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25/11/2007

Le Trèfle à quatre feuilles

J’ai un petit don subtil et parfaitement inutile, que je pratique depuis toujours et en fais profiter ceux que j’aime. Bien que je ne dispose pas d’une vue particulièrement aiguisée, mes yeux sont immanquablement attirés par un détail minuscule au milieu de n’importe quel parterre herbu.

Je trouve des trèfles à 4 feuilles.

Oui, je sais, c’est idiot, sans intérêt. D’autant que je me garde bien d’être superstitieuse, ça pourrait me porter malheur.
Alors, des trèfles, de Normandie, de Bretagne ou d’Ozoir, j’en ai trouvé des centaines depuis mon enfance, avec de larges folioles bien formés, d’autres moins réguliers, que j’ai séchés et conservés dans les livres au hasard de mes lectures, dans la pochette de mon permis de conduire. Bien plus souvent, j’en ai offert à toute personne présente lors de mes cueillettes-miracles, mes parents, mes amis, mes enfants évidemment. Ils ont eu des trèfles à quatre feuilles en toute occasion, matin, midi et soir, pour peu que nous soyons à la campagne. Avec eux, le jeu consistait à faire un voeu secret, que la pauvre plante était censée réaliser… Personne n’a jamais pensé à en vérifier le pouvoir. J’en avais même trouvé un sur le terre-plein de la place de la Nation, que j’avais aussitôt offert à Alice, une amie de ma belle-mère. Cette personne déjà âgée avait justement subi une violente agression physique dans le hall de l’immeuble où elle lui rendait visite par un bel après-midi de printemps. Les multiples contusions résultants de l'attaque avaient endommagé sérieusement sa vue et pendant une longue période, Alice n’osait plus se déplacer seule, même dans ce quartier populaire et vivant. L’accompagnant donc pour quelques courses sur le Cours de Vincennes, nous traversions en toute hâte la place en diagonale, coupant par l’ancienne fontaine, devenue simple plate-bande gazonnée. Comme Alice était essoufflée, elle s’était s’appuyée sur le muret de l’ancien bassin. C’est donc là, au milieu de quelques malheureux brins d’herbe gorgés d’affreuses toxines et de gaz d’échappement, que j’avais sorti la pépite verte, symbole de chance et de bonheur. Alice l’avait acceptée de bon cœur, elle était une amie charmante, témoignant d’une éducation courtoise comme les vieilles dames de sa génération, et m’avait remerciée d’une aimable plaisanterie.


Dans notre jardin provençal, les trèfles sont beaucoup plus rares, mais au bout d’un an ou deux, mes yeux ont à nouveau automatiquement décelé cette petite anomalie symétrique, parmi les herbes sauvages qui comblent les trous de ce que nous osons appeler pompeusement la pelouse.

Cet été, alors que je traverse la dite pelouse pour servir notre repas, malgré le plat chaud que je tiens en main, je détecte soudainement ce brin exceptionnel au milieu d’une touffe anarchique. Posant rapidement mon plat au sol, je cueille aussitôt délicatement mon trophée et l’offre à Marie-Geneviève et son mari Daniel, histoire de provoquer un sourire de détente anodine sur leurs visages fatigués et abîmés par la maladie. Le trèfle est bien développé et la tablée s’exclame, « Tiens, un peu de chance, ça tombe bien ! », Marie-Geneviève profite de cette opportunité pour encourager Daniel à montrer un peu plus d’appétit, de bonne grâce, notre malade reprend une bouchée de légumes… Puis pose le porte-bonheur de côté sur la table. Et nous n’y pensons plus.

