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26/11/2008

Des-trou-ktor !!!

Destrouktor a encore jardiné !
La nuit dernière l’a bien inspiré et deux rosiers ont trinqué.
Enfin, trinqué n’est certes pas le mot qui convient le mieux à l’état sec et nu des squelettes que GéO a ramassés sur le dallage de l’allée …
L’Animal, il sait bien quand il a commis un crime es-plantes, à sa façon de quitter en biais les lieux où gisent ses dégâts, truffe basse et regard en coin, la queue rentrant sous les fesses…
« Pas de doute, il y a de la rouste dans l’air », se dit-il.
Effectivement, cinq minutes plus tard, l’équipage est de retour sur la terrasse :
De la porte-fenêtre de la cuisine, j’ai pleine vue sur la scène où se trame l’acte trois du moment.
Zuco ouvre le train, aux grognements du maître, il a deviné la suite des événements.
GéO gravit d’un pas solennel les trois marches, la mine résolue, le verbe rare, il ouvre la porte de la chaufferie, s’empare de la laisse.
Le petit noiraud, suiveur allègre, a déjà oublié les imprécations du flagrant délit, il interprète d’abord le geste comme un signe de balade. L’heure précoce ne le trouble nullement, comme les scouts, il est toujours prêt.
C’est la suite qui lui convient un peu moins…

Le voilà dûment ramené au bord du trou.
- Qu’est-ce que c’est, ça ? gronde le Maître furibard.
Et de lui mettre la truffe dans le cratère tout neuf où gisent les deux minables corps du délit… Deux minuscules pousses de rosiers nains qui s’efforcent de grandir sur la plate-bande devant la cuisine. Fait rare, les racines ont été proprement dégagées de la terre, on jurerait qu’il a pensé m’aider à les déterrer en vue d’un hivernage improbable…
- Oui, ben, tu ferais bien de les réinstaller tout de suite…
Donc notre Copain s’est pris deux coups de badine sur l’arrière-train, sanction accompagnée du bruit nécessaire et suffisant pour renforcer l’idée de châtiment…
Cinq minutes plus tard, les deux moignons ont repris leur place initiale, et l’optimisme de GéO me met en garde :
- Si tu ne les protèges pas, c’est pareil demain !

Comme le rouleau trouvé pour dresser la barrière protectrice est basse sur pattes, il fallait renforcer la clôture et éviter que ma palissade naine ne constitue un nouvel appât au jeu.
Voilà pourquoi, jusqu’à la nuit tombée, j’ai transporté des pierres, comme un forçat du jardinage.
Réconfortante, Marie-Ange, la voisine, nous regarde œuvrer par-dessus la haie :
- Ne vous en faites pas, il faut bien compter dix-huit mois avant que cessent les sottises, regardez Cliff, il va sur ces deux ans, ça commence à aller mieux, mais il s’attaque encore aux draps qui sèchent !
Boudi, j’espère que Destrouktor n’a pas entendu…

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Les rescapés

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L'innocent

24/11/2008

Soeurs ennemies

Sœurs d’un même lit, élevées sous la même Autorité, Delphine et Marinette ont pourtant toujours été si dissemblables.

L’une est sèche comme un sac d’os, et son sourire expose ses larges dents.
L’autre présente ses rondeurs pour mieux cacher sous son apparente faconde l’autoritarisme de ses aboiements.

L’une vomit tous les soirs la bile dans laquelle macèrent ses violents désirs de conquête.
L’autre déverse tout à trac le flot ininterrompu de ses ordres dominateurs que le sac de ses bajoues ne peut retenir.

L’une ressemble à un lévrier élégant, sa course rapide se veut démonstrative, elle minaude et prend des poses. Elle s’applique au paraître.
L’autre ne connaît que la bataille frontale, elle charge tête baissée pour abattre l’ennemi en force, jonche son chemin de bris et de peurs. Jamais elle ne regarde en arrière.

L’une se fait lumière, étoile, étincelle de son regard, élabore de langoureuses danses. Elle pare son discours de larmes coupantes comme des diamants pour celer ses blessures stratégiques…
L’autre bouscule les acquis, sème des certitudes arrogantes, s’entoure de mercenaires aguerris, détermine les champs de bataille vastes comme les mornes plaines d’où elle contrôle les avances ennemies. Les mines qu’elle y pose sont jalonnées, les chausse-trappes dissimulées dans les labours réguliers explosent à intervalles programmés, ses soldats sont disciplinés ou jetés…

Delphine travaille son image, soigne les costumes et les décors avec une intuition artistique, vêtements chastement affriolants, voile de cheveux libres encadrant l’ovale si pur de son visage, doux regard languissant de l’agneau qu’on exécute au soir du Martyre, elle renaît en Phoenix incandescent sous un casque ondulé et flamboyant, Jehanne de Province illuminée par sa mission sacrée.

Marinette attend son heure depuis des décennies, elle a bâti de ses mains les contreforts de son pouvoir, n’a jamais cédé aux doutes, à la peur, aux hésitations dont elle ignore même la sensation. Née l’aînée, elle revendique sa prééminence, refuse les tergiversations, les compromissions et la reddition. Elle cogne et ne pleure pas, et si d’aventure elle accuse les coups, c’est en s’ébrouant, râlant, grognant et hurlant, sa rage se décuple et la précipite dans un nouvel affrontement.


Mais que convoitent-elles donc, les deux sœurs qui s’affrontent maintenant dans ce combat des chefs ?

Pour qui, pour quoi affûtent-elles leurs armes et décomptent-elles leurs troupes, ces deux filles d’un même père ?

