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19/08/2008

Aileen

Ce dimanche matin de la mi-août où le monde entier n’en finit plus de somnoler mollement, entre JO si lointains et désordres guerriers abscons…
À l’ouverture de ma boîte mail, pas plus de quatre ou cinq messages à l’affichage, mais une ligne, une seule, et j’ai compris avant même de l’ouvrir…
Au centre de cette courte liste, le nom de John et en regard, le prénom d’Aileen.

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Aileen est partie, sans souffrir longuement, à l’autre bout du monde. John me semble presque serein quand je l’appelle aussitôt, il m’offre cette très jolie phrase :
- Je ne suis pas triste pour elle, elle n’a pas vraiment souffert et il ne peut plus lui arriver de mal maintenant, je suis plutôt triste pour moi,… et ça ira…

Entre la mère et le fils, une jolie complicité, une compréhension malgré l’éloignement géographique et les renoncements multiples.

J’ai rencontré Aileen pour la première fois au cours d’une période personnelle bien sombre, et comme le monde n’est pas si mal fait, ce sont les circonstances qui apportent les amitiés les plus sincères et les plus authentiques. Aileen avait franchi la moitié du globe pour visiter John et Jean-Claude, notre rencontre s’est faite autour des maquereaux achetés trois francs six sous sur le port de Honfleur… Un été noir dans mon cœur, une illumination amicale et si légère, une compréhension intuitive, et tant d’humour…
Nos maquereaux sont devenus célèbres, l’emblème de ces vacances normandes, chaumière de Blanche-neige et jardin partagé avec les moutons poursuivis par Aurel et Olivier, comme les gigots ont dû être musclés cette année-là !

Mes pensées sont avec toi, avec vous, là-bas, à Concord West, Australia, juste une adresse pour mes cartes de voeux annuelles, pour elle la maison où elle a passé sa vie entière.


Sans trop chercher, j’ai remis la main sur ces deux photos de notre dernière entrevue dans mon petit paradis ozophoricien, deux petits témoins de cette chaleur amicale. Je les dédie à l’âme d’Aileen qui s’envole quelque part.

Farewell Aileen, I have been so glad to share your friendship, and getting warm up with your kindness.

Aileen 2 1997-08156.jpg


25/11/2007

Le Trèfle à quatre feuilles

J’ai un petit don subtil et parfaitement inutile, que je pratique depuis toujours et en fais profiter ceux que j’aime. Bien que je ne dispose pas d’une vue particulièrement aiguisée, mes yeux sont immanquablement attirés par un détail minuscule au milieu de n’importe quel parterre herbu.

Je trouve des trèfles à 4 feuilles.

Oui, je sais, c’est idiot, sans intérêt. D’autant que je me garde bien d’être superstitieuse, ça pourrait me porter malheur.
Alors, des trèfles, de Normandie, de Bretagne ou d’Ozoir, j’en ai trouvé des centaines depuis mon enfance, avec de larges folioles bien formés, d’autres moins réguliers, que j’ai séchés et conservés dans les livres au hasard de mes lectures, dans la pochette de mon permis de conduire. Bien plus souvent, j’en ai offert à toute personne présente lors de mes cueillettes-miracles, mes parents, mes amis, mes enfants évidemment. Ils ont eu des trèfles à quatre feuilles en toute occasion, matin, midi et soir, pour peu que nous soyons à la campagne. Avec eux, le jeu consistait à faire un voeu secret, que la pauvre plante était censée réaliser… Personne n’a jamais pensé à en vérifier le pouvoir. J’en avais même trouvé un sur le terre-plein de la place de la Nation, que j’avais aussitôt offert à Alice, une amie de ma belle-mère. Cette personne déjà âgée avait justement subi une violente agression physique dans le hall de l’immeuble où elle lui rendait visite par un bel après-midi de printemps. Les multiples contusions résultants de l'attaque avaient endommagé sérieusement sa vue et pendant une longue période, Alice n’osait plus se déplacer seule, même dans ce quartier populaire et vivant. L’accompagnant donc pour quelques courses sur le Cours de Vincennes, nous traversions en toute hâte la place en diagonale, coupant par l’ancienne fontaine, devenue simple plate-bande gazonnée. Comme Alice était essoufflée, elle s’était s’appuyée sur le muret de l’ancien bassin. C’est donc là, au milieu de quelques malheureux brins d’herbe gorgés d’affreuses toxines et de gaz d’échappement, que j’avais sorti la pépite verte, symbole de chance et de bonheur. Alice l’avait acceptée de bon cœur, elle était une amie charmante, témoignant d’une éducation courtoise comme les vieilles dames de sa génération, et m’avait remerciée d’une aimable plaisanterie.


Dans notre jardin provençal, les trèfles sont beaucoup plus rares, mais au bout d’un an ou deux, mes yeux ont à nouveau automatiquement décelé cette petite anomalie symétrique, parmi les herbes sauvages qui comblent les trous de ce que nous osons appeler pompeusement la pelouse.

