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18/07/2014

Les lisières

Roman en forme d’autofiction ou autofiction qui fait semblant d’être un roman ?

Assurément le lien entre réalité et fiction est ténu dans cette oeuvre d’Olivier Adam. Quand s’ouvre le récit, Paul Steiner,   le narrateur, traverse une passe difficile. Il refuse d’admettre que la séparation imposée  par son épouse est irrémédiable. Bien qu’il ait déménagé dans la même rue de sa cité bretonne, il souffre du manque de ses enfants au quotidien.  Mais la remise en question n’est guère profonde : il sait être et avoir toujours été un être tourmenté,   et jusqu’alors, sa famille fonctionnait. La lassitude de Sarah ne peut être que temporaire, il  se persuade que la désagrégation de son couple ne peut être qu’une étape provisoire. 

Quand son frère aîné lui demande de le relayer auprès de leurs parents vieillissants, il prend cette requête pour une corvée malencontreuse de plus. Paul a quitté depuis longtemps la banlieue  parisienne où il a vécu son adolescence, tout comme son frère. Cependant François, l’aîné, bénéficie de la posture du « bon fils », tandis que le départ de Paul ressemble plus à une fuite impliquant l’abandon d’une famille et d’un passé où il étouffait.

Très  rapidement en effet, les rapports entre Paul et son père prennent un tour d’agressivité mal maîtrisée.  Malgré son égocentrisme, Paul réalise que l’état de santé de sa mère est réellement préoccupant. Le déni paternel représente un autre sujet d’inquiétude. Le dialogue entre les deux hommes devient difficile, tant les blessures  d’ego sont vives. Le père s’est senti renié par le succès du fils, celui-ci n’a d’autres réponses que la fuite à la recherche des anciens camarades. Ce qui lui permet de constater combien il est loin de leur mode de vie et de  leurs problèmes sociaux économiques irrésolubles.

À travers ce qui ressemble à une très longue logorrhée  nombriliste, olivier Adam parvient à poser des état de faits assez pertinents : le marasme des banlieues, l’engluement du couple, le désastre du vieillissement  de la population. Trois piliers de ce roman qui nourrissent largement le sentiment de déprime du narrateur …Et du lecteur. 

Sans nier les qualités de narration, je confesse avoir éprouvé quelques fatigues à la lecture.  Je l’ai dit, tous les problèmes abordés évoquent des faits qui sonnent  justes,   d’autant que nous y sommes (ou serons)   confrontés. Mais le ton du roman, l’angle de vue adopté par le narrateur, double distancié  de l’auteur, me ramène à ce que je perçois comme un travers bavard anti-littéraire, même s’il relève d’une pratique courante dans la sphère germanopratine.  Olivier Adam ne tente d’ailleurs même pas de disculper son personnage. Il tient le  filtre du nombrilisme pour éclairage significatif, ce qui n’est pas  entièrement faux d’un point de vue existentiel.  Je veux bien concéder qu’il s’agit ici de ma propre fatigue face à cette manière de grever nos relations affectives. Mais à vouloir tout dire, même en 450 pages, Olivier Adam a provoqué en moi un besoin irrépressible d’aller respirer ailleurs… Un livre intéressant, mais pas incontournable. 

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 Les lisières

Olivier Adam

Flammarion  Août 2012

ISBN :978-2-0812-8374-9

 

21/03/2013

Fenêtre ouverte sur la journée de "ces arts"

Pour la troisième année , Serge Casoetto organise une manifestation multiculturelle dont le point d'orgue aura lieu le 28 septembre prochain. Ci-dessous, vous trouverez l'affiche du projet et le lien du site, si d'aventure les muses vous soufflaient la bonne inspiration…

Les plus fidèles de mes discrètes souris lectrices se souviendront de ma joie en septembre dernier quand  la trop longue nuit de Firmin y a été consacrée… Mais la manifestation ne s'arrête pas au seul prix littéraire. Conteur, poète , calligraphe, danseurs, chorégraphes, joaillier peintres,… offriront en outre leur savoir faire au cours d'atelier… 

Un petit tour sur le site de Serge vous permettra d'en comprendre le fonctionnement et vous donnera, qui sait, envie d'y participer, quel que soit votre mode d'expression favori. La fête promet d'être belle!

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Pour tous renseignements  sur le projet et pour mieux connaître l'oeuvre de Serge casoetto, suivre le lien ci-dessous…

http://www.serge-casoetto.com/actualites.php

 

 

09/09/2012

Merci Firmin!

Chères et fidèles souris discrètes, peut-être vous souviendrez-vous d’une allusion à un certain Firmin, remarque anodine qui m’avait échappé au printemps dernier, alors que je peaufinais la mise en mots de ma sentinelle du quai H, au destin  solitaire et mélancolique.

Jeanne n’a pas gagné le concours d’Orgon, mais elle m’a valu une discussion émouvante et charmante avec l’organisatrice du concours, Dominique Désormière  et quelques échanges sympathiques de lectrices.

Firmin est d’une autre trempe. Il est solide, tenace et chanceux.

Firmin m’a accompagné un moment et s’est imposé, de façon tout à fait irrationnelle quand j’ai imaginé concourir pour le prix Yolande Barbier.

Cette manifestation organisée à Hyères par Serge Casoetto   m’avait été présentée et même chaudement recommandée. Allez savoir pourquoi une petite voix vous glisse que ça ira, que c’est le bon choix ?

 

Firmin a guidé mes doigts sur le clavier, s’est dessiné un passé, des amours, des passions, des désirs et une volonté. J’ai obéi, j’ai écrit, je lui ai concocté une  trop longue nuit. J’ai adressé mon fichier Word bien dans les temps. Non, auparavant, j’ai demandé à Christophe une lecture à sa manière, lucide et bienveillante et ses précieuses remarques m’ont permis de décider de clore enfin les cinq pages de ce récit.

  

Et l’été s’est avancé, ponctué des visites et des rencontres qui nourrissent, des rires et des plaisirs menus du temps sans entrave.

Un matin, le téléphone sonne, et GéO me passe promptement l’appareil.

