Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

31/12/2008

Glissades…

jardin 3.JPG


Photo_010108_005.jpg

… Tandis que 2008 s'efface doucement de nos horizons, avec son cortège de bonnes et mauvaises nouvelles, ses Grands Moments et ses noires catastrophes, je vous souhaite à tous de clore la soirée en beauté, mousseux ou champagne, foie gras ou volaille, l'essentiel n'est pas dans l'étiquette mais dans le coeur…

Il y a des jours comme ça où les surprises abondent, et elles ne sont pas toujours belles et bonnes.
Combien d'entre vous sont assis sur des sièges éjectables, en attente de bilans, de nouvelles d'êtres chers trop loin ou trop malades?
Combien aussi sont ancrés dans une peine profonde, deuil et désespoir?

Il y a des jours où la Météo ne suffit pas à créer l'événement, même si les JT s'en régalent jusqu'à plus soif…

Avant donc la traditionnelle glissade vers l'année nouvelle, je vous souhaite à tous une soirée chaleureuse et une entrée somptueuse dans l'année nouvelle, un moral à toute épreuve pour résister aux cauchemars annoncés, un optimisme enraciné dans vos entrailles pour lutter contre la sinistrose ambiante et saper les discours des insidieuses Cassandres… Il est certain que l'avenir n'est pas rose, il est évident que les efforts attendus seront drastiques et durables. Et la Justice, dans ce remugle, sans doute souvent ballottée,bafouée, oubliée, remisée aux grandes Espérances. Mais tant qu'il y a de la Vie…

"Aide-toi et le ciel t'aidera…" , nous répétait à l'envi ma Grand-mère…
Commençons donc par vouloir être simplement bien dans nos charentaises ou nos basquettes, selon notre caractère, et nos têtes se réjouiront d'un lever de soleil, d'une pastachoute familiale, d'un coup de fil amical, du regard du chien couché à nos pieds…
C'est tout le mal que je vous souhaite du fond du coeur…
De 2008 à 2009, bon vent, bonne glissade et gare à vos patins !!!
IMG_0082.JPG

24/12/2008

Voeux de Noël

DSCF2472.JPG

En montant ma crèche cette année, j’ai installé comme souvent le Ravi au plus près de la Sainte Famille , illustration des Béatitudes au degré zéro. Du « laissez venir à moi les petits enfants » au « Bienheureux les Pauvres d’Esprit »… Cette activité témoigne qu’il me reste un résidu d’enfance, ou de naïveté, si vous préférez. N’empêche, à l’opposé du matérialisme pragmatique confinant presque à l’athéisme militant que GéO préconise, il m’est impossible de ne pas me sentir impliquée dans une quête d’harmonie, un désir d’aboutissement de l’Humain en une reconnaissance des valeurs évangéliques… Je dis bien évangélique, retour à la case Évangile, bien loin du cheminement torturé des Églises. Elles se sont tellement perdues à la conquête du pouvoir sur nos sociétés qu’il ne reste plus à attendre qu’un Grand Soir de Ménage, ni plus ni moins radical que celui qui reconsidérerait la classe politique ou les milieux financiers…Ouh lala ! Quelle philosophie pour un Noël…
Donc se pose ce soir la question de la frontière entre Foi et Crédulité, Dogmatisme et Manipulation. L’histoire de l’humanité, ses avancées et ses retours à l’âge de la Barbarie, est tellement lisible à travers le prisme des abus, qu’il est difficile aujourd’hui d’élever nos générations à venir dans l’optique d’une vraie générosité… Des retraites à préserver aux acquis sociaux, l’homme reste un loup pour l’homme, chacun pour soi et Dieu , ma foi, pour ceux qui s’en contentent…
Je me garderai de gloser plus avant ce soir, d’ailleurs je n’en ai pas le temps puisque GéO s’active à son tour en cuisine…
Cependant, en vous souhaitant à tous un Joyeux Noël, un Vrai grand moment de Bonheur, que vous soyez seul ou entouré de ceux qui vous sont chers, je me remémore juste ce vœux, ce chant d’allégresse :
« Paix sur terre aux hommes de bonne volonté »
Mais crédiou , elle est passée où, la Bonne Volonté ?

DSCF2467.JPG

20/12/2008

De la Sainte Victoire à Sainte Maxime…

Petit festival d’images inédites …
Amusons-nous à défriser les cartes postales, décoiffer les idées reçues, secouer les lieux communs…

Après une semaine de temps « mouillé » sur la Provence, ouvrons un peu l’œil sur les réalités du moment. J’aime ces images décalées : la Sainte Victoire si souvent représentée dans ses atours d’été, blanc dinosaure endormi veillant sur la Provence de Sézanne, la voici chapeautée de neige, enrubannée dans les écharpes des nuages.

Photo0165.jpg

Photo0167.jpg




La neige qui recouvre encore ses flancs a déjà déserté La Sainte Baume qui lui fait face, mais elle rayonne sur les montagnes de Haute Provence qui ferment notre horizon, au nord-est. C’est pour vous, Josiane et Jean-Claude, qui fêtez Noël au loin, dans les brouillards de la vallée de Loire, je vous dédie ces deux photos afin de rappeler à votre souvenir émerveillé les splendeurs du cirque devant vos fenêtres Montmeyannaises…

Photo0191.jpg
<br />
.jpg


D’accord, ce sont des vues prises de Saint Max, mais il suffit de longer la RN 7 en direction de Nice, pour jouir du contraste entre les vignobles liquéfiés, prisonniers des lacs formés par les déversements du week-end dernier et les hauteurs immaculées qui bornent les paysages.

Et tandis que nous promenons nos regards sur cette Provence mouillée et réfrigérée, le soleil a repris ses habitudes : À Sainte Maxime, il dore sur tranche les eaux calmées de la Baie, les pêcheurs ont sorti à nouveau leur attirail et taquinent gentiment les petits sars et les mulets, profitant des rayons chaleureux de l’astre du jour…

Photo0182.jpg

Photo0187.jpg

Photo0189.jpg

Photo0185.jpg

15/12/2008

La relève

Ce tout petit billet du soir pour souligner qu’un talent réel se signale quand il peut toucher tout le monde, et que la reconnaissance d’un talent ne tient pas qu’à la promotion convenue des milieux branchés.

J’ai écouté le slam d’un chouchou actuel des radios, et j’ai plaisir à reconnaître l’émotion qui m’a saisie en entendant ces mots--là, lyriquement orchestrés par sa voix aux sonorités claires et profondes.

Il chantait comme Jacques Brel, quand le poète parlait de ces gens-là ou des chagrins de Jeff.
Il m’a semblé alors entendre à nouveau cet accent universel qui est une véritable expression artistique. Et puis un peu par hasard puisque je ne suis pas vraiment fan des émissions variétés, à la télévision, je l’ai vu, cet homme magnifique, au regard direct, aux traits de Prince Éthiopien, ce qu’il n’est pas, mais il m’a paru si beau ce tout jeune homme, qu’il en a la noblesse telle qu’on l’imagine à la lecture de Pierre Loti.