Ce soir-là pourtant, alors que Daniel, guère vaillant, a déjà quitté la terrasse pour rejoindre sa chambre, nous rangeons la maison tristement, en commentant les efforts de la journée, les espoirs que nous essayons d’entretenir malgré les signes manifestes de déclin. Tout à coup, Marie-Geneviève m’interpelle :
-Mais qu’est-ce qu’on a fait de mon trèfle à quatre feuilles ? Je l’avais posé là, ce midi…
Nous nous regardons, vaguement confuses.
Gé intervient :
- Sur les serviettes en papier ? Alors il a été jeté.
L’espace d’un instant, je dois avouer que nous ressentons toutes deux une réelle déception, éphémère autant que puérile, mais j ‘ai ressenti son pincement de cœur dans la clarté triste de son regard …
Aucun de nous n’accorde évidemment de signification à cet incident, mais ce trèfle à quatre feuilles jeté nous a cruellement manqué.…

À propos de l'album Neuschwanstein

Ce que j'aimerais, c'est lier le plaisir des yeux et celui des oreilles.
Il conviendrait donc de regarder l'album photo Neuschwanstein et de laisser son esprit s'en pénétrer grâce à un ajout musical. Pour le moment, je vous en propose une petite idée avec le début de l'ouverture de Tannhauser…
Qu'en pensez-vous?

podcast

19/11/2007

GéO Répartou

Misère, ce jour-là, double misère, notre bon vieux Kärcher s’est mis à fuir pour de bon. Sans la moindre retenue, l’engin s’est vidé sur le pavé de l’allée, rendant l’eau sous son ventre affalé, larguant sa précieuse pression dans nos pieds mal chaussés.
- Kärcher, mon bon Kärcher, depuis 20 ans que tu nous rends d’inestimables services, pourquoi donc nous lâches-tu ainsi face à cette fosse bouchée ?

Comme chaque fois qu’un pépin se glisse dans le cours d’une tâche ardue, GéO ne se fâche pas. Il s’obstine tout simplement et s’ingénie à résoudre le problème.
Suivons l’exemple de ce cas précis, le Kärcher a rendu l’âme.

Première étape, vendredi fin de matinée.

Constat du problème.
Ramener l’engin dans l’atelier, au fond du jardin,
Entreprendre le démontage minutieux de l’appareil, ce qui suppose au préalable d’avoir rapidement débarrassé la table d’opération du bazar habituel qui l’encombre.
- GéO, Le déjeuner est prêt…
- Une seconde, j’arrive, je regarde juste si ça ne vient pas de ce joint……
Une demi-heure plus tard, GéO sait que ce n’est pas un joint qui est en question, la défaillance vient de cette petite plaque de métal gris, aménagée de quelques trous filetés et d’une autre ouverture oblongue, ce que je peux constater d’un coup d’œil quand il revient à la maison avec le problème en main. En fait, le souci s'est dédoublé puisque la plaque est fendue en deux.
Seulement voilà, le casse-tête se corse, car la pièce a été conçue en Zamac, elle ne pourra jamais être ressoudée ni collée …Quoique…

- Je verrais ce que je peux faire après le déjeuner, mais je crois que ça va être difficile à réparer.
Voilà, le processus est en route, nous allons déjeuner, discuter , argumenter de l’intérêt ou du prix d’un engin plus neuf, mais la conviction n’y est pas, à son air un peu tendu, je sais qu’en voix-off, les neurones cogitent…

Deuxième étape, vendredi après-midi.

Nous délocalisons.
GéO est monté au bureau avec la pièce défaillante.
Un après-midi entier agrippé au programme du Mac, il a reconstitué minutieusement le plan de la pièce, aux cotes précises.

- Tu comprends, si je l’envoie à mon ancien mécanicien, à Quincy-Voisin, il pourrait me refaire la pièce…
- Mais GéO, Monsieur Georges est parti à la retraite.
- Je le sais bien, mais ses successeurs pourraient bien me le faire, ils ont quand même débuté chez moi, j’étais leur patron !
-Si tu le dis, mais est-ce bien rationnel de faire usiner une seule pièce à 800 Km de chez nous ?
- Où est le problème, ça s’envoie par la poste…


Samedi est jour blanc, nous sommes conviés pour la journée dans le Haut Var.
Nos neurones se taisent, peut-être …

Dimanche matin

J’ai prévu un programme nettoyage d’automne au jardin en compagnie d’une amie qui se déplace spécialement pour jeter un sort aux plates- bandes, rogner mes Iris et rabattre les rosiers.
Devant ce programme intensif, GéO se propose pour aller seul chercher le pain …Et passer à la brocante.
Deux heures plus tard, il revient triomphant : il n' a rien trouvé sur le parvis des puces, mais en revenant, l’inspiration du moment l’a mené jusqu’à la zone industrielle où un artisan effectuait des rangements devant son local.
- Bonjour, Monsieur, je suis à la recherche de…
- Mais bien sûr, fouillez donc dans ce tas, vous devriez dégoter ce qu’il vous faut…
Le Flair, vous en conviendrez, le flair et ce je ne sais quoi du chanceux qui force son destin… La preuve, assène –t--il volontiers, c’est comme ça qu’il m’a trouvée, moi, sa perle rare !


