Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

09/06/2008

Petit Peuple

Repliés souvent à la maison ou au bureau pour cause de pluies orageuses, nous poursuivons notre observation assidue de l’adaptation de Copain à son nouvel habitat.

Tout d’abord, à la demande de sa « mère « de naissance, nous l’avons descendu au marché mercredi dernier. Apprendre la marche en laisse à ce petit chiot d’à peine trois mois, c’est une sinécure! D’autant que ce jour-là, Saint Max s’est mis en habit d’été et les allées recèlent de très nombreux obstacles. Passants distraits par les marchandises, femmes en grande conversation stationnant au beau milieu des travées (c’est une grande spécialité ici, faire salon debout, sans entendre les « pardon » qui réclament le passage), autres chiens de compagnie, habitués du parcours mais toujours curieux de reconnaissance quand passe un museau inconnu. Notre chevrière s’est montrée émue de retrouver son « Copain » et nous avons constaté qu’il l’avait instantanément reconnue. Ils se sont fait une sacrée fête !

Zuko et Copain sont maintenant parfaitement habitués à coexister, il arrive même que le petit dorme carrément dans les pattes de l’aîné, partageant leur espace sans difficulté. Chacun d’eux a sa gamelle personnelle, une grande pour Zuko, celle de diamètre plus modeste a été dévolue à Copain. Croyez-vous que le » petit bout de zan » soit le moins du monde intimidé par la taille impressionnante de l’Ancien ? Quand je m’approche avec les restes de nos repas à répartir, Copain saute sur mes jambes, réclamant par moult bondissements et frétillements de la queue l’accès prioritaire au plat prometteur… Il me faut insister :
–Zuko d’abord, Zuko, viens …
Notre bon gros benêt, toujours tenté par ce qui s’avale, s’avance, mais à notre grand étonnement, les manifestations du désir de Copain le freinent, et il cède la place. Il me faut alors pousser carrément le petit de côté, et parfois GéO doit intervenir pour que Zuko revienne à la dégustation… Pendant ce temps, je fournis au petit fripon sa portion, avalée en plein vol, si rapidement que le vorace se retrouve le nez dans la grande gamelle alors même que Zuko y tire encore sa grande langue au nettoyage appliqué des moindres traces de sucs.

Gros-Mimi en revanche se montre d’un abord nettement plus réservé, voire encore très distant. Il nous est arrivé d’intervenir en entendant les grincements et crachotements peu amènes qu’elle profère contre l’inconscient diablotin. Un matin, nous entendons d’abord un « kaï, kaï » urgent de Copain, tandis que par la vitre de la porte de la cuisine, je vois la petite boule noire se faufiler entre Zuko et la porte, passage très étroit car le berger s’allonge habituellement sur ce seuil, au plus près du contact des maîtres. Intriguée, je m’approche, imaginant dans un premier temps que Zuko s’est défendu contre le harcèlement câlin de son compagnon. Que nenni ! À l’opposé de la terrasse, Gros-Mimi s’est dressée sur la desserte du barbecue, fixant les deux chiens sans la moindre aménité! C’est la première fois que j’observe un regard félin aussi pugnace. Elle vit plutôt placidement, indifférente à tous, sauf à son maître adoré et à Zuko, son frère de lait pratiquement, qui peut tout lui faire, en particulier de longues grosses liches sur le cul, en toute intimité et sans fausse pudeur… À cet instant, nous sommes loin de telles privautés, Gros-Mimi a arrondi son dos, gonflé ses poils déjà impressionnants au naturel, elle fixe méchamment la porte et les deux carpettes velues allongées devant. L’avertissement donné sans frais, oublieuse de sa remarquable corpulence, Mimi bondit sur le sol et entreprend une véritable marche d’assaut vers nos deux compères. Le spectacle est impressionnant : d’une patte à l’autre, le tonnelet tricolore roule à la suite de sa belle tête léonine, la queue redressée, les oreilles pointées en avant, le regard fixé tel un grappin sur la cible… Laquelle geint et contourne son protecteur au fur et à mesure de l’avancée, cherchant manifestement une voie de sortie plus sécurisante. Dans son affolement, il ne pense pas à nous derrière la vitre, mais envisage manifestement de gagner les marches et l’accès au jardin, où GéO a déjà assisté à une jolie course à l’échalote comme celle qui se prépare.
Ce qui nous sidère, c’est la stratégie manifeste des belligérants! Autant Zuko reste serein face à la charge qui se rapproche dangereusement,( il nous semble entendre le tambour rouler tandis que les zébrures du pelage ondulent vers l’objet de la vindicte), autant la « victime » s’affole et gémit, confrontée à deux nécessités urgentes : soit il s’enfonce sous les dalles de la terrasse et se cache sous le carrelage, soit il prend son envol et se propulse dans le jardin, loin des griffes et dents ennemies. Au lieu de ces miracles escomptés, ce sont les maîtres qui jouent aux dieux lares, protecteurs du plus faible et restaurateurs de la Pax Familiae. Il est temps, Copain affolé a uriné sous lui, et Zuko n’en manifeste aucune gêne. Dans l’histoire, il l’a joué neutre.


DSCF1458.JPG


DSCF1736.JPG


Dimanche matin studieux au bureau, j’entreprends de remplir les papiers de suivi de ma commande Wonderkitch’ de la veille. Eh oui, comme je « travaille », il faut bien suivre le mouvement, autant m’en débarrasser le matin pour suivre allègrement une finale Nadal- Federer que j’escomptais plus combative… Installée à mon bureau, je trie et recompte chèques et bulletins de commande, quand le petit bout de museau noir se glisse entre mes jambes, tandis que mon fauteuil s’ébranle sous les efforts du coquin pour se hisser sur mes genoux. J’ai compris ce qui m’a séduit chez Copain, ce comportement complice et sans complexe, à parité avec l’humain, il appartient à l’espèce des communicants. Zuko possède aussi cet art de la conversation, de regards enamourés en liches soufflées à l’oreille, comme Vulcain et Cannelle. La plus exigeante, mais aussi la plus personnelle demeurant sans conteste Eurydice et ses causeries impossibles à interrompre, elle savait exprimer tout ce qu’elle avait sur le cœur sans nous laisser loisir de s’échapper…
Bref, voici mon Copain installé sur mes genoux et mettant son grain de sel dans mes papiers. Doux moment dont il faut profiter bien vite, car au rythme où il dévore ses portions et au vu des photos sur les sites consacrés au dogue du Tibet, ce ne sera pas jouable très longtemps…
Un dernier mot pour souligner comment l’éducation se transmet naturellement par l’imitation : Copain singe parfaitement les attitudes et postures de son aîné, et nous sommes toujours amusés de contempler les deux compagnons, Laurel et Hardy de la maisonnée, alignés dans la même attitude…
Rien ne décourageant notre curieux, par imitation sans doute, car pour l’appel de la nature, il est encore trop tôt, le voilà qui s’approche sans bruit de Gros-Mimi abandonnée sur la terrasse, et se met à lui appliquer le traitement de faveur emprunté à Zuko : profitant de la queue en panache de notre demoiselle, il entreprend ce que nous appellerons donc un nettoyage du fumet… La belle, habituée, se laisse faire, détendue, profitant de l’instant, …Jusqu’au moment où elle tourne la tête pour remercier son bienfaiteur. La réponse est rapide, instinctive : sa patte se détend et le polisson penaud se rétracte, non sans gémir sous l’effet du piquant de la griffe… Qui s’y frotte s’y pique, il n’est pas si aisé de s’installer en vainqueur dans le cœur de Gros-Mimi !