Alors, évidemment, je me suis renseignée : Abd Al-Malik n’est pas un débutant, il sort déjà son troisième album et n’a pas besoin de mes gouttes d’O pour assurer son succès. Mais il me plaît de saluer le talent de la relève et dire mon plaisir à constater que toujours quelque chose émerge, la Création est une force vive à toutes les époques, les contextes les plus divers peuvent être source de créativité, d’inventivité. Tant qu’il y aura des talents variés pour dire la Vie, la chanter ou la danser, transmettre les émotions et les espoirs, la civilisation n’est pas fichue.
Écouter Abd Al-Malik impulser tant de forces vives à ses contemporains, « Ça c’est du lourd » !

Un autre jeune homme, à la poésie plus douce, plus taquine, plus tendre, ce qui n’exclut pas une pointe d’ironie pour piment de ses rimes, c’est Renan Luce. À suivre et à écouter avec attention, celui-là aussi, même si GéO relègue dans le même sac les « susurreurs » de mots tranquilles. À nous, « les vieux de la feuille », de lutter contre la tentation de remiser les jeunes talents dans un agglomérat inconsistant, comme si seuls les souvenirs de nos jeunes années valaient la compagnie de nos retraites douillettes. Il y a dans le renouveau des jeunes talents plus d’inventivité et d’humanisme que dans les rengaines éclusées des vingt années révolues. Franchement, quoi de plus tarte que les chansons des années 80?

Un jour, je vous parlerai aussi des émois que je dois à Lynda Lemay. La force de ses chansons qui résonnent comme autant de Nouvelles fortes où elle témoigne de mille vies vécues, de déchirures si tragiques, en corollaire d’un regard renouvelé par son humour corrosif. Je suis amoureuse de ses expressions si neuves qui accompagnent et allègent mes sempiternelles corvées ménagères que toute femme est censée accomplir naturellement, simplement parce que le sort (et surtout le poids des traditions qui arrangent bien nos hommes, hélas !) ) l’a dotée du syndrome VMLR, le gène Vaisselle-Ménage-Lessive-Repassage. Et je souhaite tant que nos filles y échappent, à écouter la relève, il me semble parfois que ce doux rêve progresse…à pas comptés.

13/12/2008

Mot d'ordre: Noël !!!

Décembre, tout le monde le sait, c’est le dernier mois de l’année.
Une année entière qui s’achève, ça appelle au bilan. Mais on n’a pas le temps, pas encore : On a d’abord un grand moment à préparer, un temps fort comme on disait à l’école en préparant les fêtes et les célébrations. Et chaque année, on recommence, on y pense à l’avance, on calcule, on compte, on réfléchit, on prend des résolutions aussitôt balayées d’un coup de cœur.
Non, c’est Noël quand même !
On va marquer le coup…

Avez-vous remarqué comme nos messageries ont enflé ces temps-ci ?
Des mails qui s’étirent en une liste interminable, surgissent de nulle part, émanant de sociétés dont on ne soupçonne même pas l’existence, qui tout à coup s’annoncent à votre intention avec familiarité, en utilisant tout de suite le petit nom, comme si on avait gardé les vaches ensemble :
Quelques exemples parmi les centaines qui envahissent mon écran ces temps-ci:

De : "Stefanie de Culture Quiz" <"Stefanie deCultureQuiz"@bp06.net>
Date : 11 décembre 2008 12:47:06 HNEC
À : odechollet@orange.fr
Objet : Odile, le nouveau thème est arrivé !

Là encore, il s’agit de jouer et sans blague, ça fait plaisir, un nouveau thème !

De : "Fabuleos via Noe-Noa"
Date : 10 décembre 2008 16:48:37 HNEC
À : odechollet@wanadoo.fr
Objet : ODILE, Faites des économies sur vos achats de Noël

Sympa, cette fois, faire des économies, surtout par les temps qui courent, mais elle calcule mal, Fabuleos, elle veut que j’économise en dépensant mes sous chez elle… À la rigueur, va pour, mais je n’ai vraiment pas besoin de tout ce qu’elle propose…

De : Dr Pierre Ricaud
Date : 10 décembre 2008 14:40:01 HNEC
À : odechollet@wanadoo.fr
Objet : Odile, ce soin vous est offert. Valeur 85 euros.

C’est cadeau, d’accord, mais seulement si j’achète pour trois fois plus, dommage !

De : Grand Jeu Superbonplan
Date : 10 décembre 2008 12:26:30 HNEC
À : Odile Chollet
Objet : Odile, 6 offres gratuites pour vous

Là, on commence à fatiguer un peu, non ? C’est prenant d’ouvrir tant et tant d’offres, GéO me rappelle à l’ordre pour le déjeuner…


De : " Aurélie de BienManger.com"
Date : 10 décembre 2008 11:54:37 HNEC
À : odechollet@wanadoo.fr
Objet : Odile, des idées gourmandes pour Noël

Eh nous y voici, au cœur du sujet, tous ces courriels qui débordent de la boîte à courrier, c’est à cause de NOËL !
Comme si tout à coup, crise ou pas crise, toutes nos pensées, nos activités, nos communications ne répondaient plus qu’à un seul et même mot d’ordre :
Dépenser, dépenser, DÉPENSER, DÉ-PEN-SER !!!

Et là, je dis : » STOP ! »

NOËL, d’abord, ce ne devrait pas être la fête du commerce…
NOËL, ça ne devrait pas être cette abondance de luxe, de bouffe, d’énergies dispersées, de courses effrénées…
NOËL, ça ne devrait pas motiver cette contrainte qui nous oblige à bousculer nos habitudes, nos modes de vie, à exploser nos budgets, à emprunter pour acheter les jouets à la mode, les gadgets high tec incontournables, à ingurgiter des tonnes de produits étiquetés Luxus alors que toutes les enquêtes soulignent que ce sont des produits quelconques, pas meilleurs en tout cas que les produits discount.
NOËL, ça ne devrait pas être cette vaste arnaque commerciale, cette surenchère scandaleuse qui repose sur une USURPATION.