Une voix grave autant qu’inconnue m’informe que ma nouvelle est « nominée ». Empruntée par mon esprit d’escalier, je ne pose évidemment aucune des bonnes questions qui s’imposeraient en pareil cas, et me voilà livrée à mille incertitudes, si ce n’est que Firmin, comme l’avait été Jeanne, est retenu, son histoire joue dans la cour des grands, le dernier carré…

Alors, pendant que Philippe Mona et les enfants s’ébattent autour de la piscine, au cours des jours où Audrey et Mathis se reposent  en attendant le déclin de la chaleur, tout au long des découvertes du malicieux Mathis, j’entends une petite musique obsédante, qui me répète en boucle…

Firmin y tient, Firmin ne baissera pas les bras, tu dois rester confiante…

 Confiante ? Pas si facile.

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 Arrive le grand jour; Il fait un temps splendide sur le port d’Hyères.

 Soutenue par le son coloré d'un saxophone, la figure de proue du voilier étend ses ailes mordorées  pour appeler la foule auprès des artistes.

Dans la lumière dorée de cette fin d’après-midi, nous assistons depuis la salle Porquerolles de  l’espace nautique aux différentes prestations d’artistes du verbe, de la musique, de la danse, des peintres et des créateurs d’objets et de bijoux. Serge Casoetto, poète et conteur, a voulu ouvrir à tous les modes créatifs l’hommage à sa mère Yolande Barbier, qui a consacré une majeure partie de sa vie à promouvoir la vie artistique de sa ville.(  Détails sur le site référencé)

Vient la distribution des Prix.

Une cérémonie quand même !

Mon cœur saute de joie en entendant le nom de Véronique. Je connais sa nouvelle, je la sais très émouvante, et je suis heureuse que ses doutes soient contrariés. Dans le même temps, et l’âme humaine est ainsi faite, je me dis que c’est fichu pour moi, car il m’apparaît  que la loi du nombre interdise que deux « élèves » de Christophe soient récompensées. N’importe, le protocole se poursuit… Quatrième et  troisième prix sont décernés  à la grande joie des heureux récipiendaires. Le second prix voit s’envoler mes dernières illusions. Le maître de cérémonie reprend le micro et joue des nerfs de l’assistance. Moi, je me retranche déjà dans mon for intérieur, avoir été nominée, c’est déjà une forme de reconnaissance, n’est-ce-pas ?

J’entends de façon lointaine : 

Le premier prix de Littérature Yolande Barbier est attribué à Odile…

Un grand OUIII retentit et couvre le reste. Marie B à mes côtés prend mon bras, m’embrasse, me pousse en me glissant un «  j’en étais sûre, c’est toi ! »

Au passage, les visages illuminés de bonheur d’Annie et de Christine qui m’embrassent me font tellement plaisir… Déjà je ne touche plus terre.

 

Alors, éclate la joie, immense, de réaliser que c’est fait:  mes mots ont touché, mes phrases ont provoqué un écho, mes personnages sont de chair…

Un instant de grâce s’établit quand Serge Casoetto annonce la lecture d’un extrait de la nouvelle. Firmin   va s’incarner par la voix grave et vibrante du conteur. Je suis incroyablement émue-sereine parce qu’il a la tessiture qu’il faut. Parce que le rythme de sa lecture, le timbre de sa voix, les silences qu’il respecte sont la respiration de la mer, les efforts des pêcheurs, le désespoir de Firmin et sa Résurrection… Je suis comblée et ça, c’est le plus plus cadeau de ce premier prix.  


 

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Il me reste à ajouter quelques mots pour Christophe, qui figure à gauche sur la photo.  Par sa patience, sa rigueur, son souci d’intégrité face aux écrits, il nous aide  à assumer nos  mots, à les choisir sciemment, à maîtriser leur portée . Que ces quelques lignes soient l’occasion de le remercier pour sa présence  amicale et compréhensive.. Sa joie manifeste me va droit au cœur… Qu’il en soit remercié. 

20/05/2012

Un p'tit coin de Paraïs

 Si la météo exécrable n’avait écourté notre visite à Sainte Maxime, je serais passée à côté d’un joli moment au Paraïs…Il y a des rencontres qui embellissent d’un coup vos journées.  Celle que j’ai eu la chance de vivre vendredi dernier est de celle-là.

 La médiathèque de Saint Maximin, en lien avec la libraire Jardin des Lettres,   avait organisé la réception de Sylvie Giono, fille de l’écrivain, à propos du livre qu’elle a écrit sur leur maison de Manosque. On sait, et je l’ai entendu rapporter encore très récemment, que Giono écrivait retranché dans son bureau, sans puiser directement  son inspiration dans le suc de la rue. Certains y voient l’occasion de formuler un reproche, un dédain pour ce rêveur qui n ‘ancrait pas ses personnages dans la réalité autour de lui.  D’autres en profitent pour souligner que ses créatures sont de pures inventions, que l’humanité ne peut pas se réduire à des caractères posés sur le papier…

 

Pour ma part, j’ai dévoré les romans de l ‘écrivain dans ma jeunesse, et je dois dire qu’ils ont creusé alors un sillon très profond dans ma mémoire. Je n’ai découvert la Provence géographique que plus tard. Mais pas une fois au cours de mes incursions dans l’arrière-pays, pas une fois vous dis-je, je n’ai manqué d’y voir  ses silhouettes solitaires et affairées dans les collines âpres de l’arrière pays, sur les plateaux illuminés de lavande du Lubéron, dans la découpe grise des crêtes préalpines… Regain, Collines, les âmes fortes…Et la fuite éperdue de Pauline de Théus à travers tout le pays pendant l’épidémie de peste de Manosque. C’est que Giono est de la trempe des Écrivains, ceux qui dessinent un univers tellement fort que la réalité s’estompe avant de s’efforcer d’entrer dans le cadre  de nos imaginaires.