Dimanche fin d’après-midi

Sitôt le déjeuner achevé, GéO retourne dans son antre, nous laissant aux progrès de nos sécateurs. Il faut dire que nous ne chômons pas non plus de notre côté. Simone a fait un sort au vieux laurier rose qui dépérissait devant la cuisine, j’ai nettoyé, bichonné mes rangés d’Iris, avant de me tourner vers les nobles rosiers que la douceur automnale relance. Foin des bourgeons, «sectionne à deux yeux », m’a toujours dit ma mère.

Peu avant dix-sept heures, fières de notre avancée, et jugeant la clarté suffisante encore, nous venons de nous transposer dans le recoin devant la chambre d’amis, à l’abri du petit vent glacé qui vient de se lever. Il doit nous rester un gros quart d’heure de jour, délai suffisant pour nous permettre, à deux, d’arrondir joliment la silhouette du rosier pomponne. Nous voilà à l’œuvre, pressée d’avancer cette dernière tâche de la journée.
- Après lui, on arrête, ça suffira pour aujourd’hui…
C’est à ce moment que déboule GéO, précédé de son célèbre
- T’es où ?
Et sans reprendre souffle, il enchaîne, me plaquant simultanément sous les lunettes un petit paquet blanc et jaune, à la minuscule écriture noire :
- Alors, traduis-moi ça, ça prend en combien de temps , ça peut se travailler longtemps, c’est bien prévu pour coller les métaux, et quoi aussi ? C’est quoi, ce Holz et schnell là, c’est bien prise rapide, non ? Et dans quelles proportions on mélange les ingrédients ? Je peux coller aussi le métal avec ça, ou c’est pas possible ?
- Attends, un peu, c’est écrit là, je crois,non, ça c’est la liste des matériaux, Holz c’est le bois, Keramik c’est
-Ben je sais, ceramik , c’est la porcelaine et Metall c’est ce que je cherche, j’ai pas besoin de toi pour ça, je veux que tu me dises.… que tu précises comment on fait et en combien …
Simone éclate de son rire si communicatif.
- Et là, c’est écrit quoi ? dit-il en posant son énorme pouce sur les minuscules petites lignes du carton.
Sécateur en main, je descends du rebord de la plate-bande sur laquelle je m’étais juchée pour atteindre le haut de l’arbuste, mais le flot des interrogations ne se tarit évidemment pas. Je prends l’objet en main et dans l’éclairage du jour finissant, j’essaie de me repérer sur ce mode d’emploi assez dense.
Mon Allemand est formidable… pour accueillir nos amis, à la rigueur prendre de leurs nouvelles ou lire la recette du Kaiserschmarrn ou de la Käsesuppe… Pour la météo, ça va encore, mais pour Patrice Süskind ou les notes techniques, comme à ce moment précis, dans le demi-jour et soumise à la pression de l’interrogatoire, mon cerveau commence à friseler.
- Attends, je n’ai pas la science infuse, je peux te le dire, mais donne-moi dix minutes au bureau, TOUTE SEULE, et je t’apporte la traduction, ça va ?
À travers les branches du rosier, mon regard accroche les yeux de mon amie. Ils pétillent de malice, mais elle me rassure simplement.
- Mais oui vas-y, de toutes les façons, on n’y voit plus rien ici, je range nos outils, tu ne peux pas faire plus…


GéO maugrée, il faut bien qu’il souligne que, décidément, il n’est pas secondé dans l’expression de son génie…
Me voilà au bureau, les pages du dictionnaire virevoltent, les mots se rassemblent, je m’énerve, brouillonne ma traduction, mais un petit quart d’heure me suffit pour faire une entrée triomphale dans l’atelier, gribouillage en main. Très concentré, l’homme de ma vie jette un œil sur le papier. Au passage, il me montre quand même la pièce qu’il a reproduite, limée, arrangée, filetée, il n’y a plus qu’à assembler.
- Tu es sûre de ce que tu m’as écrit ? Parce que si tu te trompes, je perds tous mes efforts de la journée, moi ! Bon, je vais me débrouiller avec ça, tu vas voir, si ça tient, le Kärcher va être comme neuf ! Il est bon tu sais, ton bricoleur de Mari !