Quand j’étais petite fille, (et revoilà le refrain du bon vieux temps, l’Eden des anciens, hum, hum), quand j’étais donc une petite fille, la seconde d’une fratrie de quatre enfants, nos Noëls commençaient vraiment le 24 décembre dans l’après-midi. Plus tôt, mes parents n’avaient pas le temps… Encore que, mais, non… je vous le confierai peut-être plus tard.
Donc, dans l’après-midi du 24 et pas avant, notre père apportait à la maison un sapin tout fraîchement coupé, qui sentait bon la résine, une odeur presque mentholée, piquante et sucrée.
On l’installait dans un coin de la salle à manger exceptionnellement ouverte pour l’occasion, car par économie de chauffage, toutes les pièces de la ferme n’étaient pas couramment occupées.
Et tandis que nous étions tous quatre convoqués à la décoration de l’arbre magique, en utilisant les mêmes boules, guirlandes et bougies que les années précédentes, mes parents s’enfermaient dans la cuisine, où ils préparaient… Non, où Maman préparait le dîner fin, dont Papa était allé quérir les ingrédients dans la matinée, comme un rite immuable et secret, à eux deux réservé.
Nous restions en famille, ce qui n’était pas si usuel, car ma sœur aînée, puis moi, puis mon frère, nous avions assez tôt été pensionnaires et donc le rassemblement des vacances présentait en soi une fête, une halte de paradis retrouvé, que chaque rentrée dissipait à nouveau.
Voilà pour moi ce que devrait encore être l’esprit de Noël.
Un retour à la source intérieure favorisée par l’obscurité du solstice, ces longues nuits d’hiver que nous pourrions mettre à profit pour se retrouver, descendre en soi-même sans faux-semblant ni jugement, juste pour retrouver la petite musique originelle de nos instincts vitaux.
Donner à Noël une intimité festive, un échange de présents symboliques, comme l’orange et le chocolat que nous disposions au coin de la cheminée pour remercier le Père Noël de ses cadeaux gratuits.
Car je milite volontiers pour préserver quand même Le Grand Mensonge, qui reste une des meilleures inventions de notre société, mais qui s’est trouvé trop vite détourné. Le Père Noël s’apparente aux mythes fondateurs, représentation individuelle et collective d’un aspect essentiel des relations humaines : l’Amour dans son concept de gratuité, à l’expression manifeste et discrète à la fois, simple et redondante. Une manière de don à ceux que l’on intègre comme siens, sans impliquer le retour du merci obligatoire et formel. Ce joli petit mot qui fonctionne alors comme un miroir réfléchissant : « je dois te donner comme tu m’as apporté ». Que devient-il, ce Père Noël sublime, quand les parents et grands-parents emmènent les enfants dans les cirques des grands magasins, afin que leurs petits aiguisent leurs appétits de possédants ?

Et encore, je vous épargne la signification religieuse, l’humilité du dépouillement légendaire du nouveau-né, le sens spirituel originel de cette tradition. Pourtant, avec ses cohortes de mal logés et de SDF, notre société ne nous offre-t-elle pas à longueur d’année le spectacle infiniment sordide de crèches vivantes définitivement ignorées par les Rois Mages? Ce Mage qui réside dans les ors de la République, drapé des oripeaux flamboyants du pouvoir, inaccessible aux besoins des petits, des sans-grade et sans économies.

Vous voyez que nous sommes loin de cette recherche d'une oasis de Paix et d'Harmonie, ce retour à la source intérieure que l'obscurité des nuits du solstice devrait favoriser. Une festivité de l'intime, du méditatif, n'excluant ni solidarité ni joie, bien au contraire.
Par quel cheminement progressiste sommes-nous arrivés à l'exubérance commerciale des Noëls actuels?
Ce n'est pas si récent, en effet, je me souviens des réflexions échangées avec ma belle-mère devant les montagnes de cadeaux que l'Oncle Jimmy, désigné Père Noël de l'année, distribuait à notre nichée d'alors. C'était il y a presque trente ans, et nous avions honte de la somme approximative que nos évaluations atteignaient.
Et cependant, qui ne fête pas Noël de cette façon dispendieuse , dans notre civilisation occidentale?
En dehors de quelques intello-récalcitrants, dont j'ai connu au moins une famille , tous les milieux participent au Grand Rendez-Vous de la dépense, même ceux qui n'ont aucune raison de fêter l'avènement de l'enfant-Dieu: familles agnostiques ou athées, juives ou musulmanes.…Puisque Noël n'est plus une fête spirituelle.

Mes parents, pourtant, nous ont donné cette éducation religieuse a minima qui est le lot de beaucoup d’enfants de ma génération: catéchisme obligatoire, baptême, communion privée puis solennelle avec grande fête de famille, et messe du dimanche incontournable, mais sans eux. Eux, ils étaient occupés, et c’était vrai : une ferme avec des animaux, ça occupe sept jours sur sept, pas le temps d’aller à la messe…
Néanmoins, le curé passait prendre le café, parfois même l’apéritif pour recevoir le denier du culte, et il était invité de facto aux fêtes solennelles. Nous avions parfaitement compris qu’entre mes parents et ce vieux Monsieur le Doyen qui puait la cigarette froide, il y avait une relation respectueuse et presque affectueuse : ils les avaient vus grandir, les appelait Jean et Janine, les avait mariés tout de suite après la guerre…Nos baptêmes, nos présences au catéchisme allaient de soi et je n’imagine pas que l’éloignement réel de l’Église que ressentaient mes parents ait pu altérer leurs relations. Jamais d’ailleurs mes parents n’ont tenu de propos moqueurs ou négatifs sur le fond de l’évangile. Comme beaucoup de jeunes au sortir de la guerre, ils s'étaient dépouillés d'une religiosité naïve et conformiste, ils en voulaient à la société lâche des Bien Pensants et Grenouilles de bénitier qui fréquentaient la paroisse et « dégoisaient » sur le parvis à la sortie de la Grand-Messe dominicale. D’où l’interdiction que nous avions de nous y attarder, il fallait rentrer tout de suite après l ‘ » Ite, missa est » prononcé et nos cartes de présence signées. Sinon, gare, soupçon de délit de commérage, ah ah !, ça, c’était grave!

Revenons donc à nos Santons, ou plutôt à tout ce qui n’est pas dans l’air du temps.
Certes, il y a encore de nombreux catholiques, pratiquants ou non, qui vivent leur Noël pour la fête religieuse qu’elle est.
Mais autour de nous, existe-t-il encore une petite motivation d’harmonie et de monde meilleur ? Une envie de partage et simplement le désir de marquer une pause et de jeter un œil humble sur nos arrangements personnels…
Une façon de se dire, en ouvrant les portes de nos maisons aux invités, que les compromis quotidiens, les agacements ponctuels, les difficultés redoutées ou les renoncements imposés ne sont pas si graves, pas si définitifs, pas si irréversibles et que le cours de nos vies s’embellit de la souplesse adoptée face aux événements. Ne pas tout avoir, ne pas tout posséder, et surtout jamais l’Autre, ne pas lutter indéfiniment pour imposer sa volonté ou jauger son propre bonheur à l’aulne des images imposées à tous les coins de rue. Ne pas se sentir humilié parce qu’on a moins, prêter moins d’attrait aux strass et aux paillettes, ne pas dévaloriser son quotidien…

Allez, c’est promis, demain je nettoie ma boîte mail de toutes ces fausses promesses de cadeaux, de ces gains fictifs, de ces loteries attrape-nigaud…
Alors, elle est pas belle la vie ?

11/12/2008

Mélusine


Elle a reçu en cadeau de naissance un prénom de fée,
Providentielle intuition pour l’armer contre sa destinée.


