Comment j'habite mon jeans… (18/04/2010)

Parmi les textes fondateurs de ma relation aux mots, il y a eu une dictée.
Non, non, ne riez pas. J’imagine d’ici votre petite moue ambiguë, genre « eh oui la pauvrette, rien d’étonnant, que pouvait-elle faire d’autre … ». J’assume !

Tandis que notre institutrice dictait le passage en question, et que mes camarades frémissaient d’ardeur sur les accords retors, j’écrivais, inconsciente des pièges orthographiques, impatiente de construire sur le lignage de mon cahier la scène dictée. Je m’émerveillais de la forme de cet extrait (Knock de Jules Romain si ma mémoire ne me trompe…)  Je peinais à  retenir mon hilarité et mon admiration à la découverte de l’enchaînement magique qui permettait au narrateur de distiller au fil de ces quelques phrases l’anecdote  succulente jusqu’à la chute finale. En un mot, il me semble que sans le savoir, j’étais tombée en amour avec la narration, et je m’en souviens encore aujourd’hui comme d’un moment fort…
Je ne saurais vous faire languir plus avant, et je serais fort aise  si une de mes souris  lecteur/lectrice,    malgré sa discrétion accoutumée,   venait à me corriger au cas vraisemblable où ma référence ne serait pas juste…

Cet extrait relatait le cas d’un enfant  présenté au médecin de famille par ses parents  fort inquiets, à la suite d’une faiblesse soudaine frappant les jambes du bambin. Depuis le matin, celui-ci se révélait incapable de faire un pas et  tenait debout à grand peine. Les parents redoutaient une terrible maladie invalidante. Le  bon docteur examinait alors consciencieusement  le petit patient avant de le rendre à ses parents, leur conseillant simplement à l’avenir de veiller à  vêtir leur chérubin en n’enfilant  qu’un membre par jambe de pyjama.

Si l’anecdote me revient ainsi en mémoire, c’est qu’il y a des semaines comme ça où il vaut mieux rire de ses propres errements… Il m’arrive parfois de me surprendre et surtout in petto de m’affoler en constatant comment mes propres neurones peuvent décréter une grève surprise, sans préavis, aux effets ravageurs ! Ce qui est certain, c’est que GéO contemple sa blonde avec l’indulgence attendrie dont on honore les premiers pas de son petit, ou les maladresses d’un jeune chiot.

Aloïs serait-il revenu à la charge? Le syndrome de sénilité effleure les extrémités de mes synapses et je redoute la montée en mayonnaise des connexions qui s’emmêlent les pinceaux sous mon dôme  crânien… Brrr…

Jugez plutôt : Jeudi dernier, je me suis rendu en ville en fin de matinée, afin de procéder à quelques courses urgentes, dont l’expédition d’un paquet pour Aurel. Il faisait déjà doux, je n’avais enfilé qu’une veste légère, démunie de poches, hélas ! Ma tournée commençait donc par la poste, et pour gagner du temps, j’avais entrepris de fouiller parmi les présentoirs de prospectus pour remplir le formulaire  colissimo. Gênée par la lanière du sac à main qui pesait sur l’épaule droite, et mon trousseau de clefs que je gardais en main faute de poches à cette fichue veste, je me suis délestée de mes charges sur la table… Mon tour arriva enfin, je me présentai à la préposée, effectuai la transmission de mon paquet, toute contente de m’en tirer sans trop de retard. Je repris mes pérégrinations boutiquières ; il était midi largement sonné quand je sortis de la pharmacie et me dirigeai vers la voiture… Chemin faisant, par habitude, je cherchais mes clefs dans les poches de ma veste… Point de poches, pas de clefs. Mes mains descendirent vers mes hanches pour vérifier si je ne les avais pas glissées dans mon jeans,   mais, dans le  même temps, ma tête me rappela que le week-end dernier ayant été festif, les deux kilos gagnés à faire la fête tiraient suffisamment sur le vêtement pour que je n’y glisse une charge supplémentaire. Logiquement,   je savais que je n’y avais pas mis mes clefs puisque je me souvenais  m’être tenu  fugacement le  raisonnement. D’où le fait, ça me revint alors très clairement, que je les avais déposées sur la table du bureau de poste ! 
Immédiatement, je rebroussai chemin, pour constater évidemment que le rideau de fer était baissé. Que faire? Remonter à pied, version sportive et sympathique, mais contrariante pour enchaîner le déjeuner avant le rendez-vous de l’après-midi. Je me résignai donc à appeler mon cher GéO à la rescousse…