Lundi, petit-déjeuner

Le lendemain, je prends des nouvelles du convalescent au repos dans l’atelier.
- Oui, oui, ça a l’air de tenir mon bricolage, il fuit encore un peu, mais à peine, je m’en tire bien.
Et comme nous poussons tous deux un soupir d’aise devant la qualité de son travail, il ajoute :
- En fait, je ne me suis pas servi de TA colle, elle est trop compliquée, j’en avais une plus facile d’emploi en réserve…



Kaiserschmarrn.docKäsesuppe.doc

En marge

Nos quatre hommes sont restés seuls autour de la table et leur conversation a perdu son éclat, elle s’étire comme la dernière miette de ce repas dominical.
Leurs femmes ont déjà emporté les assiettes à la cuisine, par la porte parviennent les bruits de vaisselle, d’eau coulant à gros jet, de rires et d’apostrophes joyeuses… Les verres sont restés sur la table, et la bouteille s’incline pour l'ultime tournée vers leurs bords tendus… Ah, que les hommes repus aiment ce moment de flottement d’après festin… Une nonchalance satisfaite les gagne, légère ivresse née autant du copieux repas que de la satisfaction du repos hebdomadaire mérité. Dans cette ambiance détendue, chacun d’eux s’installe à sa façon dans son contentement.
Le plus âgé, Pierre, jeune chef d’entreprise trentenaire, aussi vif que mince, impatient et un brin autoritaire d’ordinaire, se laisse aller contre le haut dossier de sa chaise, et croise les bras sur sa poitrine, maîtrisant encore la conversation de ses plaisanteries caustiques. Il ne lâchera pas cet art obstiné de la taquinerie qui établit sa prédominance sur la tribu rassemblée.
Luc, son cousin, s’installe en maître de maison. Il s’est spontanément assis en bout de table, à la place qu’occupait son père jusqu’à son décès. La maison n’abrite plus d’Anciens, mais la génération montante s’applique à préserver les rites. Cette propriété de famille est appelée à devenir sienne très bientôt, il y a déjà installé en guise de garde-robe ses outils de bricolage bidouillés ou achetés à grands efforts budgétaires. Il sert le vin sérieusement, pourvoit au ravitaillement de la cave, mais derrière la barre impérieuse de ses sourcils, qu’on ne s’y trompe pas, il tient ses stocks. Pensez, le Morgon coule à flot en ces jours de festivités hivernales. Luc se sait investi d’une obligation morale à être l’Héritier, le fils de…, même si le rôle est déjà très lourd à endosser. De sorte que l’apostrophe « Mais c’est complètement con… » est devenue la phrase-clef de ses prises de parole, histoire de poser son autorité de médecin récemment diplômé.
Son cadet de dix ans, Laurent, se bat pour intégrer le cénacle et se sentir adoubé. Démarche malaisée s’il en est. Ce fossé d’une décade à l’entrée en âge mûr est la pire des barricades. Dans trente ans, son aîné le courtisera, mais il l’ignore encore et pour l’heure, il déguste le vin avec application et gourmandise, parle en forçant sa voix, que Dame Nature lui a donné un peu frêle à son goût. Il aimerait donner son avis, vanter ses choix, parvient à amuser de réparties fines ses interlocuteurs, mais perçoit bien que ses efforts lui permettent juste de rester à la marge.
Le dernier de la tablée, Daniel, s’est légèrement éloigné de la table. Il a reculé sa chaise d’un pas, a croisé les jambes et arrondi son dos. Rien dans son attitude ne traduit le volontarisme des trois autres. Il a pivoté sur l’axe de sa chaise et son bras gauche repose sur le haut du dossier, tandis que la main droite porte régulièrement à sa bouche la cigarette brune qu’il savoure sans retenue. À chaque inspiration, il ferme à demi son regard de chat, inspire profondément, marque un temps d’arrêt, et relâche enfin la fumée d’un souffle long. Il a incliné la tête, comme pour mieux écouter sa petite voix intérieure, en réalité il est resté attentif aux propos de Pierre et de Luc. En réponse aux anecdotes farfelues qui émaillent la conversation, un petit rire secoue son apparente inertie, et il rejette alors la tête en arrière, déglutissant avant de souffler vers le plafond la dernière bouffée ingérée.
. Comme les femmes reviennent enfin avec le café et disposent le service devant les verres à peine vides, il s’adresse gentiment à la plus proche :
- Elles ont besoin d’un coup de main, les madames ?