 

D’abord, Sylvie Giono impressionne par le calme et la simplicité de sa présence; cette grande dame s’exprime face à l’auditoire avec la spontanéité et l’aisance d’une amie qui partage un moment de souvenirs. Elle est aidée au long de son discours par deux complices, professeurs de lettres régionaux, qui se passionnent pour l’œuvre de l’écrivain. S’ils sont manifestement trop jeunes pour l’avoir jamais rencontré,   il est clair qu’ils vivent, respirent, se nourrissent et s’abreuvent « Giono ». La maison du Paraïs n’a pas de secrets pour eux, et leurs relations avec la fille de l’écrivain semblent révéler une pratique respectueuse mais  amicale.

 

Le jeu des questions-réponses se déroule donc dans une atmosphère bon enfant, les deux acolytes formulant les thèmes qui servent de fil conducteur à cette visite guidée de l’univers de l’écrivain, Sylvie Giono décrit avec précision et humour les rites du créateur, son besoin de calme tempéré par l’assurance que sa famille réunie formait un rempart protecteur contre les intrusions.  Les anecdotes abondent pour décrire l’ambiance familiale, depuis  les moments d’écoute musicale  rassemblant toute la tribu sur la terrasse de la maison, les repas agrémentés du récit des progrès  du roman en cours,   les relations aux objets d’art fétiches du romancier, la découverte de la bibliothèque somptueuse,    car Giono père est un mentor avisé des lectures de ses filles. On apprend ainsi qu’Élise Giono, l’épouse,  veille à la ponctuation et l’accentuation des tapuscrits de son époux, tandis que Madame Mère exerce une sorte de régence autoritaire sur la tribu. Il faut dire que l’univers du grand homme est féminin : outre sa femme et ses deux filles, la maisonnée abrite mère et belle-mère, mais aussi Fine, la domestique piémontaise incontournable, qui prend ses repas à la table familiale. Cet homme-là, me direz-vous, peut facilement se retrancher des contingences matérielles, six  femmes s’activent à lui fournir les conditions de paix dont il a besoin pour œuvrer.

 

 À travers le regard bienveillant de sa fille, il semble que Jean Giono a pu créer dans un cocon idéal. Son œuvre cependant ne donne pas vie à des personnages  au destin lumineux et aisé. La nature semble souvent façonner les êtres en sécheresse et en dureté, pour s’affronter à la rocaille et aux désirs inassouvissables… C’est que le rêveur plumitif  ne s’est pas fait que des amis, dans la bonne ville de Manosque. Un début de carrière très malheureux dans la banque s’est achevé par une banqueroute familiale, l’homme n’aura manifestement jamais l’argent pour divinité. Mais ça ne suffira pas pour tenir à distance les envieux, les jaloux et les susceptibles. Jean Giono a traversé le premier conflit mondial en soldat, il en est revenu fondamentalement  pacifiste. Cette position affirmée ne l’a pas protégé des attaques des deux camps : on lui a reproché des photographies prises au Paraïs parues dans la presse allemande, en négligeant la chronologie des clichés, bien antérieure au début du conflit ; On n’a pas voulu prendre en compte les risques courus quand il a caché chez lui des réfugiés  comme   la femme de Max Ernst ou le pianiste Meyerowitz qui refusait de se cacher sans son piano!*. De sorte que par deux fois, Giono sera emprisonné quand sonnera l’heure des comptes.

 C’est avec une distance positive que Sylvie Giono évoque ces heures sombres.  Elle semble perpétrer ainsi ce caractère essentiel qu’elle prête volontiers à son  père. À tous moments, elle souligne en effet la générosité de cet homme qui tenait table ouverte, savait accueillir les visiteurs alors même que son cerveau continuait à jointer ses intrigues en arrière-plan.  Par son intelligence affable, cette grande dame  contribue à la mémoire de l’écrivain autant qu’à celle de l’homme. Ces deux heures sont passées trop vite et nous ont apporté une grande fraîcheur. Reste une véritable envie de retrouver le plaisir des lectures : mon été 2012 sera sans doute agrémenté de retrouvailles « Giono », qu’on se le dise !!!

 

Jean Giono à Manosque, sous titré LE PARAÏS, la maison d’un rêveur, paru chez Belin en février 2012 ISBN 978-2-7011-5980-5

 * anecdote rapportée page 48

 

Le Paraïs030.jpg

 

 

Pour les amateurs disponibles à cette période, Sylvie Giono fait part d’un festival musical à Gréoux les bains en Juin, en relation avec les  animations de la maison jean Giono.

 

 

 

14/02/2011

Quand je pense que Beethoven est mort alors que tant de crétins vivent

 

Eric emmanuel Schmitt, littérature, musique, essai, BeethovenAlbin Michel

ISBN : 978-2-226-21520-8
Septembre 2010

 

 Il nous arrive à tous d’associer viscéralement une musique à un moment de notre vie.
Les arts du spectacle nous ont familiarisés à l’intensification des émotions transmises par l’accompagnement sonore :  À nos oreilles contemporaines, le cinéma  y a tant excellé que n’importe quel cinéphile associera à tout jamais les images de l’Orange mécanique  de Stanley Kubrick à la neuvième symphonie de Beethoven.  Lors de mon premier mariage, il me souvient de moments très complices où nous jouions à apparier les œuvres picturales découvertes dans nos balades aux musées avec les morceaux de musique des compositeurs de notre discothèque… Il ne s’agissait pas de trouver les correspondances chronologiques,   mais plutôt de tisser des liens entre les ressentis… Ce jeu nous a souvent permis d’ouvrir des portes étonnantes, voies royales d’appropriation ou chemin  de traverses débouchant sur d’autres filiations…

Telles sont nées mes attentes quand j’ai remarqué et acheté l’essai qu’Éric Emmanuel Schmitt consacre à ses ressentis d’auditeur Beethovénien. Avec l’humour fin qui le caractérise, il s’appuie sur une remarque attribuée à sa professeure  de piano pour mieux souligner combien il souhaite dégager son propos des jugements standards et des opinions convenues …
Partant du constat que ce héraut du romantisme musical est de plus en plus rarement au centre des programmations de concert, il nous propose de le suivre dans sa rétrospective personnelle avant de dégager  les  apports particuliers que le compositeur a légués à notre humanité.