En ce début d’après-midi, le calme enfin établi dans la classe, Alice entreprend de se détendre à son tour. Les rideaux bleus tirés ont plongé la salle dans une ambiance de détente et les élèves du CP se sont installés dans ce bref moment de silence du tout début d’après-midi.
L’enseignante vient juste de noter la chaise vide de Mélusine, et s’apprête à signaler l’absence de la petite fille. Brutalement la porte s’ouvre et une silhouette masculine apparaît dans le chambranle. Alice reconnaît immédiatement le visage du visiteur, qui pousse devant lui une fillette, tête basse et corps inhabituellement courbé en deux. Retenue à l’épaule par la main de son père, la tête engoncée dans le col de la grosse doudoune, à son habitude, Mélusine se dirige vers la rangée de portemanteaux. L’institutrice s’avance vers le duo, autant pour accueillir son élève que pour contenir l’intrusion paternelle. Mélusine profite de l’écran dressé par l’institutrice face à son père pour lui échapper ; comme par jeu, elle se penche brusquement et passe sous les bras de l'institutrice. De la main, Alice encourage l’homme à rebrousser chemin et sortir de la pièce. Mais il ne semble pas comprendre et entreprend de contourner l’obstacle en se justifiant :
- Mais laissez- moi passer, vous voyez bien, je vais l’aider à se déshabiller.
- C’est inutile, Monsieur Genestre, votre fille sait parfaitement se préparer et s’installer, d’une part, et d’autre part, vous ne pouvez pas rester dans la classe, ça dérange les enfants…
- Mais non, ils me connaissent tous, je les vois tous les soirs quand j’attends Mélusine sous le préau.
Alice s’impose un terrible effort sur elle-même pour continuer à chuchoter face à l’intrus qui s’exprime à pleine voix, sans souci du silence autour de lui. Elle n’éprouve aucune sympathie pour l’homme aux yeux très clairs qui lui fait face, mais sa motivation repose surtout sur sa volonté de mener tranquillement son programme établi… Elle n’a qu’une hâte, faire sortir ce personnage envahissant et reprendre son groupe en main. L’intrus cependant poursuit son manège, percutant les tables des élèves, maladroit dans le labyrinthe des petits bureaux. De plus, en observant rapidement le comportement de Mélusine, maintenant assise à sa place, elle a l’impression que celle-ci s’est enfoncée dans son minuscule espace comme pour s’y agripper et se confondre dans le bois du mobilier. Finalement, Alice se résout à hausser légèrement le ton, les élèves étant de toutes les manières déjà très intéressés par l’événement. Le calme rompu, il faut reprendre rapidement la situation en main.
- Bon, éclate-t-elle d’une voix ferme, et toute la résolution qu’elle y met suffit à arrêter net la progression paternelle, Mélusine est installée et vous ne devez pas rester ici. Votre retard est déjà dommageable, votre présence l’est davantage…

Il reste là, planté au milieu des bureaux, comme incapable de faire marche arrière et la situation semble s’éterniser. Utilisant la configuration du dédale qu’elle connaît très bien, l’enseignante réussit à se faufiler habilement entre l’allée où Mélusine a pris place et l’homme, intuitivement certaine qu’elle doit faire rempart. Sentant alors qu’il ne domine pas le territoire, l’homme hausse les épaules avant de rebrousser gauchement chemin. Parvenu à la porte, il se retourne lentement pour lancer :
- Il me semblait quand même plus poli de venir vous expliquer la cause de notre retard et vous parler de Mélusine.
- Vous savez bien qu’en cas de retard, le règlement de notre établissement vous demande de laisser l’enfant au secrétariat et d’y fournir votre justification, c’est une démarche préférable à …
Balayant d’un mouvement circulaire la classe maintenant agitée, elle laisse le geste achever son argumentation. L’homme prend encore le temps de regarder individuellement tous les enfants, et, à nouveau, Alice ressent viscéralement cette manoeuvre comme une menace, se promettant in petto de faire le nécessaire pour éviter qu’une telle situation se reproduise. Satisfait sans doute de son effet, le personnage salue certains enfants par leur prénom, avant de franchir lentement la porte qu’il referme sur un ralenti parfaitement calculé.

Alice s’efforce de maîtriser sa respiration, cherchant dans son ventre l’appui pour poser sa voix sans laisser percer son énervement. Les enfants de six à sept ans sont encore gouvernés par l’instinct et la confiance qu’ils accordent à l’adulte qui s’occupe habituellement d’eux, même s’ils sont prompts à réagir à tout incident. Toute rupture des habitudes suffit à provoquer l’égaiement du groupe, mais la force des rites s’impose quand il s’agit de reprendre le cours normal des activités. Ainsi le matériel des « activités calmes » disparaît en un clin d’œil, Alice ouvre le dernier des rideaux bleus, ordonnant machinalement la suite des mises en œuvre :
- Sortez vos ardoises et vos feutres…
La porte s’ouvre à nouveau, et le visage d’une femme s’insinue dans l’entrebâillement :
- Encore !
Le commentaire jaillit des nombreuses petites bouches, manifestement amusées et soulagées d’échapper un temps encore à l’effort attendu.

- Pouvons-nous vous parler un instant ?
Sans attendre la réponse, la femme pénètre dans la pièce, suivie de près par deux autres personnes qu’Alice identifie comme mères d’élèves, elles aussi.
Retenant la vague de contrariété qui commence à gonfler dans sa poitrine, elle se dirige vers ses visiteuses, bien décidée à les évincer rapidement.
-Vous savez, ce n’est guère le moment, je vous verrais plus volontiers à cinq heures moins le quart, après la sortie.
- C’est que nous devons vous confier un incident très grave, qui doit se traiter tout de suite.
L’une des visiteuses entreprend de lui indiquer Mélusine, à force de roulements d’yeux d’un effet presque comique.
- Vous voulez parler d’un élève ? Mais c’est hors de question ici et maintenant…
- Vous ne savez pas ce que nous avons vu et il faut absolument régler cette question tout de suite, la coupe l’une d’elles, qu’Alice connaît bien pour avoir eu les deux aînés, quelques années auparavant.
- Vous nous connaissez toutes les trois, n’est-ce pas ? Vous savez que nous ne sommes pas désireuses de colporter des bruits inutiles et des ragots, reprend Madame Hermann, maman de la petite Noémie, assise non loin de Mélusine.
Effectivement, jusqu’ici, Alice n’a jamais eu à répondre à une telle pression, ni à un comportement aussi intrusif.
- Écoutez, la récréation débute dans moins de quarante minutes, je vous parlerai à ce moment…
-Non, ce sera trop tard et dangereux…
Madame Hermann, grande femme à l’allure imposante, vient d’intervenir autoritairement, ce qui contraste avec sa courtoisie habituelle.
- Il s’agit d’une de vos élèves que nous estimons être en danger après la scène dont nous venons d’être témoins, et nous avons attendu la sortie du fautif pour venir vous voir, mais nous sommes choquées et persuadées que c’est à vous d’intervenir, soutenue par nos témoignages, cela va de soi.
- Vous savez que je ne peux pas quitter mon groupe, vous ne pouvez pas parler de l’un d’entre eux comme ça…
- Alain peut bien vous remplacer un moment, n’est-ce pas ? Je vais le chercher, suggère la dernière, qui n’a pas encore pris la parole.
Alain est le surveillant général de l’établissement, poste plus particulièrement dévolu au collège dans le groupe scolaire, mais les relations familiales induites par la petite taille de l’établissement favorisent la polyvalence de son poste.