DSCF1735.JPG


DSCF1738.JPG

http://wwwtibetanmastiff.fr/
http://site.voilà.fr/sectiondoguestibet/

http://wwwdokhyi.be

22/04/2008

Solidarité fraternelle

Ce matin-là, je prends quelques minutes pour aider Audrey à répéter la petite pièce de piano que sa grand-mère lui a donnée à apprendre. Comme Mamo s’annonce toujours en début d’après-midi, il ne faut pas traîner pour permettre à Audrey de satisfaire son aïeule. À cinq ans, elle préférerait jouer et les leçons de piano lui pèsent déjà un peu. Nous sommes très concentrées, j’apprends à déchiffrer les partitions en même temps qu’elle. Aurélien, qui n’a pas ses trois ans, va et vient au rez-de-chaussée, et je ne m’alarme pas de son inhabituel silence. Quand il me demande si j’ai encore d’autres gâteaux comme celui-ci, je mets un moment avant de me retourner pour lui répondre. Me penchant par-dessus la rambarde de la mezzanine, je découvre le petit bonhomme, debout dans l’embrasure de l’entrée, un petit carton marron dans une main et un tout petit bout de biscuit dans l’autre, des traces de poudre rose autour de la bouche. Le souricide! Un éclair de compréhension, je suis descendue à la volée et me précipite sur lui :
_ Tu en as mangé beaucoup ?
_ Il n’y en avait qu’un, mais c’est bon.
J’atteste que l’urgence rend lucide et donne des ailes. Jamais de ma vie je n’ai mis si rapidement la main sur la facture , pourtant rangée dans le coffre à papier, et le centre anti-poison répond rapidement. Conseil très concret :
- Partez immédiatement, même si vous n’êtes pas prête, gardez la facture en main et quand vous entrez dans le hall des urgences, criez très fort le nom de la formule chimique.
Ce que j’applique à la lettre, heureusement que nous habitons à cinq minutes à pied de Saint Vincent de Paul.
En entrant dans le hall des Urgences, j’articule donc de toutes mes forces le nom de la fameuse formule, au moins neuf syllabes. L’effet est immédiat : une première infirmière m’arrache l’enfant des bras, une seconde me guide vers les sièges en face de la porte de la salle où Aurélien a été emporté. Elle m’enjoint d’attendre sans bouger et surtout sans essayer d’entrer ou de suivre les soins. « C’est assez pénible, mais indispensable… » Alors, angoissée, je prends Audrey sur mes genoux et lui raconte de petites histoires et des comptines, pour éviter de me poser maintenant les questions stupides que j'aurais dû anticiper. Comment Aurélien a-t-il réussi à ouvrir la grille du cache-radiateur qui empêchait l'accès au piège? Audrey est très sage, patiente, malgré le temps qui s’écoule avec une désespérante lenteur.
Tout à coup, la porte s’ouvre brutalement et une blouse blanche se précipite sur nous deux, m’arrache la fillette des genoux et fait mine de l’emmener.
Je la défends vigoureusement, et proteste :
- Mais arrêtez, qu’est-ce que vous faites ? Elle n’en a pas goûté !
- Vous êtes sûre, me répond-t-on, parce que c’est important.
- Mais oui, je vous assure, elle était avec moi, nous étions au piano…
À ce moment, Audrey est déjà dans la salle, un énorme infirmier me bloque l’accès et la vue sur la scène…
Un médecin, en blouse verte, se déplace jusqu’à la porte, et restant à demi masqué par l’infirmier, il justifie l’urgence de la situation:
- C’est à cause de votre fils. Dès qu’on lui a retiré la sonde gastrique, il a crié : « ma sœur aussi !»


05/04/2008

Wonderkitch's Circus

Dès l’ouverture de la porte sur le hall, Élise est frappée par le bourdonnement sourd qui s’échappe de la pièce au fond à gauche ; il lui semble que les vibrations émises là-bas se diffusent si fort que les vitrines réparties tout autour de cette banale entrée se renvoient mutuellement la portée des ondes. Quelques femmes passent vite, sortant d’un bureau et s’interpellant gaiement avant d’ouvrir brutalement la porte de la salle bruyante. Alors la rumeur qui en émane s’enfle comme une bourrasque avant de s’étouffer quand la porte se referme.
Toute à son observation du lieu, Élise a perdu des yeux Bénédicte, son guide dans l’introduction au temple des ustensiles de cuisine Wonderkitch’. La célèbre multinationale est implantée partout en Europe et c’est une série de hasards qui mène Élise à tenter sa chance. Non qu’elle soit convaincue de sa passion pour ce mode de commerce, mais à force d’entendre vanter les qualités des produits et la dynamique joyeuse du groupe, elle s’est projetée dans la démarche avec curiosité.

Bénédicte revient vers elle, les mains à peine assez grandes pour contenir les liasses de documentations aux couleurs vives qu’elle a dû récolter dans l’un des bureaux donnant sur le hall. D’un geste du menton, elle indique à sa protégée la direction de la salle de réunion et parvient du pied et du genou à entrouvrir la fameuse porte. Aussitôt une résurgence de la sono assaille leurs oreilles tandis qu’elles pénètrent toutes deux dans une vaste pièce à l’atmosphère déjà saturée. Tout le mur droit est occupé, d’abord d’un fac- similé de cuisine, réfrigérateur, mobilier au complet, évier, four et micro-ondes, un bar surchargé d’ustensiles colorés fermant le coin cuisine. Dans le prolongement de ce décor, une estrade à degrés, haute de soixante centimètres, court jusqu’au mur d’angle. Sur la cloison que longe l’estrade, de vastes étagères sont recouvertes de parures diverses, exposées comme des objets de musées, une étiquette posées à l’avant annonçant des indications dépourvues de sens pour la nouvelle venue. Peu importe, à la suite de son mentor, elle se faufile dans les rangées de chaises alignées face à ce podium jusqu’à ce que Bénédicte trouve les places qui semblent leur être réservées.
- C’est pour nous ici, vous pouvez vous asseoir, je reviens de suite…
D’un mouvement un peu maladroit, elle lâche une partie des papiers sur une des chaises, les documents coulent aussitôt jusqu’au sol, mais la jeune femme ne paraît pas s’en apercevoir. Elle repart manifestement à la chasse, rejoint d’autres femmes déjà assises trois rangs devant et entame une conversation animée, jusqu’à ce qu’une femme armée d’un micro enjoigne à chacune de regagner sa place afin d’ouvrir la séance.
Bousculant quelques chaises dans sa précipitation, Bénédicte lui souffle en s’asseyant :
- C’est elle, Rosy Di Marco, notre concessionnaire…

