écrits ont délivré à foison la parole des représentants des diverses communautés impliquées, unis pour essayer de calmer par anticipation ces querelles latentes…
Rien n’y fait, du tsunami d’informations qui tournent en boucle, notre contempteur n’extrait que sa preuve irréfutable — tu vois bien, ils vont bientôt tous nous bouffer!
Je nettoie mon jardin, je nettoie la maison, je jette mes vieux papiers, traces dérisoires d’un passé qui fût mien, et j’essaie de nettoyer mon âme des remugles de notre époque.
Inlassablement, un parallèle me vient. L’histoire n’est-elle pas un éternel recommencement ?
Au siècle précédent, les années trente, années de crises par excellence— crise financière de 1929, effondrement économique des USA et des pays d’Europe, chômage et insécurité, ont abouti aux solutions que l’on sait. La montée des fascismes ne doit rien au hasard.
Nous avons quatre-vingts ans de recul, une guerre mondiale, des idéaux perdus, de multiples conflits de moins en moins locaux ont enflammé la planète de l’Europe et l’Asie en passant par l’Amérique latine et l’Afrique, mais nous avons développé des moyens de communication et d’étude infinis, et pourtant ?
Plus jamais ça, entendait-on au sortir de la Grande Guerre …
Plus jamais ça…
Mais nous sommes Dimanche, il fait beau, c’est l’heure d’été et la soirée s’annonce douce et longue…Versons un peu de vin doux sur ces gouttesd’O amères.
Hier soir, en me régalant de ma daurade grillée au fenouil, j’ai soudain réalisé que je ne savais pas si mon poisson avait été tué suivant la méthode Casher ou Hallal … Quelle Horreur ! Comment savoir si ma daurade a souffert longuement ou si elle a trépassé sereinement, assurée d’être cuisinée et dégustée avec tout le respect dû à sa dépouille ?… Du coup, je la sens qui trésaille dans mon estomac, qui réclame justice à grands cris, et mon corps bataille vigoureusement entre deux options : soit je cède à ma conscience traumatisée et je rends à Dame Nature le cadavre à peine décomposé, soit je conserve l’énergie et les calories que ce met délicieux me transmet et, mes forces revenues, je sors au jardin pour nettoyer la Nature des scories hivernales.
19:07 Publié dans Blog, Courant d'O | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : écriture, barbarie, racisme, printemps, crise sociétale, affaire merahl | | del.icio.us | Facebook | | Imprimer
22/02/2012
Chacun son chemin…
La grippe battait rageusement sous mon dôme crânien samedi dernier quand la factrice est venue déposer un baume délicat destiné à mieux faire passer nos potions amères.
C’était l’édition 2011 du recueil des nouvelles du Moulin des Contes.
Autour du thème chacun son chemin, les valeureux postulants ont battu leurs campagnes intimes, parcouru les déserts de leurs fantasmes, balisé leurs sentiers intérieurs comme autant de petits poucets, pour finalement rendre leurs textes à la fin de l’été.
Pour ma part, je me suis lancée dans l’aventure en compagnie d’un gentil fantôme…
Une anecdote familiale qui tenait presque du secret, tant son héroïne a tardé à livrer sa confidence, un soir de hasard. Et encore a-t-il fallu que la maladie libère les nœuds du tabou. La filiation change alors de regard, l’aïeule fragile acquiert tout à coup une part de mystère, dont elle ne lève qu’un tout petit pan.
À partir de quelques phrases rapportées, d’une lettre longtemps cachée, je me suis mis en quête de retracer un double itinéraire imaginaire.
Le petit chemin, vieille ritournelle chantonnée par ma vieille Dame, devient un fil d’Ariane qu’il faut patiemment défiler pour exhumer une réalité historique tragique. Je m’y suis bien appliquée et je suis fière de mon récit, je vous le dis sans me vanter.
Je suis donc reconnaissante à Catherine Brutinel et le jury de l’association Lire à Hyères de l’avoir adjoint aux nouvelles qui composent leur recueil.
La semaine prochaine, quand les dernières manifestations éructives de notre mal saisonnier se seront définitivement rétractées, nous partirons en excursion sur les routes et gravirons les ruelles pentues du centre ville pour aller quérir d’autres exemplaires promis du précieux recueil.