Alice prend rapidement conscience de la détermination des trois mères de famille, et la teneur de la scène qu’elles rapportent justifie leur émoi.
Elles expliquent effectivement qu'une demie-heure plus tôt, elles se tenaient toutes trois sur le parking contigu à l’école, prolongeant leur conversation, comme beaucoup de mères au foyer allègent leur routine en la socialisant. C’est alors que sur ce parking qui se vidait progressivement des véhicules familiaux, une voiture s’engouffra brutalement, avec force crissement des roues et coups de volant brutaux.
Elles assistèrent à la sortie du côté chauffeur d’un homme au comportement agité, qui contourna sa voiture pour ouvrir la portière arrière, se pencher à l’intérieur et extirper un paquet rose. Le paquet mou s’effondra sur le sol du parking et l’homme se mit à lui donner des coups de pieds rageurs, accompagnant ces gestes de cris. À leur stupéfaction, les trois femmes découvrirent que le paquet s’agitait. Elles identifièrent une tête aux cheveux blonds s’échappant alors du bonnet rose.
- Ça nous a retournées, vous comprenez, nous l’avons reconnu à ce moment-là et, comment vous l’expliquer, nous nous sommes précipitées vers lui en criant, nous étions bouleversées… Alors, en nous voyant arriver vers lui, il a empoigné sa fille, l’a relevée et emmenée vers l’école, sans qu’elle touche terre la pauvre petite… La porte de l’école était déjà fermée, on a dû sonner comme lui avant nous. La secrétaire nous a ouvert, elle nous a conseillé de venir vous raconter l’histoire, elle dit ne pas savoir ce qu’il faut faire…Je crois qu’elle ne veut pas s’en mêler…
Ce discours débité très vite par Madame Hermann, à mi-voix, pourrait être suivi par l’auditoire. Alice prend conscience immédiatement de la gravité de la situation, et de la multitude des paramètres qu’elle doit prendre en compte. Avant tout, prendre un peu de recul, s’enquérir de l’état de Mélusine, faire en sorte que la classe retrouve son calme et ne profite pas des perturbations successives. En un mot maîtriser la situation…
À peine la porte refermée sur les visiteuses, une légère tocade signale une troisième intrusion.
- Encore !
Les voix fluettes sont parfaitement synchronisées pour exprimer une jolie palette d’amusement, d’excitation, d’impatience, de curiosité. Une telle répétition de visites constitue la condition idéale et suffisante pour générer une joyeuse excitation dans le groupe.
Laissant échapper un soupir bruyant, Alice se retourne pour découvrir la présence discrète de sa directrice, Mylène Faidoyen, alertée par la secrétaire. Mylène n’est pas particulièrement portée vers les vindictes, mais la direction du groupe scolaire qu’elle assure depuis quelques années l’a vaccinée contre sa retenue naturelle. Elle sait donc quand il convient d’agir et de soutenir ses collègues.
- Comment va Mélusine ?
- Il faudrait que j’aie le temps de lui parler, ça n’arrête pas, ces visites…
- Je sais, voilà ma proposition, Alice, je vais prendre la classe, emmenez-la d’abord avec vous quelques minutes pour dédramatiser et essayer de voir si elle souffre. Martine essaie de joindre un médecin qui viendra l’examiner si vous pensez que c’est nécessaire. Ensuite, vous allez dans mon bureau et vous appelez le bureau du procureur de la république en charge, vous trouverez son numéro sur la table, exposez le cas, on verra bien.


Mélusine, invitée par Alice « à venir se laver les mains et le bout du nez » reste coite, engoncée dans sa peur manifeste. Maladroitement, L’enseignante essaie de vérifier si elle peut bouger normalement, lui demande si elle accepte de lui montrer son ventre, pour voir…
Aucune trace particulière de bleus, rougeurs, hématomes, mêmes anciens, ne sont visibles sur le corps de la fillette. Elle ne réagit pas quand l’enseignante palpe son ventre, cherchant une réaction de défense… Heureusement, la doudoune toute neuve est épaisse, les coups ont été amortis, peut-être même étaient-ils portés moins violemment que les trois mères ne l’ont ressenti… « N’empêche, un tel comportement reste traumatisant, je ne peux pas laisser passer… » Alice en est là de ses réflexions, en remmenant la fillette vers la classe, quand le murmure de Mélusine la surprend.
- Comment ça, Mélusine, tu peux m’expliquer ?
Perdue dans ses pensées, elle n’a pas entendu le message ténu, mais elle sait qu’elle ne doit pas perdre le contact …
- De toute façon, quand i veut m’faire mal, i retourne sa bague comme ça…
Et se saisissant de la bague qu’Alice porte à l’annulaire, la petite tourne le chaton côté paume, puis elle amène la main d’Alice contre sa joue.
- Tu vois, comme ça, ça fait plus mal.
Le ton est naturel, la voix est simplement réduite à un filet presque inaudible, Alice doit tendre l’oreille. Elle voudrait lui faire répéter, histoire d’être certaine de son fait, mais elle n’ose pas, craint d’être maladroite et d’augmenter le malaise de la fillette.

Sa conversation avec la secrétaire du procureur la laisse perplexe. D’abord, elle doit surmonter son propre malaise, se forcer à commettre une délation, son sens personnel des valeurs est déstabilisé. La personne au bout du fil ne l’aide en rien, se bornant à répondre des « bien, je note, mais monsieur le Procureur n’est pas là, on est vendredi après-midi, voyons, faites-moi plutôt un rapport détaillé que vous adressez en recommandé à Monsieur le Procureur… » La belle affaire, jouer au corbeau maintenant, il ne manquait plus que ça pour enjoliver le week-end !

**

Cet interminable après-midi est en passe de s’achever, enfin.
Tandis que la classe se vide, elle guette sous le préau la silhouette du père de Mélusine, de sa mère à défaut. Elle les a reçus déjà tous deux, ensemble et séparément plus d’une fois depuis la rentrée scolaire, tant le comportement de la fillette a levé d’alarmes dans sa conscience d’enseignante.