Pendant que la personne munie du micro se positionne au milieu du podium, entourée de part et d’autre de six co-équipières souriantes, Élise observe la mise en scène. Instinctivement, elle se dit qu’elle va assister à un spectacle, un show, comme elle l’a entendu dire. Les six adjointes sont très différentes les unes des autres, mais elles portent toutes le même tee-shirt vermillon à pois noirs et une petite broche en plastique en forme de coccinelle orne leur buste. La « vedette » du show, quant à elle, est élégamment vêtue d’un tailleur noir, dont la veste arbore au revers des froufrous de mousseline multicolore. Manifestement très à l’aise, elle s’impose sans effort apparent à son public exclusivement féminin, tandis qu’en fonction de son flux de paroles, la musique croit et décroît magiquement. Le spectacle est bien rodé.
- Bien, mesdames, comme tous les lundis, nous allons commencer par le palmarès des conseillères… Quelles sont celles d’entre-vous qui ont assuré plus d’un rendez-vous cette semaine ?
Au brouhaha qui l’entoure, Élise constate que toutes les femmes de l'assistance se sont levées. Bénédicte également, son visage doux éclairé d’un curieux sourire.
- Quelles sont celles qui ont assuré deux ateliers…Trois ?…Quatre ?…
À chaque interrogation, un certain nombre d’entre elles se rassoient, celles qui restent debout se rengorgent manifestement, tête redressée, buste propulsé, dandinement des hanches sur flot de musique accentuée. Les dernières debout, à huit ateliers, lèvent les bras, marquent le V de la victoire et sautillent sur place. Élise est confondue car elle n’aurait pas imaginé, au vu des silhouettes mûres et souvent rondelettes, de telles manifestations enthousiastes et puériles… Version féminine des supporters d’un match de foot.
Les gagnantes quittent les rangées de chaises pour grimper sur l’estrade où les « coccinelles « de Rosy miment la danse de la victoire pour fêter les records… Les commerciales s’alignent sagement tandis que toujours armée de son micro, la belle Rosy commente les cadeaux de la semaine remis à chacune d’entre elles.
Le même processus se reproduit tout au long des interminables minutes qui suivent :
- Quelles sont celles qui ont réalisé leurs objectifs, …Qui ont dépassé ?… Qui ont programmé ?… Qui ont pris des contacts ?… Les items se succèdent, à chaque fois, levée des concernées, mouvement pour se rasseoir comme un abandon de match par forfait, danse des gagnantes, rang d’oignons pour recevoir les trophées, musique disco, flonflons de victoire, annonce des prochains records.

Fatiguée de ce bruit, de ces énumérations qui ne la concerne pas, Élise est intriguée par cette ambiance de remise de prix, ébahie par ces manifestations enfantines de joie, elle se sent pourtant envahie par un sentiment de doute: quelle comédie est-on en train de lui jouer là ? Le spectacle paraît si bien rodé, le discours sans faute de Rosy, impeccable dans son rôle d’animatrice, la voix posée sans crier, la meneuse de revue évolue sur le podium aussi à l’aise qu’une présentatrice météo à la télévision. Le public se montre plus qu’attentif, il est demandeur. Élise a observé ces femmes, la plupart sont manifestement mères de famille, d’ailleurs des bébés en poussette jouxtent les rangées de sièges, des bambins jouent dans les travées sans déranger le public agité. Garderie spontanée, les enfants se forment naturellement aux méthodes de travail Wonderkitch’, « nos commerciales sont des femmes qui vivent pleinement leur vie de femme et de mère », confiera plus tard Rosy à la future candidate, dubitative.
Propulsée par un mouvement de foule qu’elle ne maîtrise pas, Élise se retrouve dans une seconde salle, plus petite que la précédente, où sont disposés de vastes tables et des sièges. Invitée à s’y installer, Élise se voit offrir une boisson et une part d’un délicieux gâteau au chocolat, « succulent parce que réalisé dans les exclusivités Wonderkitch’bien entendu… »
Rosy Di Marco, tout sourire, le visage à peine marqué par la fatigue des deux heures de scène qu’elle vient d’assurer s’ adresse aux cinq ou six impétrantes de la semaine, narrant d’un ton amusé le curriculum de sa propre carrière, afin de montrer à quel point il est simple et agréable de réussir sa vie, grâce à Wonderkitch’ bien évidemment. Plantant son lumineux regard bleu dans les yeux des différentes candidates, elle les persuade suavement de rejoindre » le groupe leader au monde de la magie culinaire », joint le geste à la parole en offrant à chacune un petit cadeau personnel, « une magnifique boîte hermétique, idéale pour conserver tout son arôme à votre café ! ». Un peu étourdies mais déjà conquises, les candidates acceptent de « prendre en confié » les cadeaux à offrir à leurs futures hôtesses, afin de les décider à réaliser une vente chez elle…
"Wondertkitch est magique, c'est un monde unique qui transforme votre vie en un seul clic!"
Poussant la lourde porte de sortie, Élise reçoit la gifle salutaire du Mistral glacial qui l'accueille dans le monde réel… Elle réalise qu'elle vient de poser un petit doigt dans l'engrenage du système, mais se dit que ce n'est pas si grave. Elle n'y a pas abandonné son âme, quand même. Pas encore…


13/03/2008

À cause d'un rêve

D’un geste sec, elle resserre la ceinture nouée de son imperméable, et reprend sa marche nerveuse dans le hall du terminal de Roissy.
Bien malgré elle, son regard cherche la pendule qui égrène les minutes avec une lenteur exaspérante. Devant la porte 32, elle attend l’heure d’embarquer comme un naufragé regarde flotter vers lui le radeau qui lui permettra de survivre…Plus qu’une grosse demi-heure avant de franchir cette porte de verre et ce sera définitif, irréversible… Enfin, elle veut le croire, et ne pense à rien d’autre.

Surtout pas aux jumelles qui ont DST de maths ce matin. Surtout pas à Loïc pour lequel elle n’a pas annulé le rendez-vous chez le dentiste pour demain. Elle ne sera pas là pour l’accompagner, mais…Ils se débrouilleront, ne pas y penser, ne pas envisager à leur place les solutions qu’ils auront à trouver. Ne plus laisser advenir ces pensées parasites qui ont gâché son rêve et sa vie. Sortir de son somnambulisme maternel, de cette vie formatée qui n’était pas destinée à être la sienne. Ne pas penser non plus à la réaction de Gautier quand il trouvera sa lettre, scotchée au miroir de leur salle de bain, derrière son verre à dents, pour qu’il soit bien le premier et le seul à lire son billet d’adieu. Elle n’a trouvé que cette idée pour éviter que les enfants découvrent avant leur père qu’elle les quitte…

Plus que vingt minutes… Ce n’est plus le moment de revenir sur le bilan, de peser encore tout ce qu’elle a fait pour eux, depuis tant d’années… Vingt ou quinze ans, ça dépend du point de départ qu’on se donne… Les années vécues avec ce qu’elle croyait être Son Bonheur, la rencontre de Gautier, leurs années amoureuses et insouciantes, l’annonce de la naissance des jumelles, Isabelle et Annabelle, l’épuisement des nuits écourtées par l’asthme d’Annabelle, les mercredis de courses entre kiné et cours de danse pour les petites fées de la maison, et, six ans plus tard, cette nouvelle grossesse involontaire qui a abouti à l’arrivée de Loïc, quand il a fallu recommencer à pouponner. Sur le moment, et pour être franche, jusqu’à ces trois derniers mois, jamais elle n’a trouvé que c’était trop… Fatigant, mais « je les aime tellement, ça me donne des ailes… ». Angoissant parfois, quand Annabelle cherchait sa respiration, des heures durant, elle la veillait, essuyant son front et chantonnant doucement à son oreille, pour la rassurer, lui montrer qu’elle accompagnait sa détresse respiratoire, jusqu’au moment où le médicament dégageait enfin les bronches congestionnées. Alors, son expression favorite quand on flattait sa constance au chevet de sa fille : « devant la maladie, il n’y a rien d’impossible, je me battrai jusqu’au bout pour la tirer de là ». Elle se sentait alors héroïque, et sincère…

Mais voilà, cette vie merveilleuse et accomplie, c’est comme une parenthèse dans son destin. Elle en a pris conscience brusquement, il y a trois mois, quand le Hasard lui a joué un de ces curieux tours qu’on ne comprend que lorsqu’il vous arrive à vous. Ce soir de novembre dernier donc, elle allait quitter la banque, quand elle a croisé le regard d’un client qui sortait du bureau de sa collègue Paula. Une brusque plongée en arrière, ce regard unique a fauché vingt ans de sa vie.
- Julien ?
- Ça alors, Fanny, que fais-tu là ?
- Tu vois, je sors de mon bureau…
- Tu travailles dans une banque, à présent ?