Pour Lui, justement, pour se revendiquer de son lit, de son sang, de son héritage…
Pour reprendre un flambeau dont elles devinent qu’il vacille si fort que la chute n’est pas loin.

Pour Lui qui n’a pas eu le fils qu’il espérait, celui pour lequel il a construit son royaume, son entreprise, sa raison de vivre.
Pour ce fils, qui devait naître Marin, aventurier au long cours, découvreur d’ères nouvelles et chevalier des Temps Promis, et qui à cause de ce sexe fendu, n’a été que Marinette.
Quand le second bébé attendu s’est révélé fille encore, il a haussé les épaules, dépecé de son espoir, défait de son attachement à une descendance sans mâle.

Alors, au soir descendu sur la maison, Il regardait ses deux filles attablées aux devoirs sur la table familiale. Pendant que la mère s’activait en silence, il occupait son fauteuil au bout de la longue table et les observait à leurs tâches, affectant de réfléchir et de s’occuper de ses affaires.
Marinette avachie en boule sur ses livres et ses cahiers chiffonnait bien vite ses affaires et emballait les leçons avec précipitation. Delphine, assise droite comme un i, le cou tendu, étalait complaisamment les articles qu’elle sortait du cartable, occupait tout l’espace disponible et un peu plus, lançait ensuite quelques regards, couleurs de miel et de lavande, dans sa direction. Puis elle susurrait les rimes de la poésie du moment, poussait insidieusement vers lui ses cahiers couverts de dessins savamment nuancés, soignait son écriture et s’efforçait de l’empêcher d’ignorer son application. À l’issue de ce manège, elle récoltait sa peine en s’installant à ses côtés, mine de rien et attendait son approbation, sa récompense, l’attention qu’il accordait enfin à la diablesse qui l’avait si bien séduit.
Entre-temps, Marinette avait de longtemps déserté l’étude, jeté en vrac les ustensiles d’école dans son sac et s’était éclipsée loin de la cuisine et des corvées domestiques. Quand, au décès de sa femme qu’il a vécu comme une trahison, les filles ont dû prendre les rênes de la maison, Delphine dressait le couvert à sa manière, pleine de grâce et de délicatesse, servait les repas avec componction, mais ne parvenait jamais à tremper ses mains blanches dans l’eau grasse de la vaisselle. Sans qu’on puisse déceler l’astuce, elle n’était jamais là au bon moment pour effectuer les corvées les plus triviales et laissait à son aînée les tâches les moins valorisantes. Bonne fille, Marinette a mis du temps avant de comprendre l’astuce qui valait à sa sœur le surnom de princesse et à elle …aucun de ces petits mots doux.


Oh, il sait lui reconnaître du courage et de l’allant, à cette aînée robuste et pugnace. De ses maraudes enfantines, elle a rapporté plus de gnons et d’écorchures, d’accrocs aux manches et de genoux écharpés que deux douzaines de garçons normalement constitués. Mais elle est fille, femme maintenant, et depuis longtemps, elle traîne dans son sillage un Benoît si benêt que c’est à lui qu’il revient d’aller chercher les enfants à la sortie de l’école avant de s’épanouir dans les allées des supermarchés… Le Père ne le dirait pour rien au monde, mais il méprise son gendre trop accommodant. Il préfère calquer son dédain sur celui de Marinette et affecte souvent d’oublier son prénom. Quant aux petits-enfants, qu’ils fassent leurs preuves et on verra toujours de quel côté la balance est tombée.
Marinette a occupé la place de l’Héritier, il le reconnaît bien volontiers, elle endosse avec dynamisme et volonté tous les aspects de ce métier difficile, elle sait mener les hommes et les machines, traquer les feignants et les lâches, pousser l’effort jusqu’à l’accomplissement final du travail, et même au-delà. Il lui reconnaît même de la justesse dans ses ambitions, mais se garde bien de le lui dire… Au fond de lui, dans un petit recoin de son esprit, il sait, de cette certitude innée qui régit les lignées, qu’elle guette son faux-pas pour prendre la tête de l’entreprise. Alors, il fait mine de ne pas le savoir, et chaque jour il se bat pour repousser sa défaite, ou du moins compliquer sa conquête…

Demain pourtant, il lui faudra choisir…
Marinette ou Delphine.
Car Delphine est revenue. Du bout du monde, des villes enfiévrées et polluées, elle a rapporté des gadgets, des idées saugrenues et surtout une insatiable ambition. Oublié le mari bellâtre qui s’est dissous dans la mêlée comme un comprimé d’Alka Selzer dans un verre d’eau à la clôture d’une soirée trop festive. Delphine a digéré cette page de sa vie, quelques autres aussi sans doute, elle ne s’est pas étendue sur les possibles désastres d’arrière-garde. De savantes mines ponctuées de silences éloquents ont suffit pour dresser le constat, raconter ce qui ne méritait pas de l’être, évanouir les protagonistes déchus et revenir à l’objet de sa première conquête.

Le Père a succombé à ses charmes, à son savoir être « catamiaule », il n’est pas dupe pourtant. Mais elle est si belle et tellement volontaire, elle aussi. Delphine a appris les langues étrangères, elle pratique surtout le langage-du-cœur, celui qui fait fondre les résistances et retourne les adversaires… Sauf que…Cette fois, Delphine s’est créé un ennemi solide. Marinette, qui ne trouvait rien à redire quand sa petite sœur envahissait la table des devoirs ou les genoux paternels, Marinette regimbe à l’idée de partager l’avenir avec sa cadette.