L’arrivée du sombre breuvage marque la fin de l’épisode languide. La pause sacrée du déjeuner a été bien respectée, retour aux projets et aux emplois du temps obligés d’un dimanche à la campagne.
Tandis que Luc et Pierre dressent leur plan d’attaque pour rendre leur matériel de plongée plus performant l’année prochaine, arranger la vanne du compresseur ou renforcer l’axe du barbecue, Laurent se joint à l’assemblée féminine pour entretenir l’immense jardin ou défaire les lourds rideaux qu’il faudra porter chez le teinturier dans la semaine… Et ce café longtemps attendu est avalé trop fort, trop chaud, trop sucré, trop rapidement.
De café, Daniel n’en veut point, il préfèrerait un petit verre de chartreuse, puis une longue, longue sieste pour clore cette journée de repos, méditant peut-être sur la félicité du paresseux, la jouissance du Grand Nonchalant , le loisir de l’oisif.





Sylviane est retournée en cuisine, et tandis que les convives se lèvent bruyamment, elle réapparaît, s’adressant au chien de la maison, sagement allongé sur son tapis, au coin de la cheminée. Jupiter, joli braque français, n’attendait que ce signal pour manifester sa joie. Il n’est de festin humain qui ne comprenne sa part de récompense. L’os du gigot, encore bien pourvu de chair rouge et sanguinolente, brandi à bout de bras, Sylviane prétend mener l’animal jusqu’à la porte de la terrasse pour lui donner enfin son dû.
Daniel s’anime soudain à cette scène familière. Le voilà debout, il attrape lestement le manche convoité et sans plus de façons, s’accroupit à quatre pattes sur le tapis du chien. Avec force grimaces, il se cale l’os entre ses mâchoires grandes ouvertes! Le chien connaît le jeu, il est déjà en position identique, croupe en l’air et pattes avant aplaties au sol. Il jappe, deux ou trois fois en guise d’avertissement, pour bien montrer qu’il entre en scène. Toujours à terre, Daniel tourne, revient, provoque son compagnon, et notre Jupiter, les yeux complètement exorbités, saute autour de l’adversaire, le contourne à la recherche d’une bonne prise. Mais l’homme est trop vif, l’animal laisse échapper un gémissement de convoitise, puis un jappement bref, il saute enfin sur ses pattes arrière, peut-être pour intéresser les spectateurs à sa cause, car le cercle s’est resserré autour des deux joueurs. Les rires et les commentaires s’entremêlent, quelques conseils retentissent.
- Attention Daniel, ce n’est qu’un chien, ne l’excite pas trop...
Mais Daniel connaît son affaire… Tournant, virant, grognant à l’instar de Jupiter, il ne perd pas le contrôle de la situation et adopte les variantes nécessaires. Le voilà sur le dos, membres recroquevillés en l’air, il n’a pas lâché sa proie, il roule à nouveau sur le tapis, et le chien suit le mouvement, mieux, il imite son concurrent. Le voilà à son tour ventre offert, dos au tapis, orientant sa tête pour suivre du regard les déplacements de l’ennemi… Le jeu se poursuit encore quelques minutes quand Daniel décide d’accorder le point : reprenant la pose à quatre pattes, il fait glisser l’os sur le côté et offre l’autre extrémité à la gueule du chien… Jupiter ne se fait pas prier, il s’aplatit instinctivement sur le sol face à son rival et les voilà tous deux attelés par la gueule au même trophée.
Quelle complicité jubilatoire, dans le calme revenu, on entend le raclement des dents sur l’os, le craquement sec de la matière brisée par les molaires du chien, Daniel a conservé la posture, et maintient sa portion, jusqu’à la fatigue. Le jeu se calme ainsi peu à peu, mais jamais l’animal n’a manifesté la moindre agressivité, ni abusé de sa force. Quand l’homme lâche enfin le morceau sous les exclamations du public, Jupiter satisfait signale son contentement par le balancement du moignon qui lui sert de queue. Se relevant enfin et massant ses reins endoloris par la gymnastique canine, Daniel lâche enfin ses premiers mots :
- Ouf, faudrait pas que j’oublie ma sieste avec tout ça, moi !