Pas moyen de se quitter si bêtement après ces retrouvailles improbables… Deux coups de fil pour différer son retour à la maison, l’un aux filles pour qu’elles s’occupent de Loïc, l’autre à Gautier pour lui expliquer qu’elle ne pouvait pas rentrer tout de suite, « je t’expliquerai en rentrant, tu verras, c’est une histoire inouïe… » Gautier s’était montré compréhensif, normal, dans un couple harmonieux, on se fait confiance, « je dînerai avec les enfants, amuse-toi bien. »
En fait, ce dîner n’avait pas été amusant. Beaucoup trop d’émotions et de nouvelles à digérer, à échanger, à rattraper.

Depuis leurs treize ans, Julien et Fanny, c’était l’histoire du groupe. Les inséparables, jusqu’à l’année du bac. Oh pas du tout un de ces épisodes d’amours adolescentes où on se la joue « pour toujours », embrassades mièvres et sexualité gauche… Julien et Fanny, c’était au-dessus de ces niaiseries, eux ils étaient frère et sœur, liés par la compréhension fusionnelle de leur vie et une pré science de leur destinée exceptionnelle, unique.… Ils pouvaient passer des soirées à l’écart du groupe, à programmer leur départ pour la Mongolie ou la remontée aux sources du Nil, comme Rimbaud, en moins maudits et plus utiles à la société, qui ne pourrait que les aduler et honorer leur courage… Et puis trois semaines avant le bac, le père de Julien était mort brutalement d’un infarctus, Julien avait passé les épreuves dans un brouillard mental qui l’isolait du reste du monde, et Fanny avait perdu sa place dans l’équipage. Julien était parti chez son frère à Grenoble pour l’été, il y était resté, avait fini par écrire de moins en moins, ne plus téléphoner du tout, et pour finir, Fanny s’était aperçu qu’entre-temps, elle avait platement obtenu son BTS de gestion, trouvé son poste à la banque, rencontré un Benoît qui avait duré deux ans, et Gautier s’était présenté, beau, brillant, battant, prêt pour l’enlever dans une spirale d’Amour …

Chavirée d’émotion, Fanny avale son troisième cocktails maison, dévorant des yeux Julien. Lui raconte bien ce qui lui est advenu : à Grenoble, il tournait en rond en suivant son cursus d’informaticien. Il ne voyait pas où ça le menait, et puis « je m’en fichais en peu, j’avais l’impression que ça ne m’apportait vraiment rien et je n’arrivais pas à m’imaginer en train de travailler. Ça mettait Éric en pétard, tu te souviens de mon frère ? Alors on s’engueulait régulièrement, même sa femme en avait marre… Un beau jour, je tombe sur un type qui partait en stage dans une ferme en Argentine. Je ne sais pas pourquoi, je l’ai suivi, comme ça sans réfléchir, j’avais un peu d’argent que maman m’avait donné sur l’assurance vie de Papa, j’ai cassé mon compte et j’ai pris mon billet d’avion… Les choses se sont enchaînées facilement : la ferme se situe à six cents kilomètres de Buenos- Aires, quand ils m’ont vu arriver, ma tête leur a plu, je ne sais pas, ils m’ont accepté, j’ai bossé là-bas, dur quand même, tu sais, fourche en main, j’ai appris à monter à cheval, au début, dur dur, jusqu’à huit heures en selle, j’étais fourbu, mort et brûlé dans l’entrejambe, je t’épargne les détails, mais c’était physique ! Tu te souviens, mon espagnol n’était pas des plus brillant, mais ça s’est vite arrangé… Et puis « le français » comme il m’appelle, s’est montré débrouillard, j’ai copiné avec un des fils du patron, ils m’ont envoyé en mission avec lui, parce que mon anglais était meilleur que le sien pour surveiller l’embarquement des containers de viande et voilà ce que je suis devenu, marchand de bidoche, j’en envoie partout, surtout en Europe, en Angleterre, notre plus gros client. Mais l’histoire de la vache folle passée, on recommence à traiter avec la France… C’est pour ça que j’étais à la banque, tout à l’heure…"

La soirée s’était déroulée comme un rêve, dans ce mélange touffu de récits entremêlés. Fanny serait bien incapable de décrire leur menu au restaurant, mais une remarque de Julien l’a brûlée au fer rouge et cette petite phrase, même pas méchante, n’a cessé de la tarauder jusqu’à ce qu’elle prenne sa décision… Comme il lui avait demandé d’un ton gourmand, : « alors, raconte-moi ce qui te rend le plus heureuse dans ta vie », elle avait commencé sa réponse en parlant des trois enfants, cherchant à formuler en conclusion une image concise et simple de cette harmonie familiale qu’elle tenait à bout de bras. Et Julien l’avait doucement interrompu avant qu’elle puisse achever son exposé d’une remarque prononcée si doucement, soulignée par son ineffable regard suave:
- Mais Fanny, je te demande de parler de Ton Bonheur, et tu me rends compte des notes de tes gosses au collège…
Sur le moment, Fanny avait rétorqué en riant :
- Si ça t’étonne, c’est que tu n’as pas d’enfant, autrement, tu saurais à quel point leur avenir prend la tête…


