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23/06/2015

Temps glaciaires

 

C’est moi ou les temps changent ?  À l’image de nos jours moroses, le ton de ces Temps glaciaires m’a semblé désenchanté. L’harmonie d’un microcosme s’est fissurée, les hommes sont maintenant désabusés. Pourtant l’intrigue du nouvel opus de Fred Vargas fonctionne, les engrenages  entraînent finement les personnages et leurs intrigues vers l’inexorable,    mais une petite lassitude s’est infiltrée dans la brigade du 13ème. Incontestablement, nous les retrouvons tous, les pro Adamsberg et les réticents, que l’on reconnaît depuis toujours  à leurs qualités et à  leurs travers. Surtout les travers.  Autant vous le dire tout de suite, je pense notamment à la relation  du vieux couple Adamsberg  Danglard, aux remarques concernant la personnalité de Retancourt.  Il m’a semblé, et je reconnais que ça me peine un peu, quelque chose vieillit moins bien chez notre Pelleteur de nuages, il ne pêche  plus dans ses rêves comme autrefois. À part ces quelques réticences, il s’agit d’un bon polar, bien dans la veine Vargas, avec ce qu’il faut de détours par l’histoire dans l’Histoire, épicée d’effluve fantasmatique, pour piquer notre curiosité et nous mener de fausses pistes en suspects innocents jusqu’au rebondissement final absolument imprévisible.

 Une lettre qu’une vieille dame s’efforce de poster  jusqu’au bout de ses forces,   une vague de suicides étranges, un jeune homme au mental fragile, environné de personnages inquiétants, une signature de crimes en forme de guillotine,   la Normandie profonde comme l’aime Adamsberg, un voyage épique aux confins du Septentrion, bref, tous les éléments sont réunis ici pour nous embarquer avec plaisir dans une série d’intrigues qui s’emmêle de façon inextricable. On se laisse mener jusqu’aux tréfonds de nos peurs, là où  souffle l’âpre Afturganga qui menace de nous engloutir…

 

«  Adamsberg prit conscience que, sous ce ciel toujours aussi bleu, l’air avait changé de consistance, apportant une odeur d’humidité. Il tourna la tête pour apercevoir, montant sur la plate-forme, une nappe blanche aussi menaçante qu’une coulée de lave, qui effaçait déjà les contours des baraquements.

  La brume, Veyrenc ! Cours !

Ils avaient à présent atteint la lisière des galets, tandis que l’ancien espace du fumoir à harengs, où gisaient leurs sacs à dos, était déjà à moitié pris. Dans sa course, Veyrenc se tordit la cheville entre les galets instables et chuta. Retancourt le releva et, passant son bras sous son épaule, reprit le trot en halant le lieutenant.

— Non commissaire ! Pas besoin d’aide, je me charge de lui ! Foncez au bateau, lancez le moteur, nom d’un chien !

Plus trace, déjà, du fumoir aux harengs, ni de la lisière des galets. Non, la brume ne se déplaçait pas comme un cheval au galop, elle leur fonçait dessus comme un train, comme un monstre, comme un afturganga. » (Page 382)

Au début,  j’ai pensé que le changement d’éditeur ( de Viviane Hamy où elle est restée longtemps fidèle, Fred Vargas est passé chez Flammarion)  était pour quelque chose dans l’évolution de l’esprit maison, puis je me suis dit qu’après tout, il en va des univers fictifs comme de la vraie vie : le temps use et corrompt, il érode les êtres et les rochers, il efface les enthousiasmes et nivelle les souvenirs. C’est peut-être moi, c’est peut-être l’époque, c’est sûrement la preuve que l’écriture de Fred Vargas est vivante. J’espère donc qu’elle ne va pas aller se déprendre de ses personnages, car elle reste une bâtisseuse d’histoires hors pair, une conteuse d’intrigues habilement nouées dans une atmosphère prenante, que l’on écouterait encore longtemps…

 

Temps glaciaires, fred vargas, polar, littérature contemporaine, lecture

 

Temps glaciaires

Fred Vargas

Flammarion (2015)

ISBN : 978-2-0813-6044-0