N’ayez aucune crainte d’aborder ici un ouvrage  trop savant, une nomenclature intégrale du répertoire ou une hagiographie lénifiante du Maître. À sa manière  délicate, habillant sa  sensibilité des atours de la simplicité, É.E Schmitt confie aux mots qu’il choisit la transposition de ses découvertes, émotions ou agacements, peurs ou rejets d’un trop plein d’émois.
 En cela, la musique délivre davantage un message spirituel – affects, intensité, valeurs- qu’un message intellectuel. Ce qui explique sans doute notre difficulté, voire notre réticence, à traduire un concert en mots, car, toujours, la musique précède les phrases. ( P 34)
 (Page 91) :
La musique touche, insinue. Elle fouille, tourneboule et modifie l’humain, l’atteignant au plus profond.
(Page 92) :
Le sens de la musique, c’est de ne pas avoir un sens précis mais d’être la métaphore de nombreux sens. Sinon, autant employer les mots.


Bâtis au long de l’écoute de six œuvres représentatives des talents de Beethoven,   ÉE  Schmitt  ouvre nos réflexions sur la manière d’accepter, d’intégrer, de grandir à l’ombre ou en lumière des facettes musicales de ce génie particulier :
  Des chocs, des silences, la mélodie qui gronde aux basses, qui hésite, qui se lance, qui s’étoffe, qui module. De source, le filet thématique devient fleuve, notre piano s’enfle aux dimensions d’un orchestre entier. Mon cœur bat à tout rompre. J’ai les oreilles rouges et gonflées d’émotion, je transpire avec peine, je m’enfonce dans l’harmonie, je fonds en musique, je suis heureux.
Derniers accords ! Nous laissons prospérer le silence. Nous tentons de reprendre notre souffle.
- Quand je pense que Beethoven est mort alors que tant de crétins vivent !
Madame Vo Than Loc  avait lancé cette phrase farouche. 
(Chapitre Ouverture de Coriolan, page 19)
Successivement, l’auteur nous livre les clefs de son écoute personnelle, révélant la fraîcheur d’une oreille attentive, exercée mais abandonnée volontairement au flux musical :
  Au début, c’est un conflit. Deux entités  s’opposent : les cordes violentes, dramatiques, et le piano doux. Celles-là fument, raclent, menacent,grondent ; celui-ci murmure. Leur antagonisme de timbre est poussé au paroxysme. (…)  La lourde masse des cordes aux sons musclés, tenus, tendus, tente d’assommer le grêle et solitaire piano.
Entre leurs interventions, du silence.
Un silence double : le silence où quelque chose naît.
Le silence où s’évapore le fracas des cordes ; le silence où apparaît, fragile, le chant du piano.
Je commence à comprendre…
Choc d’énergies contradictoires. Goliath contre David. Le géant contre l’enfant. À première vue- ou à première oreille- on connaît le résultat. Or quoique les cordes cherchent à l’intimider, le piano ne hausse pas le ton, reste d’une étonnante sérénité, persiste.
Progressivement, le rapport des adversaires se modifie. (…)
(Page 85-86  quatrième concerto pour piano et orchestre, 2ème mouvement.)
Page 98 , à propos du quatuor n°15, EE poursuit:
 Austères quatuors… Remisant sa palette symphonique, à mille lieux des gigantesques contrastes sonores, Beethoven renonce aux couleurs, à la variété des timbres, leurs oppositions, leur séduction. On a presque l’impression qu’il renonce aussi à la mélodie, qu’il y préfère de longues tenues de cordes, des frémissements, des attaques. C’est une méditation. Il se dépouille de ce qui charpentait son langage antérieur.


Bien évidemment, le mélomane est toujours tenté d’établir des choix, de dresser une table de comparaisons entre les différents compositeurs qu’il est amené à apprécier. Il se sent souvent alors obligé de situer la nature des œuvres dont il s’abreuve :

 Lorsqu’on écoute du Mozart, on n’assiste pas à une besogne, on assiste à l’épiphanie de la grâce.
Inexplicable, la grâce. Ça descend, ça s’impose. C’est une aube, une naissance.
(Page 26)

La comparaison s’impose de fait et Schmitt, se souvenant qu’il est philosophe, développe les attributs supposés de ces deux génies fondateurs :

 Mozart entend, Beethoven fabrique.
Chez les deux, le métier est ferme, supérieur, rigoureux, virtuose. Chez les deux, l’art triomphe.
Cependant, si Mozart efface son geste, Beethoven le met en avant. Mozart nous  propose le produit  de l’esprit, Beethoven l’esprit du produit.
Beethoven cherche, Mozart a trouvé.
Beethoven reste présent dans son œuvre, Mozart s’en absente.
Beethoven nous laisse avec sa musique, Mozart nous laisse avec la musique.
Dans la création, Beethoven se comporte en homme, Mozart en Dieu. L’un parade, l’autre s’écarte. Homme immanent, dieu caché.


Schmitt  ne saurait cependant cantonner l’universalité de la musique à ce tableau comparatif. En réalité, ce qu’apporte un compositeur à la conscience de notre Histoire et de notre Humanité, ce qui établit Beethoven et les compositeurs dans l’Intemporalité, c’est l’essence de leur art, la musique (Page 36) :
Bach, c’est la musique que Dieu écrit.
Mozart, c’est la musique que Dieu écoute.
Beethoven, c’est la musique qui convainc  Dieu de prendre un congé car il constate que l’homme envahit désormais la place.
(Page 40) :
Un souffle existe qui va s’épanouir, se tonifier, s’enchanter de lui-même, se développer en volutes infinies. Beethoven, de façon poignante, nous présente l’homme fragile, originellement convalescent. Quelle est sa faiblesse ? Sa force, c’est-à-dire la pensée. Débordant de tendresse et de compassion, Ludwig van souligne combien il aime cette bête inquiète, traversée de peurs, de questions, mais aussi tendue par l’idéal. Aussi pur que dans un de ses quatuors intimes, mais plus ample grâce à l’orchestre, il célèbre la condition humaine.

Ou encore ce développement pages 44-45 :
Quoique Beethoven accorde à Dieu le premier mot, il ne lui confie pas le dernier : cela se remet à foisonner, à grouiller, à fuser, à tambouriner, la joie s’ensauve, vire à la transe, c’est une danse dionysiaque, une explosion finale, une orgie cosmique.