La soirée passée, impossible d’oublier ce qu’elle avait ressenti. Pas de désir amoureux pour Julien, qui s’était d’ailleurs bien empâté, n’était son regard noisette si doux, chaud, lumineux. Elle n’avait éprouvé aucune ambiguïté à raconter à Gautier la teneur de cette rencontre, et celui-ci avait proposé d’inviter Julien le samedi suivant. Malheureusement, le voyageur était prisonnier des rendez-vous fixés bien à l’avance et avait promis de les contacter quand il organiserait sa prochaine tournée européenne, dans six mois ou l’année prochaine au plus tard. La vie avait repris son cours habituel, apparemment.
C’est alors que ça avait commencé. Toutes les nuits, elle devait s’affronter à des rêves difficiles à décrypter, angoissants et délétères : elle était dans une grotte profonde et cherchait à sortir pour retrouver la lumière et le soleil, mais plus elle avançait, plus l’orifice de la grotte s’éloignait, ou rétrécissait au bout d’un tunnel interminable. Ou bien une rangée drue de stalagmites faisait écran entre elle et le soleil, et malgré ses efforts, elle ne parvenait pas à écarter les soldats de glace qui la tenaient prisonnière en deçà des rayons du soleil… Nuit après nuit, les mêmes scènes se reproduisaient sans qu’elle parvienne à surmonter l’épreuve et Fanny s’épuisait dans ces combats nocturnes. Au point de redouter le moment de se coucher, comme une enfant.
Jusqu’au jour où la Vérité avait éclaté, dans sa vie éveillée. Elle avait honte de ce qu’elle avait montré à Julien, de sa vie normalisée et banale, routinière, à l’opposé de tous leurs rêves, alors que lui, son alter ego, vivait une vie plus aventureuse, plus conforme aux lambeaux de leur rêve. Elle avait l’impression de l’avoir trahi, de s’être trahie elle-même. Elle avait beau se raisonner, se répéter que sa vie à elle était riche de tendresses et qu’elle était un pilier solide, que Gautier ne l’avait pas déçue, qu’il assumait son rôle de père avec humour et fermeté quand il le fallait, certes, ce n’était plus l’amant des premiers temps, mais la faute à qui ? Quand ils seraient seuls à nouveau, dans quelques années…
Mais comment penser à cette perspective : dans quelques années ? « C’est ta vie à toi qui fout le camp, tu as quarante-deux ans, et tu n’as rien fait pour TOI, depuis plus de vingt ans, tu réalises ? Tu as bien vu les yeux de Julien, il était déçu de toi…" Et la petite phrase tourne dans sa tête, tourne et tourne…

Vancouver… Dans Vancouver, il y a vent, et la mer.
C’est loin d’ici, et loin de l’Argentine.
Elle ne sait pas trop ce qu’elle va y faire, mais elle a cliqué sur le bouton et acheté son billet. Pour Vancouver, Canada. Après on verra. Julien l’a bien fait. On verra.
L’avion part en fin de matinée, c’est parfait, les enfants seront en cours, Gautier en pleine réunion, personne ne s’inquiétera d’elle, au bureau, elle a prévenu que Loïc avait une crise d’appendicite, « on l’opère dans la journée, je prends trois jours »… Après on verra, d’ailleurs y aura t il un après ?

L’appel grésille dans l’interphone pour la troisième fois. L’hôtesse derrière son guichet la regarde intensément… Elle est à trois pas de la porte, les autres passagers se sont présentés dans le hall et sont passés en file indienne derrière la porte d’embarquement, on ne distingue plus que le dos large d’un quinquagénaire presque obèse qui s’est engagé dans le tunnel d’accès à l’appareil. L’hôtesse tend le bras vers elle, sourire commercial affiché, « elle doit croire que j’ai peur »… Ne pas regarder la photo de famille cachée dans son portefeuille. Il sera temps de la sortir, de pleurer ou de la déchirer quand elle sera bouclée sur son fauteuil . Ses pieds pèsent des tonnes, elle est en sueur, mais elle s’arrache à elle-même, un pas, puis deux et elle franchit enfin la porte de verre, présente son billet … C’est trop tard pour les regrets.

07/03/2008

Poli…tic ou poli…toc ?

Voilà, c’est reparti pour un ou deux tours, médias, boîtes à lettres, on nous rebat les oreilles de belles paroles.
J’imagine que la plupart d’entre vous réagissent comme nous : saturés de belles promesses auxquelles nous n’arrivons même plus à faire adhérer la plus petite parcelle de la confiance qui pourrait encore subsister au-dedans de notre cœur…

Et pourtant, il va bien falloir s’y coller, ne serait-ce que pour éviter l’auto-accusation de lâcheté et d’irresponsabilité face au « devoir du citoyen ». Tout en sachant que chacun de nos votes n’est qu’une goutte d’eau noyée dans l’océan des bonnes intentions et des promesses jamais tenues. Juste une goutte d’eau, tiens tiens, comme ce blog, profitons-en…

Aussi, ce matin, nous nous sommes bravement attelé à la tâche.
GéO a repris dans le courrier de la semaine les jolies maquettes des candidats, que nous avions parcourus plus ou moins consciencieusement à leur arrivée, et nous avons cherché quelques repères sur lesquels accrocher les maillons de la décision à prendre…


Il semble logique de commencer par le programme…La question est assez comique pour que je garde ce paragraphe pour la bonne bouche.

Pour Saint Max et ses quelques 12 500 habitants, nous comptons cinq listes de candidatures. Sur chacune, trente-trois noms, dont systématiquement 16 femmes, parité respectée à l’unité près. Petit détail amusant, l’élaboration des 5 listes a été conçue en alternant systématiquement un homme/une femme, de manière à mettre cette parité en évidence. C’est tellement régulier et systématique, 17 hommes, 16 femmes, qu’un petit quelque chose cloche… L’esprit de parité pourrait accepter par exemple 15/18, ou bien une femme justement en tête de liste, ce serait naturel en fonction des opinions ou des compétences, mais non, nous avons bien 5 listes semblables, menées par un représentant masculin et 16 colistières réparties du n°2 au n°32. Marrant, mais guère déterminant…

Armons- nous maintenant de feutres fluos et cherchons un peu plus avant : L’un des candidats écrit en conclusion de son exposé de programme : « Conscient de l’ampleur de la tâche, si vous me faites confiance, je suspendrai mon activité professionnelle pour six ans, afin de me consacrer exclusivement à la mise en œuvre de ce projet. » GéO tilte sur ce paragraphe. Lui qui a été PDG des deux sociétés qu’il a successivement créées, il a adhéré à la CGPME, et il lui en reste l’idée qu’il est difficile et hasardeux de briguer un mandat public en restant pleinement disponible pour mener à bien son rôle dans l’entreprise. Souvent, en regard des « sacrifices « consentis par les élus de tous bords qui justifient leurs mirobolants émoluments par le risque professionnel de leur mise en disponibilité, alors même que bien souvent leur statut de fonctionnaire permet de retomber sur ses pieds sans risque majeur… Ce serait le cas de notre candidat, qui se définit comme enseignant.

Nous nous amusons donc à relever les professions des différents postulants et là, nous restons toujours aussi perplexes : aucune profession mentionnée sur la liste « officielle PS », ni âge, ni adresse. En revanche, la liste sortante est très complète, nous y comptons justement une majorité de cadres EDF, retraités, fonctionnaires, deux agriculteurs, c’est bien le moins dans cette région et surtout, surtout, le patronyme du « patron local », celui qui a détenu le poste pendant tant de mandats que personne n’a plus souvenirs d’avant lui. À ce moment, je l’avoue, je bloque. Je ne comprends pas que notre système autorise des personnes, voire des familles à détenir les clés d’une cité ou d’une région pendant plus de deux mandats consécutifs. Quand arriverons-nous enfin à bannir cette pratique ? Ces maires élus et réélus sur quatre, cinq mandats, voire davantage, finissent par régner et le système de collusion s’installe naturellement puisque l’objectif devient alors : durer et garantir la pérennité.… Devinez où va mon regard…
Encore une remarque intéressante sur les objectifs nationaux énoncés par les Grands Partis : quelle débandade ! Même dans une grosse bourgade comme Saint Max, le PS présente deux listes différentes, l’une se revendique « PS officielle », mais s’est constituée sur un panachage PS (10)/ Modem/ sans étiquettes, l’autre s’annonce « de gauche, écologique et solidaire, » formée de 12 membres PS auxquels se sont joints un vert, une gauche alternative, un PCF, complétée de candidats sans étiquettes. Et au fait, qu’est-ce qui compte dans la menée d’une municipalité, l’étiquette (du prix à payer au Gourou) ou le projet pour gérer la cité ?

