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30/09/2015

L'homme semence

 Quel joli titre n’est-ce pas pour la reprise de nos séances café-lecture ?

 

café lecture, l'homme semence, violette Ailhaud, le jardin des lettres, répression Napoléon trois, editions paroles; femmes

 

 

Pour inaugurer la nouvelle saison de nos partages autour d’un livre et d’un verre, Catherine et Hélène  ont convié Cécile à illustrer musicalement le propos. Dans l’arrière-salle des Grignot’à jeux, chez Géraldine et Julie, l’ambiance était chaleureuse et très cosy, à la mesure de ce petit bijou de littérature féminine. Écrit en 1919, ce manuscrit n’a été remis à l’éditeur qu’en 1952, par sa petite-fille, selon les volontés de son aïeule soucieuse sans doute de ne pas blesser les témoins des faits rapportés.

 

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L’homme semence est une histoire singulière et touchante. Autobiographique ? Sans doute, même si quelques universitaires se sont intéressés au texte pour  en élucider les circonstances historiques et débattre de la qualité de l’écriture, au langage si simple qu’il en devient étincelant de pureté, et que rehaussent quelques pépites de vocables locaux, distillés au fil du texte pour rappeler la saveur du terroir.

 

Nous sommes en 1852, dans   un village des Alpes-de-Haute-Provence, en face de la montagne du Lure, dont la narratrice nous confie qu’elle ressemble à une main d’homme vue de profil, main d’homme dont elle manque terriblement. Car le village s’est vu dépouillé de tous ces hommes par les armées de Napoléon III. Le nouvel empereur n’a pas pardonné aux hommes de la région qui se sont dressés contre son coup d’état. Le maire du village, père de la narratrice mourra en déportation, mais Martin, le fiancé de notre conteuse a été abattu dès le départ parce qu’il tentait de fuir cet enlèvement forcé. Depuis ce drame, les femmes se sont organisées pour pallier au manque de bras, elles travaillent dur et témoignent d’une solidarité profonde. Solidarité qui les pousse à un pacte secret qu’elles devront respecter. Car un jour le village isolé reçoit une visite…

 

Ça vient du fond de la vallée. Bien avant que ça passe le gué de la rivière, que l’ombre tranche, comme un lent clin d’œil, le brillant de l’eau entre les iscles, nous savons que c’est un homme. Nos corps vides de femmes sans mari se sont mis à résonner d’une façon qui ne trompe pas. Nos bras fatigués s’arrêtent tous ensemble d’amonteiller le foin. Nous nous regardons et chacune se souvient du serment. Nos mains s’empoignent et nos doigts se serrent à en craquer les jointures: notre rêve est en marche, glaçant d’effroi et brûlant de désir.

 

Le véritable talent de Violette Ailhaud consiste à évoquer en termes véridiques et sensuels le manque charnel d’amour. Elle parle sans fausse pudeur du désir et du besoin logé dans le corps, elle crée des images évocatrices qui nous touchent droit au cœur et au derme, jusqu’au frisson. 

 

Le temps nous presse, nous oppresse. Bientôt nous avons l’impression que ce temps nous crie après. Nous étions installées calmement dans l’attente, bercées dans la certitude qu’un homme viendrait. Et voici que la proximité de cet homme bouscule notre patience et trans- forme la bonne chienne qu’elle était, couchée à nos pieds, en une louve affamée.

Violette Ailhaud dévoile les pudeurs et les atermoiements de la conquête de cet homme. Un homme qui comprend le marché imposé par la communauté du village. Ce sont des pages très touchantes qui nous sont délivrées au rythme de la voix d’Hélène,   émotion qu’accompagne la guitare de Cécile et qu’elle illustre de trois chansons qui s’intègrent parfaitement dans l’évocation.

Pour accompagner le manque, Cécile a chanté  la quête de l’homme de la Mance,   la tendresse de Bourvil illustre le manque d’amour, et enfin Une sorcière comme les autres d’Anne sylvestre ponctue ce grand moment.

 

https://www.youtube.com/watch?v=wEhw9AMYOoA

https://www.youtube.com/watch?v=TQLlIgj_LFQ

 

Un grand merci à toutes les trois.

 


 

 

Éditions Paroles  les mains de femme.

http://www.editions-parole.net/siteinteractifparoleeditions/wp-content/uploads/2012/03/Extrait-HOMME-SEMENCE.pdf

14/12/2014

Moment de grâce

Décembre se vit fébrile et  festif comme chaque année.

