Un p'tit coin de Paraïs (20/05/2012)
Si la météo exécrable n’avait écourté notre visite à Sainte Maxime, je serais passée à côté d’un joli moment au Paraïs…Il y a des rencontres qui embellissent d’un coup vos journées. Celle que j’ai eu la chance de vivre vendredi dernier est de celle-là.
La médiathèque de Saint Maximin, en lien avec la libraire Jardin des Lettres, avait organisé la réception de Sylvie Giono, fille de l’écrivain, à propos du livre qu’elle a écrit sur leur maison de Manosque. On sait, et je l’ai entendu rapporter encore très récemment, que Giono écrivait retranché dans son bureau, sans puiser directement son inspiration dans le suc de la rue. Certains y voient l’occasion de formuler un reproche, un dédain pour ce rêveur qui n ‘ancrait pas ses personnages dans la réalité autour de lui. D’autres en profitent pour souligner que ses créatures sont de pures inventions, que l’humanité ne peut pas se réduire à des caractères posés sur le papier…
Pour ma part, j’ai dévoré les romans de l ‘écrivain dans ma jeunesse, et je dois dire qu’ils ont creusé alors un sillon très profond dans ma mémoire. Je n’ai découvert la Provence géographique que plus tard. Mais pas une fois au cours de mes incursions dans l’arrière-pays, pas une fois vous dis-je, je n’ai manqué d’y voir ses silhouettes solitaires et affairées dans les collines âpres de l’arrière pays, sur les plateaux illuminés de lavande du Lubéron, dans la découpe grise des crêtes préalpines… Regain, Collines, les âmes fortes…Et la fuite éperdue de Pauline de Théus à travers tout le pays pendant l’épidémie de peste de Manosque. C’est que Giono est de la trempe des Écrivains, ceux qui dessinent un univers tellement fort que la réalité s’estompe avant de s’efforcer d’entrer dans le cadre de nos imaginaires.
D’abord, Sylvie Giono impressionne par le calme et la simplicité de sa présence; cette grande dame s’exprime face à l’auditoire avec la spontanéité et l’aisance d’une amie qui partage un moment de souvenirs. Elle est aidée au long de son discours par deux complices, professeurs de lettres régionaux, qui se passionnent pour l’œuvre de l’écrivain. S’ils sont manifestement trop jeunes pour l’avoir jamais rencontré, il est clair qu’ils vivent, respirent, se nourrissent et s’abreuvent « Giono ». La maison du Paraïs n’a pas de secrets pour eux, et leurs relations avec la fille de l’écrivain semblent révéler une pratique respectueuse mais amicale.
Le jeu des questions-réponses se déroule donc dans une atmosphère bon enfant, les deux acolytes formulant les thèmes qui servent de fil conducteur à cette visite guidée de l’univers de l’écrivain, Sylvie Giono décrit avec précision et humour les rites du créateur, son besoin de calme tempéré par l’assurance que sa famille réunie formait un rempart protecteur contre les intrusions. Les anecdotes abondent pour décrire l’ambiance familiale, depuis les moments d’écoute musicale rassemblant toute la tribu sur la terrasse de la maison, les repas agrémentés du récit des progrès du roman en cours, les relations aux objets d’art fétiches du romancier, la découverte de la bibliothèque somptueuse, car Giono père est un mentor avisé des lectures de ses filles. On apprend ainsi qu’Élise Giono, l’épouse, veille à la ponctuation et l’accentuation des tapuscrits de son époux, tandis que Madame Mère exerce une sorte de régence autoritaire sur la tribu. Il faut dire que l’univers du grand homme est féminin : outre sa femme et ses deux filles, la maisonnée abrite mère et belle-mère, mais aussi Fine, la domestique piémontaise incontournable, qui prend ses repas à la table familiale. Cet homme-là, me direz-vous, peut facilement se retrancher des contingences matérielles, six femmes s’activent à lui fournir les conditions de paix dont il a besoin pour œuvrer.
À travers le regard bienveillant de sa fille, il semble que Jean Giono a pu créer dans un cocon idéal. Son œuvre cependant ne donne pas vie à des personnages au destin lumineux et aisé. La nature semble souvent façonner les êtres en sécheresse et en dureté, pour s’affronter à la rocaille et aux désirs inassouvissables… C’est que le rêveur plumitif ne s’est pas fait que des amis, dans la bonne ville de Manosque. Un début de carrière très malheureux dans la banque s’est achevé par une banqueroute familiale, l’homme n’aura manifestement jamais l’argent pour divinité. Mais ça ne suffira pas pour tenir à distance les envieux, les jaloux et les susceptibles. Jean Giono a traversé le premier conflit mondial en soldat, il en est revenu fondamentalement pacifiste. Cette position affirmée ne l’a pas protégé des attaques des deux camps : on lui a reproché des photographies prises au Paraïs parues dans la presse allemande, en négligeant la chronologie des clichés, bien antérieure au début du conflit ; On n’a pas voulu prendre en compte les risques courus quand il a caché chez lui des réfugiés comme la femme de Max Ernst ou le pianiste Meyerowitz qui refusait de se cacher sans son piano!*. De sorte que par deux fois, Giono sera emprisonné quand sonnera l’heure des comptes.
C’est avec une distance positive que Sylvie Giono évoque ces heures sombres. Elle semble perpétrer ainsi ce caractère essentiel qu’elle prête volontiers à son père. À tous moments, elle souligne en effet la générosité de cet homme qui tenait table ouverte, savait accueillir les visiteurs alors même que son cerveau continuait à jointer ses intrigues en arrière-plan. Par son intelligence affable, cette grande dame contribue à la mémoire de l’écrivain autant qu’à celle de l’homme. Ces deux heures sont passées trop vite et nous ont apporté une grande fraîcheur. Reste une véritable envie de retrouver le plaisir des lectures : mon été 2012 sera sans doute agrémenté de retrouvailles « Giono », qu’on se le dise !!!
Jean Giono à Manosque, sous titré LE PARAÏS, la maison d’un rêveur, paru chez Belin en février 2012 ISBN 978-2-7011-5980-5
* anecdote rapportée page 48
Pour les amateurs disponibles à cette période, Sylvie Giono fait part d’un festival musical à Gréoux les bains en Juin, en relation avec les animations de la maison jean Giono.
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