Berli-balade ( 3) (13/05/2009)

Les six plaies de Berlin

Berlin reste de par le vaste monde l’exemple typique de la ville fascinante.
Tout citoyen un peu curieux, en Europe ou au-delà des mers, vous confiera, à un moment ou à un autre, avoir l’envie et l’intention d’aller palper le pouls de la Capitale Allemande. Car personne n’imagine plus Berlin en simple métropole régionale, 1ère cité du royaume de Prusse, ville de résidence du Prince Électeur de Brandeburg. Ces rôles que la cité a pourtant parfaitement assumés du Moyen-âge  jusqu’à l’avènement du Reich de Guillaume 1er.
Mais ce n’est pas la ville impériale qui attire les visiteurs.
Si Berlin accueille en son sein tant de touristes qui la parcourent et la scrutent, c’est qu’elle incarne ce qu’on appelle désormais la Résilience. Cité emblématique d’une page d’Histoire néfaste et honnie, bien plus que Munich qui s’est pourtant davantage illustrée au démarrage de l’idéologie nazie, Berlin s’est relevée de ses cendres, et fourmille de vie, de projets. Comment imaginer maintenant la ville détruite à plus de 80% ?  Pourtant, il me semble que subsistent les six plaies qui stigmatisent à jamais ces lieux de mémoire, et ces cicatrices évidentes sont volontairement exposées au regard comme autant de remèdes préventifs contre la contagion barbare.

En dehors des centres d’attraction touristique classique, en marge des attraits d’une cité vivante et conviviale, que le Sony Center illustre parfaitement, Berlin est marquée de stigmates que son art de vivre n’élude pas.

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Je me suis amusée à saisir sur la  photo ci-dessous le parcours logistique qui mène d’une antique Traban à la dernière- née d’une gamme automobile étrangère. Quel sens de l’humour a conduit le pilote de la vieille pétaradante à lui offrir l’ombre de son affriolante cadette ?

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Ce que j’identifie comme les  six plaies de Berlin réside dans les sites marqués du sceau de l’Histoire du XXème siècle, que nul visiteur, et sans doute nul habitant de la grande ville ne peut ignorer.

À l’instar de la fameuse Porte de Brandebourg, Arc de triomphe insolent soulignant justement l’impossibilité de franchissement, pendant trois décennies…

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Aujourd’hui, la foule s’y presse, malgré l’averse glaciale, il convient d’user ses pas sur ses dalles jadis interdites.

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Image 4.pngÀ deux pas  de l’arche impériale, l’esplanade dessine une allée jalonnée de plaques d’ardoise dressées verticalement sur le pavement, comme autant de disques gravés à la mémoire des 96 députés communistes assassinés en 1933, à la suite de l’incendie du Reichstag. L’histoire colle à la peau des trottoirs de Berlin, plus sûrement et définitivement que ce crachin humide et froid tombant sur les épaules des piétons.

Peu de documents l’attestent, mais il est pratiquement avéré que les SS sont à l’origine de cet incendie, attribué immédiatement aux malheureux représentants du parti Spartacus, premières  victimes des horreurs perpétrées au nom de l’Ordre.
Cette portion congrue de tunnel est préservée dans le sous-sol du Reichstag, pour attester justement de cette page sinistre des débuts prometteurs du nazisme…

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Impossible de quitter ce quartier Est, contiguë des marches du pouvoir sans prendre le temps du recueillement. Le champ de stèles érigées à la mémoire des Juifs européens victimes du nazisme, Holocaust Denkmal für die ermordeten Juden Europas.
Je passerai sur la petite histoire des scandales et tergiversations qui ont conduit à l’actuelle représentation de ce symbole, pour m’attarder davantage sur le sens et le courage des autorités fédérales et municipales. Il s’élèvera toujours des voix pour arguer que c’était bien la moindre des choses, mais ne voit –on pas ici et là, dans bien d’autres lieux des occultations assez hypocrites des horreurs de la guerre. Il serait tentant de représenter « feutré-artistique ». Mais sous les fenêtres de la Chancellerie et du Reichstag, ce champ de 10 073m2, plus d’un hectare en plein espace urbain, comporte 2711 stèles de béton gris, dénuées d’inscription. Le sol de ce champ a été vallonné de sorte que des vagues de pavement amplifient le relief de ce cimetière sans dépouille.

PICT0084.JPGEn arrière plan du mémorial,  à droite le quadrille qui surmonte la porte de Brandebourg, à gauche le dôme du reichstag.