Et la guerre s’est engagée…
Avec ses escarmouches feutrées au début, de plus en plus hargneuses au fur et à mesure que se rapproche l’échéance.
Les camps ont changé de fidèles, plusieurs fois. Les armes ont été échangées, Marinette a appris l’usage saignant des mots qui blessent, des phrases qui empoisonnent… Delphine a combattu pied à pied, s’imprégnant des chiffres et des formules gagnantes, reproduisant les gestes professionnels qui font illusion, réparant ses gaffes d’un sourire de Madone ou d’une larme de comète…


Plus qu’un jour à tenir, pour les deux héroïnes, le dénouement est proche, tout proche.
Mais Le Père ne sait pas trancher, lui qui n’a jamais connu la pitié, il ne peut s’imposer ce dilemme effrayant, contre-nature. S’il choisit la lumineuse Delphine, il sait qu’il se trahit et commet une irrémédiable injustice. Mais le monde serait lourd sans la grâce de son étoile, même s’il doute qu’elle sache prendre la barre et mener l’exploitation de son trésor à bon port.
S’il choisit Marinette, il endosse un état de fait, il assume la suite naturelle, elle connaît vraiment le métier, mais elle fera sans étincelles, sans imagination, sans génie. Travail propre, mais terne. Au crépuscule de sa vie, le Père soupire après les embrasements, les illuminations qu’il a refusées toute sa vie, les douceurs qu’il n’a accordées qu’avec tant de parcimonie…

Demain il faudra bien en finir…
Et si la vie après tout se chargeait de ce coup du sort ?
S’il disparaissait comme ça, tout à coup, sans rien dire, en laissant les deux femmes s’affronter ?
Non, quand on est Le Père, on ne quitte pas la scène sans panache, on ne renonce pas à laisser Sa Marque, Son Enseigne. L’une ou l’autre, il faudra bien qu’elle pérennise Son Oeuvre, qu’elle accomplisse le dessin auquel il a tant sacrifié.

Demain, dans quelques heures, à l’autre bout de la nuit qui s’avance…






23/11/2008

Marseille s'émerveille

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Chapelle de la Vieille Charité, dans son écrin d'arcades , élaborée au XVII ème siècle par Pierre Puget, rappel de l'épisode précédent…

Mais Marseille, dorée dans le couchant, cité langoureusement étirée sur la langue côtière, est d’abord protégée du pays par un cirque de collines calcaires, à la blancheur éclatante, à la végétation rare. Elle apparaît ici au sein du nid que lui ont ménagé les chaînes qui tombent dans la mer, de Sormiou à Cassis à l’est, de l’Estaque à Carry à l’ouest, elle offre aux promeneurs une balade en forme de montagnes russes. Des contreforts du fort Saint jean, nous pensons embrasser Notre dame de La Garde en enjambant le vieux Port.

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Il y a quelques temps, Marseille la coquette a entrepris sa toilette.
Le projet Euroméditerranée, gigantesque plan d’aménagement se décline depuis plusieurs années, et l’avancement de ses chantiers a certainement joué dans la désignation de Marseille comme capitale européenne de la culture pour 2013. Nous sommes admiratifs de la qualité de réhabilitation des bâtiments qui abritaient les anciens entrepôts de la Joliette. Devenus immeubles de bureaux, ils offrent un décor raffiné de briques, pierres et bois, des patios rafraîchis par de petits bassins intérieurs desservent les accès aux différents espaces, les lourdes portes anciennes ont conservé leurs impostes en sentinelles fidèles, même si de discrètes parois de verre sécurisent les accès.

Au cours des trois dernières décennies du XXème siècle, qui n’a parfois déploré les infrastructures routières ensevelissant les bâtiments riverains sous les bretelles successives ? Ces « périphériques » se croisent, se poursuivent sur plusieurs niveaux, s’entrecroisent au milieu de nœuds routiers aussi laids et bruyants qu’incontournables, puisque notre mode de vie les a induit au pourtour des grandes cités. Pourtant, nous constatons une Bonne Nouvelle : ces voies qui longeaient la gare maritime et défiguraient de leurs strates superposées le site sont en cours de disparition, et vont laisser place, semble-t-il, à un véritable bord de mer! Ce sont maintenant les énormes navires du port de la Joliette qui offrent leurs masses incongrues aux promeneurs du raz de mer.
Et de ces transformations titanesques, surgissent aux yeux des visiteurs émerveillés des silhouettes que l’urbanisation galopante avait camouflées, grisaillées, engoncées sous le bitume… Exemple ci-dessous : Sainte marie Majeure, bizarre cathédrale byzantine érigée sous Napoléon III, a repris possession du panorama, enfin dégagée de l’infernal amoncellement de voies aériennes qui l’enchâssaient.

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À l'arrière plan du cliché se devine la gigantesque silhouette de la tour de verre qui symbolisera le renouveau de la ville.

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Un peu tranche napolitaine je vous l’accorde, mais majestueuse néanmoins. Pour vous reposer l’œil, je propose de poser votre regard sur cette église au combien plus modeste, qui lui tient lieu de voisine.…