Après déjeuner, le voilà bien obligé de me descendre à nouveau, munie derechef du double de mes clefs de voiture. Nous passâmes d’abord à la poste, où personne n’avait vu l’objet de mes préoccupations… Des quatre guichets, je n’obtins que des dénégations, compatissantes certes, mais guère réconfortantes. Pourtant, j’étais certaine maintenant que c’était là que je les avais abandonnées,   j’étais capable de me projeter très distinctement le film de  l’enchaînement de mes gestes…  Déçue et intriguée, je me rendis néanmoins chez la coiffeuse qui m’attendait. Le temps de procéder aux soins de mes cheveux, Stella écouta attentivement ma mésaventure,   et avec elle, tout le salon commenta les désagréments  d’un tel oubli, et surtout l’égarement de celui ou celle qui avait indubitablement pris les maudites clefs !
Libérée  par ma Figarelle préférée,   je recommençai mon petit circuit du matin à l’envers : la pharmacie…la poste… Chaque fois, mon histoire retenait l’attention. Même la femme de ménage du service public me promit de regarder à deux fois en passant sa serpillière. Je poussai jusqu’à la mairie et de là, la police municipale. Pas l’ombre d’un semblant de trousseau à l’horizon ! Je savais bien que ce n’était  pas si catastrophique, pas de repère d’adresse ou d’immatriculation sur les  clés, et j’avais le double en poche cette fois pour remonter la voiture. Mais je pestai, je marronnai, je me gourmandai comme vous pouvez l’imaginer.


La force de l’habitude l’emporte décidément sur la réalité des faits.
En vue de l’endroit où m’attendait la fidèle Saxo, ma main plongea toute seule dans la poche de mon pantalon pour en extraire ma clef de secours. Sauf que mes doigts reconnurent la forme du boîtier de commande à distance… Les bonnes clefs étaient bel et bien au fond de la poche du jeans depuis le début…

Comment ai-je pu tâter dix fois au moins mes hanches sans sentir l’intrus ? Comment ai-je pu m’asseoir et me relever plus de vingt fois sans être incommodée par les  pièces de métal  coincées contre mon aine ?  Je n’habite plus mon pantalon, et ce constat ouvre une sacrée boîte de Pandore… Vais-je continuer à me faire  confiance ?  Déjà, dimanche, j’avais oublié nos billets d’accès au Castellet…  Heureusement qu’Aurel était parti  en avant, ma bévue ne l’a pas privé du départ.  Aloïs, Aloïs, mon vieil ennemi est de retour… Mes Colombines savent combien je me contrarie d’héberger un tel squatter.  GéO me promet le fauteuil 110, vieille blague héritée du temps où nous rendions visite à Mamie, mais derrière les taquineries  veille une angoisse ancienne, que je ne suis certainement pas seule à redouter.  À quoi bon vieillir, si l’Avenir me promet des courses-poursuites en fauteuil roulant,  le long des coursives d’un hospice hanté d’amnésiques ?  Il faudra que je me surveille… 
En attendant, j’ai offert à mon GéO une source de mises en boîte maison, qui m’habillera bien pour la saison chaude…Et les suivantes!

18:47 | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : écriture, récit, journal, aloïs halzeimer, angoisse, autodérision | |  del.icio.us |  Facebook | |  Imprimer