15/11/2007

Un temps tout fou…

Qui peut le croire ?


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Qui pleure lundi sur le manque d’eau et la sécheresse se désole encore jeudi sur ce paysage inhabituel…


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Il en est qui rient bien fort :
Les enfants des voisins sont à la fête, les batailles de boules de neige sont rares dans la contrée.
Notre bon Zuco et sa compagne GrosMimi se sont pelotonnés aux pieds du Maître dans le bureau.
Pas de jardin aujourd’hui, il n’est plus temps de ratisser l’allée
Il est trop tard pour user du sécateur, une bonne et longue plage de lecture ou de surf sur la toile, quelle jolie perspective…
Dis mon bel ordi, prendras-tu plusieurs de mes clichés au jardin endormi?

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09/11/2007

Dire

Dire :
L’eau, terme générique, indispensable à la vie, génère en chacun de nous une multitude d’images. Elle est l’élément de référence commun à toutes les cultures. Source, Étanchement de la soif, préservation de la Vie, Rafraîchissement, Éloignement, Danger, Apaisement. Elle offre toutes ses vertus, elle incarne les périls et les découvertes, l’aventure et la survie.


Qui dit Eau évoque l’onde, l’élément liquide, la fluidité, le fleuve, la mer, l’Océan ou le lac, la mare, la flaque, un verre, une larme. La glace qui a enserré les traces de vie antérieure, qui détient peut-être les clés de notre futur. H2O, la plus petite part d’eau, suffisante et nécessaire pour que naisse la molécule initiale de vie. Une seule cellule aurait-elle permis le développement de la Vie ? À partir de quelle quantité d’atomes d’eau y a-t-il une génération possible de cellules vivantes ?

Une goutte d’eau, c’est déjà beaucoup. Des gouttes, c’est la pluie que nous attendons pour préserver notre terre du désastre annoncé. Six semaines sans la moindre goutte, les lézardes ont créé un réseau de failles dans nos plates-bandes, et la contrée s’est ternie, quand elle n’a pas brûlé.

De ce bureau niché à l’étage, je baigne dans l’étuve. Je me sens devenir eau, mais une mauvaise eau. Celle qui sort de moi, chargé de sel et de toxines. Ma sueur appelle l’envie de la piscine, du bain, du verre salvateur…J’éprouve, donc je suis. Je suis, donc je dis. À ce blog, je confie la mission de porter mes gouttes vers d’autres sources qui voudront bien s’en abreuver.daf50f87d6e08c78aae18368f294d683.jpg