Par la magie de la prose de Schmitt, j’entends pour ma part cette dernière phrase portée par le souffle enthousiaste d’un Fabrice Lucchini et je me dis que décidément, la Grâce accompagne en effet quelques rares élus et que nous sommes, quant à nous pauvres récipiendaires de leurs lumières, bien reconnaissants et bien heureux d’en recevoir le rayonnement.

 Sous cet éclairage objectif, É E Schmitt s’attaque alors à démonter nos réflexes grégaires, nos références apprises par nos cheminements, la pression du temps, nos erreurs critiques. L’homme honnête nous invite à nous défaire d’idées préconçues et à retrouver la clarté d’une écoute rénovée.  Sans fausse pudeur, il nous rapporte son expérience  personnelle  d’une représentation de Fidélio, où entré dans le théâtre engoncé dans ses préjugés, il s’est confronté à sa propre erreur…

 Cédant à la prévention des philosophes qui estiment – à tort- que penser nécessite d’éloigner les affects, je me transformai en pur intellectuel. Dès lors, Beethoven m’apparut confus, brouillon, émotif, hystérique ; pas uniquement Beethoven d’ailleurs, car pendant ces années-là, je boudais aussi Mozart, Schubert, Chopin ; je ne m’intéressais plus qu’aux grammairiens de la musique, Schönberg, Webern, Berg ou Boulez dont j’allais suivre les cours au collège de France.
Pour l’intellectuel neuf que j’étais, tout sentiment relevait de la fièvre.  ( Page 48)
(…)
Et alors, je commence à comprendre ce qui arrive… En me privant de la vue, je vois enfin le théâtre : il réside dans la musique.  L’action a quitté la scène pour gagner la fosse. L’orchestre est le lieu où le drame s’élabore, chaque instrument y tient un rôle, et les voix qui en sortent à leur tour y participent. Les sentiments, les aspirations, les mouvements, les lumières, ils sont là, écrits par B. Au fond, il a raison : pas besoin de décor, un noir de fumée suffit ; au diable les attributs traditionnels du show, le vrai spectacle est celui des cœurs tourmentés. »( Page 55 chapitre Fidélio)

Cet essai d’une centaine de pages regorge de réflexions destinées à raviver nos propres ressentis. Quels que soient les sons dont nous colorons nos vies, chacun pourra entendre  au fil de ce discours un écho à sa résonance personnelle. II ne m’appartient pas de rapporter l’intégralité du cheminement de l’auteur (É E Schmitt n’a nul besoin de moi !!!) mais je suis fort tentée de relayer ce point du discours qui apostrophe justement les préjugés dont souffre aussi la littérature :
 En France, on répète à satiété la sentence : “  Ce n’est pas avec de bons sentiments qu’on fait de la bonne littérature“,   une saillie amusante d’André Gide qui se pétrifia malheureusement en critère littéraire. Chez les petits marquis soumis aux diktats du cynisme ou du nihilisme ambiant, l’aphorisme vira à : “ les bons sentiments fabriquent de la mauvaise littérature.“  Adieu donc, Corneille, Goethe, Rousseau, Dickens, et tant d’autres – à coup sûr Gide lui-même, intellectuel militant ! À la trappe Bach ! Farewell Beethoven ! Dans les poubelles de la morale ! Certains amateurs de fausses fenêtres pour la symétrie, vont encore plus loin, arguant que “ les mauvais sentiments engendrent la bonne littérature “ ou que “ les mauvais sentiments améliorent la littérature“, comme si les sentiments, quels qu’ils soient, donnaient l’aptitude à écrire une phrase valable, à organiser une histoire, à créer une cohérence entre une pensée et son expression. Faut-il que notre époque soit désespérée pour qu’un simple trait d’esprit fonde un catéchisme, nous fournisse des repères. Quel naufrage… Pauvre Gide à qui l’on prête cette sottise, car la bêtise ne réside pas dans la boutade de cet homme intelligent, mais dans l’usage qu’en tirent les imbéciles.
Et avant de voir Fidélio, je lui appartenais à cette bande d’imbéciles, puisque j’avais débarqué lardé de préjugés à l’Opéra suisse.

Cette remarque n’a rien de gratuit dans l’organisation de l’essai. Concernant, non plus seulement  Beethoven justement  réhabilité dans l’urgence et l’Humanisme de son art, mais la perception et le flux de l’oeuvre de notre auteur, nous débouchons avec lui sur ce qui me touche à travers l’ensemble de ses compositions romanesques et théâtrales : Éric Emmanuel Schmitt développe, au grand dam de certains intellectuels cyniques, le positivisme volontariste. Il refuse que nous acceptions la laideur du monde et les calculs mesquins des Machiavels-au petit-pied sans opposer la chaleur de la compassion et la douceur du partage, la clarté de la compréhension et de la tolérance. Ce sont les leitmotivs qui traversent son Œuvre et réchauffent mon âme et mes convictions.
 Se réjouir et jouir, telle s’avère la joie. Elle ne demande rien, elle ne déplore rien, elle ne se plaint de rien. Elle célèbre. Elle remercie. La joie est gratitude.
(Page 102)



Ce qui Schmitt tire de la fréquentation des musiciens (et j’attends avec l’impatience que vous devinez son essai promis à propos de  Schubert) et  qu’il nous transmet à son tour dans cette chaîne miraculeuse qui tisse un lien intergénérationnel et interplanétaire. Laissons –lui encore la parole pour conclure : ( Extrait page 46)
 Plutôt que l’Hymne à la Joie, j’aurais envie d’appeler cette œuvre La Rédemption par le Joie car la musique de Beethoven offre une leçon. Nos vies sont dramatiques, tragiques, douloureuses, mais le drame ne constitue pas le but du drame, le tragique doit être accepté, la douleur surmontée. Libérons-nous ! Parce que nous subissons la tristesse, l’inévitable tristesse, nous ne devons pas la cultiver. Mieux vaut cultiver la joie. Que la liesse domine ! Beethoven nous emmène à l’école de l’énergie.  Soyons enthousiastes au sens grec, c’est-à-dire laissons descendre les dieux en nous, délivrons-nous du négatif. La bacchanale plutôt que l’apocalypse.


