Parfaits Cathares (4) (07/06/2009)

Petite intrusion au parfum d'enfance…


Et puisque nous sommes toujours à Cucugnan, profitons-en pour goûter encore un peu à cette savoureuse langue d’Oc, qui chante si bien à l’oreille et dans le cœur….
Au milieu du dix-neuvième  siècle, quelques poètes et écrivains méridionaux décidèrent de réagir au parisianisme (déjà) ambiant, et  fondèrent un cercle culturel centré sur la mise à l’honneur des textes , souvent transmis jusqu’alors selon la tradition orale… Parmi ceux-ci, tout le monde connaît  le nom de Frédéric Mistral qui définit ainsi les membres du Félibrige :  « Félibre, poète provençal de la seconde moitié du dix-neuvième siècle, littérateur de langue d'Oc, membre du Félibrige ».

Parmi ses élus, Alphonse Daudet en est resté l'écrivain le plus célèbre . Par ses Lettres de mon moulin,  des milliers de lecteurs ont frémi, souri, applaudi  au fil de ses histoires simples relatant les émotions naturelles des gens du midi. Qui d’entre vous ne se souvient avec béatitude de l’installation au moulin, du secret de Maître Cornille, des Vieux,  des trois messes basses et surtout, surtout, du Curé de Cucugnan…Nous y voilà et je m’émeus à ressortir ces souvenirs chantants…

Néanmoins, et malgré la reconnaissance que je lui voue pour m’avoir sensibilisé  très  jeune à l’ivresse du beau parler, force est de reconnaître que Daudet était surtout habile à se parer d’un bien reçu en héritage. Car ces histoires appartiennent au patrimoine régionnal. En ce qui concerne le sermon du fameux curé, la tradition l’attribue à Joseph Roumanille, qui le premier mit en forme écrite ce récit narré aux veillées et fêtes locales. Puis son acolyte Achille Mir cuisine à son tour un conte truculent et savoureux, enrobant ses personnages de nouvelles finesses psychologiques,  rehaussant ainsi les effets comiques. Il écrit  Lou Sermou dal Curat de Cucugna en langue d’Oc, ce qui ne nous est guère accessible. D’où l’intérêt de la traduction d’Alphonse Daudet, qui a su populariser le sujet.
En ce début de vingt et unième siècle, la ville de Cucugnan s’est proposée de remettre à l’honneur les célébrités locales et c’est à Henri Gougaud, digne héritier de cette veine de Conteurs qu’il a été demandé de procéder à une adaptation offerte à tous les publics.
Nous avons donc assisté, grâce à la ténacité de notre Mireille, à un savoureux moment, rien que pour nous, en ce dimanche matin:  dans une minuscule salle de spectacle, une scène, quelques projections d’illustrations délicieuses sur les murs, une machinerie simple  offrent un support visuel charmant et efficace au texte dit par notre traducteur moderne. Henri Gougaud a travaillé  son texte de manière à respecter la poésie et la finesse de l’original. J’ai pu me procurer l’édition bilingue et je vous en propose  quelques lignes afin de mieux vous allécher, si d’aventure…, et je pense à toi , Lina, qui envisage d' aller traîner tes guêtres prochainement dans le coin…


«   Monsieur l’abbé Marty, curé de Cucugnan,
Était bon comme le bon pain,
Et tout le monde l’adorait.

Quand un paroissien récoltait
Au jardin, au champ, quelque bonne chose,
Vite, vite un présent à Monsieur le Curé !

(……………………………………………………)

Et pourtant l’excellent curé
Tant chéri, tant honoré
De son petit troupeau
Avait son âme tourmentée.

Croyez que ce n’est pas sans raison,
Car le dimanche, à son sermon
Peu de fidèles assistaient,
Et les plus exacts y ronflaient.  


Le pauvre abbé, la larme à l’œil,
Disait souvent à son bedeau,
Homme rustre, qui avait fait la guerre :
«  Ce serait le paradis sur terre,
Cucugnan, si mon troupeau
Était un tantinet plus dévot !

Mais tu le vois, brave Baptiste,
Ce serait péché de faire la quête,
Car il ne  nous vient qu’une poignée de gens
Mal habillés, tout indigents.

Le confessionnal se vermoule ;
Araignées, rats, y font ripaille,
Et les Pâques passent vite
Sans voir s’agenouiller une tête grise. »
……………………

La parabole se déroule sur ces vers libres comme une régalade. Au son de la voix chaleureuse, à peine rocailleuse de Henri Gougaud, la déconfiture du bon curé se métamorphose en une ruse généreuse. Impossible de rester indifférent au spectacle de l’enfer et des paroissiens rôtis, notre bon curé gagne son paradis… Et nous sortons de cette lecture tout ragaillardis.

19:46 | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : récit de voyage, littérature, le félibrige, daudet, achille pir, henri gougaud | |  del.icio.us |  Facebook | |  Imprimer