Lumière du matin sur Porquerolles

Le clapot léger troue doucement la voie royale de mon sommeil, sans rompre immédiatement mon rêve.
À ma gauche, je perçois sa place vide et fraîche. Il est déjà levé. Un mouvement, déplacement imperceptible de son poids sur le pont au- dessus de ma tête impulse une brusque envie de le rejoindre, d’autant que le soleil darde brusquement un jet de lumière sur mes paupières, à travers la vitre embuée du hublot. Il n’est pas encore six heures, mais en ce samedi de mai, l’astre du jour a déjà surmonté la colline qui garde la petite cité insulaire.
M’emparant du mug de café qu’il a préparé, je traverse à pas de plume le carré, évitant tout bruit susceptible de réveiller nos invitées, et je grimpe à mon tour sur le cockpit. Comme je l’avais pressenti, il se tient à l’avant du bateau, le Fuji dans la main droite… De l’autre main libre, il m’accueille d’un geste ample pour m’amener à embrasser la tranquillité de la baie. Pas besoin de mots, en effet, devant ce royal lever …
Les navigateurs alentour sont enfin rendus au silence de leur tardif endormissement et ne goûteront pas la lumière dorée qui nous enveloppe et irradie notre bonheur. Ni nos demoiselles qui dorment encore d’un juste sommeil, nous l’espérons, après ces harassants mois d’hiver dans les brumes urbaines. Elles nous sont arrivées exténuées, agacées, vampirisées par toutes les exigences de leurs vies professionnelles, leurs espoirs toujours repoussés, l’exacerbation d’un avenir qui tarde à éclater… Leur bonheur fuit le quotidien, à force de formatage et d’urgences.
Ma joie de ce matin, c’est de les savoir là, dans l’étroite cabine, abandonnées à la vacance du week-end, isolées des tracas, leurs consciences flottant peut-être sur les effluves mêlées d’eucalyptus et du champagne de la veille. Ma joie de ce matin, c’est de me réveiller avide de partager ce petit moment où nous sommes seuls debout sur ce pont suintant encore l’humidité nocturne, café matinal SUR la mer. Tandis que la baie s’illumine doucement sous la lumière translucide et crue, l’eau se ride à peine au passage d’un pointu glissant vers le large. Pendant cette demi-heure cadeau, nous sommes seuls éveillés sur ces pannes, jusqu’à l’envol d’une mouette qui ébroue le paysage. Suivant des yeux son parcours, nous découvrons la silhouette d’un promeneur solitaire quittant la jetée. Fin du Moment Magique.
Dans un instant sans doute, nos filles vont se lever, la parole nous reviendra, les gestes habituels s’enchaîneront et la journée sera belle. Un léger tangage indique que quelqu’un a bougé en bas, dans le carré.
- Tiens, dit-il, il est presque sept heures, je vais voir si je nous trouve des croissants chauds …

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Ressentir

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La fraîche coulée de l’eau glissant sur mon corps surchauffé.
Il existe plusieurs façons d’entrer dans l’eau, selon l’humeur. Lui préfère plonger, sans même se mouiller d’abord la nuque ou le ventre, il ne s’attarde pas à regarder la masse ondoyante sous lui. Du bord de la piscine ou du pont du bateau, il plonge dans le mouvement, surtout attentif à conserver le rythme de sa démarche.
Je pratique les variantes, miroir de mes ressentis. Très souvent prudente, nuque douchée, mes pieds jaugent d’abord, puis les mollets jugent jusqu’aux genoux, avant de lancer mes cuisses dans l’étau de fraîcheur jusqu’à sentir qu’enfin ma peau se décontracte et accepte la sensation. Alors d’un coup, sans plus réfléchir les nuances de températures, je me fonds dans le liquide, ventre, poitrine, épaules, cou.
Il faut attaquer ces premières brasses par coulées goulues, comme on boit cul sec. Et quand ma respiration se débloque, se tourner et retourner comme un phoque et assurer à ceux qui sont restés sur le plat-bord :
- Mais venez enfin, elle est si bonne !

Et puis au deuxième ou troisième bain, l’astuce pour retrouver cette délicieuse rupture de température, c’est de lézarder suffisamment, face A et B. Prendre le temps d’y penser, de faire naître l’envie, le désir intense de fraîcheur. Imaginer, paupières closes sous les lunettes sombres la couleur verte mentholée et le scintillement de la masse fraîche, à deux pas. Si on le peut, écouter attentivement le clapot, très important le clip clap quand on a chaud, si chaud que des gouttes de sueur dessinent des rigoles abhorrées sur le buste. Il devient impératif de laver cette disgrâce. C’est là qu’il faut vite se lever, jeter les lunettes sur le premier siège rencontré, secouer la tête pour chasser le bourdonnement du sang dans les oreilles, avancer jusqu’à recroqueviller les orteils sur l’extrême bord de la planche, penser plié- tendu… Cette fois, la sensation vient par la tête, la nuque s’annonce premier récepteur, la plénitude de la sensation éclate quand le corps se cambre à la remontée.