Nous en arrivons donc au programme, qui devrait être l’essentiel, et que nous avons cherché en vain dans tous les prospectus distribués. Une jolie parade de langue de bois, style » nous allons engager une politique dynamique visant à attirer des entreprises génératrices d’emplois, sans sacrifier l’espace rural… » Pas un mot pour expliquer comment résoudre le paradoxe… Rassurez-vous, je me garde de tous les citer, sur ce point, nous en sommes à jouer Bonnet-Blanc contre Blanc-Bonnet, tous s’engagent à réduire les impôts, à mettre en valeur le patrimoine culturel de notre belle cité, à nous promettre des parkings, ( privés donc payants), des logements, un cinéma… La Belle Vie en somme…
Faut-il croire que tout ce qui brille est d’Or ? Poli…tique ou poli…toc ?

08/02/2008

Chandeleur

C’est un dimanche d’arrache –cœur, sombre et triste, vide comme une journée sans âme, comme tous les dimanches depuis le départ d’Hervé.

Sabine range la vaisselle du déjeuner, remaniant en tous sens le moyen d’enjoliver la journée. Emmener Léa et Adrien au Parc de Sceaux, pour s’aérer et ne pas passer la journée entre télé et ordinateur, voir du monde, empêcher les enfants de lui poser encore et encore les éternelles questions sur un retour éventuel de Papa. Ce retour, elle n’y croit plus déjà, elle n’est même pas certaine d’en avoir envie, d’être capable d’accueillir ce mari prodigue et père déserteur…
Les mains sous le jet d’eau chaude, son regard plane par la fenêtre de la cuisine vers les frondaisons du parc, qui se devinent deux pâtés de maison au-delà du boulevard. Sous le gris de lourds nuages qui s’accumulent lentement, quelques ramures dénudées semblent vouloir griffer l’implacable ciel pluvieux de tous ces dimanches d’hiver. Sabine sent monter du fond d’elle-même la même rébellion contre la pluie, les pleurs, la lourdeur de cette solitude injuste sous laquelle elle ne veut plus ployer.
- Et si je leur préparais des crêpes ?
Ce n’est rien qu’un banal geste maternel, vite et bien malaxé dans le saladier, mais cette petite décision de rien du tout allège son coeur et enlève un poids considérable au fond de sa poitrine…
Sur le chemin du retour de promenade, Adrien est ravi de l’entendre chantonner et lui en fait la remarque.
- Ça fait longtemps que tu ne chantes plus, maman…

9af0fad48bd0a33826646d3178d40ef1.jpg


Sur le gaz, Sabine a installé d’abord une casserole d’eau surmontée d’une assiette pour conserver les premières crêpes au chaud, puis elle huile la crêpière avant de la disposer sous les feux. Du haut de ses sept ans, Adrien ne la quitte pas d’une semelle, tellement content de participer aux opérations, il babille de tout et de rien, de sa petite voix encore aiguë. C’est lui qui pense aux bougies, relatant la tradition des chandelles, telle qu’elle a été racontée en classe. À l’acquiescement de sa mère, il se charge de ramener dans la cuisine toutes les chandelles, qu’il peut trouver dans l’appartement. Ce déménagement s’opère dans une discrétion telle que Léa sort de sa chambre, attirée par le chamboulement.

En très peu de temps, la cuisine est transformée en salle de fête. Les enfants installent leur lot de bougies partout, sur la table, le buffet, le rebord de la fenêtre, le haut du réfrigérateur. Léa profite de ses deux années et quelques centimètres d’avance pour essayer de prendre la direction des opérations, surtout pour allumer les chandelles à l’aide des grandes allumettes retrouvées on ne sait par quel hasard.
- Waouh ! c’est vachement beau, on se croirait à Noël !!!
Sabine se sent fondre, Noël a été tellement horrible à supporter, premier Noël de femme abandonnée, chagrin mêlé d’angoisse, incertitude absolue et obligation de faire semblant d’être bien… Pour les enfants, pour sa mère, qui les avait invités d’office, les inondant de bonnes paroles maladroites.
- Ah non, c’est mieux que Noël, tu vas voir, on va dîner ici, dans la cuisine…
Derechef, Léa installe un Cd dans l’appareil de la cuisine et monte le son au maximum afin d’accompagner les mélodies de leur chœur.
Par jeux, profitant de cette joie toute fraîche qu’elle retrouve, Sabine abandonne la spatule avec laquelle elle retourne habituellement ses crêpes et donne une petite impulsion sèche au manche de la crêpière… Des yeux, elle suit la galette fine qui se décolle de la poêle et s’envole vers le plafond, monte à l’assaut des meubles comme une feuille d’arbre entreprend sa chute, se contorsionne en spirale pour amorcer la descente rapide vers la surface plane de l’ustensile. Les enfants, surpris et ravis, hurlent ensemble
- Oh dis m’man, j’peux l’faire aussi ?
- D’accord, mais chacun son tour…
Intérieurement, Sabine calcule :Heureusement qu’il y en a déjà une bonne dizaine, si on en gâche trois ou quatre, ça n’ira pas loin.…
- Moi d’abord, moi d’abord !
Léa se voit attribuer le premier essai. Alors qu’elle s’apprête à imiter le petit geste sec que Sabine lui montre, Adrien s’écrie :
- Stop, arrêtez tout ! Ça va pas, y faut une pièce en or pour faire ça.
À sa mère et à sa soeur, il explique aussi, tout fier de sa science de la semaine, que la légende veut que le crêpier tienne serrée au creux de sa main une pièce d’or pendant l’opération de retournement en vol.
- Comme ça, si on réussit, on sera riche dans l’année… Tu te rends compte, Maman, si on devient riche avec plein de pièces d’or, Papa sera tellement surpris et content, il reviendra c’est sûr !

2309f268456b4ebe1a7e3eaaeec71b75.jpg

08/01/2008

Grands Moments (1)

Minuit deux heures du matin, c’est mon quart.
Partis à deux couples sur le bateau de Géo, nous ne sommes en fait que trois barreurs, Marie refusant obstinément de participer à toute manœuvre pour se mouvoir sur cette mer qu’elle redoute. Elle a décidé de rester auprès d’Alain pendant son quart, mais elle ne pilotera pas.

De ce fait, il est difficile de partager la nuit en deux quarts, nous avons donc opté pour trois équipes, ce qui nous conduit à rester seul à la barre pendant deux heures. Comme GéO et moi dormons dans la cabine arrière, près du poste de pilotage, celui qui se repose sera toujours à portée de voix pour seconder le barreur en cas de besoin. Nous connaissons très bien le bateau, ayant consacré la majeure partie de nos sorties hivernales aux divers repérages des performances du Leyla, le dix mètres dont GéO est capitaine depuis sa retraite.

Deux ans plus tôt, nous avons effectué une traversée similaire, mais en voilier, sous l’égide d’un skippeur avéré. Poussés par un vent mou, notre traversée avait alors duré près de 20 heures et nous avions gardé un souvenir enchanté de la navigation nocturne, sous une bonne lune claire, à bord d’un catamaran équipé de GPS et radar, le confort dans l’aventure, la sécurité d’être entourés de marins expérimentés…

Cette fois-ci, c’est Notre Aventure !

