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19/07/2015

L'art d'apaiser son enfant

Voilà un ouvrage pratique,   d’accès facile, simple à consulter au gré de chapitres aux titres très clairs. Lise Bartoli, psychologue clinicienne, propose  dans cet opus un moyen de comprendre et de dépasser les inévitables phases de troubles qui se manifestent au cours de la petite enfance. Loin de se contenter d’établir des recettes comme des réponses toutes faites, Lise Bartoli prend soin d’exposer non seulement les archétypes de problèmes, mais aussi et surtout une méthode originale de dialogues établis avec les enfants qu’elle reçoit en consultation. Fondant sa pratique sur la visualisation mentale de leurs ressources, elle tend à ses jeunes patients un miroir de leur inconscient, avec des mots simples, induisant dès leur plus jeune âge l’idée qu’ils ont des forces intérieures.

La méthode ne paraîtra pas forcément révolutionnaire, mais elle permet aux parents de  dédramatiser en rappelant  comment nos psychismes enfantins fonctionnent. Armé d’un schéma mental, l’enfant peut dépasser les questionnements  qui le troublent. L’idée qu’il existe en chacun de nous « une-partie-qui-sait-tout » , l’inconscient, l’ aide à  s’exprimer et à libérer les angoisses qui surgissent. Avec humour et fantaisie, Lise Bartoli a imaginé des exercices de visualisation et des contes simples qui permettent de transposer problèmes et résolutions.

Problèmes de sommeil, de stress, de timidité, épreuves de deuils, de séparation, ou peur du noir constituent des archétypes qui prennent des formes variées selon les cultures familiales et les antécédents du vécu des parents, Lise Bartoli n’entend pas tout résoudre. Elle propose une approche et emblématique éclairante.

Sans fermer son propos sur les seuls cas énoncés, elle montre aussi aux parents comment ils peuvent intervenir au quotidien,   dans une relation détendue et confiante avec leurs enfants. Ce livre très pratique peut rester longtemps à portée de chevet des jeunes parents, et peut-être évitera-t-il à nombre d’entre vous des nuits nomades entre votre chambre et celle de vos chérubins.

 

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L’art d’apaiser son enfant

Pour qu’il retrouve force et confiance en lui

Lise Bartoli

Payot (2010)

ISBN : 978-2-228-90581-7

À ceux qui souhaitent connaître davantage Lise Bartoli: http://www.lisebartoli.com/

18/07/2015

Danser les ombres

Laurent Gaudé n’a pas son pareil pour animer le mariage de la Vie et de la Mort. De son écriture sensible et pudique, il mène comme jamais le bal des ombres… Mais n’anticipons pas.  Danser les ombres est d’abord une ode à la vie, cette fois sur les trottoirs d’Haïti, île sacrifiée aux fureurs infernales, décor initiatique d’un drame imminent.

Depuis  la mort du Roi Tsongor, en 2002 ou encore la Porte des Enfers, en  2008, l’auteur nous a habitués à l’intrication des deux mondes,   et son univers englobe naturellement la tragédie au  sein du quotidien des humbles.  Quittant les rivages méditerranéens, il a établi son théâtre en Haïti, où  Lucine, jeune marchande ambulante  soumise à sa misère, reçoit un présage de mort, désignée publiquement à la fatalité par un Lansetkod, sorte de messager vaudou des catastrophes à venir. Ainsi sont posées les passerelles avec l’au-delà.   Et Lucine doit faire face au décès brutal de sa jeune sœur, qui lui laisse deux orphelins sur les bras.

Contre les fléaux de la misère, les Haïtiens se serrent les coudes. Avec l’intention de convaincre  le père des enfants orphelins d’apporter de  l’aide, Lucine retourne à Port-Au-Prince, où elle a vécu jadis en tant qu’étudiante. Là, elle avait milité pour le droit des femmes, là, il lui semblait que le destin pouvait être maîtrisé. Mais dans la violence de la dictature, elle avait perdu illusions et amis. Cette mission de sollicitation lui offre la tentation de renouer avec ses rêves passés. Par hasard, Lucine rencontre Saul et le Vieux Tess, autour d’une ancienne maison de tolérance  où se retrouvent les membres d’une communauté d’anciens résistants aux sinistres tontons macoutes de  Papa Doc. Entre deux parties de dominos,   elle est témoin  que les défaites peuvent générer des victoires, que l’appel à la Vie succède à la torture et à la peur.

