Un coeur gros comme ça (04/02/2011)

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Une salle en transe clame son nom avant même que le ténor ait poussé la première note…

Ce lundi à Marseille, le public de l’Opéra s’est  réjoui d’un spectacle à la hauteur de son attente.
Et pourtant, la barre pouvait lui  paraître bien difficile à atteindre, si l’on imagine le jeune ténor attentif à la rumeur bourdonnante de l’arène pleine, à l’heure de franchir le rideau des coulisses et de se glisser jusqu’au piano trônant solitaire au milieu de la scène …
Des applaudissements tonitruants saluent sa première apparition, et quelques voix clament déjà son prénom, comme si le chanteur avait déjà donné le meilleur de lui-même.
Coite sur mon strapontin du parterre, je m’amuse de cette ferveur à l’égard d’un ténor à peine sorti du sérail, dont la mine juvénile révèle la fulgurance d’une carrière débutante… Si l’on songe aux difficultés de ce métier exigeant et sélectif, la gloire parvient rarement avant une maturité affirmée. Et pourtant…

Après les notes timides du premier morceau mozartien, Se all’ impero, extrait de la clémence de Titus, Florès est à nouveau applaudi avec un enthousiasme que pour ma modeste  part, je trouve un tantinet exagéré.  Mais les airs suivants,  quatre fragments d’ œuvres de Rossini,  permettent de réviser cette impression initiale. La voix de Juan Diego Flores s’empare des trilles et les offre à nos oreilles avec une pureté cristalline, un son franc et une diction méticuleuse… Au point que la gaucherie des attitudes contraintes s’oublie totalement.   À l’entracte, je conserve juste une petite réserve concernant l’éclat des souliers vernis des deux hommes, chaussures toutes neuves sans doute que les spots lumineux frappent d’éclairs  agressifs attirant nos regards malgré nous.

La seconde partie du récital tient les promesses entrevues et la ferveur du public s’en trouve pleinement justifiée. Plus détendu semble-t-il,  Juan Diego Flores commence à mimer  les émotions des  trois Canzones   avec lesquelles il ouvre cette seconde partie : un programme léger de chants espagnols dont le célèbre Adios Granada de Saavedra.  Un enchantement  pour nos oreilles, d’autant que  le programme s’élargit avec Verdi. On sait le public marseillais très attaché au Bel Canto… Comme il est  arrivé conquis, la fièvre monte encore d’un cran. Derrière moi, les voix enflent au cours des applaudissements : ce sont surtout des spectateurs qui expriment leur enthousiasme en lançant des Diego, Bravo,Brav-vo, Brav-vissimoooo,  Die-go, Die-go… Pour un peu, ces stances pourraient passer pour des déclarations… Attention, Messieurs, retenez vos ardeurs, vous êtes en public !!!


Nullement troublé par ces  transports énamourés , notre ténor et son  pianiste accompagnateur répondent  d’abord par un bis, puis deux, puis trois…et encore, et encore… je n’ai plus décompté, mais il me semble bien que le jeune homme a offert à son public au moins six airs supplémentaires, soit une troisième partie de récital, où il a glissé avec humour un extrait de la fille du régiment, livret en français ce  qui permet d’illustrer la perfection de sa diction.  


Vous avouerai-je qu’une telle générosité à l’égard du public ne laisse pas de marbre ? Outre son talent et son travail , ce jeune chanteur possède un cœur gros comme ça et plus, un charisme étonnant et pas si fréquent, qui me donne la chair de poule et m’émeut, me renvoyant à une autre personnalité flamboyante de la scène lyrique, que nous étions allés entendre à plusieurs reprises , à l’époque des Lundis de l’Athénée, dans les années 80. La Prima Donna incomparable de l’époque,  Montserrat Caballe s’y donnait avec une jubilation communicative. Il nous semblait qu’elle n’était jamais fatiguée, toujours prête à enchaîner les airs et les rires qu’elle partageait avec nous, son public  de fans ratatinés entre les rangs serrés du petit théâtre parisien.

Un grand merci donc à Simone qui m'a offert cette nouvelle soirée musicale, découverte et partage, prolongée par une  balade romantique sur la corniche, sous la clarté des étoiles. En cette dernière nuit de Janvier, la douceur relative de l'air nous permet de goûter pleinement le rythme paisible du ressac en contrebas… La dentelle d'écume fine joue autour de l'ombre des rochers à quelques brasses de la grève; Marseille scintille de milliers de points lumineux de part et d'autre, on devine cette côte citadine qui semble n'avoir aucune limite, et nous nous réjouissons toutes deux d'être (presque) seules à profiter de ce spectacle et à jouir de ce sentiment de liberté bien employée…

 

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