Depuis plus de deux mois maintenant que l’enfant a intégré le CP, l’enseignante a eu le temps de l’observer et de comprendre que cette petite fille a un problème, non, des problèmes de concentration, de mémorisation, de relations avec ses camarades comme avec elle. Toujours isolée en récréation, ce qui est un signal majeur pour tous les enseignants « des petites classes », elle semble constamment en fuite, ne croise jamais le regard, réussit en un clin d’œil à salir tout travail qui lui est demandé, taches de feutres, gribouillis illisibles, gommages jusqu’à la perforation du papier…
Chaque fois qu’Alice a essayé de prendre la petite en aparté pour lui apporter une aide particulière, elle a constaté le même manège. Pour ne pas se retrouver en face de son professeur, Mélusine tourne sur sa chaise, se tortille tant et si bien qu’elle peut se retrouver assise à l’envers, les jambes passées entre les montants du dossier. Alice s’applique donc souvent à se positionner derrière elle, assise sur une chaise à la hauteur des élèves et tente de la sécuriser en parlant à voix douce, lentement, mais elle perçoit toujours la même dérobade. Elle a constaté que Mélusine ne supporte pas d’être touchée, si elle pose ses mains sur les épaules enfantines, Mélusine s’agite encore davantage, se laisse glisser jusqu’au sol, rampe sous l’assise de la chaise. Évidemment ce comportement n’a pas échappé aux différents membres de l’équipe enseignante. Alice a demandé, obtenu deux ou trois entrevues avec les parents, ensemble puis séparément. Des entretiens creux, des banalités opposées à ses remarques et au bilan peu réjouissant de la participation de Mélusine aux activités scolaires, « mais ce n’est qu’un début, n’est-ce pas ? Il faut laisser du temps aux jeunes enfants pour s’adapter, vous savez bien qu’elle est nouvelle », et les usuels « je l’ai dit à mon mari », « ne vous inquiétez pas, ma femme en tiendra compte ».
Ce soir, alors que tous s’égaient pour le dernier week-end avant les vacances d’automne, Alice veut absolument s’entretenir avec le père de Mélusine, lui donner la parole et justifier son attitude, lui rappeler les règles communes, rattraper l’entretien qu’elle lui a refusé tout à l’heure. Elle veut surtout le regarder dans les yeux pour lui faire part de la mesure qu’elle a entreprise dans le courant de cet après-midi perturbé. Elle n’imagine pas rédiger une lettre dans son dos, dénoncer un comportement brutal qui lui a été rapporté par des témoins, sans lui en parler. Il y a aussi la confidence de l’enfant qu’elle doit expurger, demander raison, écouter, comprendre, jauger le danger, défendre son élève ou du moins proposer une aide, envisager des solutions. Enseigner, dans son éthique personnelle c’est surtout transmettre de la matière humaine, aider un petit d’homme à se construire, agir sur l’Humain, impossible donc de sortir de cette classe sans avoir percer l’abcès.

Et pendant qu’elle attend, les joues en feu et le cœur affolé dans sa cage trop petite, elle passe en revue le moyen d’engager le débat. Ne pas s’affoler, exposer clairement ce qu’elle doit dire, dans l’ordre, un point après l’autre, elle sait qu’elle sait faire. Mais… Comment l’homme réagira-t-il, se sachant dénoncer par d’autres parents, que répondra-t-il sur l’histoire de la bague ? À quel moment est-il le plus judicieux d’en parler ? …
L’homme se fait attendre, les portes de l’école sont refermées par Alain, le surveillant, qui passe la tête dans l’encadrement de la porte.
- Alors, tu l’as vu, ce père d’élève ? Et la petite, elle est avec toi ?
- Non, aux deux questions, non…

Alain de son côté a bien guetté aussi l’arrivée des parents, à la demande expresse d’Alice, qui sait combien le flot humain des sorties est idéal pour perdre de vue l’important. Ni l’un ni l’autre n’ont remarqué la sortie de la gamine, ni les silhouettes recherchées. Par acquis de conscience, Alain fait le tour des locaux, et des toilettes de maternelle, il ressort victorieux, poussant devant lui la doudoune salie, en haut de laquelle émerge la choupette de cheveux blonds, et en bas, les chaussures éternellement délacées de Mélusine…
- Et voilà, j’ai retrouvé Peau d’Âne, annonce-t-il, feignant une allégresse qu’il est loin de ressentir…

- Bon, avec tout ça, il est six heures et demie, à cette heure-ci, il n’y a plus que nous… Que comptes-tu faire ?
- Attendre, qu’imagines-tu ? Passer un coup de fil pour savoir si les parents sont chez eux, s’ils ont conscience d’avoir oublié Mélusine, s’il y a quelque chose qui nous a échappé…

- D’accord, je fais encore ça pour toi, après…
- Oui, oui, après, tu pourras partir, je sais que tu as encore un bout de chemin à faire pour rentrer chez toi.

Alice et Mélusine attendent encore près d’une heure avant que le couple ne se présente. Comme l’enseignante expose son souhait de ne pas mêler l’enfant au débat, la mère repart avec la fillette, le père acceptant le principe de l’entretien.

Longtemps, Alice considérera cette discussion comme un des moments les plus désagréables de sa vie. Malgré sa nature peu vindicative, elle a rarement ressenti une hargne aussi vive contre la mauvaise foi manifeste de son interlocuteur, analysant la rouerie de l’homme qui la manipule, alternant fausse soumission, faisant mine de quémander son avis et ses conseils, pour mieux la provoquer ensuite de constats déstabilisants. Son aversion naturelle contre lui se renforce de mot en mot, de phrases ambiguës en sourires hypocritement contrits. Difficile pour Alice, pourtant habituée par l’expérience aux entretiens contradictoires, de conserver une objectivité de rigueur. Elle a beau se morigéner intérieurement, son antipathie croît à mesure que les points qu’elle aborde sont réfutés et contrés par son « adversaire ». Elle a compris que c’est un jeu pour lui, et son malaise s’en accroît davantage encore, car elle se sent les joues en feu, la lèvre supérieure ourlée d’une légère sudation trahissant son trouble. C’est à elle-même qu’elle en veut maintenant, maudissant cet exercice auquel elle s’est contraint par scrupule.
Sa colère éclate quand au détour de sa diatribe, l’homme lui confie, ses yeux trop clairs plantés droit dans son regard :
- … Ben nous, à la maison, on n’a pas de fausse pudeur avec nos petites. On pense que c’est pas la peine de se cacher, c’est malsain, vous êtes d’accord, hein ?
Sans attendre plus que ça la réponse d’Alice, il enchaîne, une curieuse lumière dans ses iris glacés:
… Et puis, vous savez comme sont les hommes, vigoureux au réveil… Ben moi, j’aime bien réveiller mes petites comme ça, à poil… On veut qu’elles se sentent aimées, nos filles, oui, elle voit bien qu’on les aime, on s’cache pas…
Alice se sent tendue par l’indignation. « Mais il se fiche de moi, ce tordu ! »
- Vous vous rendez compte de ce que vous me dites, je suppose… Que cherchez-vous vraiment en ce moment ? Nous avons parlé d’aide, je ne reviens pas sur la question, l’aide que notre école doit apporter à Mélusine , c’est une chose. Mais je me dois de rapporter les propos que vous me tenez ce soir, je vous ai dit que je devais faire un signalement, vous confirmez en ce moment l’urgence de la démarche. Allez-vous accepter de recevoir les services sociaux ?
L’homme se redresse, son sourire s’éteint progressivement, la mine grave, il regarde encore Alice avec aplomb avant de lui lancer :
- Faites votre sale boulot de délation, de mon côté, je vais en toucher un mot à mes copains de la gendarmerie, on verra bien…
Là-dessus, il ramasse son manteau posé à ses côtés, hésite manifestement à se charger du cartable oublié par la fillette, décide de le laisser sur place et d’un salut ironique de la tête, il quitte la salle. Alice n’a d’autre ressource que de courir derrière lui pour ouvrir le portail de l’école.


