Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

15/02/2016

La septième fonction du langage

Remarqué dès sa sortie, ce roman de Laurent Binet se signale par l’originalité de son sujet et la vivacité singulière de son écriture. Il pourrait s’apparenter à un thriller, posant d’entrée l’hypothèse d’un crime commis contre l’un des maîtres à penser du vingtième siècle.

En réalité, le lecteur est embarqué très vite dans une parodie de policier mettant en scène de nombreuses personnalités très médiatisées dans les années 70 et 80. Il fallait un certain culot pour s’emparer ainsi des personnages comme Foucault et BHL, ou Sollers pour ne citer que ces trois-là. Outre le monde germanopratin qui est habillé pour plusieurs hivers, Laurent Binet nous offre avant tout une satire des mœurs politiques et médiatiques.

Rire et sourireles  zygomatiques du lecteur sont sollicités. Mais aussi cette petite graine qui commence à tourner dans notre tête, au fil des pages : … Et si ce n’était pas tout à fait faux  ? Bigre, ça vaut le coup de continuer…

Nous sommes en février 1980, Roland Barthes, linguiste célèbre sort d’un déjeuner chez François Mitterrand, candidat comme chacun sait à l’élection présidentielle qui aura lieu dans quelques semaines. L’intellectuel vieillissant est préoccupé, déprimé depuis le décès de sa mère dont il était très proche. Est-il trop perdu dans ses pensées, est-il suivi sans en être conscient ? Une fourgonnette le renverse et s’enfuit… À partir de là, toutes les hypothèses sont possibles. Barthes ne meurt pas sur le coup, mais succombe quelques jours plus tard, malgré les veilles alarmées de ses amis. Chargé d’élucider les circonstances de cet accident, l’enquêteur reconnaît d’emblée dans les yeux de la victime une peur intense. Il n’en faut pas plus pour qu’il prenne l’affaire d’autant plus au sérieux qu’en réalité, Jacques Bayard appartient aux RG, et que sa mission est, directement commanditée par l’Élysée.

Bayard analyse très vite qu’il a besoin d’un guide pour comprendre les codes qui régissent les relations du petit monde des célébrités intellectuelles, amitiés indéfectibles, inimitiés définitives, narcissisme à tous les étages, suspicions et batailles d’ego garanties, sans compter bien sûr le sens de ces matières occultes que sont pour lui linguistique et sémiologie. Il débauche donc à « la fac gauchiste de «  Vincennes, domaine réservé de Deleuze et de Foucault, un jeune professeur égaré qui stagne dans cette université du pauvre. Simon Herzog accepte à contrecœur d’éclairer la lanterne de Bayard, et tous deux constituent dès lors une équipe d’enquêteurs insolites. Laurent Binet s’amuse, et le lecteur se régale.  

Petit aparté ici à l’adresse de tous ceux qui, de la même génération que moi, ont parcouru les couloirs de Censier ou de la Sorbonne dans cette décennie, voire dans mon cas, un tantinet plus tôt : la description du souk paraît réelle, bien que Binet soit à peine né à cette époque.

Le tandem Bayard Herzog entreprend de démêler les arcanes des mystères entrevus quand il se retrouve rapidement victime d’adversaires improbables : Laurent Binet prend le lecteur à témoin pour signaler la-voiture-noire-que-suit-la-voiture-bleue, qui suivent toutes deux nos détectives. La satire cède la place au polar déjanté, qui nous mènera de Paris à Venise en passant par Bologne— Pas de bol, juste au moment où une bombe fait exploser la gare— l’université Cornell à Ithaca (USA) où nous suivons un véritable vaudeville « typically 70’s « : l’auteur met en scène de véritables personnalités (entre autres : Searle, Derrida, Althusser, Sollers et Kristeva, et même… Jakobson en personne !) dans des situations plus loufoques les unes que les autres. Et puis, pourquoi se priver quand on donne dans le baroque et le mélange des genres, voici l’intrigue catapultée dans le genre-société secrète façon Da Vinci, le Logos Club, dont les membres, entichés de dialectique sont prêts à y laisser leurs phalanges, voire plus…

Vous l’aurez compris, les péripéties s’enchaînent sans relâches, l’écriture de Laurent Binet vous emporte avec brio et une facilité déconcertante dans cet univers fantaisiste, avec son lot de rebondissements étonnants et percutants agrémentés d’allusions très fines… Quand arrive le dénouement, nous restons suspendu à un «  C’était donc ça ? Et si c’était possible… »

Un conseil, si un week-end morose se profile, n’hésitez pas, procurez vous cette septième fonction du langage, le monde vous paraîtra plus drôle, dans tous les sens du terme.

 Outre le Prix Interallié, La septième fonction du langage a été distingué également par le prix du Roman FNAC.

À titre d’illustration du style Binet,  rien de mieux que les mots de l’auteur :

Bien sûr, on peut y voir un polar sémiologique, un roman pop, une farce rocambolesque, une satire… Un délire proche du surréalisme. À propos, mon premier émoi littéraire, à 17 ans, avait été la lecture d'un roman de Desnos, La liberté ou l'amour! La septième fonction du langage, c'est également l'occasion d'évoquer et de réfléchir sur le rôle du langage et de la communication verbale. D'ailleurs, j'adore le mélange des genres. Et puis, le roman est par excellence le genre du mélange des genres. La sémiologie, c'est la science de Sherlock Holmes: les signes y sont des indices. Ce que j'aime, c'est faire se rencontrer des personnages réels avec des personnages de fiction. ( Laurent Binet au Figaro le 1er septembre 2015)

 

Laurent Binet, la septième fonction du langage, roman, satire, polar déjanté, sémiologie, linguistique,

 

La septième fonction du langage

Laurent Binet

Grasset (Août 2015)

ISBN: 978-2-246-77601-7