18:03 Publié dans Conte-gouttes, goutte à goutte | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : le petit chemin, nouvelles, écriture, le moulin des contes, lire à hères, catherine brutinel | | del.icio.us | Facebook | | Imprimer
09/02/2012
Instantané de notre campagne
Images de neige, de verglas, de campagne blanchie et de matin brumeux…
Le charme de l’hiver opère, les JT déversent le sujet à l’envi.
Deux longues semaines consacrées au feuilleton tempétueux
Allez-vous échapper à ce nouvel ennui ?
Nous on a le temps d’en profiter,
Les départs au petit matin blême nous sont épargnés.
France grelottante, petits plats du terroir et crêpes en soirée
Notre moral est dopé aux actualités.
Tandis que nos chiens envahissent la cuisine,
Aux pieds de GéO qui dégustent ses magazines
Le jardin est livré à nos derniers pensionnaires
Indifférents à la chaleur communautaire.
Les pies ne nous font pas souci,
Tourterelles et pigeons explorent les abris
Le paysage se fige,
L’attente est frileuse, l’atmosphère venteuse,
Mon humeur boudeuse.
Devant nos fenêtres, de petites ombres fugaces s’évadent
Des usages de prudence, folles elles s’offrent l’incartade,
Se posent furtivement en quête de miettes
Subsistance conséquente contre la disette
Silhouettes ébouriffées des rouges-gorges aux plastrons bouffis,
Mésanges charbonnières arborant cravate noire sur livrée de jade.
Demain la neige annonce son retour
Menace de troubles à l’attente du jour
Rendez-vous soumis aux caprices du climat
Le Moulin des Contes abandonné aux frimas
Comment faire bonne figure à tant d’aléas ?
18:35 Publié dans goutte à goutte | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : écriture, poésie, vers, hiver, campagne, rouge-gorge, mésanges, passereaux, oiseaux, froid, neige | | del.icio.us | Facebook | | Imprimer
24/01/2012
Clin d'oeil …
Ma note de ce matin n’était certes pas toute rose
Mais mon humeur n’est pas si morose.
Il m’importe d’adresser un clin d’œil complice
À une fidèle souris- lectrice
Qui souffle aujourd’hui une nouvelle bougie.
Évelyne, si d’aventure tu passes ici
Reçois ce témoignage d’amitié
Une pensée douce en toute cordialité …
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Légende d'une étoile disparue
La nouvelle est tombée simplement un matin ordinaire.
Depuis ce moment, nos pensées ne sont plus aussi claires.
Le fantôme d’une vie embrume nos esprits.
Des éclats de souvenirs tournent en rondes abasourdies.
Elle était, dit-on, apparue par enchantement,
Issue d’une contrée éloignée.
Le temps d’un été, elle était adoptée.
Étoile resplendissante de ses multiples talents
Elle avançait en confiance
Tout sourit à qui donne sans compter.
Vint le temps des questions.
Un nuage obscurcit sa raison.
Tout à coup son rôle lui devint pesant
Le destin plus incertain que les serments
Une faille après l’autre,
Sa clarté pâlit jusqu’à la sombre pénombre des oublis volontaires.
L’étoile perdue s’est dérobée.
Le fil aurait pu se rompre.
Au bord du précipice, un Samaritain passait en chemin.
Certes pas un Prince de Conte qui endort les chagrins.
Juste un homme de même fracture
Un homme voûté sous la même fêlure.
Chaîne de vie que rien ne peut interrompre
Le lien des entrailles a tenu au plus fort de la tempête.
Vaille que vaille les Parques ont défilé quelques pelotes d’années.
Ranimée par des sourires tout neufs, abreuvée à la source d’enfance,
L’étoile fanée s’est embrasée de pépites en fête.
Ce jour-là le couperet est tombé
À son horloge intime, l’heure a sonné
L ‘Étoile s’est effacée
Une Comète a filé
11:16 Publié dans Blog, Larmes d'O | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : écriture, poésie, souvenirs, deuil, pleurs | | del.icio.us | Facebook | | Imprimer