***

C’est au cours des vacances de Février qu’Alice reçoit une convocation pour se rendre à la gendarmerie de N…, la petite ville où se situe l’établissement scolaire.
Entre-temps, Mélusine est restée inscrite à l’école, malgré les craintes de l’équipe enseignante, mais elle n’a guère progressé, en dépit de l’aide resserrée qui lui est dévolue. Les rapports avec les parents sont apparemment courtois, mais tous les autres entretiens se déroulent en présence de Mylène Faidoyen, dans son rôle de direction, afin d’éviter d’autres provocations.
Aussi Alice n’est-elle pas particulièrement tendue quand elle se rend à la gendarmerie, étonnée du surgissement de l’affaire après un si long délai.

Dès qu’elle se présente dans le hall, elle perçoit dans les regards des hommes en uniforme une sorte d’amusement. Patiemment, elle attend plus de vingt minutes avant d’être introduite dans un bureau, où on la fait asseoir face à la porte ouverte, offerte au courant d’air froid de cette journée pluvieuse. Un ordinateur est posé sur un minuscule bureau contre cette porte et l’homme qui l’interroge se tient constamment tourné vers son clavier, lui offrant la franchise de son dos vêtu du pull réglementaire. De temps à autre, quand elle hésite sur la précision d’un détail qui lui échappe, il finit par se retourner pour lui adresser un regard amène signifiant peu ou prou « alors, on va attendre longtemps comme ça ? », puis il pianote à nouveau sur son clavier. L’écran bleuté est orienté de manière à l’empêcher de lire ce que l’homme reporte scrupuleusement.
Trois fois de suite, le gendarme commet une erreur et il faut reprendre à zéro, répéter les réponses aux mêmes questions, banales somme toute.
- Vous enseignez depuis combien de temps ?
_ Vous habitez où ?
_ Quels sont vos rapports avec vos collègues ?
- Vous avez souvent des problèmes avec les parents ?
- C’est vous qui avez choisi d’enseigner dans une école privée catholique ?
La première fois, Alice s’est dit que ces questions devaient être utiles pour cerner le contexte, la seconde fois, elle se demande au fond à qui ça rime et quel est le véritable rapport entre l’entente de l’équipe éducative et le sort de Mélusine, la troisième, comme elle hésite sur un détail sans intérêt, l’homme se retourne vivement et lui demande sèchement:
- Alors, vous vous souvenez plus maintenant ? Vous êtes bien sûre de ne pas inventer toute cette histoire ?
Médusée, Alice se récrie :
- Attendez, quel rapport avec le problème de Mélusine, c’est sans intérêt, me faire répéter trois fois l’effectif de ma classe ou le temps qu’il faisait ce jour-là, c’est idiot…
- Ce n’est pas à vous de juger, c’est mon métier de jauger votre degré de crédibilité.
Alice commence à comprendre que le but de cette convocation n’est pas vraiment centré sur le sort de sa petite élève. Ses doutes se lèvent définitivement quand le gendarme soudain radouci se tourne complètement face à elle, lâchant son ordinateur pour la regarder bien en face.
- Alors comme ça, vous êtes divorcée… Vous vivez seule depuis longtemps ?
Avant qu’Alice interloquée lui rétorque une de ses vérités qui commence à chatouiller sa glotte, il reprend :
- En fait, nous connaissons bien Mélusine, et encore mieux son papa. Il travaille souvent avec nous, à cause de son job aux pompes funèbres, il est sur les sales accidents de circulation, quand il faut ramasser les morceaux…
Il marque une brève pause, le regard vissé sur le visage de l’enseignante…
- Je vais vous dire, moi, quand on travaille sur des cas difficiles comme ça, on apprend vite à se connaître. Ce Monsieur, que vous voulez traîner dans la boue, c’est un gars bien, un type qui se carre les sales boulots et qui tient le coup. Et avec sa fille, il est super ! Des fois, il l’amène ici et elle reste à l’accueil, à faire des dessins, c’est pas une môme gênante…
Se retournant brusquement vers l’écran, il ajoute en lançant l’impression du rapport :
- Vous on vous connaît pas, mais faites attention à ce que vous faites, vous portez tort peut-être un peu à la légère… Vous signez ?


****

Alice a quitté l’école deux ans plus tard, sa vie ayant pris un autre tournant. Elle est restée évidemment en contact avec ses collègues de l’école de N… et prend parfois des nouvelles des anciens. Elle a donc su que Mélusine, comme il fallait s’y attendre, suit un parcours scolaire chaotique, mais elle est restée inscrite dans le même établissement. Sa petite sœur, Morgane, guère mieux protégée par son prénom légendaire, est arrivée à son tour en CP, et l’histoire s’est reproduite, à l’identique… Mais cette fois, l’enseignante n’est pas divorcée, la gendarmerie fait tourner ses effectifs, une commission s’est mise en place, une assistante sociale suit la famille…
Peut-être un jour les fillettes sortiront-elles de leur redoutable sortilège. `
S’il est difficile d’aider les petites fées, l’important est de ne pas renoncer.



09/12/2008

Petite Chronique animalière et végétale…

Photo0151.jpg


La chronique Petit Peuple étant très souvent consacrée à Copain, ce qui inclut par force Zuco, il me semble juste, pour une fois, d’ouvrir avec cette photo de Gros Mimi dans sa posture préférée.
Et s’il est vrai qu’elle se tient plus souvent encore ventre en l’air, cette fois c’est le support de sa sieste qu’il faut considérer : Mademoiselle repose sur le toit de ma bonne vielle Saxo, comme tous les après-midi d’hiver. Elle a trouvé là un trône ensoleillé à sa hauteur, en position dominante, d’où elle nargue les chiens voisins, que le grillage retient dans leur jardin. Comme ils aimeraient la déloger et s’offrir une course à l’échalote! Impossible, elle se sait bien à l’abri et dort profondément sur la Méridienne improvisée, ses songes bercés par les aboiements inefficaces de Cliff et Jim.