L’ouvrage est complété dans cette édition attrayante par un texte originellement conçu comme un monologue destiné à la scène, mais qui se dévore comme une longue nouvelle. Il s’agit évidemment de Kiki von Beethoven* qu’Éric Emmanuel Schmitt avait déjà écrit avant son essai. Un CD comprenant un enregistrement des 6 morceaux analysés dans l’ouvrage illustre musicalement le propos, de sorte que l’acquisition du «  package » constitue un cadeau très sympathique. Avis aux amateurs. 

 

*La pièce se joue toujours à Paris en ce moment.

03/12/2010

Un cri dans la forêt… des éditeurs

Petit retour à la destination première de ces gouttesd’o,  petites notes plus ou moins anodines qui s’écoulent à mon gré  depuis un peu plus de  3 ans maintenant. Initialement, gouttesd’o est né pour concrétiser un besoin d’échange au sujet de mes découvertes littéraires.  Lectrice  impénitente je suis, et même si j’ai choisi de présenter majoritairement mes notes de lecture en marge, ce qui vous prive de commentaires*, il se trouve que certaines oeuvres posent question et nécessitent l’ouverture de débats.


Au printemps dernier,   j’ai rencontré un écrivain local qui vendait ces œuvres  dans un lieu inhabituel : la cave Saint Jean, l’une des nombreuses caves dont s’honore notre petite cité viticole. Ce n’est d’ailleurs  pas la première fois que je rencontre, au détour des commerces les plus divers, des écrivains édités à compte d’auteur, et je me sens mal à l’aise en face de ces créateurs obligés d’endosser le rôle de commercial. Par empathie autant que par curiosité, j’ai donc acheté à Pierre Bertho les deux volumes  de sa saga  J’en fais le serment suivi d’Un cri dans la forêt.  La quatrième de couverture et un  petit entretien  sympathique avec l’auteur m’avait permis d’entrevoir une lecture d’été, agréable et légère, accordée à la période estivale imminente, période durant laquelle nous allions être  moins concentrés en raison des partages avec nos invités.

En brodant son intrigue sur le thème de la descendance supposée de Marie- Madeleine, Pierre Bertho s’appuie sur un moteur d’intrigue déjà connu.  On pourrait lui reprocher cette facilité, mais puisqu’il implante son histoire à Saint Maximin la Sainte Baume et dans le massif  éponyme qui lui fait face, comment ne pas trouver naturelle sa démarche ? La fameuse grotte qui servit d’ermitage à la Sainte femme appartient au patrimoine de la région et son intérêt n’est certes pas seulement touristique. Au- delà de la survivance du rite  dans le site, l’hôtellerie  de la Sainte Baume, animée par les frères Dominicains s’inscrit comme un lieu de réflexion théologique et spirituelle recherché.  Toutefois Pierre Bertho préfère de loin tricoter son énigme à partir de la légende, ou plutôt des  légendes  bâties autour de  l’Histoire du catholicisme et de ses dérives. On y retrouve les mêmes ingrédients que dans le fameux Da Vinci Code, et nul lecteur ne peut prétendre ne pas l’avoir vu venir.  Ouvrir le roman revient à accepter d’emblée le genre et tant pis pour les redites.


Au fil des deux tomes, nous suivons les investigations contrariées du personnage principal, Pierre Soubeyran, qui reprend contact accidentellement avec son cercle familial après une absence  volontaire de plusieurs décennies. Le temps passé n’a pas effacé l’amour qu’il éprouvait alors pour sa voisine, Madeleine, devenue après sa fuite  inexpliquée la femme de  son propre frère.  Rapidement veuve, Madeleine a élevé  sa fille Marie Sarah, entourée de sa mère et son beau-père, alliant les deux exploitations viticoles. Ses retrouvailles avec Madeleine se réalisent d’abord grâce à Marie- Sarah, jeune femme volontaire et aventureuse. Mais en renouant  avec l’entourage de ses jeunes années, Pierre perçoit rapidement une terrible ambiguïté dans ses rapports avec les anciens amis. Chaleureusement accueilli, il lui est cependant difficile de se réconcilier sans éclaircir les points de litiges anciens qui l’ont heurté jadis. Des événements brutaux, enlèvement,   agressions violentes, effractions, serviront peu à peu de verrous ouvrant les portes d’énigmes  de plus en plus oppressantes … Comme toujours quand on aborde le résumé d’un roman de ce genre, il n’y a aucun intérêt à dresser le tableau des divers éléments de l’intrigue. Si vous êtes tentés, sachez simplement que vous entrez dans un univers ésotérique où les survivants de lointaines confréries poursuivent sans relâche, mais avec une férocité toujours vivace des idéaux oubliés…

Amateurs d’énigmes occultes, vous pouvez consacrer sans remords quelques soirées de cet hiver précoce à la famille Soubeyran et notre belle région de Provence Verte…

En réalité, je me suis bien amusée à suivre les personnages de Pierre Bertho dans les lieux qui constituent mon cadre de vie. Sous l’identité des  différents protagonistes, le roman offre des éléments qui relient les personnages à leurs doubles de chair, au moins dans leur fonction, leur habitat, les paysages parcourus. A cet égard, le personnage d’Amandine, dernière ermite de la forêt de la sainte Baume offre l’occasion de pénétrer  dans ce sombre et majestueux massif .  Reconnaître ces sentiers et y calquer les événements romanesques constitue un plaisir particulier,    mais pas indispensable : il n’est pas nécessaire d’être parisien pour suivre les Malaussène dans le vingtième arrondissement  de Pennac, ou d’être New Yorkais pour s’intéresser aux  angoisses des personnages de Paul Auster. 


Le point qui cependant me chiffonne n’est pas lié à l’aspect romanesque de l’ouvrage. Je reconnais qu’il est même tout à fait sympathique que l’auteur, ancien membre de la police scientifique, utilise ses connaissances pour nouer  ses intrigues et  promener ses lecteurs dans le champ des indices vraisemblables…Avant de les rouler dans la farine du fantasme.