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20/11/2008

Marseille

Nous étions ce dimanche en virée tourisme à Marseille…
Point de départ de notre balade, la visite, en compagnie de Simone, de l’exposition consacrée à Van Gogh et Monticelli.
C’est apparemment le thème à la mode cette année, la mise en parallèle d’œuvres picturales… Pourquoi pas, le concept est intéressant, souligner les influences que les artistes se choisissent, j’y trouve matière à réflexion et honnêteté intellectuelle, car à tout prendre, les fameux critères d’originalité et de création ex-nihilo sont absurdes. Personne n’est vierge d’éducation, tout apprentissage passe par l’imprégnation. Cessons d’enfoncer les portes ouvertes…
Donc à Marseille, au sein de la Vieille Charité, monument illustre et admirable, comme vous allez en juger sur les photos ci-jointes, nous pouvons profiter jusqu’au 11 janvier 2009 de la confrontation entre certaines œuvres de Van Gogh et les toiles d’un Maître marseillais quasi inconnu, Adolphe Monticelli. Van Gogh, tout le monde connaît ou croit connaître, le peintre maudit, ses tournesols et l’autoportrait de l’homme à l’oreille coupée… C’est un peu court, chacun le reconnaîtra, mais parfois, il faut faire bref.
Adolphe Monticelli était son aîné, en âge comme en peinture. Pourquoi n’est-il pas davantage apprécié ? Peut-être parce qu’il a eu l’heur et le malheur de ne pas entrer dans la catégorie des artistes maudits, condamnés à l’alcool, la misère, les scandales et les affaires de mœurs… Allez savoir. Toujours est-il que l’œuvre mérite d’être redécouverte et appréciée et je vous invite, heureux méridionaux ou touristes de passage à porter vos pas dans le Panier, ce quartier de l'illustre cité qui domine le vieux Port.
C'est par la correspondance échangée entre Théo et Vincent Van Gogh que le lien avec les oeuvres de Monticelli est établi. Vincent a maintes fois souligné son intérêt et son admiration pour la matière généreuse et la lumière qui émane des sujets traités par le peintre marseillais, élevé sur le plateau de Ganagobie où il s'est imprégné des couleurs éclatantes et contrastées des paysages de Haute Provence. Il semblerait que cette fascination ait poussé Vincent à s'établir dans le sud, afin de puiser à cette source lumineuse.
Monticelli( 1824-1886), de son côté, s'était préalablement enrichi au contact de confrères inspirés par la nature et avait fréquenté les tenants de l'école de Barbizon adeptes des chevalets plantés en pleine nature… Arrivé à Paris en 1849, il a été élève de Delaroche, avant de rencontrer Ricard, Corot, Troyon, Daubigny, Manet, Courbet ou encore Guigou. Ce qui permet d'imaginer le foisonnement créatif de cette période, la recherche de l'expression non pas seulement figurative mais émotive de la nature et la naissance d'une vision picturale plus imprégnée de matière au service du relief et de couleurs contrastées au service de la luminosité. En 1870, Adolphe rencontre également Cézanne, et le traitement de leurs palettes ne manque pas d'intérêt.
Théo est le premier des frères Van Gogh à s'intéresser aux toiles de Monticelli. Il en achète très vite six d'entre elles, dont la remarquable femme au puits qui figure à l'exposition actuelle. Sans en dévoiler le charme, je soulignerais simplement que le traitement des contours est exemplaire dans ce tableau…Comme s'il était myope, Monticelli néglige le trait pour privilégier une touche déjà impressionniste. Tout autre est l'impression qui se dégage de ses nombreux bouquets chatoyants, aux contrastes rutilants. Les marines témoignent de son exploitation des touches fortes, au relief accentué. Pour ce travail admirable, je ne saurais trop vous engager à vous rendre sur place, ou à découvrir ce qui peut l'être sur les sites accessibles:
http://www.associationmonticelli.com/artiste/artiste.html

Il existe également un article wikipédia consacré à Adolphe Monticelli:wikipedia.org/wiki/Adolphe_Joseph_Thomas_Monticelli

et naturellement le site de la mairie et son service culturel:www.marseille-tourisme.com/fr/a-marseille/que-faire/van-gogh-monticelli/


Comme il ne saurait être question de photos des tableaux, vous en comprendrez la raison, je ne suis pas chienne et vous offre en contrepartie quelques vues du dôme de la vieille Charité, ancien hôpital, hospice disait-on à l’époque où il fallait être religieuses pour prendre en charge les misères de la condition humaine…

Au coeur d'une cour rectangulaire bordée d'arcades sur trois étages se niche une curieuse coupole de forme oblongue, dont je vous livre ce soir quelques clichés.

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Vous voilà alléchés, je n'en doute pas, par cette merveille architecturale due à l'architecte Pierre Puget, réalisée à partir de 1671 et achevé en 1749. C'est plus long qu'une vie d'homme et je ne sais si Puget a pu contempler l'ensemble de la réalisation, dont la destination était de "renfermer dans un lieu propre et choisi les pauvres natifs de Marseille". L'énoncé du projet date de…1640, le croiriez-vous? Ce XVIIème siècle nous épatera toujours, on y trouve aujourd'hui ce germe de logement social, comme on dirait aujourd'hui. Enfin, il y est question d'enfermement, la gestion d'antan est pudique, on cache .
"Faut voir quand même la gueule du HLM" , aurait dit le regretté Coluche…


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Plus de renseignement sur la Vieille Charité et le quartier du Panier sur :
www.marseille-tourisme.com/fr/a-marseille/que-faire/marseille-ville-d-art/la- vieille-charite/

13/11/2008

Bolets à toutes les sauces…

Revenons à nos bolets, dont GéO souligne la sortie tardive. Mais la douceur persistante et l’humidité ambiante, relative ici comme toujours, suffisent sans doute à expliquer cette récolte inattendue.
L' espèce de champignons la plus commune ici , et la plus recherchée, n'a rien à voir avec l'objet de nos explorations. Ce sont les lactaires délicieux, surnommés sanguins, mais nous n' en sommes pas très friands, bien que les provençaux clament leur qualité gustative. Ils sont souvent préparés en conserve, avec du vinaigre et des herbes, ce qui leur confère une consistance caoutchouteuse et une saveur saponite, nous préférons les laisser pour les véritables amateurs .