Photo0150.jpg


Abandonnant Gros Mimi à la délicatesse de ses rêves, nous sommes partis profiter de la douceur du temps dans la colline. Quand, au retour de notre visite aux chevaux qui habitent tout en haut , nos compagnons à quatre pattes s’éclipsent dans le foisonnement des buissons. Ils ne sont pourtant pas bien loin, en arrivant à la hauteur du renfoncement où ils ont bifurqué, nous les découvrons immobiles, nez en l’air, en position d’arrêt, ce qui, vous en conviendrez, est rare pour ces deux chasseurs de mouches…

Nos lurons ont repéré la silhouette d’un intrus sur le tronc de l’arbre couché.
Exténué ou blessé, le canard s’est installé sur ce lit de fortune, où il espère s’abriter des prédateurs. Il est rare ici de croiser des canards sauvages, mais il est vraisemblable qu’il s’agit d’un migrateur, à bout de forces, il ne s’est pas enfui à l’approche des chiens ni à la nôtre.
Pourra-t-il reprendre des forces et retrouver ses compagnons de volée ?

Photo0152.jpg

Photo0154.jpg


Achevons ce petit tour de nos créatures familières par quelques clichés, témoignage de la coquetterie de L’Hibiscus Monstrueux :
Corolles épanouies, sa parure illumine toujours notre séjour. Leur pistil se dresse fièrement, deux jours durant, avant que les pétales n’entament une valse mortifère, ils se rétractent alors lentement, se vissent en une dernière spirale avant de s’abandonner jusqu’au sol, où je les recueille chaque matin. D’autres boutons ont alors éclos et l’Hibiscus Monstrueux jette de nouveaux feux dans notre décor.

Photo0144.jpg


Photo0147.jpg

Photo0148.jpg

Photo0156.jpg


Et, puique nous sommes dans le vermillon, un dernier mot pour saluer ma Cendrillon, chaussée de rouge comme la Dorothée du Magicien D'Oz, et qui ce matin, sema sur les rails du métro sa pantoufle de charme. Elle me raconte dans un mail plein d'humour la nonchalance des employés de la RATP, si peu pressés de secourir les voyageuses aux pieds nus… Ah le service public , son efficacité et le charme de sa compassion… Je ne m'en vais pas vous narrer ici le détail de la mésaventure, Nouchette l'a si bien fait qu'il me semblerait maladroit et malhonnête de me substituer à son écriture… mais vous manquez un Grand Moment, croyez moi…

01/12/2008

Un an déjà !

Eh oui, voilà déjà un an plein que je déverse mes gouttes d’O sur le site.
Au cours de ces douze mois, je n’avais pas pensé me retourner pour dresser un bilan, il me semble que nos vies se jalonnent d’anniversaires autrement marquants. Quoiqu’à sa façon, gouttesdo, sans faire de bruit, représente un véritable plaisir à rédiger, spontanément, sans y investir d’ambitions stressantes et de contraintes, juste pour répondre à ce besoin de jouer des mille et un mots qui dansent dans ma tête…

Un autre plaisir évident que me procure le site depuis un an, c’est de poser sur ma (notre) vie un regard un rien distancié par le fait de rendre le récit public. En ce sens, gouttesdo n’est pas un journal intime, mais il devient souvent un moyen de transmettre de nos nouvelles sans coller au contexte avec une précision fastidieuse, pour moi comme pour mes lecteurs… Et d’avoir donné à GéO une existence autonome, où ceux qui le connaissent le retrouve parfois, libéré des pesanteurs de la réalité. GéO existe, mais en forçant le trait, je m’autorise à taquiner son modèle sans reproduire une pâle copie, ni engager le récit dans les arcanes du voyeurisme façon témoignage-télé-réalité. Inutile de préciser que si l’Original trouvait à y redire, il aurait son droit de réponse…

Enfin gouttesdo m’a permis de vaincre une partie de moi qui a longtemps fait de la résistance : en publiant quelques textes, ou plutôt en rédigeant mes textes dans l’optique de les lancer sur la toile, vers des inconnus autant qu’à l’intention de proches, famille et amis, je me suis… dépassée. Le mot est lâché, j’ai vaincu ma maladive timidité, mon complexe viscéral et puéril, cette tendance à garder mes envies de peur de déranger. Et là, je voudrais saisir cette opportunité pour remercier non pas GéO, mais son Original, d’avoir réussi à me démontrer que si je ne prenais pas ce droit d’être moi-même, personne n’allait m’y contraindre… Voilà, avec ou sans lecteur, gouttesd’O c’est une dimension joyeuse de ma vie…

Ouf, on ne va pas en rester sur ces considérations complaisantes.
Il me faut aussi vous remercier, car j’ai eu l’idée de ce billet ce matin, en ouvrant les statistiques mensuelles du blog. Et je dois vous dire que je suis très fière et heureuse de constater que vous êtes quelques-uns (unes) à me suivre gentiment dans mes délires. Ce mois-ci tout particulièrement il est vrai, mais la progression quantitative des visiteurs m’étonne, vous étiez plus de mille ce mois-ci, et vous avez lus 2 875 pages, c’est un record ! Certains d’entre vous sont zappeurs, visiteurs de passage, d’autres des lecteurs fidèles. Au cours de mon dernier séjour parisien, j’ai entendu avec plaisir quelques encouragements, merci Lina, Isabelle, Marie-Geneviève, Mireille et Pierre, sans oublier Nouchette évidemment, Stéphanie, Sandrine, Josiane ou Éliane qui collaborent de temps à autre d’un petit commentaire… Je suis très touchée quand je repère sous la rubrique origine de vos visiteurs quelques adresses de sites dont les extensions s’inscrivent: .be, .ca, .co ma, .dz,.ar,.gp (coucou le soleil !), .ch, etc, c’est formidable, cette ouverture aux quatre points cardinaux. Imaginer que les mots que j’aligne à partir du clavier sur mon bureau, dans la maison de Saint Max, sont lus par quelqu’un qui habite à Liège, aux Marquises ou encore au Québec, et que mes expressions vont prendre la résonance particulière du parler d’Antonine Maillet et des images de Linda Lemay, hum, comment vous dire, ça m’émeut…
Alors, merci à vous tous, les 6 799 lecteurs cumulés depuis le mois de Novembre 2007. Enfin, à un près, vous auriez pu faire un effort pour atteindre un chiffre rond tout de même! Enfin bon, je ne vais pas râler, vous vous êtes arraché les yeux sur quelques 17 521 pages, ça fait drôle non ? Même si au regard des flux générés par les Grands Blogs, ces chiffres sont très modestes, mon plaisir à moi ne l’est pas, et je vais me prendre par la main pour me garder de céder aux Sirènes de la Vanité.
Continuez comme ça, vous allez me faire rougir…comme les corolles du Monstrueux Hibiscus qui squatte notre séjour et le pare des couleurs de Noël, en attendant les festivités.

DSCF2462.JPG