02/12/2012
Donizetti à Marseille
… ou les enchantements du public marseillais.
Un Mistral sec glace les rues de la ville mais le public est resté chaleureux à l’écoute de cette version concertante du martyre de Polyeucte, livret fondé sur la pièce de Corneille.
De la tragédie à l'Opéra deux siècles se sont écoulés, mais la reprise du thème par le librettiste paraît inconsistante ô combien. On se dit souvent que les thèmes développés dans les oeuvres lyriques témoignent de leur époque. Et de fait, le choix du héros de Corneille semble largement dépassé, surtout dans la version du livret de Salvatore Cammarano, tel qu’il nous a été donné de l’entendre jeudi dernier à Marseille. Pas une once de psychologie, pas de pause amoureuse entre Paolina et Poliuto, hormis l’aria de la jalousie que Massimiliano Pisapia rend magistralement. Pour saisir l’ampleur du drame, la finesse du déchirement du personnage, entre l’amour trahi et la ferveur du nouveau converti, Donizetti a donné des accents intimes et poignants aux instruments, cordes et vents de l’orchestre.
Peut-être faut-il y voir la raison pour monter l’œuvre de Gaetano Donizetti dans la simplicité de la version concertante. Pas de mouvements de scènes pour prolonger l’émotion, pas d’effets de costumes et de décor pour mettre en valeur le manque de subtilité de l’intrigue. Les faiblesses du « scénario » sont ainsi englobées dans la fluidité musicale de la représentation. Et c’est tant mieux, car comme le public, j’ai pleinement savouré la musique et la fusion entre les chanteurs et les instrumentistes.
Le génie du compositeur s’impose d’ailleurs dès l’introduction : le premier violoncelle énonce le thème, solitaire, et l’on entre dans l’intimité du discours… La réponse progressive des vents et la reprise des cordes apportent tour à tour l’épaisseur et la variété des couleurs à la partition qui prend corps pour le plaisir de nos yeux autant que de nos oreilles. Qu’y a-t-il alors de plus beau qu’un orchestre en action ?
Le public s’est enthousiasmé pour Massimiliano Pisapia, le ténor interprétant Poliuto, mais il a surtout réservé un juste triomphe à Vittorio Vitelli, en Severo et Wojtek Smilek servant Callistène. Quant à Daniela Dessi, seule femme de la partie, elle semblait tout d’abord un peu hésitante à exprimer les tourments amoureux de Paolina, partagée entre sa fidélité envers Poliuto son époux et le retour de son amour premier, Severo, survivant d’une bataille où il était réputé péri. Curieusement, c’est dans la seconde partie du spectacle qu’elle s’implique davantage à défendre son rôle, alors même que le livret n’offre aucune prise pour le faire. Comme la vie des héroïnes tragiques est compliquée! Mais comme il est difficile au spectateur actuel de comprendre comment elle décide brutalement de se sacrifier au Dieu de son époux !
À moins que…
J’écrivais en introduction que les œuvres sont ancrées dans l’époque où elles naissent. Pardon pour ce qui semble un lieu commun du dimanche ou une planche savonnée pour lycéen en mal d’inspiration. Je ne suis pas (encore) retournée à l’œuvre initiale. Il me vient toutefois une réflexion glaçante à ce propos: ne relève-t-on pas ici et là quelques vocations de martyr sacrifié à l’autel d’une confusion entre foi et politique ? Le fourmillement social de notre époque a fait émerger certains conflits et drames appuyés sur des fondements d’apparence religieuse. Toute société charnière présente ce genre de blessures, vrais et faux débats qui cachent notre absence de vision. Alors, dépassé notre Corneille et son sens du devoir, son éloge de la vertu, son appel à l’abnégation, amoureuse ou religieuse ?
Gaetano Donizetti
1797-1848
18:50 Publié dans Courant d'O, Sources | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : donizetti, opéra, musique, marseille, corneille, polyeucte, poliuto, religion conversion, martyre | | del.icio.us | Facebook | | Imprimer
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