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25/06/2014

Les chats de Naxos

Notre façon de   voyager livre sur l' explorateur  moderne plus d’indiscrétions  qu’il y paraît.  À l’abri de nos  objectifs, nous happons à foison morceaux de paysages tronqués par le cadrage, vestiges  de civilisation figés par l’érosion, scènes de vie séquencées par le rythme de nos circuits. Le touriste actuel est un courant d’air qui,   tel un  nuage,   traverse l’horizon des contrées visitées. Il n’y laissera rien d’autre qu’une ombre fugace, estompée  sitôt qu’il tourne les talons.  Les habitants des sites envahis avec constance par les vagues successives de globe-trotters saisonniers ont mis au point des tactiques de Résistance, indifférente ou servile, hostile ou débonnaire,   fuyante ou accueillante. 

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                                         coucher de soleil sur Ios

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                                                                                              Santorin 

Cette semaine passée à bord de L’Aegeotissa nous   a bercés d’une bienveillance revigorante. Sous l’égide  dynamique et maternelle de Maria,   les îles abordées ont livré leurs senteurs d’été et la blancheur des maisons, les ruelles labyrinthiques des villes, les paysages alternativement dénudés et touffus, la fraîcheur des eucalyptus et  la luxuriance des bougainvillées…    

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carnets de voyage, les cyclades,îles, grèce      Dans les  ruelles de Mykonos

 

 

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Lefke la verdoyante                              

 

                                                      Naxos

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Quand notre timing ne coïncide plus avec la permanence d’une Nature hiératique, nous pouvons ressentir la frustration du manque de temps nécessaire à la pérennité de la connaissance, à l’installation lente et progressive des liens humains — il faut du temps pour s’apprivoiser disait le Renard au Petit Prince—   nous sommes tentés d’accaparer le caractère "authentique" de cette vie offerte à nos regards. La technologie le permet, un zoom rapide au détour d’une   venelle  peut saisir  un couple de vieillards prenant le frais sur leur seuil. Mais au-delà du cliché pittoresque, quelque chose nous retient, et  empêche la violation d’une intimité  qui ne nous appartient pas.

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Alors, alors me direz-vous, comment conserver précieusement la chaleur bienfaisante des ressentis, ce bonheur tangible de toucher par nos cinq sens la vraie vie qui nourrit l’humanité ? Le partage  généreux des rires et des  conversations échangées d’un bord à l’autre d’une rue, d’un quai, d’une sente ?

En réalité, ce sont eux qui nous ont encouragés à les regarder, à les admirer…À les photographier.

Eux vivent partout, ils se croisent de bon matin ou à la lumière du couchant, ils ne fuient pas la chaleur aride du Zénith. Ils se laissent approcher, attendent patiemment que vous portiez vos pas jusqu’à les caresser. Confiants dans l’objectivité de l’appareil, ils prennent la pause. Ils occupent le terrain comme nos pensées, ils sont les témoins du temps qui ne passe pas, d’une éternité que les hommes ont besoin de sculpter dans la pierre mais qu’eux seuls savent transmettre. Ce sont les Chats de Naxos, Santorin ou Mykonos. Ce sont les Chats des Îles, qui se moquent bien de notre curiosité passagère. Depuis que la colère des Géants  a jeté leurs rochers sur l’immensité de la mer, ils ont vu passer tant de passion, de vaillance, de volonté de survivre qu’ils ne craignent plus  ni tempête ni  guerre, pas même qu’une virago les chasse du foyer :  C’est à nous, piétons intrusifs, qu’il appartient de respecter l’espace qu’ils nous consentent.