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Les allées perpendiculaires, que les visiteurs arpentent silencieusement. De temps à autre, une unique rose rouge, déposée là sans commentaire, atteste l'acuité du souvenir…

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Le mémorial est partie intégrante du quartier…




Plus légère, la quatrième de ces plaies n’en suggère pas moins de douloureux souvenirs à ceux qui se sont confrontés là aux larmes des adieux.
Check Point  Charlie et son célèbre panneau sur la Friedrichstrasse.

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Aujourd’hui, les faux militaires anglais, américains, français se relaient pour mimer les sentinelles qui réglementaient le point de passage.

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La cinquième plaie non refermée est d’une discrétion toute remarquable, dans sa représentation comme dans sa lecture. Il s’agit d’une simple dalle de verre, transparente, posée au centre de la  Opernplatz…, à l’endroit précis où eut lieu l’autodafé de la nuit du 10 Mai 1933. Sous la dalle  carrée de 4X4m se tient une pièce à peine plus large. À la lumière de la nuit, j’y vois un sol blanc immaculé, sans objet.  Les quatre parois sont également blanches, toutes recouvertes de rayonnages de même teinte ; ce n’est pas une absence de coloration, c’est un blanc absolu, sidéral, infini, celui du vide laissé par la culture assassinée. L’effet est saisissant, il ne peut se rendre en photographie, mais l’empreinte visuelle de ce vide s’imprime à jamais dans la conscience.

La sixième plaie, je vous  l’ai déjà présentée dans ma première note : elle est  concrétisée par Le Mur, die Mauer, qui clôt ma boucle puisque j’ai commencé ce récit de voyage par les vues des peintures qui le décorent .

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Les Berlinois ont choisi de vivre avec ces stigmates exposées à leur vue quotidienne. Cette ville qui résume à elle seule les ravages d’un XXème siècle violent et sauvage, elle qui a vu le combat des principales idéologies du monde moderne, elle est devenue le garde-fou des démocraties, le miroir ostensible  que le devoir de mémoire impose pour établir une veille sur le monde libre. Mais ce courage de lucidité pèse du poids de la culpabilité et il faudra bien un jour que les générations qui grandissent soient exonérés des comptes de leurs grands-parents, de leurs aïeux.
Alors en attendant, ils vivent, travaillent, se rencontrent, bougent et font bouger leur ville.
Les restaurants sont nombreux, les magasins très divers, les quartiers exposent leurs particularités sans complexe. La vie culturelle s’y affirme dense.


Notre ami  avait repéré la représentation de l’Opéra de Puccini, Madame  Butterfly.
En confiance, notre petit groupe se rend au Komische Oper, Behrenstrasse, après une dégustation des  fameuses  Currywurst présentées s’il vous plaît sous cloche d’argent !

Imaginez nos attentes, nous sommes douze amis installés en rang d’oignons, déjà  concentrés sur le sort de la célèbre Geïsha abandonnée, quand le lever de rideau nous convie dans un véritable Bordel, sous la férule d’un maquereaux houspillant ses pensionnaires trop peu zélées, mégotant les charmes de ses protégées auprès des clients… Las, la vulgarité, la provocation de la mise en scène dénaturent la poésie  du Japon de Puccini… d’autant qu’à notre grande surprise, le livret est chanté en version allemande, ce qu’aucun d’entre nous n’avait imaginé. Du coup, les libertés de mise en scène prises par l’adaptateur nous déroutent encore davantage. À l’entracte, nous nous  retrouvons presque penauds au foyer, partagés entre humour et interpellation… La curiosité l’emporte, nous y sommes, nous allons y rester, d’autant que Madame Butterfly ( Soojin Moon) a une voix splendide. Mais Simone m’adresse un regard inquiet : nous ne sommes même plus tout à fait certaines que la partition n’ait pas été arrangée comme l’est le livret… Soupçons…

À la reprise, le décor ne nous interpelle plus, les costumes outranciers et les postures érotiques ont perdu leur nouveauté, la musique peut enfin s’emparer de nos esprits… L’interprétation dramatique se densifie, le charme opère.  Le dernier acte nous transporte à la hauteur des transes de notre héroïne, malgré une vision un peu sanglante : parmi les innovations surprenantes, le meurtre , sur scène, de l’enfant né de sa liaison avec Pinkerton ( Timothy Richards, très bien lui aussi).
Nous sommes comblées : Angelika me sert dans ses bras pour exprimer son contentement de partager notre émotion. Dehors il fait très doux, et nous prolongeons avec bonheur nos derniers Absacker à l’ Operncafé, sous la lumière de la lune, Unter den Linden

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