Cet été, alors que je traverse la dite pelouse pour servir notre repas, malgré le plat chaud que je tiens en main, je détecte soudainement ce brin exceptionnel au milieu d’une touffe anarchique. Posant rapidement mon plat au sol, je cueille aussitôt délicatement mon trophée et l’offre à Marie-Geneviève et son mari Daniel, histoire de provoquer un sourire de détente anodine sur leurs visages fatigués et abîmés par la maladie. Le trèfle est bien développé et la tablée s’exclame, « Tiens, un peu de chance, ça tombe bien ! », Marie-Geneviève profite de cette opportunité pour encourager Daniel à montrer un peu plus d’appétit, de bonne grâce, notre malade reprend une bouchée de légumes… Puis pose le porte-bonheur de côté sur la table. Et nous n’y pensons plus.

Ce soir-là pourtant, alors que Daniel, guère vaillant, a déjà quitté la terrasse pour rejoindre sa chambre, nous rangeons la maison tristement, en commentant les efforts de la journée, les espoirs que nous essayons d’entretenir malgré les signes manifestes de déclin. Tout à coup, Marie-Geneviève m’interpelle :
-Mais qu’est-ce qu’on a fait de mon trèfle à quatre feuilles ? Je l’avais posé là, ce midi…
Nous nous regardons, vaguement confuses.
Gé intervient :
- Sur les serviettes en papier ? Alors il a été jeté.
L’espace d’un instant, je dois avouer que nous ressentons toutes deux une réelle déception, éphémère autant que puérile, mais j ‘ai ressenti son pincement de cœur dans la clarté triste de son regard …
Aucun de nous n’accorde évidemment de signification à cet incident, mais ce trèfle à quatre feuilles jeté nous a cruellement manqué.…

19/11/2007

En marge

Nos quatre hommes sont restés seuls autour de la table et leur conversation a perdu son éclat, elle s’étire comme la dernière miette de ce repas dominical.
Leurs femmes ont déjà emporté les assiettes à la cuisine, par la porte parviennent les bruits de vaisselle, d’eau coulant à gros jet, de rires et d’apostrophes joyeuses… Les verres sont restés sur la table, et la bouteille s’incline pour l'ultime tournée vers leurs bords tendus… Ah, que les hommes repus aiment ce moment de flottement d’après festin… Une nonchalance satisfaite les gagne, légère ivresse née autant du copieux repas que de la satisfaction du repos hebdomadaire mérité. Dans cette ambiance détendue, chacun d’eux s’installe à sa façon dans son contentement.
Le plus âgé, Pierre, jeune chef d’entreprise trentenaire, aussi vif que mince, impatient et un brin autoritaire d’ordinaire, se laisse aller contre le haut dossier de sa chaise, et croise les bras sur sa poitrine, maîtrisant encore la conversation de ses plaisanteries caustiques. Il ne lâchera pas cet art obstiné de la taquinerie qui établit sa prédominance sur la tribu rassemblée.
Luc, son cousin, s’installe en maître de maison. Il s’est spontanément assis en bout de table, à la place qu’occupait son père jusqu’à son décès. La maison n’abrite plus d’Anciens, mais la génération montante s’applique à préserver les rites. Cette propriété de famille est appelée à devenir sienne très bientôt, il y a déjà installé en guise de garde-robe ses outils de bricolage bidouillés ou achetés à grands efforts budgétaires. Il sert le vin sérieusement, pourvoit au ravitaillement de la cave, mais derrière la barre impérieuse de ses sourcils, qu’on ne s’y trompe pas, il tient ses stocks. Pensez, le Morgon coule à flot en ces jours de festivités hivernales. Luc se sait investi d’une obligation morale à être l’Héritier, le fils de…, même si le rôle est déjà très lourd à endosser. De sorte que l’apostrophe « Mais c’est complètement con… » est devenue la phrase-clef de ses prises de parole, histoire de poser son autorité de médecin récemment diplômé.
Son cadet de dix ans, Laurent, se bat pour intégrer le cénacle et se sentir adoubé. Démarche malaisée s’il en est. Ce fossé d’une décade à l’entrée en âge mûr est la pire des barricades. Dans trente ans, son aîné le courtisera, mais il l’ignore encore et pour l’heure, il déguste le vin avec application et gourmandise, parle en forçant sa voix, que Dame Nature lui a donné un peu frêle à son goût. Il aimerait donner son avis, vanter ses choix, parvient à amuser de réparties fines ses interlocuteurs, mais perçoit bien que ses efforts lui permettent juste de rester à la marge.
Le dernier de la tablée, Daniel, s’est légèrement éloigné de la table. Il a reculé sa chaise d’un pas, a croisé les jambes et arrondi son dos. Rien dans son attitude ne traduit le volontarisme des trois autres. Il a pivoté sur l’axe de sa chaise et son bras gauche repose sur le haut du dossier, tandis que la main droite porte régulièrement à sa bouche la cigarette brune qu’il savoure sans retenue. À chaque inspiration, il ferme à demi son regard de chat, inspire profondément, marque un temps d’arrêt, et relâche enfin la fumée d’un souffle long. Il a incliné la tête, comme pour mieux écouter sa petite voix intérieure, en réalité il est resté attentif aux propos de Pierre et de Luc. En réponse aux anecdotes farfelues qui émaillent la conversation, un petit rire secoue son apparente inertie, et il rejette alors la tête en arrière, déglutissant avant de souffler vers le plafond la dernière bouffée ingérée.
. Comme les femmes reviennent enfin avec le café et disposent le service devant les verres à peine vides, il s’adresse gentiment à la plus proche :
- Elles ont besoin d’un coup de main, les madames ?