Nous nous concentrons donc sur les bolets. Faute de trouver les trop fameux « cèpes de Bordeaux », dont nous avons recueilli un seul exemplaire il y a trois ou quatre ans, nous nous rabattons sur d’autres sous-espèces de bolets qui restent assez goûteux quand ils sont préparés convenablement :

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: en coupe, on distingue bien le bleuissement instantané de la chair, dès qu’il y a blessure ou coupure. C’est assez impressionnant.


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les bolets subtomenteux : ce sont ceux que nous trouvons le plus fréquemment ici, dans le jardin en particulier. À noter le pied ventru et veiné de rouge, assez facile à identifier.

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: le bolet de satan, assez reconnaissable par sa couleur . Ceux –ci viennent de la région, mais ils semblent bien plus rares.

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Ceux-ci ont été répertoriés par GéO comme Bolet Quelet. Leur pied est moins renflé et plus lisse que celui du subtomenteux.

Reste encore le bolet du Loup que nous avions également repérés sur le plateau de Fox Amphoux:
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Pour clore ce petit aperçu de nos cueillettes locales, petit panorama de notre provende:

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12/11/2008

Champignons…

L’automne ici s’installe posément, il s’octroie des étapes, dresse son décor à touches furtives. Les jaunes timides des plants de vignes ont achevé de virer au roux alors même que les ceps se dénudaient. Le mûrier platane sur la pelouse pleure encore son feuillage, à larmes comptées, sans ardeur. Les brouillards matinaux ne sont porteurs d’aucune gelée, et si GéO a rentré nos monstrueuses plantes d’intérieur avant son départ pour la Seine et Marne, aucune urgence ne gâte la floraison du Datura au bout de la piscine. Mais sous un bouquet de chêne vert, j’ai trouvé hier un bolet tout rond, chamois au pied veiné et ventru, qui me faisait de l’œil. Du coup, nous sommes partis en chasse dans la colline.

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Mais il est difficile de partir en promenade sans nos deux pensionnaires.
Nous voici donc sortis du sentier pour visiter un peu le maquis qui s’étend derrière les maisons, sans pousser notre exploration trop loin car les chasseurs locaux observent une curieuse coutume : ils font entendre leurs armes dans le couvert le matin de très bonne heure, respectent la trêve de la sieste, puis ils reviennent à l’heure des vêpres, quand les enfants quittent l’école et que le jour commence à décliner. Il y a là une logique qui m’échappe, mais le fait est récurrent et nous surveillons nos chiens du coin de l’œil tout en fouillant du regard, entre les pieds des cistes, le sol tapissé de feuilles mortes et de bouquets de thym.

Alors que quelques spécimens de bolets ballottent déjà dans mon pochon, nous sommes avertis d’une rencontre imminente par le tintinnabulement de clochettes qui semble monter vers nous. Copain et Zuco tournent autour des maîtres depuis le début de la balade, plus préoccupés de nous garder groupés et de humer profondément les touffes de plantes sauvages qui leur racontent sans aucun doute bien des nouvelles du maquis. Le temps de réaliser que les grelots appartiennent sans doute à d’autres chiens baladeurs, voilà deux superbes lévriers afghans qui franchissent le sommet du sentier et descendent élégamment dans notre direction. Immédiatement, nous poussons chacun notre cri de ralliement :
- Zuco, aux pieds! crie GéO
- Copain ici ! crie ma voix…
Que croyez- vous qu’il arrive alors?
Zuco, docile, entreprend tout de suite un demi-tour sur sa trajectoire… Et Copain, victime brutale d’un accès de surdité, se laisse emporter par sa curiosité, apparemment bien indifférent à mon autorité naturelle. Le sifflement impératif du maître ne produit pas davantage d’effet sur son désir de sociabilité…
- Allons saluer ces nouveaux amis, se dit-il, peu soucieux de répondre à nos appels.
Dans l’autre camp, les réflexions ont certainement la même nature, car les deux échalas aux pelisses immaculées exécutent un démarrage immédiat parfaitement synchronisé. Copain est impressionné, il infléchit instantanément sa course et prend momentanément la tête du train, objectif FUIR. En un éclair, les trois canidés ont disparu de notre champ de vision, nous laissant pantois devant le maître joggeur un peu lent pour ses chiens turbos.

Le joggeur s’excuse, il n’imaginait pas…Nos appels restent vains évidemment, il faut donc suivre le convoi, malgré notre retard avéré. GéO reste en arrière-garde, accompagné du fidèle Zuco … Toujours armée de mon pochon à champignons, j’embraie sur les traces du coureur de maquis et nous remontons le sentier en suivant la direction approximative du premier convoi. Le Joggeur se montre plus véloce, il accélère et me laisse rapidement en arrière. Au débouché de la fourche, il m’attend toutefois pour me signifier qu’il a entrevu une ombre noire sur le chemin de gauche et qu’il pense que c’est mon ratier. Ses champions ont poursuivi vers la plaine qui rejoint le versant de Seillon, droit devant. Ouf, Copain le malin a réussi sa diversion et bifurquant vers les maisons et le parcours habituel qu’il connaît bien.
D’ailleurs, je remonte cette allée depuis quelques secondes à peine quand j’entrevois au loin la petite boule noire qui galope ventre à terre dans ma direction… Il a eu si peur qu’il me saute dans les bras, et passe le reste de la promenade à sauter sur mon ventre, implorant du regard la protection de l’embrassade maternelle. Je ne sais qui a eu le plus peur de nous deux, mais je crois bien que notre Copain a reçu hier une petite vaccination anti-fuite…

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10/11/2008

À quel prix ?!