 Cependant, pour être tout à fait honnête, il m’est  arrivé  d’éprouver une réelle gêne au cours de ma lecture, sans rapport avec  la nature de l’histoire, vous l’avez compris: le sentiment d'un embarras éprouvé au détour d’une phrase,  à tel point qu’il m’est arrivé de lire à nouveau le passage pour m’en assurer, et m’en désoler. Écrire est un travail véritable, lent,  solitaire et rigoureux, dévorant, demandant à son auteur une concentration énorme, relative au sens de son histoire, à la construction psychologique et physique des personnages, à la menée des moments clés qui bâtissent le suspense, au choix des mots, à la qualité des descriptions,   à la tournure de la syntaxe utilisée.  Mais quiconque a déjà un peu écrit, je veux dire s’est impliqué dans la transcription d’idées ou de fantasmagories, sait qu’il faut se lire, se relire et faire relire sans concessions à d’autres, des témoins qui traquent les erreurs, cernent les maladresses, soumettent  la nécessité de modification … Cette lecture  critique préalable, qui requiert la confiance de l’auteur,   c’est  en bout de course le travail de l’éditeur.

Or,   pour étayer mon reproche  je me bornerai à ne citer que deux exemples, relevés au cours de ma lecture, et qui m’ont désagréablement impressionnée: Page 18 d’Un cri dans la nuit, cette déformation inopportune du passé simple :
«  Une énorme dalle plate servant de porte n’offra que peu de résistance… »
Page 207 du même ouvrage, mes yeux refusent la construction  ci-dessous :
«  Profitant de placer un plat sur la table, elle posa une main… »
Sans aucun désir d’accabler l’auteur, il me paraît honnête de souligner ce défaut, que le travail  d’édition aurait dû corriger. Mais leur occurrence tout au long des pages de ces deux livres finit par gâcher le plaisir de lire…  Je ne lis plus pour corriger et « faire ma prof’ , même s’il m’est arrivé aussi de relever des coquilles  dans certains ouvrages édités par des maisons incontournables. 


Les deux ouvrages de Pierre Bertho sont édités par les éditions AMLO. Impossible de trouver les références de cette maison, sur le Net. Dommage…
Voilà une mésaventure dont l’auteur, et avec lui tout écrivain, se passerait volontiers, j’imagine, en dehors de l’obligation de se muer en camelot. Rappelons quand même que l’édition à compte d’auteur revient fort cher à celui qui ne voit que ce moyen pour transmettre ses créations. Si au moins la qualité de l’impression lui était assurée …

 

 

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* À ce sujet le manque de commentaires m’a poussé à redoubler les publications de mes notes sur   http://odelectures.canalblog.com/  où vous êtes toujours les bienvenus, même s’il en manque toujours beaucoup…

Et si le coeur vous en dit, Pierre Bertho tient son propre site, pratrique pour vous procurer ses divers ouvrages: http://pierre.bertho.free.fr

22/08/2010

De la fiction à la réalité…



Parmi les découvertes littéraires de l’hiver passé,  j’ai éprouvé un réel plaisir à la lecture de  la double vie d’Anna Song de Minh Tran Huy, (cf note ci-contre ou ci-dessous).
Outre la personnalité réelle de l’auteure, son habileté reconnue à manipuler et jouer des mots pour composer sa propre musique, le sujet du roman signalait une inspiration originale et singulière.
Singulière ?
Pas si sûr.
Sans dévaloriser le moins du monde la créativité de  Min Tran Huy, il est piquant de réaliser que son personnage a bel et bien vécu à nos côtés, une existence de chair et de douleurs,  d'efforts et d'espoirs, de joie, d’amour et de frustrations.
L’Anna Song créée par Min Tran Huy est le clone  romanesque d’une pianiste méconnue, à la gloire aussi éphémère que son destin. Mais sous la tristesse et le désenchantement d’un tel parcours, sourd le romantisme absolu d’un amour transcendant, magnifiant jusqu’au génie les dons de l’épouse adorée.
Eh oui, ami lecteur, notre XXIème siècle débutant recèle encore la nostalgie du Romantisme le plus pur, le plus inventif et… le plus cynique qui soit .

Anna Song s’appelait dans la réalité Joyce Hatto. Comme son alias, elle fut d’abord une musicienne promise à un avenir brillant, puis une soliste négligée de la critique, abandonnée au seuil de la gloire. Les élus sont si peu nombreux, Joyce n’a pas trouvé sa place. Alors, quand la maladie sournoise l’a enserrée entre ses griffes cancéreuses, son chevalier servant, William Barrington-Coupe,  époux toujours ébloui, a décidé de donner le coup de pouce refusé par le destin.
À lui seul, à l’abri de  son studio personnel, il a confectionné une discographie étourdissante comme un enchanteur malaxe ses mixtures à l’aide de vieux grimoires.
Les ingrédients de cette magie musicale ? Les productions antérieures de confrères rayonnants des feux du succès.
Les formules  ésotériques ? La clef technologique du mixage, un peu de ce pianiste russe ici, une larme de ce virtuose italien là, un ralentissement léger, imperceptible du rythme pour apporter une touche plus sensible, plus féminine à ce phrasé de Brahms, de Chopin ou de Scarlatti.
Car William n’a pas fait dans le mesquin ! Sa belle méritait la possession et la jouissance du répertoire musical mondial. Foin des complexes et des retenues pudiques. Joyce Hatto, galvanisée par l’imminence de sa propre mort , ne pouvait rien céder à la fatigue et à la  maladie. En plus de ses dons artistiques, sa volonté et sa puissance de travail l’ont portée jusqu’aux Champs-Élysées de l'Interprétation, aux portes de l’Olympe des Virtuoses.