Jusqu’à ce jour-là…Hier comme aujourd’hui, le soleil doucement commençait à décliner et la chaleur était moins forte.

Personne n’avait remarqué que les oiseaux s’étaient tus, que les poules, inquiètes, s’étaient figées de peur. Personne n’avait remarqué que le monde animal tendait l’oreille, tandis que les hommes, eux, continuaient à vivre.

Mais d’un coup, sans que rien ne l’annonce, d’un coup, la terre, subitement, refusa d’être terre, immobile, et se mit à bouger…

Durant trente-cinq secondes  qui sont trente-cinq années…

… À danser, la terre…

… À trembler. (Page 128)

 

Survivre à la catastrophe, se demander si l’on est encore vivant, tenter de se repérer dans un monde de décombres d’où tous les repères ont disparu, chercher ses proches, ses amis, sa famille au milieu de fantômes épars aussi déboussolés que vous. Laurent Gaudé traduit avec finesse et intuition les premiers instants d’après,   au long de pages émouvantes qui serrent la gorge. Puis viennent les premiers doutes, les premières étrangetés. Qui est là, qui aide, qui a peur maintenant ? Qui cherche,   qui trouve sa proie, son amour, son double ? La terre s’est ouverte, elle a libéré les Ombres, elle ne veut pas encore avaler ceux qui lui sont dus.

(Page 221) : Et Boutra reste silencieux. Quelque chose lui dit que son ami a raison. La joie, l’amitié, le rhum chez Fessou, les discussions à n’en plus finir, ils ne connaîtront plus rien de  tout cela tant que les morts, le passé, le passé, toute l’histoire du pays s’échappera ainsi de chaque fissure, de chaque crevasse, et dansera dans la nuit sur la musique des vivants.

 

La dernière partie du roman prend un tour totalement surréaliste que n’aurait pas renié le Cocteau  du testament d’Orphée. La danse des ombres est proprement hallucinante.

(Page 235): Au carrefour de Macouly et Dame-Marie, le Vieux Tess commence à semer les morts et la première à s’égarer est la petite Lily, là, au pied du manguier du jardin, comme elle l’avait souhaité, au milieu de femmes et d’hommes qui toussent, se lamentent, cherchent un peu de repos, sourient d’un peu d’eau offerte ou d’une caresse pour éponger le front. Elle était morte là, son corps épuisé d’avoir tenu si longtemps, et le Vieux Tess savait bien qu’elle serait la première. »Il faut danser les morts, » murmure-t-il. Il fait maintenant des pas de côté, allant à reculons, accélérant d’un coup. « Les morts doivent être semés sur le chemin et ne plus jamais savoir comment revenir dans le monde des vivants. »

Et tandis que le lecteur tremble en suivant le cortège, frémit à chaque fatigue des danseurs, redoute par-dessus tout que les mains se délient, La Vie et la Mort se partagent les marcheurs.

Le jour va se lever et la colonne menée par Dame Petite s’arrêtera bientôt sur les bords de la route, éparpillée et exsangue, comptant ceux qui ne sont plus là, faisant repasser en esprit les images de cette nuit de déchirure. (Page 242)

Seuls après le Chaos resteront ceux qui doivent payer encore leur tribut à l’Histoire, pour que les deuils referment enfin leurs plaies béantes,   et que les ombres dorment en paix.

Je ne tiendrais certes pas cet ouvrage pour une lecture de plage, mais si vous  pouvez profiter d’un abri calme et —je l’ose — ombragé, ce roman inspiré pourrait bien vous accompagner longtemps après la dernière page.

