De la fiction à la réalité… (22/08/2010)



Parmi les découvertes littéraires de l’hiver passé,  j’ai éprouvé un réel plaisir à la lecture de  la double vie d’Anna Song de Minh Tran Huy, (cf note ci-contre ou ci-dessous).
Outre la personnalité réelle de l’auteure, son habileté reconnue à manipuler et jouer des mots pour composer sa propre musique, le sujet du roman signalait une inspiration originale et singulière.
Singulière ?
Pas si sûr.
Sans dévaloriser le moins du monde la créativité de  Min Tran Huy, il est piquant de réaliser que son personnage a bel et bien vécu à nos côtés, une existence de chair et de douleurs,  d'efforts et d'espoirs, de joie, d’amour et de frustrations.
L’Anna Song créée par Min Tran Huy est le clone  romanesque d’une pianiste méconnue, à la gloire aussi éphémère que son destin. Mais sous la tristesse et le désenchantement d’un tel parcours, sourd le romantisme absolu d’un amour transcendant, magnifiant jusqu’au génie les dons de l’épouse adorée.
Eh oui, ami lecteur, notre XXIème siècle débutant recèle encore la nostalgie du Romantisme le plus pur, le plus inventif et… le plus cynique qui soit .

Anna Song s’appelait dans la réalité Joyce Hatto. Comme son alias, elle fut d’abord une musicienne promise à un avenir brillant, puis une soliste négligée de la critique, abandonnée au seuil de la gloire. Les élus sont si peu nombreux, Joyce n’a pas trouvé sa place. Alors, quand la maladie sournoise l’a enserrée entre ses griffes cancéreuses, son chevalier servant, William Barrington-Coupe,  époux toujours ébloui, a décidé de donner le coup de pouce refusé par le destin.
À lui seul, à l’abri de  son studio personnel, il a confectionné une discographie étourdissante comme un enchanteur malaxe ses mixtures à l’aide de vieux grimoires.
Les ingrédients de cette magie musicale ? Les productions antérieures de confrères rayonnants des feux du succès.
Les formules  ésotériques ? La clef technologique du mixage, un peu de ce pianiste russe ici, une larme de ce virtuose italien là, un ralentissement léger, imperceptible du rythme pour apporter une touche plus sensible, plus féminine à ce phrasé de Brahms, de Chopin ou de Scarlatti.
Car William n’a pas fait dans le mesquin ! Sa belle méritait la possession et la jouissance du répertoire musical mondial. Foin des complexes et des retenues pudiques. Joyce Hatto, galvanisée par l’imminence de sa propre mort , ne pouvait rien céder à la fatigue et à la  maladie. En plus de ses dons artistiques, sa volonté et sa puissance de travail l’ont portée jusqu’aux Champs-Élysées de l'Interprétation, aux portes de l’Olympe des Virtuoses.


Une légende vivante que Wiliam Barrington-Coupe a brillamment vendue, exactement comme l’a relaté Min Tran Huy. L’intrigue aurait pu parfaitement réussir, si…la Fée Technologie n’avait fait œuvre de justice, balançant le glaive d’abord en faveur du mari épris (…et commercialement opportuniste) avant de retourner le sort… En 2007, un  auditeur conquis n’a-t-il pas eu l’idée malheureuse d’intégrer l’un des CD à sa discothèque itunes…Pour découvrir avec une surprise sans égale que l’odieux logiciel reconnaissait implacablement  l’interprétation d’un hongrois,  Laszlo  Simon, pianiste jouissant d’une renommée encore confidentielle .
Surpris, notre mélomane a aussitôt entamé d’autres recherches comparatives…et fait voler en éclat une si belle histoire…

Que son modèle ait réellement existé n’enlève évidemment rien au talent de Min Tran Huy.  Un écrivain bénéficie à mon sens de toutes les sources d’inspiration à sa disposition. Son talent réside dans l'art de traiter le fait. Mais que la réalité du destin de son modèle soit aussi romanesque ( au sens littéraire) que celui du personnage  créé me laisse songeuse…
Combien nos vies semblent ordinaires, banales, en comparaison.
En matière de création littéraire, l’excès d’événements, la concomitance de faits dans les fictions  sont acceptés comme moyens nécessaires de renforcement de l’intrigue, de  la portée du message. Pour une fois, il me semble bien que la vie se moque ironiquement des efforts d’imagination de nos pauvres forçats  écrivains…

 

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Pour aller plus loin, voir l'article du nouvel Obs en date du 29 Juillet 2010 dans la série consacrée aux grands mystificateurs ou encore  sur classicsnews.com du 1er mars 2007

 

13:16 | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : min tran huy, joyce hatto, roman, littérature, écriture, mystification, musique, interprète | |  del.icio.us |  Facebook | |  Imprimer