Une légende vivante que Wiliam Barrington-Coupe a brillamment vendue, exactement comme l’a relaté Min Tran Huy. L’intrigue aurait pu parfaitement réussir, si…la Fée Technologie n’avait fait œuvre de justice, balançant le glaive d’abord en faveur du mari épris (…et commercialement opportuniste) avant de retourner le sort… En 2007, un  auditeur conquis n’a-t-il pas eu l’idée malheureuse d’intégrer l’un des CD à sa discothèque itunes…Pour découvrir avec une surprise sans égale que l’odieux logiciel reconnaissait implacablement  l’interprétation d’un hongrois,  Laszlo  Simon, pianiste jouissant d’une renommée encore confidentielle .
Surpris, notre mélomane a aussitôt entamé d’autres recherches comparatives…et fait voler en éclat une si belle histoire…

Que son modèle ait réellement existé n’enlève évidemment rien au talent de Min Tran Huy.  Un écrivain bénéficie à mon sens de toutes les sources d’inspiration à sa disposition. Son talent réside dans l'art de traiter le fait. Mais que la réalité du destin de son modèle soit aussi romanesque ( au sens littéraire) que celui du personnage  créé me laisse songeuse…
Combien nos vies semblent ordinaires, banales, en comparaison.
En matière de création littéraire, l’excès d’événements, la concomitance de faits dans les fictions  sont acceptés comme moyens nécessaires de renforcement de l’intrigue, de  la portée du message. Pour une fois, il me semble bien que la vie se moque ironiquement des efforts d’imagination de nos pauvres forçats  écrivains…

 

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Pour aller plus loin, voir l'article du nouvel Obs en date du 29 Juillet 2010 dans la série consacrée aux grands mystificateurs ou encore  sur classicsnews.com du 1er mars 2007

 

07/06/2009

Parfaits Cathares (4)

Petite intrusion au parfum d'enfance…


Et puisque nous sommes toujours à Cucugnan, profitons-en pour goûter encore un peu à cette savoureuse langue d’Oc, qui chante si bien à l’oreille et dans le cœur….
Au milieu du dix-neuvième  siècle, quelques poètes et écrivains méridionaux décidèrent de réagir au parisianisme (déjà) ambiant, et  fondèrent un cercle culturel centré sur la mise à l’honneur des textes , souvent transmis jusqu’alors selon la tradition orale… Parmi ceux-ci, tout le monde connaît  le nom de Frédéric Mistral qui définit ainsi les membres du Félibrige :  « Félibre, poète provençal de la seconde moitié du dix-neuvième siècle, littérateur de langue d'Oc, membre du Félibrige ».

Parmi ses élus, Alphonse Daudet en est resté l'écrivain le plus célèbre . Par ses Lettres de mon moulin,  des milliers de lecteurs ont frémi, souri, applaudi  au fil de ses histoires simples relatant les émotions naturelles des gens du midi. Qui d’entre vous ne se souvient avec béatitude de l’installation au moulin, du secret de Maître Cornille, des Vieux,  des trois messes basses et surtout, surtout, du Curé de Cucugnan…Nous y voilà et je m’émeus à ressortir ces souvenirs chantants…

Néanmoins, et malgré la reconnaissance que je lui voue pour m’avoir sensibilisé  très  jeune à l’ivresse du beau parler, force est de reconnaître que Daudet était surtout habile à se parer d’un bien reçu en héritage. Car ces histoires appartiennent au patrimoine régionnal. En ce qui concerne le sermon du fameux curé, la tradition l’attribue à Joseph Roumanille, qui le premier mit en forme écrite ce récit narré aux veillées et fêtes locales. Puis son acolyte Achille Mir cuisine à son tour un conte truculent et savoureux, enrobant ses personnages de nouvelles finesses psychologiques,  rehaussant ainsi les effets comiques. Il écrit  Lou Sermou dal Curat de Cucugna en langue d’Oc, ce qui ne nous est guère accessible. D’où l’intérêt de la traduction d’Alphonse Daudet, qui a su populariser le sujet.
En ce début de vingt et unième siècle, la ville de Cucugnan s’est proposée de remettre à l’honneur les célébrités locales et c’est à Henri Gougaud, digne héritier de cette veine de Conteurs qu’il a été demandé de procéder à une adaptation offerte à tous les publics.
Nous avons donc assisté, grâce à la ténacité de notre Mireille, à un savoureux moment, rien que pour nous, en ce dimanche matin:  dans une minuscule salle de spectacle, une scène, quelques projections d’illustrations délicieuses sur les murs, une machinerie simple  offrent un support visuel charmant et efficace au texte dit par notre traducteur moderne. Henri Gougaud a travaillé  son texte de manière à respecter la poésie et la finesse de l’original. J’ai pu me procurer l’édition bilingue et je vous en propose  quelques lignes afin de mieux vous allécher, si d’aventure…, et je pense à toi , Lina, qui envisage d' aller traîner tes guêtres prochainement dans le coin…


«   Monsieur l’abbé Marty, curé de Cucugnan,
Était bon comme le bon pain,
Et tout le monde l’adorait.

Quand un paroissien récoltait
Au jardin, au champ, quelque bonne chose,
Vite, vite un présent à Monsieur le Curé !

(……………………………………………………)

Et pourtant l’excellent curé
Tant chéri, tant honoré
De son petit troupeau
Avait son âme tourmentée.

Croyez que ce n’est pas sans raison,
Car le dimanche, à son sermon
Peu de fidèles assistaient,
Et les plus exacts y ronflaient.  


Le pauvre abbé, la larme à l’œil,
Disait souvent à son bedeau,
Homme rustre, qui avait fait la guerre :
«  Ce serait le paradis sur terre,
Cucugnan, si mon troupeau
Était un tantinet plus dévot !

Mais tu le vois, brave Baptiste,
Ce serait péché de faire la quête,
Car il ne  nous vient qu’une poignée de gens
Mal habillés, tout indigents.

Le confessionnal se vermoule ;
Araignées, rats, y font ripaille,
Et les Pâques passent vite
Sans voir s’agenouiller une tête grise. »
……………………

La parabole se déroule sur ces vers libres comme une régalade. Au son de la voix chaleureuse, à peine rocailleuse de Henri Gougaud, la déconfiture du bon curé se métamorphose en une ruse généreuse. Impossible de rester indifférent au spectacle de l’enfer et des paroissiens rôtis, notre bon curé gagne son paradis… Et nous sortons de cette lecture tout ragaillardis.