Un événement particulier cependant a agité l’espace d’une semaine la petite communauté de ma petite ville. Notre libraire fort appréciée  fêtait les dix ans d’existence du Jardin desLettres. Contre vent et marées,  dans son magasin de proportions modestes,  Catherine tient tête depuis une décennie aux entreprises  gloutonnes qui diffusent sans compter  par franchise ou réseaux mondiaux. Il faut du courage pour jouer au petit Poucet,  il faut de la ténacité, de la persévérance et de la chance, c’est une manière d’épopée que   cette femme menue et décidée pourrait nous conter , nonobstant sa réserve naturelle, avec un drôle de sourire ému dans le regard. C’est ainsi qu’elle remercie les habitués de son antre. Pour l’heure, ou plutôt la semaine passée, Catherine avait concocté un programme d’animations pour tous les goûts, tous les âges:visites d’ auteurs, et buffet de clôture.  Pour ma part, c’est au café –lecture du mardi que je voudrais rendre grâce. Mes fidèles- et- discrètes- souris- lectrices se souviendront que j’ai laissé par le passé un billet ou deux pour évoquer ces moments de partage autour d’un livre, d’un auteur. Curieux défi de nos jours, réunir un public fervent  dans un café vieillot  du centre bourg pour écouter  une lecture à voix haute devant un verre de rosé ou une infusion de verveine.

Mardi dernier, il s’agissait d’honorer la vitalité du Jardin des Lettres, de donner une audience à un auteur choisi, d’incarner ses mots par le truchement  des voix conjuguées d’Yves, Hélène et Laure. Pour cette belle occasion, le comité des lecteurs a élu un texte de  Patrick Modiano, distinction Nobel oblige. Leur choix s’est porté sur Dora Bruder, un texte de 1997, réédité en poche folio, comme la plupart de ses œuvres.  Mais cerise sur le cadeau, deux violoncellistes de l’école de musique se sont installées devant le comptoir du Cercle Philharmonique.  Ce texte difficile, porté par la lecture respectueuse mais vivante des trois voix qui s’entremêlent et se répondent, acquiert une profondeur inégalée qui nous installe dans le Paris de l’occupation, dans les hôtels modestes et sans confort où les familles d’immigrés aux maigres ressources s’abritent vaille que vaille.  Soulignée par quelques extraits des Suites de Bach et Boccherini, la quête de l’écrivain pour retracer le destin de cette famille d’émigrants « ordinaires » devient l’espace de deux  heures notre quête. Pourtant bondée, la salle du café est devenue une seule oreille, attentive aux efforts d’ Ernest, le père de Dora, pour devenir quelqu’un; Modiano note à propos de ses journées consacrées à la recherche des lieux où ils ont vécu :

«  On se dit qu’au moins les lieux gardent une légère empreinte des personnes qui les ont habités. Empreinte : marque en creux ou en relief. Pour Ernest et Cécile Bruder, pour Dora, je dirai : en creux. J’ai ressenti une impression d’absence et de vide, chaque fois que je me suis trouvé dans un endroit où ils avaient vécu. » ( Page 28-29)

Au fil des pages où Patrick Modiano égrène les résultats de ses recherches inlassables, l’émotion croît parmi le public. Les détails de leurs conditions de vie, la révolte de la jeune Dora qui fugue pour fuir sans doute une promiscuité étouffante, Modiano va les extirper des archives scolaires, du commissariat où Ernest se résout à signaler la disparition de sa fille, malgré le danger  de se faire remarquer des autorités françaises, en 1941, quand on est étranger et juif. Et puis le processus des rafles commence, Ernest et Dora sont arrêtés et là, ce sont des documents précis qui en témoignent.  Plus âpre parce que plus concis qu’une fiction, ce petit livre, à peine 150 pages, dépeint le calvaire  inique de personnes que tout condamnait à l’anonymat, à se fondre dans la grisaille des murailles. Par la ténacité et la clairvoyance d’un auteur justement mis à l’honneur, les petites gens deviennent de vraies personnes, leur vie palpite à nouveau le temps d’une lecture, le temps qu’on ne les oublie pas tout à fait.

 

café lecture, lecture à voix haute, le jardin des lettres, dora bruder, patrick modiano