Dans moins d’une heure, enfin, On saura…
On saura qui a mérité cette année Le Prix Littéraire tant convoité.
On a beau savoir que l’enjeu véritable de la déclaration rituelle réside dans la guerre économique entre Grands Éditeurs, que tout est arrangé au cours de tractations où les œuvres des postulants n’ont pas le premier rôle, On imagine quand même, On voudrait croire que… Si, un peu quand même, Le Goncourt doit récompenser un écrivain débutant, un écrivain qui percevra la modeste rétribution et l’immense gloire qui lui est attachée pour pouvoir s’investir à fond dans sa vocation sans être obligé de partager son précieux temps dans l’exercice d’une profession nourricière.

Alors, cette année, je vois un véritable écrivain complètement débutant, qui mériterait bien l’obtention de ce fameux prix. Il existe, ce cas rarissime de postulant Goncourt, édité chez un des Grands ( Gallimard), il a beaucoup d’atouts en main ce Jean-Baptiste Del Amo, avec son éducation libertine. Dès le mois d’août dernier, les magazines littéraires l’ont remarqué et quasi sacré… J’ai dû attendre quinze jours pour que ma libraire locale se procure la seconde édition de l’ouvrage, et j’ai entendu nombre de critiques vanter la richesse de cette prose toute neuve. Oui mais voilà, entendu ce matin ce commentaire sur France-Inter :
- Parmi les quatre candidats retenus par le jury du Goncourt, Jean Baptiste Del Amo n’a que vingt-six ans, pour son premier roman, il est vraiment trop jeune…

Alors là, je reste pantoise… Décidément, on progresse ! Pourquoi faudrait-il que la valeur attende le poids des ans ?

09/11/2008

Fanchette au Bain…

Bien qu’elle ait franchi les multiples étapes de sa maturité, Fanchette a conservé quelques émois de fraîcheur naïve. Du moins c’est ainsi qu’elle préfère considérer les quelques inhibitions, résidu de timidité viscérale, que le cours des vicissitudes usuelles n’a pas réussi à gommer.

Voici donc notre quinquagénaire de passage à Paris, où elle a un rendez-vous. Fanchette a résolu de s’occuper d’elle-même en s’offrant Un Soin. Vous allez vous moquer, je vous imagine bien, caustiques comme vous savez l’être, devant votre écran, vous les actives trentenaires nourries de diversité citadine, les quadra vaccinées aux opportunités commerciales. Mais Fanchette, qui pourrait être votre mère, a dû houspiller ses habitudes pour quitter sa province lointaine et venir gaspiller quelques jours dans les remous de la grande cité, loin de ses collines verdoyantes et ensoleillées.

Elle a pourtant essayé de faire une valise légère, mais le sac à roulettes qui tire sur ses bras rend la descente des escalators un brin hasardeuse. Aussi elle se sent vite en nage, moite et rouge comme elle se déteste, mais elle se refuse à l’agacement et observe les visages renfrognés des voyageurs qui l’accompagnent sous terre. Elle se figure d’ailleurs un peu l’OVNI du wagon, sur cette rame nouvelle qui file entre la gare de Lyon et le cœur de la capitale. Il lui faut un moment pour reconnaître l’enchevêtrement des couloirs et des plans qui mènent aux différentes lignes. Quand enfin elle émerge sur la place Malesherbes, les nuages bas accrochés aux ramures des marronniers la surprennent. Comme si l’écran de ses lunettes était passé en 16/9ème, élargissant la perspective au détriment du ciel. À son insu, sa silhouette prend la mesure du couvercle et se tasse vers le trottoir. La marchande du kiosque à journaux n’est guère amène pour cette provinciale entravée qui n’achète rien et elle économise ses renseignements, se contentant d’un mouvement de tête pour orienter la quémandeuse dans la bonne direction.
- Sympa ce quartier soupire in petto notre voyageuse.

La porte de l’Hôtel Hilton se présente comme un majestueux carrousel qui se meut automatiquement dès qu’elle s’insinue sur le quart de cercle délimité par les vitres. Il lui semble qu’elle glisse jusqu’au centre du hall immense, poussée par une douce main invisible. Son regard embrasse la scène, ou plutôt les différents espaces, elle reconnaît le comptoir des concierges, un bureau discret en recoin, deux salons différents aux fauteuils confortables et chatoyants, rouges et mauves. Quelques panneaux indiquent différents services, rien ne l’aide pourtant à identifier le Spa qu’elle recherche. Toujours gênée par sa monstrueuse valise, elle finit par s’enquérir auprès d’un jeune homme tout de noir vêtu, qui s’éclipse derechef à la poursuite du renseignement. Quelques secondes plus tard, il est de retour et l’accompagne jusqu’aux ascenseurs, la libérant d’un aimable message de bonne journée.