Laurent gaudé, danser les ombres, tragédie Haïti, roman français, littérature contemporaine

Danser les ombres

Laurent Gaudé

Actes Sud (Janvier 2015)

 

 

 

 

17/07/2015

Prends garde

Ne cherchez pas, amis lecteurs, de quatrième de couverture pour vous guider, ce curieux ouvrage possède deux entrées, indépendantes, tête- bêche pourrait-on dire. L’idée est intéressante en effet, à partir d’un même fait réel, les deux auteures italiennes nous livrent deux versions de l’histoire.  Et quelle histoire ! Rien de moins que le massacre d’une fratrie de  quatre vieilles femmes, les sœurs Porro, dans une bourgade des Pouilles au cours d’émeutes du printemps 1946.

 Bien que mon choix vers ce récit m’ait été soufflé par une lecture partagée au café- lecture du Mal de Pierres de Milena Agus,   j’ai  choisi de commencer par la face Luciana Castellina. Une motivation toute rationnelle, puisque cette journaliste passionnée d’histoire et de politique relate ces quelques semaines du printemps 1946 en accordant attention au contexte particulier  de l’après-guerre dans le Sud de la presqu’île italienne. Circonstances totalement méconnues par la grande majorité des Français, on peut parier que bon nombre de compatriotes habitant la partie nord de l’Italie ont oublié cet épisode tragique, fondé sur la misère et l’inadéquation d’une société  abandonnée entre deux mondes. La guerre est passée par les Pouilles, renforçant la pauvreté du peuple et aggravant les disparités entre ouvriers, chômeurs endémiques, et les castes de notables, accrochées à l’Ancien Régime, souvent grands bénéficiaires de la période fasciste. Luciana Castellina, qui a œuvré au sein du PC, connaît bien son sujet. Elle développe conditions de vie des uns et des autres, les sœurs Porro ayant le malheur de cristalliser  le mode de vie obsolète des héritiers nantis. Quant au contexte politique, entre rancunes exacerbées par les années Mussolini et peur de voir ressurgir le fantôme d’une monarchie vaine, les haines s’attisent dans le chaudron des idées progressistes. Le débarquement inopiné de Victor Emmanuel III dans son palais de Brindisi met le feu aux poudres. Sa légitimité largement contestée par les faits écoulés, ce prétendant à la Restauration n’a plus d’autorité. Au milieu des troubles de l’époque, l’épisode de l’assassinat de deux des malheureuses vieilles filles quasi recluses dans leur maison d’Andria a été très peu commenté. Quelques entrefilets dans les journaux locaux, vite relégués aux oubliettes par une actualité générale brûlante. Alors Luciana Castellina essaie de dresser un tableau du possible et du vraisemblable, soulignant la part de malchance et de coïncidences qui n’excluent pas une vengeance opportuniste. Elle mène cet essai rapide avec une précision très convaincante,   se gardant de jugements moraux concernant les victimes et les bourreaux, de sorte qu’il m’a fallu un temps d’adaptation pour entrer en empathie avec l’autre face du bouquin.

 

