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19/10/2009

Millénium 2 La fille qui rêvait d'un bidon d'essence et d'une allumette

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Titre du tome 2 : la fille qui rêvait d’un bidon d’essence et d’une d’allumette.
Clin d'oeil du romancier, Stieg Larsson affectionne les titres longs qui fonctionnent comme un résumé  de l'énigme, support à la mémorisation de l'intrigue, mais dont le sens véritable ne se conquiert que par la lecture de l'ouvrage.
Ce titre, dont l'illustration est  introduite dès le prologue, s’ éclaire par le démêlage du canevas, dans le dernier tiers de l’ouvrage.

Nous retrouvons avec plaisir les personnages déjà brossés dans le premier volume de la saga, mais nous comprenons assez rapidement que, cette fois, la lumière se posera davantage sur le destin de Lisbeth Salander. Non que Stieg Larsson néglige son double fictif, Mickaël Blomkvist, mais à l’instar du réglage des lumières dans un spectacle, les spots s’attardent d’entrée de jeu sur les tribulations de la jeune femme. Il est nécessaire à mon sens d’avoir lu le premier tome pour mesurer et apprécier les informations significatives que la lecture des premiers chapitres  installe dans la construction de l’intrigue.
Car l’art de Stieg Larsson se  dévoile ici : en fondant  le déroulement de l’intrigue sur la construction chronologique  à l’identique du premier volume, l’auteur établit un parallélisme permanent entre les activités des antagonistes, sans que pour autant ceux-ci se rencontrent. Stieg Larsson prend un plaisir certain, et nous aussi à la lecture, à jalonner les chemins de chausse-trappe et de chassé-croisé qui perturbent évidemment la résolution des  énigmes. Les personnages se cherchent ou se fuient, comme dans la vraie vie, et aucune circonstance facile ne vient solutionner le problème.   Certes, l’auteur tire les ficelles de l’intrigue, mais  il se refuse à tous compromis trop commodes pour tirer les épingles de ces jeux dangereux. Nous sommes dans le domaine de l’extrême : extrême cruauté des « néfastes », ce que l’on comprend dès le prologue, la haine attise les cendres de la violence ; extrêmes emportements de caractère des personnages, extrême corruption des institutions, extrême ironie des destins… Le ton appartient bien à notre littérature contemporaine, ainsi que et le traitement noir de l’action, caractérisé d’une manière générale sous le vocable anglo-américain « thriller », ce qui englobe complots au sein de l'état, malversations et guerre intestine des services de police, chizophrénie diverse des antagonistes…  . Il n’est donc pas surprenant que la trilogie se transpose au cinéma. De là à se demander si l’auteur n’a pas écrit avec un arrière-plan cinématographique sous le clavier…


Dans ce genre littéraire, il est donc interdit de révéler les aboutissants de l’intrigue. Tout juste peut-on rappeler que Lisbeth Salander est une drôle de jeune femme, traumatisée depuis   que "tout le Mal est arrivé " , c’est-à-dire depuis le début de son adolescence. Les séquelles de ce mystère persistant ont forgé une personnalité rebelle et méfiante jusqu’à la paranoïa, dont elle tire grand profit par une intelligence hors norme des réseaux informatiques. La solitude restant sa meilleure amie, notre Lisbeth se présente  le plus souvent comme un oiseau de nuit. Elle développe également une fâcheuse tendance à fuir ses amis, et rumine ses vengeances avec une obstination qui n’a d’égales que la cruauté et la barbarie de ses adversaires. Je vous l’ai dit, nous entrons dans un univers extrême, qui ne se situe pas très loin de celui des jeux électroniques. Mais nous n’avançons pas dans l’intrigue à l’aide d’un Joy stick ou des manettes d’une console. Nous progressons dans l’écheveau méticuleusement agencé par un créateur de mots et de phrases, qui confère à son héroïne, si violente et « incontrôlable «  qu’elle paraisse, une fragilité mâtinée d’obstination. Lisbeth n’est pas une icône stylisée par sa représentation pixellisée, elle vit, frémit, cogite et redoute, se culpabilise et  s’obstine, se met au défi comme elle se protège du risque d’aimer et d’être aimée. Complexe, la fille !

Son alter ego, Mickaël Blomkvist, ne l’est pas moins, même si la structure masculine de son personnage en dessine des contours plus carrés. Traumatisé, « Super-Bomkvist » l’est aussi, dans une moindre mesure. Il est plutôt resté désabusé par l’expérience vécue l’année précédente,   dans le tome 1, et dont le lecteur doit être déjà au fait. Réintégré à la rédaction du magazine Millénium, dont il est le co-concepteur, Mickaël se languit de Lisbeth dont il a perdu la trace, sans parvenir pour autant à se passer de ses deux maîtresses favorites. Là encore, mieux vaut suivre les épisodes d’un livre à l’autre…Habile, n’est-ce pas, pour obliger le lectorat à enfiler la trilogie! Et remarquable pour trahir les a priori  sexo-machistes de l’auteur… 
Alors que Lisbeth construit une toile d’araignée pour garantir son anonymat total et sa transparence  sociale intégrale, Mickaël se trouve brutalement confronté à l' assassinat d’un collaborateur du magazine et de sa compagne. La police s’orientant manifestement sur de fausses pistes, focalisant sur Lisbeth en coupable sanguinaire, le journaliste n’a d’autres solutions que de s’investir de son côté dans une enquête aussi difficile et surprenante que celle qui lui a permis de retrouver la nièce du magnat de l’industrie dans l’épisode précédent.
À vous de vous y coller si vous souhaitez connaître les démêlés  de Mickaël et les circonstances qui le conduiront à retrouver la trace de Lisbeth… La voie est rude, les méchants nombreux et très fourbes, la société suédoise peu flattée par le tableau de ses incuries, mais il pointe dans toute cette amertume quelques remarques assez universelles sur l’état de nos sociétés et le désenchantement de nos démocraties, bien qu’à l’évidence, le propos de Stieg Larsson n’est pas à l’étude politico-sociétale. Encore que…

Millénium épisode 2 ne déçoit pas le lecteur en attente de dépaysement mélodramatique de style polar. J’ai souligné le caractère éminemment contemporain du traitement policier d’aujourd’hui. Tous les ingrédients de la noirceur millénariste sont en place pour construire un suspense haletant et une mise en situation tellement « extraordinaire » que nul ne peut  s’y projeter. En ce sens, le lecteur en quête de distraction  palpitante y trouvera son compte. L’amateur de cruauté virtuelle également. L’amoureux de l’exotisme de proximité sera ravi. Le lecteur exclusif de littérature tournera le nez et  affectera de dédaigner ce genre mineur… Mais combien pariez-vous qu’il en glissera un exemplaire au fond de son sac à l’occasion d’un week-end brumeux à la campagne ?