Fanchette recouvre un peu d’assurance. Finalement, jusque-là, tout se présente bien : elle a même de l’avance, ce qui est confortable pour soulager un peu l’énervement de se sentir si mal à l’aise, ruisselante de nage dans son joli petit tailleur Morgan acheté presque tout exprès pour l’occasion. Poussant la porte battante d’une main, tirant la valise de l’autre, elle se présente en silhouette égyptienne aux employées qui l’attendent dans l‘entrée. Les deux jeunes femmes affichent un sourire identique, dans leur blouse jaune pâle. Aussi jolie et charmante l’une que l’autre, la blonde au type scandinave, la brune au physique asiatique, elles s’expriment toutes deux avec un fort accent, cochent sur un registre la ligne du rendez-vous. La brune, étiquetée Dorha, se lève et contourne le bureau pour s’emparer arbitrairement de la valise et guider la cliente intimidée vers un long couloir carrelé, ponctué de portes à hublots. Dans un français haché, elle explique à Fanchette que la porte du fond permet d’accéder au Jacuzzi et aux cabines sauna, s’inquiétant du port d’un maillot de bain que celle-ci est soulagée d’avoir glissé au dernier moment dans le vaste sac à main qui complète sa panoplie de voyageuse. Puis Dorha opère un savant demi-tour pour remonter jusqu’à une des portes latérales, marquée vestiaire 2, ouvrant sur une pièce divisée en trois secteurs : en face, un plan à double vasque séparées par un monticule de serviettes mousseuses, des flacons géants de produits, quelques étagères contenant du linge.
À droite, une entrée mène aux toilettes,aussi vastes qu’une salle de bain.
À gauche, le vestiaire porte bien son nom, évoquant les installations de n’importe quelle salle de gymnastique : un banc de bois latté séparant d’un côté deux douches fermées par des portes de verre, de l’autre des placards de consigne, emboîtés les uns aux autres, munis de leur serrure individuelle. Fanchette reçoit la clef de celui qui lui est dévolu, navrée de constater que sa valise n’y entrera pas. Tout juste pourra-t-elle y pousser son cabas-sac-à-main, en tassant un peu. Mais dans un tel endroit, qui viendrait voler quoi que ce soit ?

Restée seule, Fanchette entreprend de répondre aux consignes de Dorha, du moins à ce qu’elle en a compris, tant la prononciation de la jeune femme laisse place à une large interprétation. Elle n’a besoin que de quelques minutes pour enlever et ranger ses effets, arpenter trois fois l’espace, regarder les étiquettes des produits, s’inquiéter de prendre une douche, ce qui signifie quand même se glisser nue derrière ces portes transparentes. Le calme souverain de l’endroit, l’impression d’y avoir été oubliée l’emportent sur ses hésitations et Fanchette se décide d’un coup, appréciant le soulagement de se délester de ses sueurs inopportunes.

Dorha passe enfin la tête par la porte et manifeste son étonnement de ne pas avoir trouvé sa cliente dans les délices du Jacuzzi. Fanchette comprend qu’elle n’a pas suivi le protocole et s’en navre, mais Dorha la rassure, elle pourra profiter plus tard de ces services, et la voilà qui introduit Fanchette dans une nouvelle pièce très sombre. Au fond, derrière une rangée de bougies allumées, elle distingue une vasque sur un plan chargé également de flacons. À droite de la vasque, un meuble roulant porte également de nombreux pots et bouteilles de toutes tailles. Au centre de la chambre étroite s’étend une table rectangulaire, tendue de serviettes moelleuses. Un espace à été aménagé dans le plan de la table pour permettre le passage du nez comme le mime Dorha, que Fanchette commence à mieux comprendre… Tandis qu'elle s'habitue autant à la demi-obscurité qu'à la prononciation de la jeune femme, elle perçoit le paquet que lui tend la jolie masseuse : un string jetable, à enfiler avant de s’allonger sur la table centrale. À cet instant, Fanchette se sent très à l’aise, elle a complètement oublié toutes ses timidités et inhibitions qui l’ont si longtemps freinée. Elle se laisse tout simplement guider, décontractée, décidée à profiter au mieux du moment. Dorha opère en silence, après lui avoir proposé un produit odorant que Fanchette accepte bien volontiers. Quelque part dans le noir, des hauts parleurs diffusent de manière assourdie une musique exotique « japonisante », rythmée de sons aigus évoquant le choc de bambous, de mélopée lointaine à capella, de flûte de pan trahissant le souffle humain… Une torpeur maligne s’installe dans ses reins, et Fanchette se dit qu’elle doit réagir sous peine de sombrer dans une sieste incongrue, entre les mains de cette inconnue.
C’est ainsi que Fanchette apprend que Dorha est Balinaise, qu’elle vit en France depuis cinq ans mais que « c’est dur de s’habituer » malgré l’amour de son mari, parce que ce monde-ci est si différent : « pas beau toujours le ciel…, pas manger comme aime…, pas gentil se parler dans la rue, avec trop escaliers pour métro… «
Eh bien, Douce France, que fais-tu pour aider tes invitées à s’adapter ?
Dorha poursuit sa tâche, lentement, elle explore chaque parcelle du corps de Fanchette, roulant au fur et à mesure la vaste serviette qu’elle a disposée pour recouvrir le corps de sa patiente, ne parlant que pour répondre aux questions posées, à mi-voix, sans hésitation mais sans chercher à prolonger la conversation. Du cou aux fesses chaque centimètre de peau est enduit d’essence grasse et parfumée, palpé, roulé, caressé, recouvert… Puis la masseuse s’intéresse aux pieds, sépare les orteils, massant chacun d’eux, la plante des pieds, elle remonte ensuite le long des jambes, des cuisses, c’est délicieux, humm…, enfin, elle demande à Fanchette de se retourner afin d’entreprendre la face B… Les paupières lourdes, Fanchette accomplit la rotation demandée avec un effort, tant elle se sent éthérée, elle doit mobiliser sa volonté pour obéir à la demande courtoise de sa tortionnaire … À nouveau, les mains expertes entreprennent de parcourir l’étendue charnelle de ses mouvements relaxants, insistant sur les muscles autour du cou, frôlant habilement les seins d’un palper rapide et superficiel, chorégraphiant un ballet vaporeux sur son abdomen, reprenant comme une vieille antienne la friction du derme des cuisses… Cette fois, Fanchette se laisse manipuler sans vergogne, acceptant voluptueusement l’abandon qui la gagne…