L’arrivée du sombre breuvage marque la fin de l’épisode languide. La pause sacrée du déjeuner a été bien respectée, retour aux projets et aux emplois du temps obligés d’un dimanche à la campagne.
Tandis que Luc et Pierre dressent leur plan d’attaque pour rendre leur matériel de plongée plus performant l’année prochaine, arranger la vanne du compresseur ou renforcer l’axe du barbecue, Laurent se joint à l’assemblée féminine pour entretenir l’immense jardin ou défaire les lourds rideaux qu’il faudra porter chez le teinturier dans la semaine… Et ce café longtemps attendu est avalé trop fort, trop chaud, trop sucré, trop rapidement.
De café, Daniel n’en veut point, il préfèrerait un petit verre de chartreuse, puis une longue, longue sieste pour clore cette journée de repos, méditant peut-être sur la félicité du paresseux, la jouissance du Grand Nonchalant , le loisir de l’oisif.





Sylviane est retournée en cuisine, et tandis que les convives se lèvent bruyamment, elle réapparaît, s’adressant au chien de la maison, sagement allongé sur son tapis, au coin de la cheminée. Jupiter, joli braque français, n’attendait que ce signal pour manifester sa joie. Il n’est de festin humain qui ne comprenne sa part de récompense. L’os du gigot, encore bien pourvu de chair rouge et sanguinolente, brandi à bout de bras, Sylviane prétend mener l’animal jusqu’à la porte de la terrasse pour lui donner enfin son dû.
Daniel s’anime soudain à cette scène familière. Le voilà debout, il attrape lestement le manche convoité et sans plus de façons, s’accroupit à quatre pattes sur le tapis du chien. Avec force grimaces, il se cale l’os entre ses mâchoires grandes ouvertes! Le chien connaît le jeu, il est déjà en position identique, croupe en l’air et pattes avant aplaties au sol. Il jappe, deux ou trois fois en guise d’avertissement, pour bien montrer qu’il entre en scène. Toujours à terre, Daniel tourne, revient, provoque son compagnon, et notre Jupiter, les yeux complètement exorbités, saute autour de l’adversaire, le contourne à la recherche d’une bonne prise. Mais l’homme est trop vif, l’animal laisse échapper un gémissement de convoitise, puis un jappement bref, il saute enfin sur ses pattes arrière, peut-être pour intéresser les spectateurs à sa cause, car le cercle s’est resserré autour des deux joueurs. Les rires et les commentaires s’entremêlent, quelques conseils retentissent.
- Attention Daniel, ce n’est qu’un chien, ne l’excite pas trop...
Mais Daniel connaît son affaire… Tournant, virant, grognant à l’instar de Jupiter, il ne perd pas le contrôle de la situation et adopte les variantes nécessaires. Le voilà sur le dos, membres recroquevillés en l’air, il n’a pas lâché sa proie, il roule à nouveau sur le tapis, et le chien suit le mouvement, mieux, il imite son concurrent. Le voilà à son tour ventre offert, dos au tapis, orientant sa tête pour suivre du regard les déplacements de l’ennemi… Le jeu se poursuit encore quelques minutes quand Daniel décide d’accorder le point : reprenant la pose à quatre pattes, il fait glisser l’os sur le côté et offre l’autre extrémité à la gueule du chien… Jupiter ne se fait pas prier, il s’aplatit instinctivement sur le sol face à son rival et les voilà tous deux attelés par la gueule au même trophée.
Quelle complicité jubilatoire, dans le calme revenu, on entend le raclement des dents sur l’os, le craquement sec de la matière brisée par les molaires du chien, Daniel a conservé la posture, et maintient sa portion, jusqu’à la fatigue. Le jeu se calme ainsi peu à peu, mais jamais l’animal n’a manifesté la moindre agressivité, ni abusé de sa force. Quand l’homme lâche enfin le morceau sous les exclamations du public, Jupiter satisfait signale son contentement par le balancement du moignon qui lui sert de queue. Se relevant enfin et massant ses reins endoloris par la gymnastique canine, Daniel lâche enfin ses premiers mots :
- Ouf, faudrait pas que j’oublie ma sieste avec tout ça, moi !