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21/01/2009

Silence, tabou et cinéma

Comme beaucoup d’entre vous, sans doute, nous avons regardé hier soir le film qu’Amos Gitaï vient de consacrer au malaise des descendants de juifs tués par la Shoah, Plus tard tu comprendras…, qui sort aujourd’hui sur les écrans.
- Un film de plus sur les juifs, bon, bof, après l’excellent La liste de Schindler dimanche soir, la télé n’en finit pas de revenir sur un sujet porteur d’audience… Mémoire oui, mais attention au risque de rabâchage quand même … commence-t-on à soupirer in petto dans les chaumières.

En réalité, le film vu hier soir ouvre un débat différent, beaucoup plus large et touchant par l’universalité du malaise évoqué. Ce n’est plus la dénonciation d’un fait de guerre avéré, le Crime contre l’Humanité du génocide commis par les nazis, mais plutôt le combat d’un homme pour secouer un tabou familial concernant la disparition de ses grands-parents. Le nœud de l’intrigue n’est pas la découverte de la déportation du couple, mais le malaise pesant de l’occultation de ce malheur. En effet, le personnage principal n’a pas connu ses grands-parents, parce qu’il est né après leur arrestation. En revanche il a le souvenir précis d’être allé avec sa mère dans leur appartement qu’un mystérieux tour de passe-passe a déposé dans le patrimoine de ses autres grands-parents. Ce que l’enfant accepte comme un fait naturel vient heurter la conscience de l’homme parvenu à son âge mûr, d’autant que le contexte du procès de Klaus Barbie ravive la mémoire collective par la parole enfin donnée aux victimes.
À partir de ce moment, le fils joué par Hyppolite Girardot ressent une pression interne dont il ne pourrait se soulager que par la mise au grand jour des circonstances du drame, voire par la levée de l’ambiguïté relative au rôle des beaux-parents de sa mère. Telle est la thèse du film et nous suivons les efforts du fils pour obliger sa mère à expliquer, justifier, nommer le drame. À son questionnement angoissé, la mère (Jeanne Moreau,) oppose une fuite permanente qu’il ne parvient pas à casser, par respect pour sa douleur présumée, par crainte de ce qu’il pourrait être obligé de nommer.… Et tout le débat est là.
Quoi de plus douloureux en effet que le secret, le non-dit, le respect obligé du silence qui prend alors la forme d’une culpabilité. Ce qu’exprimait très justement et subtilement Simone Veil dans son autobiographie Une Vie, parue je crois en 2007.
Même quand le fond de l’affaire n’a rien de honteux, le fait d’en être le dépositaire confidentiel pèse d’un poids particulier qui peut devenir étouffant. Tous ceux qui ont vécu ce genre d’expérience se sentiront touchés par le film d’Amos Gitaï, comme ils ont pu l’être s’ils ont lu le témoignage de Jérôme Clément, que le film transpose.
La qualité essentielle du film repose sur cette quête. Je trouve intéressant que la mère parvienne à se délivrer d’une partie de son secret auprès de ses petits-enfants, les confrontant ainsi ex-abrupto à leurs racines, plutôt qu’à son fils tellement demandeur.
Les acteurs du film sont à leurs places, Jeanne Moreau incarne à merveille cette femme forte dans sa détermination, maîtresse d’un secret indispensable à la menée de sa vie. En ce qui concerne les autres comédiens, je suppose qu’Amos Gitaï a tenu à leur donner une distanciation qui entrave notre empathie. De même le parti pris de plans panoramiques très longs, balayant l’enfilade des pièces de l’appartement, tandis que nous entendons le fil d’une conversation en voix-off, ce décalage correspondant au jeu de Dominique Blanc, Emmanuelle Devos ou Hyppolite Girardot finit par lasser. Trop de naturel tue le naturel. Ou encore l’évocation de l’arrestation des réfugiés dans l’hôtel est infiniment trop longue, voire incongrue, inutile. Mais j’imagine que ces scènes devenaient nécessaires au cinéaste afin de donner corps et matière aux malaises des protagonistes. De la difficulté de monter l’indicible, d’imager l’intime et la souffrance psychologique.
Enfin la musique joue un rôle de premier plan et il me semble que ces notes soutenues transmettent alors mieux que les images l’émotion et la mémoire ciselée des événements.