Me voici donc au poste de pilotage. La capote est restée relevée, tellement la nuit de ce mois de Juin est douce. Alain et Marie m’ont accompagnée un petit quart d’heure, le temps de commenter le charme de cette nuit étoilée, mais sans lune. Contrairement au premier voyage, où la clarté lunaire éclairait l’onde toute proche, cette fois, la présence contiguë de l’eau se devine plus qu’elle ne se voit et le gonflement des vagues se perçoit comme la respiration d’un énorme animal qui enfle et décroît au rythme de son souffle. Nous bénéficions d’une mer calme, animée d’une houle souple et régulière. Le sillage du Leyla, éclairé par le feu arrière, tranche par sa crête mousseuse sur l’environnement sombre. Alain m’indique encore une étoile au-dessus de nous, dont la verticale par rapport à un point fixe du pare-brise me servira de repère pour un moment, avant de refaire le point, car, autre bonne surprise, le compas du poste de pilotage n’est pas éclairé !

Comment décrire ce sentiment exaltant, cette immense sérénité mêlée d’une jouissance aiguë à respirer l’atmosphère nocturne à peine humide, à ressentir la montée du bateau suivi d’une glissade souple, voûte céleste et immensité marine presque confondues en un seul élément. Excepté les lueurs des étoiles, très hautes dans un ciel dégagé, rien d’autre que cette obscurité que peu à peu mes yeux apprivoisent, au point d’être presque gênés par les cadrans lumineux du tableau, température d’eau, d’huile, pression, batterie, tous indicateurs dans les zones rassurantes. Le Leyla, bien révisé, entretenu par les soins attentifs de GéO tourne comme une horloge, et même le ronronnement incessant des moteurs n’est pas perçu comme une gêne, mais comme un élément de sécurité.

Avant mon quart, j’ai pris un peu de repos. Impossible de dormir profondément avec le grondement permanent des deux Mercruisers diesel de 186 chevaux, à quelques centimètres sous notre lit. Mais alors que le ronflement d’un seul dormeur déclenche un énervement insupportable et une insomnie garantie, la régularité bruyante de ces deux-là procure un effet relaxant sur mon système nerveux : jusque-là, tout va bien, jusque-là, ça va…

En l’occurrence, au poste de pilotage, le bruit décroît à l’air libre. Il paraît infiniment moins envahissant, mais de même que mes yeux enregistrent à intervalle régulier la position des aiguilles sur les différents cadrans, mes oreilles intègrent le martèlement des cylindres dans le contrôle du « tout va bien ».

À la longue tout de même, la difficulté vient de ce compas obscur. J’ai bien trouvé la lampe de poche à laquelle Alain a eu recours pendant le quart précédent, mais je n’ai pas de co-pilote pour m’assister. Bien vite, je me rends compte que la technique présente une faille de sécurité sérieuse, comme on dit maintenant sur Secuser.com : tenir la lampe de la main gauche, la barre de la main droite et river ses yeux sur le compas pour vérifier le cap, passe encore toutes les cinq à six minutes, mais entre-temps, je n’ai que la fameuse étoile à l’aplomb du troisième rivet… Bon, au début, c’est amusant… Et puis s’insinue le rappel que le ciel n’offre pas de repères immuables sur la durée de la nuit et ma monture, avec sa vitesse moyenne de dix nœuds, modifie inexorablement notre position … GéO, en capitaine averti, a interrompu son temps de sommeil, et vient s’enquérir du déroulement de notre route… J’expose mon problème compas- lampe de poche, dont les batteries déclinent d’ailleurs assez vite, et mon vaillant chef prouve une fois de plus qu’il détient toujours une solution. Ayant disparu quelques minutes dans le carré, il remonte victorieux pour installer sur ma tête une lampe de mineur ! Le lumignon maintenu par un bandeau, il me suffit d’incliner le front vers le compas, et de lever le plus haut possible mes globes oculaires pour lire presque dans mes pensées le cap suivi. Formidable !

DSCF1175.jpg

57f029dcb3541576b1500a0f5296f6e1.jpg



Ayant retrouvé ma solitude sereine à la barre, je m’installe dans une semie-vigilance. Pour rester éveillée, j’essaie de me remémorer les fabuleuses descriptions marines qui ont enchanté mon adolescence. Jules Verne bien sûr, mais aussi et surtout les Travailleurs de la Mer. Le souvenir de ma première joute littéraire, à l’internat du lycée François Couperin, où j’étais la seule à m’immerger dans le lyrisme Hugolien ! Je m’étais établie une réputation d'originale, en défendant mon éventail de lectures, de l’écume des jours à l’Odyssée, avec le même plaisir…

