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24/02/2012

Le tapis du salon

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Annie Saumont

Julliard 2012

ISBN : 978-2-260-01997-8

 

 

 À sa manière discrète, Annie Saumont occupe le territoire des Lettres Françaises avec une indéfectible constance. Depuis les années 60, elle s’est imposé en donnant à la Nouvelle la reconnaissance d’un réel genre littéraire. Ce qui n’a rien d’évident au pays de l’Académie française, où la tentation est grande de minimiser ce mode narratif.

Une fois de plus,   Annie Saumont démontre comment la Nouvelle repose sur la concision extrême du récit. Loin de tronquer l’intrigue ou de simplifier la psychologie des personnages,   elle aiguise avec une acuité particulière les mots qui déroulent  son histoire. Elle   nous livre ici  un recueil composé d’une vingtaine de nouvelles rassemblées sous ce titre, le tapis du salon, qui intitule également trois des pièces de l’ouvrage.

Des histoires brèves certes, aux horizons divers. Mais c’est surtout le ton adopté par l’auteure,   et son style haché, elliptique  jusqu’au système, qui définit l’unicité du recueil. En réalité Annie Saumont traque dans un dédale d’objets anodins ou de faits mesquins le détail qui scelle le sort de ses personnages. Elle dresse par exemple dans la mort du poisson rouge, une atmosphère de sérénité champêtre, où de charmantes familles divertissent leurs non moins charmants bambins en leur offrant un poisson rouge. :

« Calme journée. Pas un souffle de vent.

Mélanie et Antoine sont au jardin. Ce pourrait être la première phrase du premier conte d’un premier livre de lecture.

Mélanie arrache une herbe folle. Antoine écrase du pied une motte de terre grasse.

Pas le moindre frémissement des rideaux à la fenêtre du salon qu’Antoine a ouverte après le petit-déjeuner.… »

En quelques pages, nous identifions trois familles sans histoires, si ce n’est celles de nos quotidiens, myopie de la tendresse parentale et éclairage malicieux des inventions enfantines, jusqu’à ce jeu…

« On joue à la fin du monde ?

Quand le jeu a commencé, si on dit pouce c’est de la triche.

Fallait réfléchir avant.

Fallait dire non pour les cow-boys, la balançoire.

T’as dit oui pour la fin du monde. On continue. »

Une pirouette, un battement de cils plus tard,   l’Éden est soufflé par un vent d’apocalypse, qui secoue le lecteur et bouscule l’ordonnance de ce  petit monde  trop bien léché.

Parfait exemple de cet art de l’ellipse,   le début de  Quartiers d’automne

«  Promenade-danse. Danse-promenade. Le parc est vert. Quatre danseurs ont monté un ballet. Pas vraiment un ballet, des séquences. Ici et là.

Il y a notre petite Ida.

Pelouse. Arbres. Un épicéa. Un sophora-pleureur. Un saule. »

On entre ainsi par le décor  dans la quête des personnages qui se cherchent, s’épient, se débattent contre le mal-être, l’absurdité, la  méchanceté, la perversité des situations.

 

Annie Saumont adore avancer sans avoir l’air d’y toucher.

Elle privilégie volontiers les situations où la rumeur et le non-dit travaillent en minant le terrain à l’insu du personnage central. À cet égard, les trois nouvelles qui portent le titre générique sont  exemplaires.

Dans la première, c’est un pauvre gosse, le narrateur, recueilli par Yole et Sarie, qui  élèvent comme elles peuvent leur petit cousin orphelin. Le tapis offert par l’amoureux de Sarie est trop beau pour la modeste maison. Bien encombrant. Un vrai piège. On le range et on l’oublie… Mais un jour, le narrateur qui a bien grandi, retrouve ses deux cousines enveloppées dans le tapis… 

La seconde de ces nouvelles consacrées au tapis du salon repose sur une inadéquation de situation similaire. Le narrateur est élevé par sa sœur Isa, faute d’un père capable d’assumer son veuvage. Par les mots de ce gamin à la vie rustique, on saisit combien la sœur aînée tente d’organiser leur vie et de s’ouvrir un avenir, jusqu’au jour où l’adolescent mal dégauchi tache le tapis… La chute tombe comme un couperet, rapide et impitoyable.

Ma préférée à cet égard reste la seconde, intitulée vacances

Il vous reste à entrer  à pas légers dans ces tranches de vie esquissées à traits vifs et rapides, comme ces croquis au charbon ou à la sanguine qui servent d’étude du sujet. Et vous découvrez que l’esquisse transmet plus de force que la peinture bien léchée.

 Mais surtout prenez votre temps pour savourer distinctement ces nouvelles.  Mon seul regret est d’avoir lu trop vite le recueil, les enchaînant les histoires sans respiration, ce qui a eu pour effet de mettre en évidence la technique d’écriture, gâchant mon innocence de lectrice.