Revenant à elle-même sur l’invitation de la sybaritique soigneuse, Fanchette saisit l’invitation pressante de Dorha à user du Sauna et des services annexes… Définitivement débarrassée de ses complexes, elle revêt alors le maillot de bain extirpé du bagage à main, grimaçant à la désagréable sensation provoquée par le collage du tissu sur sa peau encore huilée. Elle a bien eu un mouvement vers la douche cachée dans la salle de massage, mais Dorha l’a dissuadée en hochant sa gracieuse figure :
- Non, Sauna plus efficace sur peau avec essence…
- Ah bon.… Mais Fanchette se sent à nouveau poisseuse et le contact du peignoir que l’onguent plaque sur sa peau annule le bien-être antérieur.
La porte de la première cabine laisse filtrer plusieurs bruits de voix féminines. Fanchette, version glue, ne se sent plus l’humeur sociable et décide de se retrancher dans la seconde cabine au silence prometteur. Juste devant la porte d’accès, un cadre de bois délimite un plateau sur lequel de gros galets rougeoient. Latéralement, une banquette de lattes nues invite à s’asseoir tout près du foyer, tandis que le troisième mur de la petite cabine est occupé de deux autres couches en gradin. Pour le moment, Fanchette est ravie de sa solitude, d’autant que la chaleur intense qui émane des cailloux incandescents libère une abondante vague de sudation.
- Beurk, soupire notre exploratrice, c’était bien la peine, je suis en train de tartiner mon maillot avec cette mayonnaise !
Considérant l’épais silence qui colmate l’atmosphère du réduit, Fanchette se dit qu’elle quitterait bien ce voile de fibres acétates pour limiter la sensation de cuisson à l’huile. Ni une ni deux, je suis seule, ça peut gêner qui ? Hop !, elle fait glisser le maillot une pièce à ses pieds et se réinstalle sur la serviette- éponge dont elle a recouvert la banquette. Elle finit par s’allonger totalement, maugréant un peu contre la rudesse du support et l’absence de coussin pour caler sa tête.
C’est alors que son esprit la visualise dans sa position, telle qu’elle est couchée, nue, pubis à l’air et ventre offert, une alarme retentit dans sa tête :
- Il n’y a pas de loquet sur la porte, n’importe qui peut…
En un quart de tour, la voilà enveloppée dans l’éponge de sa couche, le maillot rejeté à côté. Il était temps ! À peine venait-elle de glisser le petit coin supérieur d’étoffe contre la peau de son sein droit que la porte s’ouvre brusquement et qu’entre un homme ruisselant de la tête aux pieds, à la nudité normalement protégée par un caleçon de bain…
Impossible pour Fanchette de rougir plus qu’elle ne l’est… Elle bafouille après un bonjour tremblotant :
- Euh, je ne savais pas, enfin, est-ce que cette cabine est réservée aux hommes ?
- Sorry, I don’t understand, répond courtoisement l’intrus.
- Oh yes, I mean, I did’ nt know that this cabin was reserved for men …
L’inconnu entreprend d’expliquer qu’à sa connaissance, il n’y a pas de distinction de sexes dans l’usage des saunas, avant de se lancer dans une suite de compliments sur la chance d’être française, « car votre civilisation repose sur une véritable histoire, alors que nous à Dubaï, nous ne sommes rien, que des bergers et des nomades sans passé ni architecture… »
Fanchette est tellement soulagée par la tournure de l’aventure qu’elle lutte désespérément contre le fou rire qui remonte de son ventre vers sa glotte et elle saisit à pleins rameaux la perche tendue pour s’extasier poliment et décemment à son tour sur les exploits des bâtisseurs modernes qui offrent à Dubaï une renommée internationale…
S’appliquer à choisir ses mots en anglais sauve la face de notre héroïne. De temps à autre, le fragile nœud de la serviette se relâche, et il lui faut une véritable maîtrise d’elle-même pour glisser les doigts dans l’épaisseur de l’éponge et resserrer le tissu félon sans perdre son interlocuteur des yeux et poursuivre cet échange diplomatique sur les valeurs respectives des deux civilisations. Le temps passe, Fanchette est enfermée dans l’antichambre de l’enfer depuis un bon moment, et ne voit plus très bien comment rompre là l’échange roboratif de courtoisies, afin d’effectuer une sortie digne sans dévoiler qu’elle ne porte rien sous sa serviette. Heureusement, le sort est indulgent pour elle en ce vendredi, et la porte s’ouvre à nouveau pour laisser entrer un second client du prestigieux hôtel. Le nouveau venu se glisse illico dans la conversation, lui vient de Dublin et la vieille Europe il connaît bien, il connaît également le monde arabe, fréquentant Riad et les Saoudiens…
- Ouf ! songe rapidement notre évadée campagnarde, voilà l’instant propice !
Ramassant promptement le petit chiffon de nylon noir qui gît au fond de la banquette, elle formule un petit discours d’évasion :
- Whew! It’s enough for me, I am very pleased to have met you. I hope you will enjoy your staying in Paris .…
Les mots ont à peine le temps de franchir ses lèvres qu’elle pousse déjà la porte fatale et rejoint l’atmosphère humide de la salle au jacuzzi. Les spasmes de rire nerveux qu’elle est parvenue à contenir retrouve le chemin de la sortie quand, hilare, elle se glisse dans la cabine de douche attenante.

Fanchette au bain… Fanchette se dévergonde… Fanchette l’exhibitionniste de l’hôtel Hilton a encore frappé… Fanchette à la conquête des mœurs de la Capitale, quelle expérience !!!