Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

20/12/2014

Le Royaume

Présenté comme LE livre de la Rentrée, si l’on en croit la plupart des critiques publiées. Et je reconnais  d’emblée que cette dernière mouture d’Emmanuel Carrère ne m’a pas déçue. Pourtant, comme beaucoup,   j’aborde ses livres avec un curieux mélange d’envie fortement mâtinée de circonspection. Carrère, c’est encore un écrivain qui parle beaucoup de lui…

Mais il faut nuancer tout de suite. Le positionnement personnel d’Emmanuel Carrère dans ses ouvrages n’entre pas, et de loin, dans la pose satisfaite des auteurs Narcisse nombrilistes. La démarche de Carrère consiste à partir de son vécu pour nourrir d’authenticité sa réflexion.  Ce qui ressortait comme parti pris dans d’autres vies que la mienne, et qui va ici encore plus loin.

Tout bien considéré, la qualité essentielle qui donne envie de le lire tient à  la manière dont l’auteur traite son lecteur : il l’entretient en ami de ses réflexions, il poursuit tout au long de ces 630 pages une conversation à cœur ouvert, sans fausse modestie ni admonestations péremptoires. Le rythme du livre, sa découpe en brefs sous chapitres permettent de répondre, de noter nos réactions, d’être en phase ou de protester quand le cœur nous chante. Emmanuel Carrère excelle dans le ton de l’aparté comme dans l’expression du doute ; si je m’en octroyais le temps, je dénombrerais l’utilisation du « peut-être » au long de son discours. 

Certains se sentiront rebutés par le thème du livre : ah, encore une démonstration de catho pour exciter la guerre de religion  qui marque ce début de siècle. J’en connais qui pense que même toucher le livre peut-être contagieux. Mais non, Carrère l’avoue : il a donné, il en est sorti dé-fi-ni-ti-ve-ment, promis, juré… Ce qui ne veut pas dire qu’en renégat bon teint, il est interdit de réfléchir sur ce qui fascine dans le catholicisme, et permet à l’Église de perdurer, même mal, depuis plus de 20 siècles. 

Faute de pouvoir se représenter le charisme de la personne qu’était Jésus de Nazareth, E Carrère fonde son enquête sur le personnage de Paul tout d’abord, dont le portrait se dessine en creux et en relief dans la véhémence de ses  fameuses épîtres  comme dans les Actes des Apôtres, recensés par un certain Luc. Ni l’un ni l’autre n’ont été des témoins directs de la vie du Christ : Paul a commencé, on le sait, par persécuter les  juifs dissidents qu’étaient les adeptes de ce nouveau Gourou (sic).  Luc est né plus tard, probablement en Macédoine.  Il a rencontré Paul en tant que prêcheur,   et son influence s’est révélée déterminante pour ce médecin cultivé.  À son tour, il a tout quitté,   lui aussi s’est fait disciple, de Paul d’abord,   puis au fil du temps, ce lettré s’est questionné jusqu’à ressentir l’urgence de formuler la trace écrite des idées bouleversantes, proprement révolutionnaires, qui sont à la source d’une grande page de l’Histoire des hommes.

Cette enquête à vingt siècles d’écart est un vrai défi à la raison et à la rationalité. Le point de vue initial  d’Emmanuel Carrère  postule  que ce sont les personnalités de ces hommes qui ont forgé la naissance d’une des trois (quatre si l’on admet le Bouddhisme) religions les plus importantes de notre civilisation. À la lecture des Lettres que Paul adressait à ses églises locales, les premiers fidèles, Carrère dresse le portrait d’un homme véhément, habité d’une force de persuasion et de conviction personnelles, intuitif et ombrageux, capable de mauvaise foi. Nous voilà devant un homme, dépouillé de son auréole sanctifiée par l’établissement d’un Canon dogmatique. La personnalité de Luc émerge également de son style, moins abrupt, plus nuancé et  du choix des images retenues, les paraboles et miracles relatés. 

Le Royaume s’impose dans notre paysage culturel autant que cultuel par l’intelligence, l’érudition et la finesse de ses analyses, la faconde de l’auteur qui nous fait croire qu’il écrit aussi simplement qu’il parlerait dans son salon ou sa retraite alpine.  Finalement, voilà un livre qui se quitte à regrets, existe-t-il meilleure recommandation ? 

Le royaume159.jpg

 

Le Royaume

Emmanuel Carrère

P.O.L (août 2014)

ISBN : 978-2-8180-2118-7

 

Les commentaires sont fermés.