Mais finalement, ce second volet livre à sa manière un témoignage intéressant sur la mentalité d’une époque. Et c’est là aussi que l’on peut mesurer la force du regard littéraire. Comme dans le Mal de Pierres cité plus haut, Milena Agus travaille ses personnages au ras de leur âme. Ce ne sont pas les destins grandioses qui la motivent, ce sont les ressentis à fleur de quotidien. Aussi prend-t-elle le parti de construire son récit par le biais du témoignage fictif d’une amie des sœurs Porro. Elle dessine  ainsi le portrait en creux de sa narratrice,   attachée à visiter ces quasi recluses, confites en religiosité aveugle, ayant réglé leurs vies sur des règles issues de la Vie des Saints. À petites touches, elle décrit cet univers totalement coupé de la réalité, inconscientes jusqu’au bout des drames qui se jouent sur la place que leur Palais domine.  Milena Agus n’en fait pas des monstres, elle les montre dans la lumière feutrée d’une maison fermée, occupées modestement entre dévotions et ouvrages de coutures, appliquées à se comporter aux portes de la vieillesse comme si elles étaient encore les petites filles modèles obéissant aux règles paternelles. De nos jours, on les moquerait d’être ainsi « à côté de la plaque », mais dans les circonstances tragiques que subit la population de leur bourgade, elles sont provocatrices.  Leur innocence même du Mal  Social devient insupportable. À son tour,   Milena Agus se garde de jugement, soulignant aussi la difficulté d’une opinion à propos  de faits  si longtemps occultés.   Au terme du témoignage de sa narratrice, que la dureté de l’histoire pousse à la solidarité envers les femmes miséreuses qui survivent dans des caves nauséabondes, l’auteure souligne combien les épreuves n’éclairent que nos seuils personnels : Ses pensées voguaient du paquet de grenouilles gentiment offert au paquet rassemblant les reliques ensanglantées de Luisa et Carolina, qu’on avait restituées à leurs sœurs.

Une fois, elle demanda à l’une de ces malheureuses : « Et d’après vous, qui a tiré du palais Porro ?

— Ce sont les Porro qui ont tiré, bien sûr !

— cela ne vous fait pas de peine, qu’on les ait tuées comme ça ?

— On ne pourrait pas vivre, si on avait de la peine pour tout le monde, il n’y a que les saints pour faire ça ! (Pages 88-89)

Mais en conclusion, l’écrivaine tempère cet effet de la  misère et elle ouvre au contraire  un débat qui menace la paix de notre sommeil :

« Le monde est ainsi fait, disaient les Porro avec un léger geste des bras et un petit haussement d’épaules. Que pouvons-nous y faire ? » Cette attitude qui l’avait toujours mise hors d’elle.

Pourtant, elles avaient raison : le monde est ainsi fait, et rien ne change jamais vraiment, ce sont seulement les rôles qui s’échangent. ( Page 90)

 

 

Prends garde, Milena Agus, Luciana Castellina, histoire des pouilles, italie, déterminisme historique

Prends garde

Milena Agus     (Traduction Marianne Faurobert)

Luciana Castellina (Traduction Marguerite Pozzoli)

Édition : Liana Levi (2015)

ISBN : 978-2-86746-752-3

 

03/07/2015

Un parfum d'herbe coupée

Premier roman de Nicolas Delesalle, journaliste et nouvelliste, ce parfum d’herbe coupée réjouira à coup sûr les amateurs de lecture sereine, porteuse de nostalgie sans tristesse. Narrée à la première personne, sans  suivre de chronologie précise,   cette suite de brefs chapitres constitue un  recueil de souvenirs tels qu’ils se présentent à la mémoire d’un jeune garçon qui sort de l’enfance et entre dans l’adolescence. Autant dire la période cruciale où le Je cesse d’être partie d’un Nous, où la conscience émerge à la réalité d’une existence individuelle,   où les ressentis deviennent plus aigus et participent à la construction de sa personnalité.

Ce tableau d’entrée en adolescence ne comporte pas de rébellion cependant, les évocations sont puisées dans les mille et un petits faits familiaux ou  historiques, comme autant de petites nouvelles indépendantes les unes des autres. Mis bout à bout, elles constituent ensemble le tissu d’une existence: scènes de la vie quotidienne et aléas des amitiés collégiennes,   souvenirs de vacances campagnardes qui offrent l’ouverture sur un univers que l’on imagine révolu à jamais, au fil des anecdotes  se compose ainsi un rappel des dernières décennies du XXème siècle qui,   sous le regard de cette jeunesse, nous paraît plus cohérent que l’environnement actuel. 

Une lecture à la fois rafraîchissante et positive, un plaisir à ne pas bouder.

Nicolas dele salle, roman, un parfum d'herbe coupée, éditions preludes

Un parfum d’herbe coupée

Nicolas Delesalle

Préludes (Janvier 2015)

ISBN :978-2-253-19111-2