Rouge, vert, rouge, vert, les signaux traversent ma rêverie.
Les lumières qui scintillent là-bas inscrivent une limite à l’écran noir qui clôt mon horizon. Elles sont minuscules encore, j’enregistre l’information calmement, nous ne sommes plus seuls sur la mer, et cette constatation me ramène un temps aux dauphins qui ont accompagné notre départ des Cannebiers tout à l’heure, enfin hier soir…Ils ont rejoint notre embarcation dans le jour déclinant, et ont sauté à trois ou quatre reprises devant nous, s’éloignant un peu plus à chaque remontée. Leur apparition est toujours inattendue et trop brève pour fixer leur ballet sur la vidéo, le temps d’un aller-retour au carré, ils avaient définitivement disparu. Mais c’était une grande première pour Marie et Alain qui n’avaient encore jamais eu l’occasion de les rencontrer, bien qu’ils ne soient pas très rares en Méditerranée. Charmée par leur petit show, Marie avait oublié un moment son appréhension réelle pour notre nuit de navigation…
Rouge, vert, rouge, vert, mon attention se raccroche aux clignotants de notre compagnon des mers, quelque part en face de nous. Depuis plus d’une demi-heure maintenant, le rouge de son bâbord et le vert de son tribord se relaient. Les lumières paraissent bien loin encore, mais au fur et à mesure que le temps passe, je me sens troublée par l’invariance de l’alternance. Si je percevais une seule couleur, j’aurais la certitude qu’un seul côté du bateau s’exposant à mon regard, sa route serait traversante. Je présume qu’il me perçoit de la même façon, si…Il n’est pas en pilotage automatique, marin assoupi…
Rouge, vert, rouge, vert… Nous présentant toujours selon le même angle ou presque depuis près d’une heure, la conclusion s’impose : nous suivons la même route, en sens inverse…
Rouge, vert, rouge, vert, les couleurs se succèdent toujours, les lumières grossissent insensiblement.
Il devient urgent que je prenne une décision. GéO se repose encore, je ne l’ai pas averti de mon dilemme, tant qu’il n’y a pas le feu, je ne veux pas déranger son repos. Consciente que la fatigue est handicapante pour tous, il me faut préserver sa part de sommeil. Néanmoins, comment savoir quelle est la bonne solution ? Changer de cap, certes, mais il faudra calculer le détour effectué, corriger correctement notre route… J’ai bien une petite idée de ces calculs sur une carte, mais en équipe, de jour et sans urgence…Dans le cas présent, sans assistance, mes qualités marines sont encore un peu justes, j’en ai parfaitement conscience, donc pas d’autre choix que de réveiller mon capitaine chéri.
Attrapant ma chaussure d’une main, je me penche au-dessus du poste de pilotage pour frapper légèrement sur le hublot horizontal et réveiller GéO. Sans brutalité, mais urgemment. Le temps de la manœuvre, je quitte l’horizon des yeux, et alors que je relève la tête, un immense mur blanc se dresse devant nous, un écran gigantesque sur lequel nous fonçons !
En un instant, mon réflexe est de basculer la barre à gauche, un peu brutalement car GéO, les pieds encore dans l’escalier et la tête à peine émergée au niveau du cockpit, laisse échapper un joli juron. Un bon gros double juron, quand il voit glisser l’immense silhouette blanche du voilier. Je ne saurai jamais s’il s’est également dérouté, car notre croisement s’effectue à moins de cinq mètres l’un de l’autre. Il me semble que la scène se déroule au ralenti, et c’est le film lent que je revois chaque fois que je me remémore cet épisode… Pendant ce temps figé, l’apparition longiligne file silencieusement sur notre droite, avec son allure hiératique, coque blanche, voiles blanches, il prend des proportions majestueuses qui nous laissent tous deux bouches bées.
Impossible de dire si nous avons entrevu un barreur à l’arrière, nous étions simplement sidérés. Je ne parlerais pas non plus de danger, quoique la raison me titille sur la distance un peu courte entre nos deux routes. Pour moi, cette rencontre fantomatique est simplement devenue un souvenir enchanté, à l’unisson de la traversée. GéO a repris la barre tranquillement, je me suis couchée après lui avoir préparé un café de réconfort, et j’ai dormi d’un profond sommeil la tête sur le rugissement familier des bons gros diesels, jusque-là ça va, jusque-là…
Quand je me suis réveillée, consciente d’avoir zappé une partie du trajet plus importante que je ne le souhaitais, une lumière déjà vive avait remplacé le charme secret de la nuit. Gagnant rapidement l’extérieur, je me suis heurtée le regard sur le bord orange de la grosse boule émergeant à notre gauche. Mer et ciel bleus lézardés de rose, nous nous sommes retrouvés tous quatre baignés par le spectacle impérial du lever de soleil en mer. En quelques minutes, l’immense boule semble se soulever, s’extirper de son bain et il envahit l’espace d’une lumière chaude, aux tons de feu. Au sens propre, c’est l’embrasement de l’air qui chasse la petite fraîcheur de l’aube.
Détendue malgré une nuit un peu courte à son goût, Marie est radieuse. La côte est toute proche, nous arrivons à la hauteur de la Revellata, dans une demi-heure, trois quarts d’heure tout au plus, nous prendrons un petit-déjeuner à quai, croissants chauds et douche garantie à la capitainerie.
- Alors ça a été, ton quart ? Tu n’as pas eu de problèmes, toute seule, s’enquiert-elle, pleine de sollicitude
- Parfait, c’était très calme, une traversée sans histoire …


6dde1192d76ecf634a2d0cf4dbc136b9.jpg

25/11/2007

Le Trèfle à quatre feuilles

J’ai un petit don subtil et parfaitement inutile, que je pratique depuis toujours et en fais profiter ceux que j’aime. Bien que je ne dispose pas d’une vue particulièrement aiguisée, mes yeux sont immanquablement attirés par un détail minuscule au milieu de n’importe quel parterre herbu.

Je trouve des trèfles à 4 feuilles.

Oui, je sais, c’est idiot, sans intérêt. D’autant que je me garde bien d’être superstitieuse, ça pourrait me porter malheur.
Alors, des trèfles, de Normandie, de Bretagne ou d’Ozoir, j’en ai trouvé des centaines depuis mon enfance, avec de larges folioles bien formés, d’autres moins réguliers, que j’ai séchés et conservés dans les livres au hasard de mes lectures, dans la pochette de mon permis de conduire. Bien plus souvent, j’en ai offert à toute personne présente lors de mes cueillettes-miracles, mes parents, mes amis, mes enfants évidemment. Ils ont eu des trèfles à quatre feuilles en toute occasion, matin, midi et soir, pour peu que nous soyons à la campagne. Avec eux, le jeu consistait à faire un voeu secret, que la pauvre plante était censée réaliser… Personne n’a jamais pensé à en vérifier le pouvoir. J’en avais même trouvé un sur le terre-plein de la place de la Nation, que j’avais aussitôt offert à Alice, une amie de ma belle-mère. Cette personne déjà âgée avait justement subi une violente agression physique dans le hall de l’immeuble où elle lui rendait visite par un bel après-midi de printemps. Les multiples contusions résultants de l'attaque avaient endommagé sérieusement sa vue et pendant une longue période, Alice n’osait plus se déplacer seule, même dans ce quartier populaire et vivant. L’accompagnant donc pour quelques courses sur le Cours de Vincennes, nous traversions en toute hâte la place en diagonale, coupant par l’ancienne fontaine, devenue simple plate-bande gazonnée. Comme Alice était essoufflée, elle s’était s’appuyée sur le muret de l’ancien bassin. C’est donc là, au milieu de quelques malheureux brins d’herbe gorgés d’affreuses toxines et de gaz d’échappement, que j’avais sorti la pépite verte, symbole de chance et de bonheur. Alice l’avait acceptée de bon cœur, elle était une amie charmante, témoignant d’une éducation courtoise comme les vieilles dames de sa génération, et m’avait remerciée d’une aimable plaisanterie.


Dans notre jardin provençal, les trèfles sont beaucoup plus rares, mais au bout d’un an ou deux, mes yeux ont à nouveau automatiquement décelé cette petite anomalie symétrique, parmi les herbes sauvages qui comblent les trous de ce que nous osons appeler pompeusement la pelouse.

Cet été, alors que je traverse la dite pelouse pour servir notre repas, malgré le plat chaud que je tiens en main, je détecte soudainement ce brin exceptionnel au milieu d’une touffe anarchique. Posant rapidement mon plat au sol, je cueille aussitôt délicatement mon trophée et l’offre à Marie-Geneviève et son mari Daniel, histoire de provoquer un sourire de détente anodine sur leurs visages fatigués et abîmés par la maladie. Le trèfle est bien développé et la tablée s’exclame, « Tiens, un peu de chance, ça tombe bien ! », Marie-Geneviève profite de cette opportunité pour encourager Daniel à montrer un peu plus d’appétit, de bonne grâce, notre malade reprend une bouchée de légumes… Puis pose le porte-bonheur de côté sur la table. Et nous n’y pensons plus.

Ce soir-là pourtant, alors que Daniel, guère vaillant, a déjà quitté la terrasse pour rejoindre sa chambre, nous rangeons la maison tristement, en commentant les efforts de la journée, les espoirs que nous essayons d’entretenir malgré les signes manifestes de déclin. Tout à coup, Marie-Geneviève m’interpelle :
-Mais qu’est-ce qu’on a fait de mon trèfle à quatre feuilles ? Je l’avais posé là, ce midi…
Nous nous regardons, vaguement confuses.
Gé intervient :
- Sur les serviettes en papier ? Alors il a été jeté.
L’espace d’un instant, je dois avouer que nous ressentons toutes deux une réelle déception, éphémère autant que puérile, mais j ‘ai ressenti son pincement de cœur dans la clarté triste de son regard …
Aucun de nous n’accorde évidemment de signification à cet incident, mais ce trèfle à quatre feuilles jeté nous a cruellement manqué.…