 

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10/06/2014

Le collier rouge

Le collier rouge

Jean-Christophe Rufin

Gallimard (NRF) 2014

ISBN :978-2-07-013797-8

 

Avec ce roman, qui pourrait paraître court, Jean Christophe Ruffin revient à la fiction. En réalité, malgré la limpidité de son écriture, le sujet traité ici est dense. Si l’on peut se méfier de l’effet tendance qui consiste à projeter les intrigues sur le centenaire de  la déclaration de la première guerre mondiale,  Jean Christophe Rufin nous entraîne très vite à la recherche de la Vérité, celle qui ne s’expose pas aux regards de témoins omniscients mais qui motive profondément certains actes aussi impulsifs qu’insensés. Cette quête universelle et intemporelle est menée ici par le juge militaire Hugues Lantier du Grez , qui entend résoudre sa dernière affaire en tant qu’officier, avant de réintégrer la vie civile. C’est dire que sa conscience professionnelle est composée de rigueur et de respect des valeurs de sa classe, autant que d’une lassitude morale, maladie contractée à force d’examiner  les  dossiers de pauvres diables ayant subi l’enfer des tranchées pendant quatre longues années.

Au cours de l’été 1919, le Commandant Lantier  débarque  donc dans une petite bourgade berrichonne endormie sous la chaleur. Seuls les aboiements  désespérés d’un chien perturbent la léthargie de la petite ville. À l’intérieur de la caserne désaffectée, un gardien veille l’unique prisonnier du lieu. Cet homme mutique doit répondre d’une agression inexplicable dont la nature ne nous sera révélée que bien plus tard. Mais la  curiosité du juge militaire concerne le curieux rapports établis entre Morlac, ce paysan taiseux revenu dans sa région, et son chien manifestant une fidélité exemplaire. Pourquoi  et comment cet animal, devenu  tout au long du conflit la mascotte des bataillons où son maître était  envoyé, a-t-il pu susciter sa haine?  Pourquoi cet homme est-il revenu de son propre chef dans son village, en évitant de rentrer chez lui, de retrouver sa ferme, de se jeter dans les bras de sa femme et de son fils ?

Menée comme une intrigue policière, la recherche des motifs de l’étrange comportement du prisonnier met l’accent sur les difficultés de réinsertion de ces hommes traumatisés par leur vécu. Rufin ne joue pas la carte du misérabilisme ni de la culpabilité sociale et politique, mais laisse  percevoir  à travers l’obstination du juge, combien il devient nécessaire de gratter délicatement les défenses acquises  par ces hommes qui ont compris qu’ils avaient été floués, qu ’on avait joué de leurs vies et de leurs sorts pour servir des intérêts abscons.

Rufin nous offre un étonnant argumentaire du juge, qui propose à l’homme d’abandonner les charges, ce que l’accusé récuse. Il n’entend pas se dérober à la sentence qu’il croit mériter.   Car le commandant découvre peu à peu que l’accusé n’est pas le paysan analphabète qu’il avait cru devoir juger. Et puis ce chien qui se tient obstinément aux abords de la place, qui meurt de faim, de soif et d’épuisement malgré les soins empathiques de certains villageois, ce fidèle compagnon devient un personnage à part entière et Lantier devine que le canidé détient la clé de l’affaire. Finalement, après bien des détours autour du personnage, c’est au long d’une  enquête « à la Maigret », reposant sur les menues confidences recueillies dans le village, que l’officier parvient à saisir qui est Morlac, et quels sont les vraies raisons de ses agissements. Le lecteur n’attend pas de Jean-Christophe Rufin une autre vision que celle d’un humaniste. Et ce sera la toute dernière joute reposant  la sentence  qu’il confie à son juge. «  En tous cas, conclut Lantier d’une voix ferme, je ne serai pas complice de votre provocation. Puisqu’on attend de moi que je vous punisse, je sais quel châtiment je vais vous infliger. C’est celui qui fera le plus de mal à votre orgueil. Vous allez la voir et l’entendre. L’entendre jusqu’au bout et mesurer votre erreur. «   (page 149)

Un beau roman humaniste et touchant,  un de ceux que l’on regrette de refermer, et qui ne pèsera pas lourd dans vos bagages de l’été.

 

 

roman, écriture, note de lecture, Jean Christophe rufin