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01/05/2010

Glissement sémantique

"Papy est très très vieux, mais il est déjà en forme!"

 

Cette remarque pertinente émane d'Axel (7 ans). Évidemment, GéO a moyennement apprécié le redoublement du premier adverbe, l'usage du second nous a laissé perplexes  et amusés… S'agissant des formes de "Papy dodu" le déjà sonne avec évidence… Quant à la reconnaissance de son évidente bonne santé, nous en sommes ravis, voire fiers. GéO  est naturellement heureux de constater qu'il bénéficie des conditions idéales pour profiter des beaux jours qui coulent; tandis que je tire une légitime fierté de cette forme maintenue malgré une lutte de tous les repas contre l'afflux du vilain cholestérol… Une bataille jamais gagnée à coups sûrs, tant GéO a manqué dans sa jeunesse!

 

Même si l’on s’efforce de respecter à peu près les règles du Français usuel, force est de reconnaître que  la langue évolue plus vite encore que glisse le poids des ans sur le cours de nos vies.
J’en tiens un exemple tout récent, dont je me suis un peu amusée et j’espère  que l’anecdote vous distraira un bref instant de vos soucis éventuels.
Au cours d’entretiens chaleureux et informels avec un quadra de nos proches, un mot est revenu fréquemment dans les conversations, vocable auquel je n’ai prêté attention que par la récurrence de son usage et le glissement sémantique qui m’est alors apparu.

Enfant du baby-boom, j’ai reçu en ma période d’éducation l’usage du verbe calculer dans son contexte mathématique, et naturellement son maniement arithmétique.
Pour moi, calculer s’utilise  forcément sur des nombres, sur lesquels s’appliquent les opérations fondamentales d’ajout, de retrait, de multiplication ou de division. La science algébrique nous a ouvert l’esprit sur l’art subtil des formules condensant les différentes phases de ces procédés ; même en introduisant alors au milieu de ces nombres  la compagnie de lettres isolées, jouant plus ou moins les intruses incognito, porteuses des variations pudiques des valeurs recherchées, nos opérations mathématiques respectent le sens initial absolu du mot CALCULER.

La vie cependant se charge de nous faire évoluer.
Vint forcément pour ma petite personne, comme pour l’ensemble de mes congénères, le temps des maturités et des réflexions philosophiques sur la valeur de nos existences. Le cœur et la peau frictionnés jusqu’au sang par l’expérience, il me fallut bien admettre l’usage du CALCUL sur nos sentiments et sur nos sens. En la matière, il est vrai, j’ai intimement  fréquenté un Maître-Calculateur qui sut ajouter, retrancher ou amputer  tout simplement la linéarité de mon cheminement. J’appris ainsi douloureusement le second sens, ou si l’on préfère le second degré de la flexibilité lexicale.

Cette fois cependant, moins impliquée dans l’affaire, j’écoutais notre interlocuteur utiliser le mot dans une formulation un peu différente. Sans reproduire ici le contenu du propos, je reprends les termes de nos conversations pour éclairer le sens de ma remarque. Dans l’expression « cette personne, j’la calcule plus du tout… » J’ai entendu: je ne comprends plus le comportement de ladite personne, correct ?
Mais peut-être fallait-il entendre : "je ne peux plus la supporter dans mon voisinage", car le contexte permettait d’admettre aussi cette hypothèse.
Troisième version envisageable : « oui, mais cette solution-là, j’la calcule pas, parce que… » Ce qui cette fois nous mit sur la piste de " je ne veux pas envisager cette manière de m’en sortir…"
Je remarquai bientôt que calculer, dans l’approximation de ces acceptions, me renvoyait systématiquement à une traduction de refus, de rejet, d’exclusion, de négation.  Par le biais de ce traitement numérique,serait-ce alors une manière de positiver dans le langage les sentiments ou les raisonnements qui nous désobligent  ou nous contrarient ? La langue est vivante, elle évolue et suit au plus près sans doute nos battements de coeur et nos pulsions vitales. Nos vies se complexifient tellement qu’il est possible qu’un usage polysémique de notre vocabulaire s’impose pour éviter l’expression trop crue de nos désarrois…